De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 10


Chapitre X.

Des précautions qu’il faut observer quand on fait des remedes contre les vers.



IL ne suffit pas, pour tuer & pour chasser les vers, de faire les remedes que nous avons marquez dans le Chapitre précedent, il pourroit y avoir du danger de s’en tenir à ces seuls secours, parce que les vers attaquez ne mourant pas d’abord, ou ne mourant pas tous à la fois du même coup, il arrive souvent que ceux qui ont resisté à l’effort des medicamens, étant ainsi contrariez, mordent les intestins & les percent ; il y a une précaution à prendre contre ce danger, c’est de ne point demeurer long-tems sans manger. Bien des meres ont besoin de cet avis, elles qui croyent la plûpart, que quand leurs enfans ont des vers, il faut les faire jeûner, pour éviter, disent-elles, la corruption ; ne prenant pas garde qu’en voulant ainsi éviter un mal, elles exposent leurs enfans à être devorez des vers. Ces nimaux, lorsqu’ils sont trop affamez, ne manquent point de percer tôt ou tard le lieu qui les renferme.

Il y a quelques années qu’une bonne Dame prés de Versailles, à qui on avoit donné un enfant à sevrer, me dit qu’elle croyoit que son enfant avoit des vers, & me demanda quel remede on luy pourroit faire ; j’examinay le visage de l’enfant, ses yeux, son poulx, son ventre ; & ayant jugé qu’il avoit effectivement des vers, je conseillay à cette Dame de luy donner quelque peu de coraline de tems en tems dans sa boüillie ; ce remede ayant réüssi, & l’enfant rendant tous les jours des vers, cette Dame crût que c’est qu’il s’en engendroit tous les jours de nouveaux, & qu’afin de prévenir cela il n’y avoit qu’à donner moins à manger à son enfant. Elle le fit jeûner si fort, qu’elle ne luy accordoit précisément que ce qui luy étoit necessaire pour vivre ; l’enfant n’eut pas jeûné quatre jours de la sorte, qu’il cessa de rendre des vers, la Dame prenant alors cela pour une bonne marque, continua à faire jeûner cet enfant encore quelques jours, mais l’enfant se plaignit bientôt d’une grande douleur dans le ventre. Comme cette douleur alloit tous les jours en augmentant, & que l’enfant poussoit quelquefois de grande cris, on le purgea, on luy donna des lavemens, on luy fit boire plusieurs sortes d’eaux propres contre la colique, & tout cela ne servant de rien, on m’amena l’enfant icy à Paris, dés que je le vis, je demanday aussitôt comment on l’avoit gouverné depuis que je l’avois vû, & j’appris tout ce que je viens de rapporter. Je ne pus m’empêcher alors de déplorer l’estat de ce pauvre enfant, qui avoit été si mal conduit, & de dire qu’il y avoit à craindre que les vers, affamez par le jeune qu’on luy avoit fait endurer, n’eussent déjà percé les intestins, l’événement le fit bientôt voir, car l’enfant mourut au bout de quelques jours ; il fut ouvert, & on luy trouva les intestins tous remplis de vermine & si percez de vers, qu’ils en étoient comme criblez.

Il faut donc tenir pour certain que ceux qui ont des vers, ont besoin d’être plus nourris que les autres, il faut faire alors ce qu’on fait quand on a des rats dans un Cabinet, où sont des papiers de consequence, qu’on veut garantir de la dent de ces animaux. On y laisse du pain & de l’eau, les rats s’en rassasient, & on les empêche par ce moyen de faire leur proye d’autre chose. Mais autant qu’il est avantageux de beaucoup manger lorsqu’on a des vers, autant il est dangereux de le faire lorsqu’on en est délivré ; car il faut en cette occasion vivre le plus sobrement & le plus frugalement qu’il est possible, pour éviter toute sorte de corruption, sans quoy ce seroit s’exposer de nouveau à la même maladie : cette sobrieté cependant doit avoir ses regles, & il ne faut point la faire pratiquer avec trop d’exactitude aux enfans, parce qu’ayant plus de chaleur naturelle que les autres, & avec cela un corps qui prend son accroissement tous les jours, ils ont besoin d’être soûtenus par une plus abondante & plus fréquente nourriture ; aussi remarque-t’on que les jeunes gens portent le jeûne avec bien plus de peine que ne font les personnes d’un âge avancé ; c’est pourquoy Hippocrate dit dans un Aphorisme exprés, que les enfans, & tous ceux dont le corps n’a pas encore pris son accroissement, doivent être plus nourris, sans quoy, dit-il, il faut qu’ils desséchent, parce qu’ils ont une chaleur plus grande.

Il y a une autre précaution à observer quand on fait des remedes contre les Vers, c’est d’interrompre ces remedes de tems en tems, & cela de peur que les vers, trop obstinément attaquez, ne se cantonnent dans les cavitez de l’intestin colon, ausquelles les medicamens ne parviennent que difficilement, ou qu’ils ne tournent leur corps d’une maniere qui les mette hors d’atteinte à l’action des remedes ; car l’un ou l’autre arrive quelquefois, & je l’ay reconnu par experience. En 1694. au mois d’Août, un jeune homme de trente deux ans, lequel rendoit quelquefois des vers, me vint consulter sur sa maladie, je luy ordonnay un remede qui luy fit faire d’abord deux gros vers, & qui étant réïteré deux jours aprés, en chassa encore trois autres ; le malade sentant qu’il n’étoit pas délivré de toute sa vermine, & connoissant par son expérience la bonté du remede qu’il venoit de faire, crût qu’au lieu d’en interrompre l’usage de tems en tems, car je le luy avois recommandé, il étoit plus à propos de le continuer tous les jours, mais il fut bien trompé ; car au lieu de rendre un grand nombre de vers, comme il l’esperoit, il n’en rendit plus ; il me vint dire le sujet de sa surprise, & je luy répondis qu’il n’avoit qu’à laisser passer deux jours sans faire ce remede, & ensuite le réïterer, & qu’il rendroit des vers ; il suivit mon avis, & il en rendit neuf deux jours aprés, il laissa encore passer deux autres jours, aprés quoy il fit le remede, & il rendit six autres vers : Je le tins dans cette alternative pendant trois Semaines, & il fut gueri absolument. Cet exemple fait voir comme ce n’est pas toûjours de l’usage opiniâtre des medicamens, que dépend la guerison ; le point est de sçavoir prendre son tems, & dans le traitement d’une maladie comme dans le gouvernement d’une affaire, la trop grande précipitation est souvent cause qu’on échoüe.

Il y a des occasions où c’est un grand remede, pour rétablir la santé, que de suspendre tout remede, & si Pline[1] le jeune dit si bien, en parlant de l’Eloquence, que cet Art ne consiste pas moins à se taire qu’à parler ; nous pouvons dire de même de celuy de la Medecine, qu’il ne consiste pas moins quelquefois à s’abstenir d’ordonner des remedes qu’à en préscrire.

Une précaution importante, dont je n’ay encore point parlé, & par laquelle nous finirons ce Chapitre, est de ne faire de remedes contre les vers, que dans le déclin de la Lune, ainsi que le conseille M. Borel[2]. J’ay été long tems là-dessus, dans une disposition d’esprit, où je vois que cette maxime trouvera la plûpart de ceux qui la liront ; je m’étonnois qu’un homme plein de Science & de discernement eût conseillé cette methode, que je regardois comme une pure imagination ; mais l’experience m’a découvert que je me trompois moy-même, & je puis assûrer par les exemples que j’ay vûs, que de cent malades attaquez de vers, qui prendront contre les vers dans un autre tems, il n’y en aura pas vingt à qui leurs remedes réüssissent, & que de cent malades au contraire, qui prendront contre les vers dans le tems que je dis, il n’y en aura pas vingt à qui ces mêmes remedes ne fassent un heureux effet ; c’est ce que je pourrois confirmer par un grand nombre de faits, dont j’ay été témoin. De sçavoir maintenant si c’est la Lune qui est cause de cette difference ou non, ce n’est pas de quoy je m’embarasse, il me suffit que l’observation soit veritable, le reste n’est qu’un examen inutile, qui ne sert de rien pour la guerison des malades.

Les vers, contre lesquels nous venons de préscrire des remedes, peuvent être regardez comme des ennemis domestiques, dont on ne sçauroit trop se défendre, mais il y en a d’autres qui sont amis de l’animal, & qui marquent la bonté du temperamment.

Jusqu’icy nous avons parlé de ces premiers, c’est-à-dire de ceux qui nuisent au corps. L’ordre demande que nous parlions à present des derniers ; c’est-à-dire de ceux qui ne sont point malfaisans. Je les appelle vers Spermatiques, parce qu’ils se trouvent dans l’humeur Spermatique des animaux. Je n’ay pu me dispenser d’en dire un mot dans le Chapitre troisiéme, en faisant le détail des differentes especes de vers. Mais comme je n’aurois pû m’étendre sur cette espece particuliere, sans m’écarter de mon dessein, qui étoit alors de traiter des vers qui sont nuisibles à la santé, j’ay été obligé de renvoyer cette matiere au Chapitre suivant.

Séparateur

  1. Accepi non minus interdum oratorium esse tacere quàm dicere. Plin. jun. Epist. lib. 7. Epist. 126.
  2. Borell. hist. & observ. medicophys. cent 1. observ. 89 & 90.