De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 31

Chez Antoine Vitté (p. 369-376).

Chapitre 31


troisiesme condition d’un directeur, qu’il soit experimenté, et quelle doit estre cette experience. Où il est aussi parlé de la necessité de la vocation.

la troisiesme condition que vous demandez à vostre directeur, c’est qu’il soit experimenté . Mais ce qu’il y a de remarquable dans cette experience, et ce qui la rend bien differente de l’experience des autres arts, c’est, qu’elle se doit autant considerer par les habitudes que nous contractons au dedans, que par les exercices que nous faisons au dehors : parce qu’au lieu que la medecine corporelle ne fait gueres ses premiers essais que sur les autres, et le plus souvent aux despens de ceux qu’elle traitte ; la spirituelle au contraire doit commencer par nous-mesmes ; et ses premieres fonctions doivent estre la guerison de nos ames.

Il faut avoir esté long-temps disciple du Saint Esprit, avant que prendre la charge de maistre des hommes ; il faut les avoir long-temps enseignez par les actions, avant que de les enseigner par les paroles ; il faut consulter Dieu long-temps dans la retraitte et dans la solitude, avant que de paroistre en public, et se mesler de prononcer des oracles. Enfin quelque science et quelque vertu qu’on ait acquis, il faut estre appellé de Dieu par une vocation, qui ne soit pas seulement exterieure, mais interieure, qui ne soit pas seulement fondée dans la bonne opinion que ceux qui nous appellent ont de nous, mais dans le tesmoignage que nostre propre conscience nous rend, qu’il n’y a dans nous aucune incapacité notable, et que Dieu se veut servir de nous en une telle occasion ; parce qu’il n’y a pas moins de faute, de refuser une charge d’ames, lors qu’on s’y sent appellé de Dieu, et que le jugement interieur qu’on porte sincerement de soy-mesme, ne repugne pas evidemment à la bonne opinion que ceux qui nous y appellent ont de nous ; que de l’usurper et de s’y ingerer de nous-mesmes sans y estre appellez, en prevenant la vocation divine par un desir presomptueux.

Car cette sentence de l’apostre tirée de l’evangile qu’il retrace tousjours dans ses epistres ; (...), est aussi inesbranlable et aussi immobile que l’eglise mesme, comme en estant le fondement, sans qu’aucune interpretation humaine puisse jamais l’alterer et la corrompre.

Saint Jean Baptiste, apres avoir esté designé à l’office de precurseur du messie par la bouche d’un prophete, long-temps avant que de naistre, apres qu’un ange eut asseuré qu’il ne naissoit que pour l’accomplissement de cét oracle, apres avoir deslié la langue de son pere pour en recevoir encore une nouvelle confirmation, passe neanmoins presque toute sa vie dans le silence, et dans la retraitte, et ne sort du desert pour faire sa charge à laquelle il sçavoit que Dieu l’avoit desja appellé tant de fois, et d’une maniere si extraordinaire, que par un nouvel ordre, et par une nouvelle mission du Saint Esprit : (...) ; le seigneur parla à Jean dans le desert.

Et avant luy, Moyse, qui est le premier de tous les officiers de l’eglise figurée par la synagogue, se laisse appeller plus de trois ou quatre fois, resistant tousjours à la voix manifeste de Dieu, qui se descouvroit à luy, et luy parloit plus clairement qu’il n’avoit fait aux patriarches. Il se tenoit tres-content de servir Dieu dans le desert, où il estoit depuis quarante ans, et de n’avoir point d’autres occupations, que de paistre des brebis, quoy qu’il eust tousjours esté nourri dans la cour des roys, et dans les armées, et destiné à la succession d’un royaume, et qu’il fust remply non seulement de la science des egyptiens, mais aussi de celle des saints patriarches. Et ce qui estonne davantage dans cette opposition qu’il fait à Dieu, c’est qu’il sçavoit, qu’il avoit esté miraculeusement preservé de la mort, et adopté par la fille de Pharaon pour estre un jour le liberateur du peuple juif.

Mais ce qui est bien plus merveilleux, Jesus-Christ mesme envoyé du ciel en terre pour estre la lumiere du monde, passe trente ans dans une vie de vertu, et de sainteté, toute cachée et toute inconnuë au commun des hommes, comme s’il eust eu besoin d’une si longue retraitte pour se perfectionner, et pour acquerir les vertus necessaires à la fonction pour laquelle il estoit venu. Et ce qui est extremément remarquable, et confirme la necessité de la vocation divine pour le gouvernement des consciences, quoy que le tesmoignage de Saint Jean et celuy de son pere prononcé en public avec cette voix de tonnerre, (...), etc. Qui le declara son fils et ses delices, fussent tres-suffisans avec la descente du Saint Esprit, pour faire connoistre sa vocation à tous les hommes, et les asseure qu’il venoit les instruire comme ambassadeur de Dieu son pere ; neanmoins il ne commence à prescher publiquement en son païs, et en sa ville, qu’apres avoir prouvé auparavant sa mission au peuple par les paroles du prophete Isaye, qu’il leut dans la sinagogue devant tout le monde ; quoy qu’il eust fait beaucoup de miracles auparavant parmi les capharnaïtes, qui estoient venus à la connoissance de ceux de sa ville, et qui leur devoient suffire pour s’asseurer que Dieu l’avoit envoyé parmy les hommes, afin de leur annoncer la verité de son royaume.

Tous les saints ont esté dans les mesmes sentimens et dans les mesmes pensées ; et nous en voyons un exemple memorable dans Saint Gregoire De Nazianze. Il estoit d’une maison sainte, fils d’un grand evesque, et nourri dés son premier aage dans la science et dans la vertu : cependant il ne creut point, que tous ces advantages luy donnassent droict de se pousser de luy-mesme à la predication de l’evangile. Il voulut suivre exactement la voye que Jesus-Christ nous a tracée. Il demeura long-temps comme Jesus-Christ avant que de recevoir le baptesme pour s’y mieux disposer. Aussi-tost apres l’avoir receu il passa, comme Jesus-Christ, dans le desert. Il y vescut plusieurs années pour se confirmer dans la vertu, et y faire croistre la grace de son baptesme par un exercice continuel de prieres, de jeusne, et de meditation des escritures saintes, et de tous les livres de l’eglise : et apres cela il n’en sortit que par la necessité, et n’entra dans le clergé et dans le sacerdoce que par une contrainte et un commandement exprez, qui luy servit de tesmoignage et d’asseurance, que Dieu l’appelloit à la conduite des ames.

Voila comme Dieu a conduit ses saints dans l’un et dans l’autre testament : et nous au contraire, apres avoir passé la plus grande partie de nostre vie dans des occupations toutes seculieres, et quelquefois mesme dans beaucoup de desreglemens, lors que nous ignorons encore la science de l’eglise, l’ordre de sa veritable discipline, la sainteté de ses sacremens, et la pureté avec laquelle les moindres chrestiens doivent faire des bonnes œuvres pour les rendre agreables à Dieu, nous nous persuaderons, que le premier mouvement que Dieu nous donne de nous retourner vers luy, nous fasse prophetes, et nous rende dignes de porter aux peuples la lumiere de son evangile. Et si nous sommes grands pecheurs par le tesmoignage de nostre propre conscience, nous ne nous contenterons pas de la grace que Dieu nous fait de nous repentir, et de vouloir mener à l’advenir une vie plus chrestienne : mais nous croirons qu’il n’y a point de penitence plus agreable à Dieu, que de nous engager à la prestrise et aux fonctions qui l’accompagnent, dont les principales sont la predication et la conduite des ames. (...). Page:Arnaud - De la frequente communion, 1643.djvu/375 Mais il y en a qui sçavent par cœur ce discours de Saint Bernard, et qui neanmoins ne l’appliquent ny à eux ny aux autres : ce qui ne peut arriver, que d’une tres-mauvaise indifference, ou d’une tres-grande presomption, ou d’une secrette preoccupation d’esprit, qui leur persuade qu’on est dispensé de suivre ces veritez en ce temps, et que ces discours n’estoient bons qu’en la bouche de Saint Bernard, ou peut-estre pour les prestres, et pour les directeurs de son siecle.