De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 32

Chez Antoine Vitté (p. 376-384).

Chapitre 32


quatriesme condition d’un directeur, qu’il ne doit point avoir de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres. que l’auteur a grande raison de desirer cette condition dans un directeur.

enfin la derniere qualité d’un directeur, c’est qu’il n’ait point de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres . C’est le couronnement de toutes les autres, et peut-estre la plus importante. Car si tous les advis d’un directeur ne peuvent prendre leur origine que de ses sentimens, peut-on esperer d’estre bien conduit par un homme, qui s’attache à ses opinions particulieres, et qui rejette les maximes saintes, que l’esprit de Dieu a establies depuis tant de temps par l’organe des saints peres.

C’est le premier principe de nostre religion, (...), comme Saint Augustin dit, et qu’ainsi elles ne doivent point recevoir d’instruction, que de cette source divine. (...). Le pere nous a commandé d’escouter son fils. C’est le premier, et l’unique directeur de nos consciences. Les hommes qui en font la charge n’en doivent estre que les instrumens. Ils ne nous doivent enseigner, que ce qu’ils apprennent de luy : ils ne nous doivent donner, que ce qu’ils reçoivent. Et par consequent, il leur est interdit par cette premiere loy du christianisme, de nous conduire selon leurs sentimens particuliers, et de nous presenter les tenebres de leur propre esprit, pour une lumiere que nous devions suivre.

Que si ce premier fondement de nostre foy leur apprend ce qu’ils doivent fuïr, c’est à dire, de n’avoir point de sentimens particuliers : un autre qui est en la suitte leur apprendra ce qu’ils doivent embrasser parmy les fausses couleurs, et les divers déguisemens que l’esprit d’erreur donne aux paroles et aux veritez divines : c’est à dire en un mot, qu’il faut, comme vous dites fort bien, que leurs sentimens soient conformes à ceux des saints peres.

Car de mesme que cette premiere regle distingue la seule religion veritable de toutes les fausses, en y establissant pour principe de son instruction la parole eternelle de Dieu, que les autres ne veulent pas reconnoistre ; ainsi il a esté besoin d’une seconde regle pour discerner la veritable doctrine procedante de ce principe, d’avec toutes les erreurs et les faussetez, qui voudroient sous l’autorité de ce nom prendre creance dans l’esprit des hommes. Et cette regle n’est autre chose, que la tradition originelle, comme parle Saint Irenée ; que le canal sacré, par lequel les eaux salutaires de cette source celeste découlent sur nous ; cette chaisne indissoluble qui lie tous les aages de l’eglise dans l’unité d’une mesme foy, et d’une mesme pieté.

C’est de cette sainte tradition, dont l’eglise s’est tousjours servie pour estouffer toutes les erreurs, et tous les abus, par lesquels la malice ou l’ignorance des hommes vouloit corrompre la doctrine de son espoux.

C’est par elle que le concile oecumenique d’Ephese confond les nestoriens, en leur monstrant par la production de quelques peres des siecles precedents, que la doctrine qu’ils attaquoient, estoit celle que ces saints evesques avoient suivie, comme l’ayant receuë des apostres.

C’est par elle que Saint Augustin renverse les pelagiens, lors qu’apres avoir cité quelques peres, qui condemnoient leurs erreurs ; (...).

C’est par elle que Saint Epiphane confond les arriens avec presque les mesmes paroles ; (...).

C’est par elle que S Athanase terrasse l’impieté des arriens ; (...) ?

C’est par elle que S Cyprien a maintenu le meslange de l’eau avec le vin dans le calice, contre certains novateurs de son temps.

C’est par elle que le mesme saint s’est opposé à deux sortes de personnes, qui ruïnoient la penitence par des voyes toutes contraires. Les uns perdans les pecheurs par une fausse douceur, en les admettant à la participation des mysteres avant l’accomplissement d’une longue et salutaire penitence. Et les autres les desesperans par une rigueur cruelle, en leur ostant tout espoir de rentrer jamais dans la communion de l’eglise.

C’est par elle que le Pape S Estienne arresta l’erreur de S Cyprien mesme, et des evesques qui le suivoient, et qui croioient avec luy, qu’on devoit rebaptiser les heretiques, en ne leur opposant autre chose, sinon, qu’il falloit demeurer ferme dans l’ancienne tradition.

C’est par elle que le Pape Saint Anicet, et apres luy Saint Victor, ont maintenu le vray temps de la celebration de la pasque contre les evesques de l’Asie mineure, qui s’appuyoient sur une coustume contraire, qui avoit mesme son origine dans une condescendance de l’apostre Saint Jean : ce qui n’empescha pas que ces saints papes ne les obligeassent de la quitter, ayant esgard à l’origine de la premiere verité, qui s’estoit tousjours maintenuë dans l’usage de toute l’eglise d’occident, où Saint Pierre l’avoit establie.

C’est par elle enfin que Tertullien nous apprend, que l’on peut convaincre facilement toutes sortes d’heresies d’imposture et de mensonge, par le tesmoignage de l’antiquité victorieuse, et en ne leur opposant que ce prejugé (...).

L’eglise n’a point encore aujourdhuy de plus fortes armes pour triompher de ses ennemis, que le consentement universel des peres, qui est tant de fois allegué dans le concile de Trente ; que les depositions incorruptibles de ces morts illustres qui vivent dans l’eternité ; que les arrests de ces juges sans reproche, qui n’ont peu estre touchez ny d’aversion, ny de faveur envers aucune des parties, comme S Augustin remarque si sagement.

Et en effet lors que les heretiques nous accusent de superstition, et d’idolatrie, à cause que nous invoquons les saints, et que nous honorons leurs reliques, comment pouvons-nous mieux monstrer à tous les esprits équitables l’impertinence de ces calomnies, qu’en leur faisant voir que nous ne suivons en cela que la pieté de nos peres, et que cette mesme eglise, qui s’est renduë victorieuse de l’idolatrie, et de la superstition, nous a appris, que c’estoit rendre gloire à Jesus-Christ, que de l’honorer en ses serviteurs ?

Et, pour nous esloigner moins de nostre sujet, lors que ces mesmes heretiques nous veulent persuader, que la penitence ne consiste qu’en une nouvelle vie ; qu’il n’est point necessaire de satisfaire pour ses pechez, par les jeusnes, par les prieres, et par les aumosnes ; que c’est faire tort à la bonté de Jesus-Christ, et traitter les ames avec une insupportable severité, que de les obliger à tant de peines et de travaux pour l’expiation de leurs offenses ; que Dieu n’ayme pas le sang en la loy nouvelle, comme en la vieille, ny celuy des hommes, comme celuy des bestes : nous n’avons qu’à leur respondre avec le concile de Trente, (...), ayant tousjours consideré ce sacrement comme un baptesme laborieux , et où l’eau des larmes devoit suppléer aux eaux du premier baptesme que l’on avoit violé. Nous n’avons qu’à leur respondre avec Saint Augustin, (...).

Mais vouloir convaincre les heretiques par l’autorité de la tradition, et ne la vouloir pas suivre entre nous ; c’est faire deux regles differentes, dont l’une est severe pour les autres, et l’autre douce pour nous ; c’est faire deux mesures, dont l’une est juste, et l’autre fausse ; c’est faire deux poids, dont l’un est pesant, et l’autre leger : (...). De sorte, que c’est avec grand fondement que vous voulez qu’un bon directeur n’ait point de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres, afin qu’il puisse dire avec Saint Augustin, (...). Et enfin, qu’il se puisse servir dans ses instructions des mesmes paroles, dont S Jean Chrysostome se servoit dans sa chaire ; (...).

Mais c’est assez avoir estably les conditions d’un directeur. Il reste maintenant de voir dans la suitte, si vos regles leur sont conformes ; et principalement à la derniere, c’est à dire, si elles ne sont pas esloignées des sentimens des saints peres.


Chapitre 33


que cet auteur n’ose pas conseiller indifferemment la communion de tous les jours, et que neantmoins ses maximes vont à y porter les personnes les moins vertueuses.