De la fièvre puerpérale/Résumé

De la fièvre puerpérale devant l’Académie impériale de médecine de Paris
Germer Baillière (p. 86-93).


RÉSUME ET SYNTHÈSE.


TABLEAU DE LA FIÈVRE PUERPÉRALE.


Unicuique morbo non fictitia, sed certa et proprie natura est.
(Baglivi.)

Ces paroles de Baglivi sont parfaitement applicables à la fièvre puerpérale. En effet, il n’y a pas de maladie qui ait une nature plus franche, plus arrêtée, plus personnelle, si on peut s’exprimer ainsi ; pas de maladie dont les caractères soient mieux tranchés, plus univoques, plus consentants ; pas de maladie, enfin, dont les symptômes se succèdent plus régulièrement et dont les effets soient aussi constamment les mêmes, comme le fait très judicieusement remarquer le professeur Leake dans son bel ouvrage sur la fièvre des femmes en couches, child-bed fever.

Et en effet, si la fièvre des femmes en couches présente quelques rapports avec d’autres fièvres, et particulièrement avec les fièvres traumatique et miasmatique, il est cependant bien reconnu qu’elle en diffère profondément par son origine, ses symptômes, ses complications et sa terminaison, qui en font une maladie spéciale et unitaire, susceptible à la vérité de se montrer sous des aspects différents, mais qui, au fond, n’en conserve pas moins son caractère primitif, original, essentiel.

Maintenant, que les anciens auteurs l’aient désignée alternativement sous les noms de fièvre laiteuse, utérine, lochiale, métastatique, etc., cela ne prouve qu’une chose, c’est que la même cause produit des effets différents et que chaque auteur a pu, par conséquent, se croire dans la voie en donnant à la fièvre puerpérale un nom directement en rapport avec la forme qu’il a été à même d’observer le plus souvent, mais encore une fois cela ne change rien au fond, à l’opinion que les anciens avaient de la nature de la fièvre puerpérale qu’ils rapportaient tous à une métastase des lochies ou du lait.

Chez presque toutes les femmes nouvellement accouchées, la nature suscite un léger mouvement fébrile, en d’autres termes, une petite fièvre légère et éphémère ; on a donné à cette fièvre physiologique et naturelle, le nom de fièvre de lait.

Quelquefois, ce mouvement fébrile s’élève, s’exaspère et s’organise en quelque sorte sous l’action d’une métastase des lochies ou du lait et des altérations que ces liquides font subir au sang, on dit alors qu’il y a fièvre puerpérale.

Donc la fièvre puerpérale est une fièvre essentielle, métastatique, laiteuselochiale, et elle appartient, par sa nature et par son but, à l’ordre des fièvres expulsives ou éliminatrices.

Une fois déclarée, la fièvre puerpérale peut prendre la forme inflammatoire, bilieuse, putride ou maligne ; elle peut emprunter un caractère contagieux et pernicieux, soit au génie épidémique, soit à la constitution médicale régnante ; enfin, elle peut déterminer des inflammations consécutives, et se compliquer même d’une foule d’accidents ; mais en dernière analyse, elle reste toujours fièvre puerpérale, présentant des indications différentes suivant les divers sujets et les différents cas.

La fièvre puerpérale est produite par toutes les causes qui peuvent arrêter l’écoulement des lochies, supprimer l’écoulement du lait ou opérer le transport de ces liquides dans le torrent de la circulation ou sur des organes principaux.

Lorsqu’elle ne sort pas de ses limites naturelles, la fièvre puerpérale, succédant par réaction à l’affection puerpérale, est une fièvre salutaire, comme le fait remarquer Sydenham, qui recommande d’agir à son égard avec la plus grande circonspection, et même d’en abandonner complètement la guérison à la nature lorsqu’elle vient à se compliquer.

Une fois en vigueur, la fièvre puerpérale peut occasionner une foule d’accidents ou de lésions qu’il faut bien se garder de confondre avec les états puerpéraux primitifs.

Les symptômes de la fièvre puerpérale sont décisifs et absolus, les ayant décrits plus haut, nous nous abstiendrons de les reproduire de nouveau.

En méditant sur la valeur relative de chacun des éléments de la fièvre puerpérale et des symptômes qui la caractérisent ; en interprétant cliniquement tous les phénomènes critiques qui se montrent isolément ou simultanément chez les femmes qui ont guéri de cette affection, on arrive, avec de la persévérance, à se faire une idée complète et médicale de l’état morbide fort complexe qui résulte de l’ensemble de ces phénomènes d’affection et de réaction. Ainsi, par exemple, dans la première période de la maladie, on assiste véritablement au mouvement et au transport des matières laiteuses ou lochiales sur des organes ou des parties qu’elles envahissent en quelque sorte en ennemies. Dans la seconde période de la maladie, on distingue parfaitement le travail de la nature médicatrice qui s’efforce de pousser les matières morbifiques vers les émonctoires naturels. Enfin, dans la troisième période, la lutte est évidente pour tout le monde ; les crises et les jugements se prononcent, et l’on est à même de voir et non sans admiration, l’économie tout entière, naguère oppressée ou en convulsion, rentrer d’elle-même dans l’ordre dès que la nature est parvenue à chasser au dehors les matières nuisibles, les matières putrides, les matières peccantes, comme disaient les anciens ! Du reste, ces vérités vont ressortir du tableau que nous allons faire de la marche naturelle de l’affection puerpérale.

La marche naturelle de l’affection puerpérale offre trois temps principaux à suivre et à considérer ; ce sont : l’invasion, le progrès et la terminaison.

Dans l’invasion, la petitesse et la concentration du pouls, le désordre de la physionomie, le frisson, les anxiétés, les nausées annoncent qu’une humeur devenue étrangère cherche à se porter sur quelque point de l’économie, tandis que la disposition antécédente des liqueurs et l’état actuel des mamelles vides, flasques ou subitement desséchées, démontrent la nature de cette humeur.

Dans le progrès, la douleur du ventre, le météorisme ou la tuméfaction de l’abdomen, la diarrhée et l’augmentation des anxiétés annoncent que cette humeur est déposée dans la région abdominale. Dans presque tous les cas, les signes qui manifestent d’abord sa présence dans le bassin ne sont pas équivoques. Quelquefois, c’est dans le cerveau qu’elle se porte avec une rapidité étonnante ; on la reconnaît à la douleur de tête et au délire : dans d’autres circonstances, c’est sur la poitrine, alors, la difficulté de respirer et le point de côté l’indiquent ; tantôt enfin, elle agit ou sur la poitrine qu’elle enflamme, ou sur la masse du sang qu’elle décompose ! À l’époque de la terminaison, on voit apparaître les sueurs, les crachats laiteux, l’œdème des extrémités inférieures, les abcès, les dépôts à l’utérus, la diarrhée laiteuse, l’éruption miliaire, et il est impossible de ne pas reconnaître un mouvement synergique, un effort général et salutaire, dans cette série de mouvements critiques plus ou moins prononcés, plus ou moins décisifs, qui n’apparaissent jamais seuls, mais qui se développent de concert pour opérer la guérison de la maladie. Confluxio una, conspiratio una, consentientia omnia. (Hipp.)

Avant d’entreprendre un traitement actif, il faut toujours avoir présent à l’esprit, que, de l’aveu dogmatiquement formulé par une foule d’observateurs, tant anciens que modernes, il est expérimentalement établi que la fièvre puerpérale, cesse d’elle-même à la suite de quelques, retours naturels des liquides vers leur source ; et plus souvent encore à la suite d’une du de plusieurs crises complètes, qu’il est par conséquent toujours utile de favoriser… Ainsi on a vu la maladie se juger par le retour du lait aux seins ou par son libre écoulement (Celse, Arétée, Aétius), par la réapparition et le flux abondant des lochies, (Hippocrate, Galien, Paul d’Égine, Levret, Tissot, Planchon), par des sueurs laiteuses (Sydenham, Lamothe, Lepecq de la Clôture, Leake, Gastelier), par des exanthèmes miliaires (Bordeu, Bonté, Bonnals), par des diarrhées laiteuses (Willis, Hoffmann), par des salivations et des expectorations abondantes (Albucasis, Puzos), par des urines laiteuses, (le docteur Peu et Van Swieten), par des abcès ou des dépôts (Bordeu, Planchon, Levret).

Et qu’on ne vienne pas nous répéter comme aux beaux jours de la médecine physiologique, que l’âge d’or des crises est à jamais passé !… Car nous saurions démontrer que si les crises sont plus rares aujourd’hui, la cause en est surtout à l’ignorance et à l’impatience d’une foule de médecins qui se sont livrés trop tôt à la pratique active, qui n’est qu’une routine accablante, quand une science supérieure et vaste ne lui a pas ouvert le chemin et ne l’éclaire pas constamment sur la voie. Sic et medici fama quidam ac nomine multi, re autem ac opere, perpauci (Hipp.).

Ainsi, croyez-le bien, les crises seraient plus fréquentes et plus efficaces si on savait respecter davantage les tendances, les mouvements et les efforts de la nature ; si on comprenait mieux l’esprit de la médecine et la puissance de la nature ; enfin si on ne dérangeait pas continuellement son ouvrage par d’imprudentes manœuvres, par des saignées ou par des drogues le plus souvent prescrites en dépit du bon sens ! Mais, malade ou médecin, on se lasse d’attendre, on reproche à la nature ses lenteurs salutaires, on s’agite, on essaye tel ou tel moyen admis sur la foi de quelques expériences suspectes, on se hâte, on se livre et l’on paye le plus souvent de sa vie, son impatience, son imprudence et sa faiblesse ! Il en serait tout autrement si on daignait se rappeler que l’ordre et la marche des maladies sont réglés par des lois naturelles et que la doctrine des crises, qui s’appuie sur la connaissance de ces lois, repose elle-même sur des faits nombreux et incontestables et sur des observations séculaires.

Stoll l’a dit avec une raison profonde, il faut traiter plutôt que combattre la fièvre puerpérale ; dans cette affection, le traitement prophylactique est souvent supérieur au traitement curatif.

Le traitement prophylactique repose sur la connaissance des causes qui peuvent amener le développement de la fièvre puerpérale. Il consiste dans la mise en pratique de précautions et de moyens que l’expérience a consacrés comme étant propres à prévenir, à affaiblir et à détruire les prédispositions à la fièvre puerpérale ; la plupart de ces moyens appartiennent à l’hygiène.

Il est un moyen cependant plus efficace que les autres, en ce qu’il agit directement et rapidement sur une des causes principales de la maladie. C’est la succion du sein, c’est l’allaitement maternel qui, en maintenant le lait dans ses conduits ou en le rappelant vers sa source, l’empêche de s’épancher et partant de se porter sur des parties étrangères à sa destination. Astruc, Van Swieten, Hecquet, Tissot et Bordeu faisaient le plus grand cas de ce moyen ; ils le regardaient même comme un des plus puissants auxiliaires du traitement curatif. L’exercice en plein air, la vie calme, un régime alimentaire bien ordonné, des bains fréquents et des soins extrêmes de propreté ajoutent encore à l’efficacité de ce remède naturel.

Le traitement curatif est basé sur les données de l’observation et de l’expérience, sur la connaissance des ressources ordinaires de la nature et sur celle des moyens auxquels l’art, imitant la nature, a recours ordinairement avec le plus grand succès. Il consiste :

1o À détruire les éléments de l’affection, c’est-à-dire les causes prédisposantes et efficientes, telles que la pléthore sanguine, laiteuse ou bilieuse ; l’état inflammatoire, l’état saburral, l’embarras gastrique ou intestinal, les spasmes, l’exaltation ou la mobilité nerveuse ; en un mot, tout ce qui, en dérangeant ou en perturbant la sécrétion du lait ou l’écoulement des lochies, peut contribuer à en opérer la métastase.

2o À rappeler ces liquides à leur source, ou bien à seconder l’action de la nature qui tend à les porter à la peau, aux intestins ou aux reins, c’est-à-dire au foyer même des émonctoires de l’économie.

3o À modérer les inflammations et la fièvre, et à les combattre au besoin dans leurs excès ; à s’opposer à la putridité des humeurs, et à régulariser le genre nerveux.

4o À résoudre les engorgements de l’utérus, du cerveau ou du poumon, ou du moins à adoucir les effets qui en résultent.

5o À ouvrir, ou à faire aboutir par des moyens de l’art, les dépôts laiteux et les abcès.

6o À pratiquer les ponctions selon la méthode de Bossu, maître en chirurgie, méthode qu’il a préconisée dans un Mémoire très remarquable publié en 1796, sur la fièvre puerpérale accompagnée de péritonite avec épanchement.

On obtient tout ou partie de ces résultats à l’aide de remèdes libéralement offerts par la thérapeutique ; mais qu’on nous permette ici de le répéter, le chef-d’œuvre de l’art, en cette maladie comme en toutes, c’est de savoir reconnaître les cas où tout est à craindre si l’on n’agit pas avec hardiesse, où tout est à espérer au contraire, si on se renferme dans une sage expectation. Or, celui qui possède ce don précieux est incontestablement un bien grand artiste !… Mais où est-il donc ? Qu’on nous le présente afin que nous le félicitions : Ubi est laudabimus eum.

Nous avons exposé le traitement curatif rationnel et méthodique de la fièvre puerpérale classique, comme l’appelle le professeur Cruveilhier ; quant au traitement de la fièvre puerpérale que nous nommerons analogique, pour nous servir de l’expression du savant professeur, nous aurions évidemment le plus grand tort d’en parler, attendu que l’école fantaisiste, ordinairement si satisfaite et si tranchante, déclare elle-même très humblement que dans la majorité des cas, le traitement n’aboutit à rien de bon. Ce qui justifie l’aphorisme ancien : Aliquando, optima medicina interdum est medicinam non facere.