De la dignité et de l’accroissement des sciences (trad. La Salle)/Livre 2/Chapitre 3

De la dignité et de l’accroissement des sciences
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres de François Bacon, chancelier d’AngleterreImprimerie L. N. Frantin ; Ant. Aug. Renouard, libraireTome premier (p. 285-289).
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CHAPITRE III.


Division de l’histoire naturelle, relativement à son usage et à sa fin, en narration et induction. Que la fin la plus importante de l’histoire naturelle, est de prêter son ministère à la philosophie, et de lui servir de base, ce qui est la véritable fin de l’induction. Division de l’histoire des générations en histoire des corps célestes ; histoire des météores ; histoire de la terre et de la mer ; histoire des grandes masses ou congrégations majeures ; et histoire des petites masses ou congrégations mineures.



L’histoire naturelle
, considérée par rapport à son sujet, se divise en trois espèces, comme nous l’avons déja dit ; de même envisagée par rapport à son usage, elle se divise en deux autres espèces. Car on l’emploie, ou pour acquérir la simple connoissance des choses que l’on confie à l’histoire, ou comme matière première de la philosophie. Or, cette première espèce qui plaît par l’agrément des narrations, ou qui aide par l’utilité des expériences, et qui n’a en vue qu’un plaisir ou une utilité de cette espèce, doit être mise fort au-dessous de celle qui est comme la pépinière et le mobilier d’une induction véritable et légitime, et qui donne le premier lait à la philosophie. Ainsi nous diviserons de nouveau l’histoire naturelle en narrative et inductive ; nous plaçons cette dernière parmi les choses à suppléer ; et il ne faut pas s’en laisser imposer par les grands noms des anciens, ni par les gros volumes des modernes ; car nous n’ignorons pas que nous possédons une histoire naturelle, fort ample quant à sa masse, agréable par sa variété, et d’une exactitude souvent minutieuse. Cependant, si vous en ôtez les fables, les remarques sur l’antiquité, les citations d’auteurs, les vaines controverses, la philologie, en un mot, et les ornement, toutes choses fort bonnes pour servir de matière aux conversations dans les festins, ou pour amuser les savans durant leurs veilles, mais qui ne sont nullement propres pour servir de base à la philosophie ; ôtez-en, dis-je, toutes ces inutilités, et vous trouverez que cette histoire se réduira presque à rien. Oh ! combien elle est loin de celle que nous embrassons dans notre pensée. Car, 1.o ces deux parties de l’histoire naturelle, dont nous parlions il n’y a qu’un instant, savoir, celle des préter-générations, et celle des arts, auxquelles nous attachons la plus grande importance ; ces deux parties, dis-je, nous manquent absolument ; 2.o l’histoire qui reste, savoir, celle des générations, ne remplit qu’un seul des cinq objets qu’elle devroit embrasser ; car elle a cinq parties subordonnées les unes aux autres. La première est l’histoire des corps célestes, qui n’embrasse que les purs phénomènes, abstraction faite de toute opinion positive. La seconde est celle des météores y compris les comètes[1], et celle de ce qu’on appelle les régions de l’air. Car, sur les comètes, les météores ignés, les vents, les pluies, les tempêtes et autres phénomènes semblables, nous ne trouvons point d’histoire qui soit de quelque prix. La troisième est celle de la terre et de la mer, (en tant qu’elles sont des parties intégrantes de l’univers) des montagnes, des fleuves, des marées, des sables, des forêts, des isles, enfin de la figure même des continens et de leur contour ; mais tous ces détails ne doivent être que de simples descriptions qui tiennent plus de l’histoire naturelle que de la cosmographie. La quatrième est celle des masses communes de la matière, que nous appellons les congrégations majeures, vulgairement appellées élémens. Car, sur le feu, l’air, l’eau, la terre, sur leurs natures, leurs mouvemens, leurs opérations, leurs impressions, nous n’avons pas non plus de narrations qui forment un corps complet d’histoire. La cinquième et la dernière, est celle des assemblages réguliers de la matière, que nous désignons par les mots de petites congrégations, et connus sous le nom d’espèces. C’est dans cette dernière partie que s’est le plus signalée l’industrie des écrivains ; de manière cependant qu’on y trouve plus de luxe et de choses superflues ; telles que sont des figures d’animaux et de plantes dont on les a renflées ; que d’observations exactes et solides ; ce qui est pourtant ce qu’on doit rencontrer par-tout dans une histoire naturelle. En un mot, toute cette histoire naturelle que nous possédons, ne répond, ni pour le choix, ni pour l’ensemble, à ce but dont nous avons parlé ; savoir, à celui de fonder une philosophie. Ainsi nous décidons que l’histoire inductive nous manque. Mais en voilà assez sur l’histoire naturelle.

  1. Bacon range ici les comètes parmi les météores, et Sénèque, quinze cents ans auparavant, les regardoit comme des planètes.