De la baguette divinatoire/Partie 5/Chapitre 2

CHAPITRE II.

DE L’INTERVENTION DU PENDULE EXPLORATEUR AVEC LA STABILITÉ DE NOTRE PROPRE CORPS.

289.Lorsque l’harmonie de la pensée avec nos organes musculaires existe, tout le monde sait avec quelle rapidité s’exécute un mouvement que nous jugeons propre à prévenir l’effet d’une cause quelconque qui menace notre personne, telle qu’une chute ou un choc. S’il est vrai, comme je l’ai dit, que la faculté de marcher exige des essais préalables, un certain exercice de la part de l’enfant (286), il va sans dire que tout ce qui tient à assurer la marche, à prévenir les chutes et les chocs, est pareillement le résultat d’un exercice ou de l’habitude. Les efforts faits dans ce cas sont en rapport avec la pensée de l’intensité que nous attribuons à la cause dont nous voulons prévenir l’effet, ce qui ne veut pas dire que le rapport soit toujours une évaluation parfaitement exacte. Cependant c’est l’occasion de rappeler combien est admirable, dans un grand nombre de cas, la manière précise dont nous évaluons l’effort à produire, pour qu’une pierre, un palet, une boule, atteignent un but déterminé, pour que notre corps franchisse un fossé dont la largeur vient d’être évaluée à la simple vue, et à la course encore. Évidemment, de tels actes ne s’exécutent qu’après des exercices fréquents qui créent une habitude ; et celle-ci, une fois acquise, ne se conserve qu’à la condition de se tenir constamment en haleine par des exercices répétés.

290.On sent, d’après cela, l’influence que l’âge doit avoir sur tous les actes qui se rattachent à l’harmonie de la pensée avec les organes musculaires : la vue affaiblie n’aperçoit plus les objets qui nous menacent comme elle nous les signalait dans le jeune âge ; nos organes peu flexibles, peu agiles dans la vieillesse, ne se prêtent plus aussi bien qu’autrefois à l’exécution d’un mouvement, et nous ne sommes plus disposés, comme nous l’étions alors, à prévenir des chutes, éviter des chocs.

291.Comparez la difficulté qu’éprouve le vieillard à se maintenir en équilibre sur le plan glissant où il marche, et la facilité avec laquelle le jeune homme prévient une chute imminente dans la même circonstance, lorsqu’ayant perdu l’équilibre, il le rétablit aussitôt en jetant la partie supérieure de son corps à l’opposé du côté vers lequel il penche.

292.L’habitude de prévenir une chute en portant la partie supérieure du corps en sens opposé à celui vers lequel un accident nous a fait pencher, est si intimement liée à notre nature, qu’il se manifeste en nous une tendance au mouvement, lors même qu’un mouvement de notre part dans le sens de cette tendance est impossible. Par exemple, en voiture, la peur de verser vous raidit dans la- direction opposée à celle qui vous menace, et les e£forts alors tentés sont d’autant plus pénibles, que la frayeur et l’irritabilité sont plus grandes. Dans les chutes ordinaires, le laisser-tomber a moins d’inconvénient que l’effort tenté pour prévenir la chute. C’est de cette manière que nous comprenons le proverbe : Il y a un Dieu pour les enfants et pour les ivrognes.

293.Dans tous les cas dont nous venons de parler, la crainte d’un danger fait exécuter un mouvement contraire à celui qui nous menace. Voyons maintenant la circonstance où le principe que nous étudions intervient, en même temps qu’agit une tendance au mouvement en sens contraire d’un mouvement que nous jugeons nous menacer.

294.Lorsque, marchant sur la corniche d’une montagne, dont la largeur présente une voie beaucoup plus large que celle qui serait strictement nécessaire si l’on marchait dans une grande route, on vient tout à coup à découvrir la profondeur d’un abîme qu’on a au-dessous de soi, au même moment pour ainsi dire, on se jette irrésistiblement du côté opposé à l’abîme, poussé par l’instinct de la conservation qui lutte contre une tendance au mouvement en sens contraire, déterminée par la vue de l’abîme. Cette tendance est encore remarquable lorsqu’on se trouve sur un pont sans garde-fou, placé au-dessus d’un précipice ; ce précipice, vu d’un côté du pont, vous fait jeter du côté opposé, et vous met dans le même état d’anxiété que celui auquel vous avez voulu vous soustraire. Ainsi, sollicité successivement en deux sens opposés, vous êtes frappé de stupeur et réduit à l’immobilité, si même la crainte trop vive de tomber du côté où vous êtes ne vous fait pas courir le danger de vous jeter du côté opposé. Telle est, dans le cas dont je parle, la position d’un homme qui n’a pas été habitué à marcher dans une voie étroite sus pendue sur un abîme, tandis que l’homme qui a cette habitude y marche aussi sûrement que dans un grande route, par la raison que, libre de frayeur, il ne pense pas au danger que redoute le premier. Enfin la position de celui-ci pourrait devenir plus critique encore, s’il venait à découvrir la profondeur de l’abîme en même temps que, suivant de l’œil le vol d’un oiseau, le jet ou la chute d’une pierre, il aurait déjà obéi jusqu’à un certain point à cette tendance qui nous porte vers un corps en mouvement (288).

295.Dans la Lettre que j’adressai, en 1833, à M. Ampère, sur une classe particulière de mouvements musculaires, je dis en note qu’il n’est pas impossible que dans le mal de mer il se passe en nous quelque chose d’analogue aux faits précédents. À cette époque, je n’avais qu’un ancien souvenir de ce que j’avais éprouvé sur mer en 1814, et je fus très-réservé. Aujourd’hui, après deux voyages sur la Manche, en 1851, je serai plus explicite.

296.La cause première de ce mal est, selon moi, dans la continuité des efforts que nous faisons pour ne pas tomber, ou, ce qui revient au même, pour conserver notre stabilité ; aussi ne se déclare-t-il, en général, qu’un certain temps après qu’on a quitté le rivage : mais la précision du sujet exige que j’envisage les personnes qui l’éprouvent dans les trois positions où elles peuvent se trouver : A debout, B assises, et C couchées.

A. — Debout.

297.C’est après avoir lutté un certain temps pour ne pas tomber, contre les mouvements du vaisseau qui vous porte, qu’une fatigue très-pénible se fait sentir derrière la tête, dans la région du cervelet dont l’influence sur nos mouvements est incontestable. Cette fatigue tient évidemment à la circonstance de mouvements sans cesse contrariés. On le conçoit, en se rappelant que dans un vaisseau, indépendamment de la marche progressive, il y a des mouvements de haut en bas et de bas en haut à la fois, suivant la ligne de direction et suivant la perpendiculaire à cette ligne, ou, ce qui revient au même, dans le sens de la longueur et dans le sens de la largeur du bâtiment. Ce sont ces mouvements qu’on appelle tangage et roulis, dont la résultante est, selon nous, la cause du mal de mer.

Considérons le tangage.

Le pont sur lequel vous êtes placé s’élevant, vous êtes menacé de tomber en arrière ; dès lors, vous prévenez la chute en portant le corps en avant, mais l’effort n’est pas accompli, que la nécessité de vous rejeter en arrière se fait sentir. La volonté vous portant ainsi en arrière avant que l’effort tenté pour vous porter en avant soit accompli, il en résulte une contrariété entre la volonté et les organes chargés d’exécuter le mouvement.

298.Le tangage, considéré à l’exclusion du roulis, peut être assimilé au mouvement d’une escarpolette avec d’autant plus de raison, que certaines personnes ne peuvent se livrer à cet exercice sans éprouver le mal de mer ; il y a plus, c’est que mon honorable collègue, M. Armand Seguier, qui partage mes opinions sur la cause de ce mal, cite à l’appui une observation qu’il a bien voulu rédiger, à ma prière, et que je suis heureux de reproduire textuellement :

« Des individus accoutumés à l’exercice de la balançoire, au point de pouvoir se livrer à cet amusement, même en sortant de table et dans diverses positions, ont été désagréablement impressionnés, dès que l’oscillation ou balancement n’était plus pour eux volontaire. Ainsi, ayant placé sur une escarpolette mon fils, très-accoutumé aux exercices gymnastiques, et pouvant impunément se balancer la tête en bas un temps assez long sans éprouver aucun symptôme, il m’a suffi de l’y retenir et de l’y balancer quelques instants contrairement à sa volonté pour lui faire ressentir un véritable malaise ; pour cela j’invitais une troisième personne à l’appeler, à provoquer son désir de cesser l’exercice de la balançoire, et je m’apercevais tout de suite, au changement de coloration de la figure, que la contrariété qu’il éprouvait à être balancé, alors qu’il ne donnait plus son consentement à cet exercice, suffisait pour lui occasionner un malaise du genre de celui qu’on ressent en mer. »

299.Effets du roulis. — Si l’effet du mouvement de l’escarpolette démontre celui du tangage réduit à sa plus grande simplicité, c’est-à-dire sans qu’il soit compliqué de l’effet du roulis, il est aisé de concevoir comment l’action de ce dernier mouvement venant à s’ajouter à l’action du tangage, le mal de mer sera porté alors au plus haut degré d’intensité, et comment la lutte, entre la volonté et les organes musculaires à la fois sollicités d’exécuter des mouvements d’arrière en avant, d’avant en arrière, de droite à gauche et de gauche à droite, amènera la perturbation qui dispose l’estomac aux nausées, puis aux vomissements.


B. — Assises.

300.Au lieu d’être debout, êtes-vous assis ; la condition sera bien meilleure contre le mal de mer, puisque votre équilibre sera assuré : cependant ce que j’ai vu des effets de l’escarpolette montre que cette position ne peut être un préservatif absolu, car elle ne préserve pas d’une contrariété de mouvements, puisqu’elle ne vous soustrait pas absolument au double effet du tangage et du roulis, La vérité est que telle personne debout qui éprouvera le mal de mer dans une circonstance, ne l’éprouvera point assise dans la même circonstance.


C. — Couchées.

301.Si d’être couché est une position favorable contre le mal de mer, reconnaissons bien que ce n’est point encore un préservatif absolu pour le prévenir, lorsqu’il s’agit de personnes très-irritables ; je n’oublierai jamais avoir vu un passager de Douvres à Calais montrer les premiers symptômes du mal de mer avant le départ du paquebot, et quoiqu’il fût assis encore ! Nul doute que la crainte du mal toujours présente à la pensée dans une constitution délicate ou irritable, incapable par une cause quelconque d’éprouver une diversion à l’influence de la pensée qui la domine actuellement, ne puisse être combattue par aucun moyen efficace. Les personnes dont je parle sont dans le cas de celles qui, préoccupées de la peur de verser en voiture, peuvent être continuellement contrariées dans leurs mouvements. Enfin, quoique couché, la vue venant à se fixer sur des objets qui rendent sensibles les mouvements du vaisseau, peut occasionner le mal qu’on veut combattre. Il y a donc avantage à fermer les yeux ; je ne dis pas à se plonger dans l’obscurité, car alors certaines personnes pourraient s’imaginer des dangers qui ne se présenteraient point à leur esprit, dans le cas où elles auraient la certitude de pouvoir voir, en ouvrant les yeux, si elles en avaient la volonté.

302.L’explication que je donne du mal de mer rend parfaitement compte de l’influence de certaines circonstances sur les personnes susceptibles d’en être affectées. Ainsi, qu’on soit placé sur le pont d’un vaisseau au moment du plus fort tangage, qu’on se figure être dans une balançoire au mouvement de laquelle on s’abandonne volontairement et avec plaisir, et l’on pourra prévenir ou diminuer le mal de mer, en supposant que l’on soit assis ou dans une position fixe qui exclut la peur de tomber.

Si l’on est assis sur le pont, et que la vue se porte à l’horizon ou sur des objets éloignés, la pensée ainsi distraite des mouvements du vaisseau faisant diversion à l’effet qu’ils pourraient produire sans cela, le prévient ou en affaiblit l’intensité.

On dit que l’on conjure le mal en tenant un verre d’eau à la main, de manière à en maintenir l’équilibre malgré le tangage et le roulis. Sans prétendre à l’efficacité absolue de ce moyen dans tous les cas, je conçois cependant qu’il y a telle personne dont il captivera assez fortement l’attention pour la soustraire au mal de mer qu’elle aurait éprouvé, si elle n’y eût pas eu recours.