De la Génération et de la Corruption/Livre II/Chapitre VIII


Chapitre VIII


Composition générale des corps mixtes ; il y a dans tous de la terre et de l’eau, qui sont des éléments indispensables ; il y a aussi de l’air et du feu, contraires aux deux premières. Phénomène de la nutrition allégué à l’appui de cette théorie. Comment le feu est le seul des éléments simples qui se nourrisse.


§ 1.[1] Tous les corps mixtes qui sont répandus autour du lieu central sont composés de tous les éléments simples. Ainsi, il y a de la terre dans tous, parce que chacun de ces corps est le mieux, et le plus souvent, dans le lieu qui lui est propre. Il y a aussi de l’eau dans tous les mixtes, parce qu’il faut que les composés soient déterminés, et que l’eau est, parmi les corps simples, le seul qui se détermine aisément. D’autre part, la terre ne peut pas davantage subsister sans l’humide qui la tient réunie ; et si l’humide en était complètement retiré, elle tomberait en poussière.

§ 2.[2] Ce sont bien là les causes qui font qu’il y a de l’eau et de la terre dans tous les corps mixtes. Mais il y a aussi de l’air et du feu, parce que ces éléments sont contraires à la terre et à l’eau ; la terre est contraire à l’air, et l’eau est contraire au feu, autant qu’une substance peut être contraire à une autre substance.

§ 3.[3] Ainsi donc, puisque les productions des choses viennent des contraires, il faut nécessairement, quand les deux extrêmes des contraires se trouvent dans les choses, que l’autre aussi des deux contraires s’y retrouve également. Par conséquent, dans tout composé se retrouveront tous les corps simples.

§ 4.[4] Le phénomène de la nutrition, considéré dans chacun des êtres, semble témoigner en faveur de cette théorie. Tous les êtres se nourrissent d’éléments identiques à ceux qui les composent ; or, tous se nourrissent de plusieurs éléments, et ceux-là même qui sembleraient surtout ne se nourrir que d’un aliment unique, comme les plantes, qui se nourrissent d’eau, ne s’en nourrissent pas moins aussi de plusieurs. C’est que la terre est toujours mêlée à l’eau ; et voilà comment les cultivateurs, dans leurs irrigations laborieuses, ne font qu’un mélange d’eau et de terre.

§ 5.[5] Mais comme la nutrition appartient à la matière, et comme l’être ainsi nourri, bien que compris et enveloppé dans la matière, est la forme et l’espèce, il est tout naturel de croire que, parmi les corps simples, le feu est le seul qui se nourrisse, tous les autres ne faisant que se produire les uns les autres réciproquement, ainsi que les anciens l’ont prétendu. Car, c’est le feu seul et lui surtout qui représente la forme, puisqu’il est toujours, par sa nature propre, porté vers la limite. Or, chaque chose est naturellement portée vers la place qui lui appartient ; mais la forme et l’espèce de toutes choses se trouvent toujours dans les limites qui les déterminent.

§ 6.[6] On voit donc, par ce qui précède, que tous les corps se composent de tous les éléments simples.

  1. Ch. VIII, § 1. Autour du lieu central, c’est-à-dire autour de la terre, qui, dans les théories d’Aristote, est le centre du monde, vers lequel se dirigent tous les corps graves. — Il y a de la terre dans tous, parce que tous les mixtes dont il est parlé ici, ont de la pesanteur. — Est le mieux et le plus souvent, j’ai conservé l’indécision du texte. Cela revient à dire que les graves se dirigent vers la terre, et s’y arrêtent dans leur chute. — Qui lui est propre, ceci peut s’entendre à la fois de la terre et de chacun des mixtes. Saint Thomas et les Coïmbrois comprennent qu’il s’agit de la terre ; Philopon comprend au contraire qu’il s’agit des mixtes, dont le lieu propre se confond avec celui de la terre, qui est également le centre. — Soient déterminés, ou « aient une figure bien définie. » — L’humide qui la tient réunie, c’est ce que la science appelle aujourd’hui la force de cohésion. — Elle tomberait en poussière, j’ai ajouté ces deux derniers mots, pour compléter la pensée.
  2. § 2. De l’eau et de la terre dans tous les corps mixtes, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — La terre est contraire à l’air, à la fois par son poids et par ses qualités spéciales. — Autant qu’une substance, voir les Catégories, ch. 5, § 18, page 68 de ma traduction.
  3. § 3. Les productions des choses viennent des contraires, voir plus haut livre I, chapitres 3 et suivants. — Les deux extrêmes des contraires, ou plus nettement : « les deux contraires extrêmes, » c’est-à-dire la terre et l’eau. — L’autre aussi des deux contraires, l’air étant le contraire de la terre, et le feu étant le contraire de l’eau. Ce sont d’ailleurs des hypothèses purement logiques ; mais dans le § suivant, Aristote fait appel au témoignage des faits. — Par conséquent, la conclusion ne paraît pas très rigoureuse. — Tous les corps simples, c’est-à-dire les quatre éléments, la terre, l’eau, l’air, et le feu, avec les quatre qualités du froid, de l’humide, du sec et du chaud.
  4. § 4. Le phénomène de la nutrition, le texte dit simplement : « la nutrition. » — Témoigner en faveur de celte théorie, le texte est un peu moins développé. — Se nourrissent d’éléments identiques, l’assertion est bien générale, sans d’ailleurs être fausse. — Se nourrissent… ne se nourrir,…. Se nourrissent d’eau ne s’en nourrissent par moins, toutes ces répétitions sont dans le texte. — Dans leurs irrigations laborieuses, j’ai ajouté ce dernier mot, qui ressort du contexte. — Qu’un mélange d’eau et de terre, le texte n’est pas aussi formel.
  5. § 5. Appartient à la matière, j’ai conservé la tournure du texte ; mais il serait plus clair de dire que la nutrition est la matière de l’être qui est nourri. — L’être nourri…. est la forme et l’espèce, en d’autres termes : « l’essence, » tandis que la nourriture qui l’entretient« n’est que la matière. » — Compris et enveloppé, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Il est tout naturel, ou « conforme à la raison. » — Parmi les corps simples, c’est-à-dire, les quatre éléments. — Le seul qui se nourrisse. Philopon rappelle que c’est là surtout une expression poétique. — Ne faisant que, le texte n’est pas aussi formel. — Les anciens, c’est aussi l’opinion d’Aristote. — Qui représente la forme, ou bien : « qui appartient à la forme. » — Vers la limite, c’est-à-dire, vers l’extrémité de la région supérieure ; et comme la limite détermine la forme et l’espèce des choses, le feu paraît ainsi se rapporter davantage à la forme. D’ailleurs, on peut trouver que toutes ces théories sont bien subtiles. — Qui les déterminent, j’ai ajouté ces mots.
  6. § 6. On voit donc, résumé du chapitre. — Par ce qui précède, j’ai ajouté ces mots. — Tous les corps, sous-entendu : « mixtes. » — De tous les éléments simples, c’est-à-dire, la terre, l’eau, l’air et le feu. Il n’est pas besoin d’insister pour montrer toute la différence de ces théories avec les théories actuellement reçues et acquises dans la science.