De l’usage des bâtons de main

SUR

L’USAGE DES BATONS DE MAIN

CHEZ LES HÉBREUX ET DANS L’ANCIENNE ÉGYPTE

PAR

M. F. CHABAS

Les nations de l’Orient ont, de tout temps, considéré le bâton non seulement comme un soutien et une arme, mais encore comme un insigne de dignité et d’autorité. Il en était sans doute de même chez les peuples occidentaux, dont l’antiquité nous est moins bien connue.

Jiî me propose d’examiner, dans ce mémoire, les emplois variés du bâton de main chez les Hébreux et chez les Égyptiens.

Le bâton était chez les Israélites l’accessoire obligé de la marche en général, mais surtout du voyage ; il servait à la fois d’appui et d’arme défensive. En instituant la fête de la Pâque qui rappelait la sortie d’Egypte, Jéhova enjoignit aux Hébreux de ne point s’asseoir à ce banquet commémoratif, mais au contraire de le manger en grande hâte, les reins ceints, les pieds chaussés des souliers de la route et le bâton à la main^^1.

Lorsque le patriarche Juda allait inspecter ses domaines dans la montagne, il prenait son bâton, sans doute un bâton de chef ayant une certaine valeur.

1 Exode, chap. xii, v. 11. Sa belle-fille Thamar exigea de lui le don de ce bâton avant d'acquiescer à ses désirs^^1.

Jabob, voidaut caractériser l'état de déiiuenieut dans lequel il se trouvait lorsqu'il franchit le Jourdain, dit qu'il n'avait que son bâton^^2. On n'imaginait point alors de voyageur sans cet accessoire indispensable.

Le bâton pastoral, qui est devenu la riche crosse des prélats, (Hait dans l'origine une simple branche noueuse, propre à rassembler le troupeau et à le défendre contre les attaques des carnassiers. Le berger s'en servait aussi pour châtier son chien et pour se défendre lui-même des chiens étrangers. « Tu me prends donc pour un chien ? n criait Goliath à David, qui s'avançait contre lui armé du bâton qu'il ne quittait jamais^^3.

Le bâton était aussi le soutien du malade et du blessé et l'appui des pas chancelants du vieillard. On trouve deux fois répétée au livre de Tobie l'expression baculussenectutis, bâton de vieillesse^^4, aujourd'hui si familière. Celle de « hommes ayant un bâton à cause de la multitude ; de leurs jours » fait antithèse à l'idée vieillards dans un passage du prophète Zacharie^^5.

Le texte sacré nomme bâton de roseau tout ap[)ui sans force. « Mets-tu ton espoir dans ce bâton de roseau brisé, dans l'Egypte ? » dit l'Assyien Raljsacès au roi Ézéchias^^6.

Le mot bâton de main était si étroiti'uient lié à l'idéaiipui, soutien, défense, qu'il a été de tout temps employé dans un sens métaphorique. C'était, comme on en peut déjà juger par l'exemple que nous venons de citer, une expression habituelle chez les Assyriens.

À une date plus reculée, Jéhova menace les Israélites du fléau de la famine s'ils n'observent pas la loi qu'il leur donne : « Je briserai, dit-il, le bâton de votre pain^^7. » Cette image revient dans les prophètes : « Je vous accablerai par la famine, je briserai le bâton du pain dans Jérusalem^^8. »

La protection divine est quelquefois caractérisée par l'expression la verge,

1 Genèse, ch xxxviii. v. 18.

2 Genèse, chap. xxxiii, v. 10.

3 Rois, I, ch. XVII, V. 40 à 4-' ?.

4 Ch. V, V. 23, ch. X, v. 4.

5 Ch. VIII, V. 4.

6 Rois IV, ch. XIX, V. 21. Conf. Isaïe, ch. xxxvl ; Ezéchiel, ch. xxix.

7 Lévitiijue, ch. xxvi, v. 26.

8 Ezéchiel, ch. iv, v. 16 ; ch. xiv. v. 13. Sa belle-fille Thamar exigea de lui le don de ce bâton avant d’acquiescer à ses désirs^^1.

Jabob, voulant caractériser l’état de dénuement dans lequel il se trouvait lorsqu’il franchit le Jourdain, dit qu’il n’avait que son bâton^^2. On n’imaginait point alors de voyageur sans cet accessoire indispensable.

Le bâton pastoral, qui est devenu la riche crosse des prélats, (Hait dans l’origine une simple branche noueuse, propre à rassembler le troupeau et à le défendre contre les attaques des carnassiers. Le berger s’en servait aussi pour châtier son chien et pour se défendre lui-même des chiens étrangers. « Tu me prends donc pour un chien ? » criait Goliath à David, qui s’avançait contre lui armé du bâton qu’il ne quittait jamais^^3.

Le bâton était aussi le soutien du malade et du blessé et l’appui des pas chancelants du vieillard. On trouve deux fois répétée au livre de Tobie l’expression baculussenectutis, bâton de vieillesse^^4, aujourd’hui si familière. Celle de « hommes ayant un bâton à cause de la multitude ; de leurs jours » fait antithèse à l’idée vieillards dans un passage du prophète Zacharie^^5.

Le texte sacré nomme bâton de roseau tout appui sans force. « Mets-tu ton espoir dans ce bâton de roseau brisé, dans l’Egypte ? » dit l’Assyien Raljsacès au roi Ézéchias^^6.

Le mot bâton de main était si étroiti’uient lié à l’idéaiipui, soutien, défense, qu’il a été de tout temps employé dans un sens métaphorique. C’était, comme on en peut déjà juger par l’exemple que nous venons de citer, une expression habituelle chez les Assyriens.

À une date plus reculée, Jéhova menace les Israélites du fléau de la famine s’ils n’observent pas la loi qu’il leur donne : « Je briserai, dit-il, le bâton de votre pain^^7. » Cette image revient dans les prophètes : « Je vous accablerai par la famine, je briserai le bâton du pain dans Jérusalem^^8. »

La protection divine est quelquefois caractérisée par l’expression la verge,

1 Genèse, ch xxxviii. v. 18.

2 Genèse, chap. xxxiii, v. 10.

3 Rois, I, ch. XVII, V. 40 à 4-’?.

4 Ch. V, V. 23, ch. X, v. 4.

5 Ch. VIII, V. 4.

6 Rois IV, ch. XIX, V. 21. Conf. Isaïe, ch. xxxvl ; Ezéchiel, ch. xxix.

7 Lévitiijue, ch. xxvi, v. 26.

8 Ezéchiel, ch. iv, v. 16 ; ch. xiv. v. 13.

Jacob régla les conditions de son salaire : il devait prendre, comme sa propriété, les agneaux tachetés et ceux qui seraient d’un rouge foncé ; tous les autres restaient à Laban. Mais Jacob fît pencher la balance dans son intérêt par un procédé qui montre que l’influence de la domestication sur les animaux avait été observée à une époque bien reculée. Il prit des baguettes (maqelim) de divers bois, y fit des raies blanches en enlevant une partie de leur écorce et les plaça dans les auges et dans les abreuvoirs où les brebis venaient boire. À la vue de ces baguettes, les brebis entraient en chaleur et produisaient des agneaux tachetés^^1.

Le pouvoir ^surnaturel du bâton est bien mieux caractérisé dans l’histoire de Moïse et d’Aaron. Tout le monde a présents à l’esprit les miracles qui, d’après le texte sacré, préparèrent et accompagnèrent la sortie des Israélites. C’est par l’ordre exprès de Dieu que le législateur hébreu devait tenir à la main son bâton (mitah) pour faire des prodiges^^2. Moïse donne lui-même à ce bâton le nom le bâton de Dieu (mitah a Eloïm^^3.)

Changé en serpent, le bâton de Moïse dévora les serpents produits par les magiciens de Pharaon^^4. Il frappa les eaux et les changea en sang^^5 et présida à toutes les catastrophes destinées à agir sur l’esprit du souverain de l’Egypte^^6. Moïse le tint élevé pour se frayer un cliemin au niiUeu des vagues de la mer Rouge^^7 ; il en frappa le rocher d’Horeb pour en faire jaillir une source^^8.

Le bâton (mitah) fut encore ragent du piudige qui confirma les pouvoirs sacerdotaux de la tribu de Lévi, après la révolte de Korah, Dathan et Abiram. Chacune des tribus fournit à cette occasion un des ])àtons de son chef, et Moïse déposa tous ces insignes, pendant la nuit, dans la tente d’Assignation. Le lendemain, la verge qu’Aaron avait déposée pour la tribu de Lévi se trouvait garnie de fleurs, de boutons et de fruits^^9.

Un exemple bien caractéristique de la puissance magique agissant au moyen

1 Genèse, ch. xxx, v. 32 et suivants.

2 Exode, ch. IV, V. 17.

3 Exode, ch. iv, v. 20.

4 Exode, ch. vu, v. 10.

5 ExoJe, ch. VII, V. 20.

6 Exode, ch. xiv, v. 16 à 21.

7 Exode, ch. xiv, v. 16 à 21.

8 Exode, ch. xvii, v. 6.

9 Nombres, ch. xvii, v. 17 et suivants.

du bâton se lit dans la touchante histoire de la Sunamite dont Élisée ressuscita l’enfant mort. Le prophète avait envoyé son serviteur Guéhazi avec ordre d’appliquer son bâton sur la face de l’enfant^^1.

Du reste, l’abus que taisaient les Israélites de la rhabdoniaucie est condamné par le prophète Osée : « Mon peuple interroge le bois ; un bâton (maqel) lui fait des prédictions^^2. »

Ainsi qu’on le voit par les détails qui précèdent, le bâton touche à des détails multiples de la civilisation hébraïque ; on en peut dire autant en ce qui concerne la civilisation de l’ancienne Égypte. Depuis que l’écriture hiéroglyphique n’est plus un mystère, on s’est aperçu qu’il existait entre ces deux nations, si importantes par le rôle qu’elles ont rempli, des affinités étroites qui se rencontrent jusque dans les idées religieuses. Il a fallu toute l’énergie de Moïse pour diviser sur le terrain politique des populations entre lesquelles existait une sympathie marquée. J’ai traité ce sujet dans plusieurs Mémoires auxquels les présentes recherches peuvent ajouter un chapitre nouveau.

Comme chez les Hébreux, l’usage du bâton pour la marche et le voyage était général en Egypte. C’était le premier objet à préparer pour le départ, ainsi qu’on le voit dans le conte des Deux Frères^^3. Une des grandes misères du voyageur consistait à être privé de bâton et de souliers ; tel était, d’après un papyrus, le sort qui menaçait le jeune militaire allant rejoindre son cantonnement par le> chemins pierreux de la Syrie^^4.

Sur les rives du Nil, ctuuno sur c^lli’s du Jourdain, le bâton était le grand argument de l’éducation de la jeunesse. « Travaille assidûment, ou tu seras battu », répètent sans cesse les maîtres à leurs élèves, et ils ajoutent : « Les oreilles du jeune homme sont sur son dos ; il écoute quand on le frappe^^5. »

Un scribe, rappelant les punitions qu’il a subies sur les bancs de l’école, dit qu’il a vécu sous la férule et qu’elle lui a assoupli les membres^^6. Dans cette phrase, le nom de la baguette fustigatrice est pahkha, littéralement l’entameur, le fendeur.

L’application de la bastonnade est bien des fois figurée sur les monuments

1 Rois IV, ch. IV, V. 29 et 31.

2 Osée, cil. IV, V. 12.

3 Papyrus d’Orbiney, page 13, ligne 1.

4 Papyrus Sallier, page 7, ligne 4.

5 Papyrus Anastasi III, page 3, ligne 13.

6 Papyrus Auastasi V, pjge 18, ligne 1. de l’ancienne Egypte ; elle faisait partie du code pénal militaire. Les espions étrangers y étaient soumis, et on les obligeait ainsi à révéler les plans de l’ennemi. Les gymnasiarques de l’époque pharaonique dressaient par ce moyen cruel les sujets qu’ils montraient en public et dont les tours d’agilité et de souplesse n’ont pas été dépassés par les Auriol de nos jours. Dans certaines scènes de ce genre on voit même le bâton noueux s’abattre sur les épaules des jeunes filles^^1.

Le bâton était aussi un moyen d’instruction judiciaire qu’on n’a guère le droit de trouver rigoureux dans notre pays, qui a conservé si longtemps la question ordinaire et extraordinaire. Il ne paraît pas d’ailleurs qu’il en ait été fait usage en Egypte dans d’autres cas que ceux de flagrant délit et de crime avoué. Le juge ordonnait alors la bastonnade sur les pieds et sur les mains au moyen d’un bâton nonnné batjana et batjara, mots qui rappellent bâton et battre. Ce n’est toutefois qu’un rapprochement mnémonique^^2. La verge de la fustigation s’appelait aussi djaba.

Lorsque les scribes du trésor venaient dans les campagnes percevoir l’impôt en nature, ils étaient accompagnés de recors armés de bâtons, et de nègres portant des rameaux de palmier, pour avoir raison des récalcitrants^^3. Le texte qui nous donne ce détail appelle le bâton de l’exacteur, schebot. Ce nom parait avoir été emprunté à la langue hébraïque, qui l’a appliqué, comme nous l’avons vu ci-devant, au sceptre royal et à la baguette de la fustigation. 11 s’est conservé tel quel dans le copte.

Le même mot servait quelquefois aussi de nom au bâton du vieillard. Il est naturel, en effet, que l’homme âgé fasse respecter sa dignité, le cas échéant, au moyen de l’arme qui lui sert de soutien. Au nombre des maximes de l’antique sagesse égyptienne, on trouve la recommandation du respect dû aux supérieurs et l’observation que la réponse du vieillard portant le bâton sert à abattre la témérité^^4. Ailleurs le même moraliste dit que « réponse grossière fait lever le bâton^^5. »

1 Wilkinson : The Egytians in the time of the Pharaohs (page 17.

2 Voyez Chabas : Mélanges égyptologiques, IIIe série, vol. II, page 17, et Goodwin : Journal égyptologique de Berlin, 1874, page 62.

3 Papyrus Sallier I, page 6, ligne 8.

4 Papyrus Boulaq IV, pi. 6, ligne 8.

5 Ibidem, pl. xxii, ligne 7.

On sait que d’après la doctrine sacrée, certaines phases de la vie d’outre tombe n’étaient qu’une reproduction de la vie sur la terre jusque dans ses moindres détails. Aussi les défunts n’abandonnaient-ils pas l’usage des bâtons de main. Les scènes funéraires représentent en effet le mort revivifié cheminant, son bâton à la main, sur les routes du double ciel. On trouve dans les textes mythologiques de nombreuses allusions à cet usage ; ils expliquent notamment que le défunt se taille le bâton qui doit soutenir ses pas^^1. Ayant ce bâton à la main, il se tient debout sur ses pieds^^2 et, à l’aide de cet appui, il traverse l’océan céleste^^3.

Ce bâton mystique du défunt a pu avoir pour type le bâton d’Horus, qui a joué un certain rôle dans l’histoire mythologique. Au moyen de ce bâton, Horus avait scellé la bouche de Set, son adversaire^^4. Dans une autre occasion, le même bâton avait répandu de la lumière^^5. Horus s’en était tnaivc privé dans une circonstance grave qu’un papyrus expose en ces termes : « Horus quitte le pays ; il s’éloigne de l’Egypte. Le ciel était orageux, la terre obscure ; personne ne l’accompagnait. Sa mère Isis l’avait envoyé, et il n’avait pas à la main de bâton sur lequel il pût s’appuyer ; il n’avait pas au cou son talisman de l’Œil sacré (L’Oudja) qui lui eût servi de protection. Il marche et tombe sur la terre…^^6. »

L’emploi du bâton dans les opérations magiques ne nous a été révélé par aucun texte jusqu’a présent ; aussi l’histoire des magiciens de Pharaon transformant leurs bâtons en serpents ne peut trouver son corollaire dans les hiéroglyphes.

Cependant l’acte d’Horus abaissant son bâton et scellant ainsi la bouche de son ennemi, a dû être imité par les incantateurs égyptiens qui conjuraient les maladies et les périls par l’évocation des traditions de la guerre typhonienne.

Chez les Egyptiens, comme chez les Hébreux, le mot bâton avait pris un sens métaphorique. Un haut fonctionnaire sacerdotal se vante d’être le bâton du roi dans les temples^^7.

1 Todtenli., di. i : xxx, 10.

2 Ihid. cil. i.xv, ?.

3 Ibid. ch. cxx, 1’.i.

4 Naville : Mylh, — d’Oi-its, pi. xv, 7.

5 Idem pi. X.X11I, (i4.

6 Papyrus Boulaq. VI. paye 5, lignes 7 et suivaiiles.

7 Stele de Pisherenptah ; Prisse : Monuments égyptiens, pl. xxvi, 4.

Les bâtons qui servaient de sceptres aux rois et aux grands personnages étaient le plus souvent travaillés avec art et richement ornés ; les textes citent dos bâtons d’or^^1, analogues sans doute au sceptre d’Assuérus ; d’autres avaient le pommeau marqueté d’or^^2. Le grand aounnou de Thotmès III semble n’avoir été qu’une branche flexible de bois rare.

Une maxime de l’antique sagesse égyptienne exprime, à propos du sceptre de la puissance, une idée très philosophique : « Le morceau de bois brisé tombé dans le champ et qu’ont frappé le soleil et l’ombre, l’artiste le recueille, le dresse et en fait le sceptre des grands^^3. »

Je n’ai pas fait ressortir en détail toutes les affinités qui existaient entre les idées égyptiennes et celles des Hébreux dans la plupart des usages des bâtons de main. Ces analogies sont frappantes.

Je puis en signaler encore une qui est fort singulière et qui se rapporte à la formalité de la prestation des serments. Un document judiciaire, daté de la grande époque pharaonique, décrit le serment prêté devant les magistrats instructeurs par un ouvrier prévenu de vols dans les hypogées ; avant de faire sa déclaration, cet ouvrier prononça un par la vie du pharaon, en se frappant le nez et les oreilles et se plaçant sur la tête du bâton. Il manifestait ainsi qu’il connaissait la rigueur de le loi pénale, ordonnant, dans certains cas, l’ablation du nez et des oreilles ; il montrait aussi, en se penchant sur le bâton du juge, qu’il reconnaissait l’autorité et le droit de frapper représentés par cet insigne^^4.

On peut comparer ce dernier détail à une particularité du serment fait par Joseph à son père Jacob. Le patriarche avait demandé à sou fils de lui jurer qu’il ne l’enterrerait pas en Egypte. Joseph prêta, à la manière des Hébreux, le serment qui lui était demandé, c’est-à-dire, pour en prononcer la formule, il plaça sa main sous la cuisse de son père. Ensuite, et sans doute en témoignage de sa reconnaissance de l’autorité du plus grand fonctionnaire de l’Egypte, le patriarche s’inclina sur la tête du bâton^^5.

1 Leemans : Musée de Leyde, III, k, 24.

2 Papyrus Anastasie IV, pl. 17, 3. En égyptien, la pomme est nommée la main du bâton.

3 Papyrus Boulaq IV, page xxiii, 13.

4 Voir Chabas : Mélanges égyptol., série III, tome I, page 80.

5 Genèse, ch. xlvii, v. 29 à 31. Les Septante ont bien traduit ce détail ; la Vulgate rend mitah par lit ; et les points-voyelles, bien plus récents que la version des Septante, ont été appliqués

Nous allons maintenant dire quelques mots des bâtons égyptiens qui sont arrivés jusqu’à nous. Il en existe dans les musées et dans les collections particulières un assez grand nombre. Le riche cabinet de mon savant et actif confrère, M. Emile Guimet, en possède un qui est remarquable surtout par la belle inscription dont il est décoré ; je le décrirai plus loin. Commençons par quelques généralités.

Les bâtons dont se servaient les Égyptiens étaient généralement d’une grande longueur ; il y en a depuis 1m 20 jusqu’à 1m 50 et même plus ; les bois le plus souvent employés sont le cerisier, l’acacia, le perséa (balanites ægyptiaca). Le cerisier semblait surtout jouir d’une grande faveur, car l’écorce de ce bois, enlevée avec soin, recouvre quelquefois des bâtons faits d’un autre bois. C’est mi procédé dont on se sert encore de nos jours pour la confection des pipes turques. II y a des bâtons à bois dressé et poli ; d’autres ont conservé leurs nœuds. Quelques cannes sont régulièrement cylindriques ; assez rarement elles vont en diminuant de grosseur à partir de l’extrémité tenue dans la main ; souvent au contraire le gros bout est en bas, disposition qui rendait le bâton plus dangereux lorsqu’il était employé comme arme.

Les bâtons égyptiens avaient, comme les nôtres, des têtes ou pommes de formes variées, telles que boules plus ou moins rondes, allongées ou aplaties, chapiteaux en fleurs de lotus, cônes tronqués renversés, etc., et pour ces appendices, on employait les métaux, les pierres dures, les émaux, les bois durs, l’ivoire, etc. L’une des cannes conservées au musée de Leyde est formée d’un roseau à cinq nœuds, surmonté de la tête hideuse de Bès, le dieu des recherches sensuelles. Les pommes étaient fixées sur le bâton au moyen de clous de bronze dont on possède encore plusieurs spécimens.

Quelquefois, au lieu de pomme, les bâtons égyptiens avaient à leur extrémité supérieure un petit branchement en forme de corne, constituant un cran sur lequel portait probablement un des doigts de la main pendant la marche.

Un assez grand nombre de ces bâtons, même parmi les plus simples, portent des légendes hiréoglyphiques qui en nomment les propriétaires. Ces légendes en constituent l’intérêt principal. On y trouve, comme d’ailleurs dans tous les textes, des informations souvent très intéressantes.

Le monument le plus vénérable de cet ordre qui soit parvenu jusqu’à nous, n’est point un bâton entier ; ce n’est que la virole de bronze du bâton de Papi (Phiops), roi de la IVe dynastie^^1 ; le cartouche de ce pharaon est gravé sur le métal. Ce petit objet nous montre l’usage vulgaire du bronze répandu en Egypte dès le xxxe siècle environ avant notre ère. On ne possède pas beaucoup d’autres objets de métal d’un âge plus reculé, mais on en trouve la mention dans des textes qu’on peut rapporter à des temps antérieurs à la construction des grandes pyramides. Les mêmes textes nous montrent, à la même époque, l’usage du bâton de main, que certains personnages ne quittaient pas même lorsqu’ils étaient assis^^2.

Il faut citer en second lieu l’extrémité inférieure du bâton de bois garni d’or qui porte le cartouche-prénom d’Amenhotep III, de la XVIIIe dynastie. Ce riche insigne a certainement appartenu à ce pharaon ; il nous parle dès lors d’une époque prospère de l’histoire égyptienne. Il fait partie des trésors rassemblés au musée de Leyde^^3.

Le musée du Louvre possède deux pommes de cannes ayant appartenu l’une au grand conquérant Séti Ier, l’autre à son fils, le célèbre Ramsès II, le pharaon de Moïse.

Je crois qu’ici s’arrête la liste des bâtons royaux ; mais ceux des grands personnages sont bien plus nombreux. Il en existe au musée de Leyde deux qui nous rappellent une époque célèbre des annales pharaoniques, celle de la réforme religieuse tentée par Amenhotep IV, prince qui prit le nom de Khouenaten après avoir proscrit le culte d’Ammon. L’un de ces bâtons porte la légende du scribe Hataï, qui était attaché au temple d’Aten (le disque solaire, objet du culte de la réforme) à Memphis^^4. Sans ce petit monument, nous n’aurions jamais su que la capitale de la Basse-Egypte, dont il ne reste pas aujourd’hui pierre sur pierre, avait possédé un édifice consacré au dieu de Khouenaten.

1 Au British Museum, catalogue n° 5495.

2 Voyez : Mariette-Bey : Album photog. de Boulaq. pl. 12 ; Prisse d’Avenne : Histoire de l’art égyptien, groupe de Ti et de sa femme.

3 Leemans : Musée de Leyde II, pl. 84. n° 82.

4 Leemans, loc. laud., pl. 85, n° 86.

L’autre a appartenu à un personnage nommé Peatenemheb, c’est-à-dire le disque solaire dans la panégyrie. Ce nom, qu’on ne trouve qu’à l’époque de la réforme, avait remplacé celui d’Amenemheb, Ammon dans la panégyrie, qui est connnun à presque tous les temps, mais (fui dut disparaître do l’usage pendant la proscription du culte d’Ammon.

La légende de ce bâton est fort curieuse ; elle nous apprend que le possesseur de cet insigne était « très favorisé du dieu bon (Osiris), aimé du seigneur des deux mondes (le roi) à cause de ses mérites exceptionnels ; qu’il se conformait à la vérité, qu’il était bon de parole et s’abstenait de tout acti’ mauvais. Il occupait la fonction d’officier de la grande reine et d’expert vérificateur^^1. »

Un autre bâton du même nuisée de Lcyde nous signale encore un édifice à ajouter à ceux que nous connaissions déjà par les textes comme ayant ap partenu à la ville de Memphis ; il s’agit cette fois d’un temple ou d’une chapelle du dieu Lunus, en égyptien Aoh, l’une des formes de Thoth. La légende de ce bâton est très remarquable :

« Bâton excellent pour commencer la vieillesse dans la grande salle du temple, et pour sortir tous les jours avec lui, en allant voir Ptah du Mur-Blanc. Ceci dit au profit du scribe supérieur du dieu Aoh, Anoui^^2. »

On sait que le Mur-Blanc est la citadelle de Memphis, qu’Hérodote a citée sous le même nom de λευχὸς Τεῖϰος. Ce nom désignait quelquefois la ville elle-même et même le nome tout entier.

Un bâton de moindre longueur a appartenu à un membre de la même famille que le propriétaire du précédent ; c’était le c( très favorisé du dieu Ptah, seigneur de la coudée, que son maître aimait tous les jours ; il se nommait Anoui, et sa profession consistait à être le coureur du pharaon^^3. » Ce titre curieux n’a pas encore été rencontré ailleurs.

Le bâton de Nakhtamen nous fait aussi connaître les noms d’une fonction et d’un édifice qui ne sont pas cités sur d’autres monuments^^4.

Les reines d’Egypte ne ressemblaient guère à celles d’Assyrie ; elles avaient

1 Leemans, Musée de Leyde, pl. 83, n° 88.

2 Leemans, loc. laud., n° 84.

3 Leemans, loc. laud., n° 85.

4 Leemans, loc. laud., n° 83. des titres, des attributions et de nombreux fonctionnaires attachés à leur maison et à leur service personnel. Nous avons déjà eu l’occasion de citer un officier de la reine. Le musée de Leyde contient aussi le bâton d’Amonneb, gardien de la maison de la grande reine, qui était en même temps attaché au culte de Thoth^^1.

Quelques-uns de ces bâtons paraissent avoir été donnés en présent ; ce sont ceux dont la légende exprime un vœu, comme, par exemple, celui d’Anoui, scribe du dieu Lunus.

On trouve sur un autre bâton du musée de Leyde un souhait du même genre : « Commence une heureuse vieillesse dans le lieu de la vérité ; ceci est dit au profit du favorisé de Ptah, seigneur de la coudée, le scribe Djaï^^2. »

Plusieurs abou, ou artistes en bois et en métaux, nous ont laissé leurs légendes sur des bâtons que sans doute ils s’étaient façonnés pour eux-mêmes.

Nous possédons, par exemple, celui d’Amenmès, artiste des travaux d’Ammon, aux ordres de la priocess Bokammon, et celui de Khratoua, grand artiste d’Ammon. Ce dernier porte une légende qui contient une prière à Ammon et à Ptah pour qu’ils accordent vie, santé et force au propriétaire de l’insigne. Ces deux cannes nous reportent à la XIXe ou à la XXe dynastie, époques des grands travaux du temple d’Ammon à Karnak. Celui d’Amen mes nous montre que non seulement les reines, mais encore les princesses égyptiennes exerçaient une autorité et avaient des fonctionnaires à leur service. La considération pour les femmes, la liberté et l’autorité qui leur étaient laissées, est l’un des traits les plus remarquables de l’ancienne civilisation égyptienne.

Les deux bâtons dont je viens de parler ont été publiés par M. Prisse d’Avenue ; dans son Choix de monuments, pl. 46^^3, avec un troisième bâton ayant appartenu à Amennaï, compteur des troupeaux de la maison de la reine. Celui-ci porte, à son extrémité supérieure, le branchement aigu en forme de

1 Leemans, Musée de Leyde, pl. 84, n° 80.

2 Leemans, loc. laud., pi. 85, n° 87.

3 Il existe au musée de Leyde une belle pomme de canne n’ayant pas moins de 15 millimètres de diamètre et portant la légende d’un kherp ou chef de brigade d’artistes, qui était en même temps haut dignitaire sacerdotal (Leemans, loc. laud., pl. 85, n° 89, a et b).

corne, dont j’ai parlé plus haut. Il faut faire remarquer, en passant, que les employés supérieurs des troupeaux des temples ou des membres de la famille royale étaient de grands personnages.

Nous n’avons pas encore complété, à beaucoup près, la liste des bâtons de main conservés dans les collections publiques ou particulières et qui présentent un intérêt scientifique ; mais nous n’avons pas la prétention d’épuiser le sujet ; nous citerons cependant encore un bâton d’ébène appartenant au British Museum et portant la légende de Bai, messager royal en Mésopotamie. Un personnage de ce nom était l’ami, le conseiller, et probablement aussi le parent de Meueptab Siptah, pharaon dont le règne fut suivi d’une période de désorganisation et d’anarchie, dans laquelle s’éteignit la XIXe dynastie^^1. Sur les monuments de son règne Meneptah Siptah constate qu’il avait à son service des envoyés à toutes les nations. Il y a quelque probabilité que le Bai du bâton d’ébène est le même que le Baï de Meneptah.

Nous terminerons cette revue par la description du bâton qui fait partie du cabinet de M. Guimet. C’est un simple rameau d’acacia, encore recouvert de son écorce, et terminé par un évidement en forme de cheville, qui servait à fixer le bout. Sa longueur est d’un mètre.

Il est décoré d’une légende en très beaux hiéroglyphes, dont voici la reproduction :

Voici la traduction littérale de cette légende :

« À la personne très favorisée du seigneur des deux mondes^^2, l’aimé de son maître chaque jour, se conformant à la vérité, excellent par ses

1 Voir Chabas : Recherches pour servir à l’histoire de la XIXe dynastie et des temps de l’Exode, p. 126 et suivantes.

2 L’expression seigneur des deux mondes désigne le roi. mérites exceptionnels, dilaté de cœur, aimé des hommes, le porte-flabellum du seigneur des deux mondes, Pesar vivant[1]. »

Le nom du roi ne nous est pas donné, mais, d’après le type de la gravure et d’après la teneur de l’inscription, qui rappelle celle de Peatenemheb, précédemment citée, nous pouvons conclure que le bâton de la collection Guimet date de la XVIIIe dynastie et remonte, par conséquent, à la respectable antiquité d’environ trente-quatre siècles.

Notons en terminant que la fabrication des bâtons de main constituait en Égypte une profession de certaine importance. Les opérations à l’aide desquelles le bois était écorcé, durci au feu, dressé et poli, sont figurées sur les parois de l’hypogée de Menhotep à Beni-Hassan, entre le travail du potier et celui du verrier.

F. Chabas.
Châlons-sur-Saône, 10 décembre 1874.

NOTE DE M. FAIVRE, DOYEN DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE LYON, SUR LA NATURE DU BOIS DU BÂTON ÉGYPTIEN APPARTENANT À M. É. GUIMET
Lyon, le 4 janvier 1875.

En soumettant à l’examen microscopique le bâton que vous m’avez confié et que je vous fais remettre, j"ai pu constater que ce bâton, choisi avec beaucoup d’attention, comme l’indiquent sa direction, son diamètre, son âge, sa consistance, qu’augmente beaucoup l’incrustation des couches ligneuses intérieures, appartient certainement à une plante de l’embranchement des dicotylédones, et probablement à la famille des légumineuses, au genre acacia ou genres voisins. Le liber est abondant et bien caractérisé ; les couches ligneuses indiquent, par leur nombre, une croissance de sept à huit années : les éléments qui les constituent sont bien conservés ; on peut reconnaître aisément leur structure et celle des rayons médullaires.

Ces renseignements sont les seuls que puisse permettre de donner l’examen que j’ai pu faire ; des recherches assez longues seraient nécessaires pour les compléter. Toutefois, il est intéressant de constater que le temps a respecté la constitution intime de ce bâton, et de reconnaître, par un examen attentif, que son choix a dû être l’objet d’une recherche intelligente et réfléchie.

En regrettant de ne pouvoir mieux répondre à vos désirs, je vous prie d’agréer, etc.

E. Faivre.

    conformément à cette interprétation. Mais Joseph n’était pas couché ; il avait été mandé par son père. On ne voit pas à quel propos Jacob se serait prosterné au haut de son lit. L’interprétation gréco-égyptienne, confirmée par le texte égyptien que je viens de citer, est bien plus certaine.

  1. Des bâtons étaient quelquefois consacrés à des défauts, de même qu’une grande variété d’autre objets. C’est sans doute pour ce motif que la légende constate que Pesar était vivant lorsqu’il fut gratifié du sien, qui était vraisemblablement un témoignage de la satisfaction royale.