De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/26

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 189-191).


CHAPITRE XXVI.
De la liberté du cœur, qui s’acquiert par l’oraison, plûtôt que par la lecture.
Le Disciple.

SEigneur, il faut être un homme parfait, pour avoir l’esprit toûjours appliqué aux choses du Ciel, & pour être aussi tranquille dans le tumulte du monde, que si l’on n’avoit rien à faire.

Cette quiétude, ô mon Dieu, ne vient pas d’oisiveté & de paresse : c’est un don propre des ames entierement libres, & détachez des créatures.

Délivrez-moi, je vous en conjure, des soins superflus de cette vie, de peur que ce ne me soit un sujet de distraction & de trouble.

Ne permettez pas que je donne trop de tems aux necessitez du corps, de peur que je n’y recherche la satisfaction des sens. Tirez mon ame de l’embarras où elle est ; soulagez là dans ces peines, de crainte qu’elle n’y succombe.

Je ne parle pas des peines que se donnent les mondains pour contenter leurs passions : je parle des seules miseres, qui par un effet de la malediction commune, affligent generalement tous les hommes, & dont mon ame est si accablée, que quelque effort qu’elle fasse, elle se trouve dans l’impuissance de goûter la vraye liberté d’esprit.

O Dieu de toute consolation, rendez-moi fades & ameres les voluptez de la chair, qui me paroissent si douces, que pour un plaisir d’un moment, je ne crains point de renoncer à un bonheur éternel.

Faites que jamais je ne me laisse ni amollir par trop de tendresse pour la chair & le sang, ni charmer par une gloire passagere que le monde me promet, ni surprendre par les artifices du malin esprit.

Donnez-moi des forces pour combattre, de la patience pour souffrir, de la constance pour perseverer.

Répandez au lieu de la fausse joye du siécle, la douce onction de votre Esprit dans mon cœur ; & au lieu de l’amour charnel, remplissez-le de vôtre divin amour.

C’est à un homme fervent & spirituel un pesant fardeau, que le soin du vivre, du vétir, & de tout ce qui est necessaire au corps.

Faites-moi la grace d’en user toûjours avec beaucoup de moderation, sans empressement & sans inquiétude.

On ne peut pas absolument se passer de tout : il faut necessairement donner quelque chose à la nature pour la soûtenir : mais vôtre Loi sainte nous défend de lui accorder rien de superflu, & qui ne serve qu’à entretenir la délicatesse ; autrement la chair se revolteroit contre l’esprit.

Dans tout cela je vous supplie de me conduire & de m’éclairer, de crainte que je ne me porte à quelque sorte d’excès.