De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/27

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 191-194).


CHAPITRE XXVII.
Que l’amour propre nous éloigne extrémement de nôtre souverain bien.
Le Maistre.

Mon fils, si vous souhaittez que je sois tout à vous, il faut aussi que vous soyez tout à moi, & que vous donniez le tout pour le tout, sans jamais vous partager, ni vous reserver rien de vous-même.

Sçachez que ce qui vous nuit davantage, c’est vôtre amour propre.

Vous avez plus ou moins d’attache à une chose, à proportion qu’elle vous plaît, & que vous l’aimez.

Si vôtre amour est bien pur, s’il est simple, s’il est reglé vous ne serez point esclave des créatures.

Gardez-vous de desirer ce qu’il ne vous est pas permis d’avoir : ne retenez point ce qui peut troubler vôtre repos, & vous priver de la liberté du cœur.

Il est surprenant que vous ayez de la peine à vous abandonner entre mes mains, avec tout ce que vous pouvez ou desirer, ou posseder en ce monde.

A quoi bon vous consumer de tristesse : pourquoi vous ronger l’esprit des soins superflus ?

Tâchez de vous conformer en toutes choses à ma volonté, & rien ne sera capable de vous nuire.

Mais si vous vous attachez à ceci, ou à cela : si vous voulez demeurer en un lieu plûtôt qu’en un autre dans le seul dessein d’y vivre plus à vôtre aise, & avec plus de liberté, vous n’y serez jamais en repos, jamais sans chagrin : car vous trouverez des défauts en toutes choses, & des contradictions en tout lieu.

Ce qui peut donc faire votre bonheur ici bas, ce n’est pas d’avoir acquis beaucoup de biens temporels, ni de les avoir beaucoup augmentez ; c’est plutôt de les mépriser, & d’en détacher votre cœur.

Et ce que je dis, doit s’entendre non seulement des richesses, mais encore des honneurs, & des vaines louanges dont le monde est étrangement passionné, quoique dans le fond ce ne soient que des biens imaginaires, qui passent vite, ainsi que le monde.

En quelque endroit que vous soyez, vous ne serez jamais bien, si vous n’avez l’esprit de ferveur ; & cette paix que vous allez chercher au dehors ne durera guéres ; si vôtre cœur n’a quelque chose de solide qui le soûtienne, c’est-à-dire, s’il ne demeure fermement attaché à moi.

Vous pouvez changer de demeure ; mais vous n’en serez ni meilleur, ni plus content.

Car à la premiere occasion, vous rencontrerez ce que vous fuyez, & quelque chose de pis.

Le Disciple.

Purifiez-moi donc, Seigneur, par vôtre grace : envoyez-moi vôtre Saint-Esprit, afin qu’avec son secours, je bannisse de mon cœur tous les vains soucis du monde, tous les desirs dereglez des biens perissables, soit grands, soit petits ; dans la pensée qu’ils passeront tous & que moi-même je passerai avec eux.

En effet, il n’y a rien de permanent sous le soleil : tout y est plein de vanité & d’affiction d’esprit[1].

O que celui-là est sage, qui considere attentivement cette grande verité, & qui en est convaincu !

Communiquez-moi, ô mon Dieu, vôtre sagesse celeste, afin que j’apprenne à vous chercher & à vous trouver ; que je goûte votre douceur, que j’aime võtre bonté par dessus toutes choses, & qu’enfin je sçache juger des choses creées, selon qu’elles sont, & que vous en jugez vous même.

Faites que j’évite avec soin ceux qui me flattent, & que je supporte avec patience ceux qui me maltraitent.

Car c’est être vraiment sage, que de ne se point troubler, quelque chose que le monde puisse dire ; de ne point prêter l’oreille aux flatteries de ces sirennes qui enchantent ceux qui les écoutent. De cette sorte on peut marcher sûrement & sans se lasser, dans la voye du Ciel.

  1. Eccl. 2. 11.