De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/25

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 186-189).


CHAPITRE XXV.
En quoi consiste la solide paix du cœur, & le vrai progrés spirituel.
Le Maistre.

Mon fils, j’ai dit autrefois à mes Apôtres, que je leur laissois la paix, que je leur donnois ma paix, & une paix bien differente de celle que le monde peut donner[1] à ses partisans.

Chacun souhaite la paix : mais peu de gens veulent faire ce qu’il faut pour y parvenir.

Ma paix est pour ceux qui sont vraiment doux & humble de cœur. Vous ne serez jamais paisible, que vous ne soyez bien patient.

Si vous écoutez ma parole, & que vous vouliez la suivre, vous pourrez jouir d’une paix profonde.

Le Disciple.

Que faut-il donc faire, Seigneur ?

Le Maistre.

Prenez toûjours garde à ce que vous faites, & à ce que vous dites : n’ayez en vûë que de me plaire : ne desirez & ne cherchez rien hors de moi.

Ne jugez point temerairement de ce que disent, ou de ce que font les autres : ne vous mêlez point des choses qui ne vous regardent pas, & dont vous ne devez pas répondre. Par ce moyen vous n’aurez point d’inquiétude, ou vous n’en aurez que rarement.

Mais de n’en avoir jamais, & d’être exempt pour toujours de toute sorte de peine, soit du corps, soit de l’esprit, c’est ce qu’il ne faut pas esperer en cette vie, & ce qu’on ne peut obtenir que dans le repos éternel.

Ne croyez pas avoir trouvé la vraye paix, lorsqu’il ne vous arrive rien de mal ; ni que tout aille fort bien, lorsque personne ne vous contredit ; ni que vôtre bonheur soit parfait lorsque toutes choses réüssissent comme vous le souhaitez.

Ne vous imaginez pas non plus être fort vertueux & cheri de Dieu, lorsque vôtre ame est remplie d’une devotion tendre & sensible : car ce n’est point à cette marque que l’on connoît ceux qui aiment vraiment la vertu, ni en cela que consiste le progrès & la perfection de l’homme.

Le Disciple.

En quoi donc, Seigneur, les faites-vous consister ?

Le Maistre.

A vous résigner entierement à ma volonté, à ne point chercher vos interêts propres, ni dans les petites choses, ni dans les grandes, ni pour le tems, ni pour l’éternité : à regarder de même œil les biens & les maux de cette vie ; à recevoir indifferemment tout ce qui vous peut arriver d’agréable ou de fâcheux, & à m’en rendre d’égales actions de graces.

Si vous avez assez de courage, & une assez ferme confiance en moi, pour renoncer à toute sorte de consolation, pour vous offrir même à de plus grandes souffrances, pour ne vous plaindre jamais des croix que je vous envoye, pour vous persuader au contraire que je ne fais rien que de bien, & pour louer en tout ma justice ; soyez sûr que vous marchez dans le droit chemin de la paix & que vous aurez le bonheur de jouir encore une fois de ma presence.

Que si vous pouvez parvenir à vous mépriser tout-à-fait vous-même, vous serez alors dans la plus profonde paix qu’on puisse esperer en ce monde.

  1. Joan. 24. 27.