De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/19

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 168-170).


CHAPITRE XIX.
De la souffrance des injures, & de la véritable patience.
Le Maistre.

QU’avez-vous à dire, mon fils ? considerez ma Passion, voyez combien les Saints ont souffert ; & après cela cessez de vous plaindre.

Vous n’avez pas encore combattu, jusqu’à verser votre sang[1].

Vous souffrez bien peu, en comparaison de tant de Saints, qui ont soûtenu de si violentes tentations, qui ont enduré de si cruels martyres, qui ont passé par de si rudes épreuves.

Vous devez donc vous ressouvenir des peines excessives des autres, & vous exciter ainsi à souffrir constamment les vôtres, qui sont beaucoup moindres.

Que si les vôtres ne vous semblent pas legeres, prenez garde que cela ne vienne de votre peu de mortification.

Mais enfin, quelles qu’elles soient, tâchez de les porter toutes avec patience.

Plus vous montrez de courage à embrasser les souffrances, plus vous faites voir de sagesse, & plus aussi vous augmentez en mérites.

D’ailleurs le moyen de rendre vos croix plus supportables, c’est d’avoir de la résolution ; c’est de ne point vous décourager ; c’est de vous accoûtumer à souffrir.

Et ne dites pas : je ne puis plus endurer les sanglans affronts, que me fait untel, ou untel ; & il n’est pas à propos que j’en souffre davantage. Car cet homme en use trop mal ; il ne cesse de me reprocher des choses, à quoi je n’ai pas seulement pensé. Si c’étoit un autre, j’en souffrirois plus volontiers : je ne souffrirai de qui que ce soit, que selon qu’il me plaira, & qu’autant qu’il me plaira.

Quiconque parle de la sorte, n’est pas raisonnable. Car au lieu de considerer en quoi consiste la vraye patience & qui la doit couronner ; il regarde seulement qui sont ceux qui l’ont offensé, & quelles sortes d’injures il en a reçûës.

Ce n’est pas être vraiment patient, que de ne pouvoir se résoudre à tout souffrir, & à souffrir de toutes sortes de personnes.

Un homme vraiment patient n’examine point qui est celui qui le fait souffrir ; si c’est son Superieur, ou quelqu’un de ses égaux, ou même quelqu’un de ses inferieurs ; si c’est un homme de bien, ou un méchant homme.

Quelque mortification qui lui arrive, & quelle qu’en soit la cause, il reçoit tout également de la main de Dieu, comme une faveur & un avantage pour lui.

En effet, les moindres peines qu’on endure pour l’amour de Dieu, sont d’un grand mérite auprès de ce Juge charitable.

Soyez toûjours prêt à combattre, si vous desirez l’honneur du triomphe.

On ne parvient point sans combat à la couronne, qui est le prix d’une genereuse patience.

N’esperez pas de récompense, si vous refusez de souffrir.

Si vous aspirez à la couronne de gloire, combattez courageusement, souffrez patiemment.

Il faut travailler pour arriver au repos : il faut combattre pour remporter la victoire.

Le Disciple.

Faites, Seigneur, que ce qui m’est impossible naturellement, me devienne possible par vôtre grace.

Vous sçavez que j’ai peu de patience, que je suis sensible aux moindres maux, & qu’il ne faut rien pour m’abattre.

Adoucissez-moi tellement ce que j’aurai à souffrir pour votre Nom, que je l’aime, que le souhaite, que je n’en fasse un sujet de joye, persuadé qu’il m’est très-avantageux de souffrir beaucoup pour l’amour de vous.

  1. Hebr. 12. 4.