De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/18

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 165-167).


CHAPITRE XVIII.
Qu’il faut souffrir constamment les misères de cette vie à l’imitation du Sauveur.
Le Maistre.

Mon fils, je suis descendu du Ciel pour votre salut : j’ai pris sur moi vos miseres, non par force mais par amour, afin de vous animer à la patience, & à ne point vous attrister des maux passagers.

Car depuis le moment de ma naissance dans l’Etable, jusqu’à celui de ma mort sur le Calvaire, je n’ai jamais été sans douleur.

J’ai manqué de toutes les commoditez de la vie ; j’ai oüi une infinité de gens qui murmuroient contre moi : j’ai souffert avec patience mille indignitez : je n’ai reçû pour mes biens faits que des marques d’ingratitude, pour mes miracles que des blasphêmes, pour ma doctrine que des contradictions & des plaintes.

Le Disciple.

Seigneur, puisque vous avez tant souffert, & qu’en cela même vous avez si bien accompli la volonté de vôtre Pere, il est juste qu’un miserable pecheur comme moi, accepte les croix qui lui viennent de vôtre main, & qu’il souffre tant qu’il vous plaira les peines de cette vie, pour l’expiation de ses offenses.

Car quelque fâcheuse que puisse être la vie présente, on y trouve beaucoup de matiere de mérite ; & elle devient non-seulement supportable, mais douce, même aux plus foibles, tant par vôtre grace, que par la force de vôtre exemple, & de celui de vos Saints.

On a aussi plus de sujet de s’y consoler, qu’on n’en avoit dans la Loi ancienne, lorsque la porte du Ciel étoit fermée, & que la voye du salut étant peu connuë, peu de gens travailloient à se sauver.

Ceux même, qui étoienr Saints & prédestinez en étoient exclus, avant le tems de vôtre Passion & de votre mort.

O quelles actions de graces ne suis-je pas obligé de vous rendre pour avoir montré à tous les Fidéles, & à moi en particulier, le chemin qui mene droit & sans détours à vôtre Royaume éternel !

C’est vôtre vie, ce sont vos exemples qui nous y conduisent sûrement ; & par l’exercice de la patience, nous arriverons enfin jusqu’à vous, qui êtes nôtre couronne & nôtre beatitude.

Si vous ne nous aviez frayé le chemin, qui de nous se mettroit en peine de le chercher & de le suivre ? Helas ! combien y en a-t-il, qui demeureroient fort loin en arriere, si voyant tout ce que vous avez fait ils ne s’excitoient à la ferveur ?

Ni vos miracles, ni vos preceptes, que nous ne pouvons ignorer, n’empêchent pas que nous ne soyons encore tiédes & lâches. Que seroit-ce, si nous n’avions point cette lumiere pour nous aider à vous suivre ?