De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/20

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 171-173).


CHAPITRE XX.
Qu’il faut reconnoître ses foiblesses ; & qu’il y a beaucoup à souffrir en cette vie.
Le Disciple.

JE reconnois mes iniquitez, & je m’en accuse, Seigneur, devant vous ; je confesse que je suis si foible, que la moindre chose me trouble, & me décourage.

Je me propose assez de bien faire : mais une legere tentation renverse tous mes bons desseins.

Souvent un rien est la matiere d’une griéve tentation.

Lors même que je me crois en assûrance, je me trouve tout à coup presque vaincu, & il ne faut qu’un petit souffle pour m’abbattre.

Considerez donc, Seigneur, mon infirmité qui ne peut vous être inconnuë.

Ayez pitié de moi : Ne permettez pas que j’enfonce davantage dans la bouë ; donnez-moi la main pour m’en retirer : ne me laissez pas toûjours dans le peril.

Ce qui m’afflige, & me donne de la confusion, c’est de me voir à tout moment sur le point de tomber, & toûjours trop foible pour reprimer mes passions.

Car encore que na foiblesse n’aille pas jusqu’à consentir au peché, il m’est toutefois bien facheux d’avoir sans cesse à combattre contre moi-même, & je suis las de vivre dans cet état.

Le principal fruit que j’en puis tirer, est de mieux connoître mon peu de vertu, & de voir que les méchantes pensées entrent beaucoup plus facilement dans mon esprit, qu’elles n’en sortent.

O Dieu d’Israël, Dieu Tout-puissant, zelateur des ames fidéles, quand daignerez-vous regarder vôtre serviteur en l’extrême peine où il est ? assistez-le dans ses besoins, favorisez-le dans ses entreprises.

Fortifiez-le tellement par vôtre grace, qu’il ne se laisse pas dominer par le vieil-homme, par la chair rebelle à l’esprit, par cette chair corrompuë, contre laquelle il faut combattre sans relâche, jusques au dernier soûpir.

Hélas ! qu’y a-t-il de plus miserable que cette vie, ou l’on n’est jamais sans tribulation, où l’on rencontre par tout des piéges, & des ennemis cachez ?

A peine est-on délivré d’une tentation, qu’il en vient une autre : on n’est pas encore sorti du combat, qu’on est attaqué par de nouveaux ennemis qu’on n’attendoit point.

Comment donc peut-on aimer une vie si pleine d’amertume, & sujette à tant de maux ?

Est-ce une vraye vie que celle-ci, où regnent par tout la maladie & la mort ?

Cependant on l’aime, on s’y plaît, & plusieurs esperent y trouver leur beatitude.

On se plaint souvent du monde, comme d’un trompeur ; & neanmoins on ne sçauroit se résoudre à le quitter, tant on a de peine à vaincre la concupiscence de la chair.

D’un côté il paroît aimable, & de l’autre digne de mépris.

Ce qui fait qu’on s’y attache, c’est l’envie qu’on a, l’un de satisfaire la sensualité, l’autre d’assouvir son avarice, l’autre de contenter son orgueil & son ambition.

Ce qui en donne de l’éloignement & du dégoût, ce sont les peines que ces faux plaisirs traînent après eux.

Mais hélas ! l’amour du plaisir l’emporte sur la raison, & une ame possedée de l’esprit du monde, se repose parmi les épines[1] ; parce que jamais elle n’a goûté la douceur de Dieu, ni connu la beauté de la vertu.

Une ame au contraire, qui méprise tout-à-fait le monde, qui fait profession de ne vivre que pour Dieu, ne peut ignorer combien Dieu est doux à l’égard de ceux qui quittent tout pour l’amour de lui, ni en combien de maniere le monde est trompé, & combien sont dangereux les égaremens.

  1. Job. 30. 7.