De l’Homme/Section 3/Chapitre 1

SECTION III
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 8 (p. 187-189).
Chap. II.  ►


SECTION III.

Des causes générales de l’inégalité des esprits.




CHAPITRE I.

Quelles sont ces causes.

Elles se réduisent à deux.

L’une est l’enchaînement différent des évènements, des circonstances et des positions où se trouvent les divers hommes. (Enchaînement auquel je donne le nom de hasard.)

L’autre est le desir plus ou moins vif qu’ils ont de s’instruire.

Le hasard n’est pas précisément aussi favorable à tous ; et cependant il a plus de part qu’on n’imagine aux découvertes dont on fait honneur au génie. Pour connoître toute l’influence du hasard, qu’on consulte l’expérience ; elle nous apprendra que dans les arts c’est à lui que nous devons presque toutes nos découvertes.

En chymie, c’est au travail du grand œuvre que les adeptes doivent la plupart de leurs secrets. Ces secrets n’étoient pas l’objet de leur recherche ; ils ne sont donc pas le produit du génie. Qu’on applique aux différents genre de sciences ce que je dis de la chymie, on verra qu’en chacune d’elles le hasard a tout découvert : notre mémoire est le creuset des souffleurs. C’est du mélange de certaines matieres jetées sans dessin dans un creuset que résultent quelquefois les effets les plus inattendus et les plus étonnants ; et c’est pareillement du mélange de certains faits placés sans dessein dans notre souvenir que résultent nos idées les plus neuves et les plus sublimes. Toutes les sciences sont également soumises à l’empire du hasard ; son influence est la même sur toutes, mais ne se manifeste point d’une maniere aussi frappante.