De l’Alimentation publique
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 16 (p. 936-951).
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DE
L'ALIMENTATION PUBLIQUE

LES CULTURES ALGÉRIENNES ET LA RÉCOLTE DE 1858.



Parmi les sources de l’alimentation publique en France, il en est une qui a des droits particuliers à notre sollicitude : c’est la production coloniale, et principalement celle de l’Algérie. Développer l’exploitation du sol dans notre France africaine, ce n’est pas seulement ajouter un précieux supplément aux ressources nationales, c’est aussi les varier heureusement, c’est permettre d’utiles expériences sur des végétaux inconnus à nos cultivateurs, et faciliter diverses applications dont pourra profiter notre industrie. Nous avons en 1858 un double motif pour rechercher où en sont les cultures de l’Algérie, et quels avantages le pays doit en attendre. D’une part, l’état de nos récoltes peut rendre nécessaire de recourir à certains produits du sol algérien; de l’autre, une exposition récente a fait passer sous les yeux du public quelques-unes des principales richesses végétales de notre colonie. Le moment est donc favorable pour examiner les divers résultats du travail d’exploitation qui s’y poursuit.

Trente ans à peine se sont écoulés depuis l’époque où les vaillantes armées de la France, en implantant le drapeau national sur le sol de l’Algérie, affranchissaient pour toujours les peuples commerçans du tribut et des dangers subis par leur marine durant trois siècles, et dont les menaçait encore ce repaire de nombreux et hardis pirates. Après ce grand résultat obtenu aux applaudissemens des nations, l’œuvre de la conquête était loin d’être achevée. Il s’agissait de soumettre une population guerrière de deux millions d’habitans disséminés sur une étendue égale aux trois quarts de la surface de la France[1]. Chacun prévoyait de nombreux et périlleux combats, d’énormes dépenses, et pour beaucoup d’esprits positifs tant de sacrifices d’hommes et d’argent devaient rester sans compensations suffisantes.

Aujourd’hui l’expérience a répondu : si les sacrifices ont été considérables comme on le prévoyait, les compensations sont enfin venues et n’ont pas trompé l’attente de ceux qui avaient foi dans les persévérans efforts de la France. Une période de lutte dont nous n’avons point à évoquer ici les glorieux souvenirs a été suivie d’une ère de pacification qui, à peine commencée, s’annonce déjà d’une façon brillante. Les succès déjà obtenus se maintiendront-ils ? Les cultures, les applications essayées en Algérie se développeront-elles ? Répondre à ces questions, ce ne sera pas seulement montrer les progrès du travail agricole dans notre colonie, mais donner plus d’une indication utile sur les besoins et les ressources de l’alimentation publique en général.

Le cadre d’une semblable étude est tout tracé. On doit tenir compte d’abord des conditions climatériques au milieu desquelles s’obtiennent les produits algériens. Il y a ensuite à classer, à énumérer ces produits, en nous plaçant au point de vue des populations de nos grandes villes, dont ils peuvent faciliter et varier l’alimentation. Les conditions propres au climat de l’Afrique septentrionale sont connues. Dans la province d’Alger, grâce à une température suffisamment humide et à l’influence bienfaisante de la mer, on cultive à la fois, avec les diverses plantes du centre et du nord de la France, les végétaux de l’Europe méridionale et en partie ceux des régions intertropicales[2]. La zone saharienne, placée dans des conditions moins favorables, se prête, elle aussi cependant, à diverses applications utiles de l’industrie agricole, et se distingue par des productions spéciales, qui pourront faciliter des relations de plus en plus désirables entre le monde africain et l’Europe. Le meilleur moyen pourtant de faire ressortir les avantages d’un climat qui admet les cultures les plus variées, c’est d’examiner les divers produits du sol algérien tels qu’on les a vus figurer à l’exposition d’horticulture de mai 1858, en commençant par les produits de la culture maraîchère que la vapeur apporte sans altération jusqu’à Paris[3], pour rechercher ensuite les principaux résultats de la culture des céréales et de quelques cultures industrielles.

Au premier rang des produits de la culture maraîchère en Algérie se placent les ignames, les bâtâtes[4] et les pommes de terre. Déjà nous avons eu occasion d’apprécier ici[5] les efforts tentés pour acclimater l’igname en France. En Algérie, nous avons à signaler des tentatives non moins dignes d’intérêt. Une culture expérimentale et comparative a été entreprise par M. Hardy, directeur de la pépinière centrale du gouvernement à Alger, sur dix-huit espèces ou variétés d’ignames originaires de l’Inde, de la Nouvelle-Zélande et de la Chine : quatre espèces et huit variétés provenaient de Siam et du Cambodje. Ces expériences ont clairement établi que l’on n’obtient de belles récoltes de ces tubercules qu’à la condition d’implanter des tuteurs pour soutenir les tiges volubiles et de pratiquer à temps quelques irrigations. Les plus volumineux rhizomes féculens et les plus abondans produits ont été obtenus de l’igname jambe d’éléphant (dioscorea alata elephantipes) et de l’igname nommée patte de tortue; elles, ont produit en 1857, l’une 37,040 kilog., l’autre 74,280 kilog. par hectare, sur le terrain cultivé expérimentalement par M. Hardy. Venaient ensuite, d’après l’ordre de l’abondance de la récolte, l’igname de la Nouvelle-Zélande et l’igname violette de la Chine. La dernière, dont on a obtenu 33,000 kil. sur la même superficie, est généralement connue aujourd’hui sous le nom de dioscorea batatas. Les tubercules de cette variété avaient été envoyés par plusieurs colons; c’est la seule variété qui ait pu être cultivée en grand dans le midi et le centre de la France. En Algérie, la culture de la dioscorea batatas offre l’incontestable avantage d’une croissance plus rapide, qui permettrait, pourvu qu’on plantât de petits tubercules entiers (faciles à obtenir au moyen des bulbilles) ou des tronçons de gros tubercules, d’obtenir en une seule année des rhizomes assez volumineux pour être livrés directement à la consommation, et ayant assez peu profondément pénétré dans le sol pour que l’arrachage n’en fût plus un obstacle à la récolte économique. L’igname de Chine cultivée dans notre colonie offre en outre l’avantage notable d’être plus riche en substance nutritive que la même variété cultivée en France dans les meilleures conditions.

La plupart des autres espèces ou variétés d’igname envoyées d’Algérie à l’exposition de mai 1858 contenaient encore plus de substance nutritive que l’igname de Chine; mais le tissu, plus résistant, en faisait un aliment moins agréable. L’une de ces espèces (dioscorea triphylla) présente même l’inconvénient plus grave d’une àcreté très prononcée dans ses tubercules. On peut néanmoins utiliser encore ces végétaux par l’extraction économique d’une fécule qui réunit toutes les qualités comestibles recherchées dans les fécules exotiques. Il y a donc lieu en définitive d’applaudir aux efforts tentés par M. Hardy pour propager la culture des ignames sur le sol algérien.

A côté de l’igname, la batate douce (convolvulus batalas) était représentée à l’exposition de cette année par un grand nombre de tubercules des trois variétés, rouge, jaune, blanche, venus de l’Algérie. Une telle abondance de spécimens prouvait clairement que la batate douce figure au nombre des objets de consommation usuelle dans notre colonie. On se demandait, à voir ces plantes si bien conservées, ces volumineuses racines tuberculeuses, si un végétal qui joue un rôle si important dans les cultures algériennes ne pourrait être utilement appliqué à l’alimentation de la France. Les bâtâtes sont cultivées avec succès dans les diverses contrées chaudes du globe, et y forment avec les ignames la base de la nourriture des populations. On en consomme de grandes quantités aux États-Unis d’Amérique. On peut obtenir même sous le climat de Paris des récoltes assez abondantes de ces tubercules, notamment de la variété blanche dite batate-igname, à l’aide d’une culture spéciale[6] recommandée par le célèbre horticulteur Poiteau, et mise en pratique sur de grandes étendues de terre par M. Auguste de Gasparin, qui est ainsi parvenu à récolter jusqu’à cent mille kilos de batates-ignames sur un hectare. Les bâtâtes d’Alger, des trois variétés, ont été reconnues sensiblement supérieures aux produits similaires de nos cultures du centre de la France par l’abondance des principes immédiats, fécule, sucre, substances azotées grasses et salines, qu’elles renferment. L’analyse y démontre jusqu’à six centièmes de sucre cristallisable identique avec le sucre de canne. Cette richesse saccharine, favorable à la confection de quelques mets de luxe, agréable aussi dans certaines préparations où l’on ajoute des racines alimentaires plus sapides et moins sucrées, sera peut-être, en France du moins, un obstacle à une large consommation de ces tubercules. On préfère généralement chez nous, dans l’alimentation habituelle, les substances plus exclusivement féculentes ou amylacées dont la saveur se rapproche davantage du pain ou des pommes de terre. Les ignames seraient, à ce point de vue, préférables aux bâtâtes; mais il est probable que par degrés les habitudes pourront se modifier à mesure que les prix s’abaisseront : les bâtâtes alors pourront passer de la classe de nos alimens de luxe au rang de substance alimentaire usuelle qu’elles occupent chez plusieurs autres nations. Nos cultures algériennes sont dès aujourd’hui en mesure de subvenir à cette consommation : résultat utile en définitive, puisque la batate doit concourir à l’accroissement des subsistances, tout en variant la nourriture, qui par là même devient plus salubre.

Le tubercule féculent par excellence, celui qui s’adapte le mieux, et sous les formes de préparations alimentaires les plus variées, aux habitudes des populations européennes, la pomme de terre, figurait dans l’exposition de 1858 au nombre des produits de primeur de l’horticulture maraîchère. On y remarquait, sous la qualification de mahonaise, une belle variété hâtive dont la plantation avait eu lieu au mois de janvier. Plusieurs autres variétés de choix avaient été exposées par M. Cantu, de Coléah; une surtout, d’origine anglaise, dite Bristol, était caractérisée par sa richesse en fécule et sa qualité farineuse après la cuisson.

Quelque intérêt toutefois qu’on accorde à ces produits qui peuvent utilement varier l’alimentation, l’attention est plus vivement attirée encore sur ceux qui en sont la base véritable, les céréales. C’est depuis six ou sept années seulement que la culture des céréales a pris quelque extension en Algérie, et depuis cette époque de nombreux témoignages, les caractères extérieurs et les qualités nutritives des produits de chaque récolte, sont venus prouver que ce riche territoire n’a rien perdu de son antique fertilité. Pour bien apprécier toutefois la valeur des blés d’Algérie, il faudrait pouvoir les comparer aux principales espèces cultivées sur tous les points du globe. Il faudrait les voir figurer par exemple à cette exposition permanente des substances alimentaires des deux règnes en usage chez les divers peuples du monde qu’une association particulière vient de fonder à Londres[7]. Qu’on nous permette à ce propos quelques réflexions sur l’utilité de pareilles institutions, qu’on aimerait à voir se propager en France comme en Angleterre. Répandre les connaissances techniques nécessaires à l’appréciation des alimens au double point de vue de l’économie et de la santé, ce doit être, à mon avis, une des plus sérieuses préoccupations de la science moderne. J’ai déjà cité ici même quelques exemples des services que peut rendre la science intervenant dans certaines questions alimentaires, dans celles entre autres que soulève la fabrication du pain[8]. A côté de nos cours publics, qui ont si heureusement favorisé cette direction nouvelle de la science, à côté de nos conseils d’hygiène et de salubrité, la création d’établissemens comme celui de Londres contribuerait efficacement à multiplier les applications des données scientifiques à l’économie industrielle et à l’alimentation générale. L’exposition permanente de Londres offre en effet aux professeurs de chimie, d’hygiène et de physiologie de puissans moyens de démonstration. On y peut étudier chacun des alimens en usage chez les divers peuples et les principaux élémens dont il se compose, dans les proportions, avec les caractères extérieurs que l’analyse chimique leur assigne et les indications du rôle spécial qui leur est attribué dans la nutrition. Ce n’est pas tout : on a voulu indiquer, par les quantités réelles des substances palpables employées, les différens modes de préparation et les méthodes de conservation que recommandent des résultats si importans aux points de vue divers de l’alimentation salubre et économique, de l’approvisionnement des places fortes, des munitions propres aux armées de terre et de mer, comme aux voyageurs de toutes les classes. Les promoteurs de cette utile entreprise se sont enfin proposé d’offrir à tous une sorte de tableau synoptique, formé par les objets eux-mêmes, des rations alimentaires adoptées dans les divers pays. En présence d’une pareille exhibition, il deviendra facile de montrer la raison des régimes particuliers aux populations des contrées froides et des pays chauds, des rations appropriées aux différentes classes plus ou moins laborieuses de la société; mais aussi ces faciles comparaisons feront bien mieux juger des abus, par excès ou par défaut, de nourriture ou de boisson qu’on peut signaler sous les diverses latitudes et des graves inconvéniens qu’ils entraînent.

Revenons aux blés d’Algérie. C’est dans une exposition de ce genre, avons-nous dit, qu’on voudrait les voir figurer. Les belles variétés de nos blés tendres et de nos blés durs devraient être mises en regard. On remarquerait alors entre les grains volumineux et lisses des unes et des autres de notables dissemblances : les premiers (blés durs), très résistans, compactes, translucides, jaunâtres, offrant dans leur cassure l’apparence de la corne, tandis que toute la masse du périsperme des autres (blés tendres) est blanche, opaque, et s’écrase aisément. Les différences dans la composition se manifesteraient clairement à tous les yeux. On verrait à côté de chacun de ces grains non-seulement les produits que la mouture en obtient, mais encore les principes que l’analyse sait en extraire; on reconnaîtrait facilement, par exemple à la simple inspection, que le gluten contenu dans un poids déterminé du blé dur est d’une fois et demie ou deux fois aussi volumineux et pesant que celui retiré du blé tendre. On comprendrait le rôle important qu’il remplit en gonflant la pâte, en allégeant la mie dans la fabrication du pain, si l’on observait de semblables échantillons de gluten ayant acquis par une chaleur ou température de 210 degrés, brusquement appliquée tandis qu’ils étaient encore tout frais et humides, ayant, dis-je, acquis par la dilatation de la vapeur un volume cinq fois plus considérable que leur volume primitif. Dès lors on s’expliquerait tout aussi facilement les principaux effets des altérations des grains et des farines (germination, fermentations, attaques des insectes, etc.), qui, agissant toutes sur le gluten, lui enlèvent la propriété de s’étendre, de se gonfler sous les influences déjà indiquées. La démonstration deviendrait même en quelque sorte matérielle à l’aspect des échantillons de gluten extraits de ces farines avariées, et qui, soumis à l’action du dégagement de la vapeur, restent déprimés et deux fois moins volumineux que les produits des grains de qualité irréprochable. On apprécierait généralement mieux les difficultés et l’intérêt profond que présentent les analyses immédiates en voyant placées les unes à la suite des autres, avec leur aspect propre, dans leurs états particuliers et dans les proportions où elles s’y trouvent, les différentes substances extraites du froment[9], dont les grains semblent à bien des gens formés d’une seule substance homogène. Les blés de l’Algérie, très différens des blés tirés actuellement de l’Égypte[10], sont entièrement assimilables aux meilleurs produits de nos départemens d’Europe. Les blés tendres, comparables aux magnifiques richelles de Naples, et les variétés plus rustiques des blés de Mahon barbus et de Roussillon, livrés soit à la mouture ordinaire, soit à la mouture à gruaux blancs, donneront les plus belles farines commerciales, et trouveront pour ces applications de faciles débouchés en France comme sur tous les marchés de l’Europe. Les blés durs, mieux appropriés encore au climat et au sol de l’Algérie, d’une conservation plus facile dans les silos arabes, sont d’ailleurs généralement plus productifs; ils conviennent parfaitement à la fabrication du couscoussou, base de l’alimentation dans le pays, à la préparation des semoules comme à la confection des pâtes dites d’Italie. S’ils exigent à la mouture des soins particuliers et une puissance mécanique plus grande, leur rendement en farine, comme le produit de la panification de celle-ci, est plus considérable. Enfin toutes les préparations alimentaires que l’on obtient des blés durs sont douées d’une faculté nutritive plus grande, à poids égal, que les préparations du même genre obtenues des blés tendres. L’administration française, comprenant les avantages qu’offrent les farines de blés durs, en a prescrit l’usage pour la nourriture de nos soldats, offrant par cette sage mesure un utile exemple à la boulangerie civile.

Quant aux résultats commerciaux de la culture des céréales en Algérie, on en peut juger en se rappelant qu’en 1854 nous avons importé de notre colonie africaine 304,941 hectolitres de céréales et 4,969,694 kilog. de graines légumineuses, dont la valeur totale dépassait 39 millions de francs. Les importations se sont élevées en 1855 à 1,339,592 hectolitres de céréales et à 3,305,029 hectolitres de légumineuses desséchées, représentant une valeur totale de 41,640,183 fr. Et cependant les améliorations qu’il a été possible d’introduire dans les cultures algériennes durant le petit nombre d’années d’une colonisation tranquille ont eu bien peu d’importance relativement aux vastes étendues de territoire incultes encore ou livrées au labour superficiel des Arabes. En effet, c’est depuis six années à peine, nous l’avons dit, que les colons ont pu donner quelque extension à leurs ensemencemens, et jusqu’à l’époque de la loi des douanes, loin de pouvoir subvenir en une mesure quelconque aux approvisionnemens de la France, notre colonie tirait de l’étranger une grande partie des blés nécessaires à l’alimentation de ses habitans.

Telles sont les ressources que nous offre l’Algérie en légumes et en céréales. Il nous reste à parler d’un troisième ordre de produits, ceux de l’arboriculture, dont quelques-uns tiennent déjà une assez grande place dans le commerce de l’Algérie avec la métropole[11]. On a pu admirer à l’exposition de 1858 des oranges, des limons, des cédrats magnifiques, de beaux régimes de bananes, des nèfles du Japon d’un aspect agréable, d’une saveur douce et fraîche, des raisins à grandes grappes et à gros grains sucrés, comparables aux raisins de nos départemens méditerranéens et de l’Espagne. Cependant la question la plus intéressante que soulève l’arboriculture en Algérie est celle de la vigne, dirigée en vue de la production du vin. Ici malheureusement nous ne pouvons tout à fait approuver nos colons. Loin de suivre les bons exemples de la viticulture française, les colons algériens ont emprunté à certaines contrées méridionales des pratiques depuis longtemps condamnées par l’expérience. On voit en Algérie des vignobles composés de cépages divers et assemblés sans choix, partiellement ombragés par des arbres. On se souvient alors des cépages de la Toscane, cultivés en hutins, treilles et vignes basses, et donnant à la fois des raisins d’une maturité inégale. Le touriste peut admirer cette végétation luxuriante entremêlée de plantes herbacées et de plantes ligneuses, d’arbres et d’arbustes chargés de fleurs et de fruits, qui a fait surnommer la Toscane le jardin de l’Italie. En somme, on n’obtient ainsi sur beaucoup de points que des vins faibles, acides, dépourvus de bouquet ou d’arome, comparables tout au plus à nos vins des environs de Paris, de Suresnes, d’Issy ou d’Argenteuil, et se conservant moins longtemps que ceux-ci. En vue sans doute de compenser le bouquet dont les produits de leurs cultures irrégulières ne réunissent pas les élémens, les vignerons toscans composent une sorte de bouquet artificiel en faisant infuser dans leurs vins en fermentation des plantes aromatiques à odeur forte. Ils recueillent par ce moyen des liquides alcooliques variables, offrant plus d’analogie avec des tisanes odorantes vineuses qu’avec de véritables vins. Cette addition d’aromates a pour but sans doute de ralentir les altérations spontanées auxquelles sont assujettis les vins faibles, et cependant, malgré cette précaution, la conservation s’étend à peine au-delà d’une année, c’est-à-dire qu’elle ne peut atteindre l’époque où l’arôme naturel des bons crus, bien apprécié dans le monde entier, commence seulement à se développer[12]. Il est temps que les vignerons algériens s’arrêtent dans la voie où ils se sont engagés. Qu’ils soient bien avertis qu’en ajoutant à leurs vins de la fleur de sureau, de la coriandre, de la racine d’iris, ils en font des boissons étranges, détestables. Et l’on ne saurait dire que les bons vins naturels ne trouveraient aucune faveur au sein de notre colonie en présence des importations des vins de France, qui, développées graduellement depuis quelques années, se sont élevées en 1856 à 172,190 hectolitres, représentant une valeur de 1,721,900 francs.

Ce ne sont pas seulement le défaut de soins dans la fabrication et l’addition des aromates qui donnent au plus grand nombre des vins de l’Algérie les qualités mauvaises ou médiocres qu’on peut leur reprocher, c’est encore un défectueux assortiment des cépages. On a puisé les élémens de la viticulture algérienne à des sources nombreuses, en France, en Espagne, en Portugal, à Madère, sans se préoccuper suffisamment des expositions les plus convenables pour chacune des variétés de plants, ni du résultat que le mélange du jus de leurs fruits pouvait produire. Il règne sur ces différens points quelque incertitude, et des études attentives et patientes seront nécessaires pour fixer les idées, pour reconnaître les conditions de succès probable dans la culture des cépages destinés à produire des vins analogues à ceux des bons crus de la Sicile, de l’Espagne et du Portugal, pour rechercher enfin les meilleures variétés, les terrains et les expositions convenables à la production plus difficile des vins fins, ou seulement ordinaires, comparables aux vins des principaux vignobles de France[13]. Il n’est pas impossible cependant d’obtenir de bons vins en Algérie. L’amélioration réalisée dans ces produits depuis trois ans est déjà très sensible. Que les colons continuent donc leurs efforts en vue d’améliorer la culture de la vigne, le choix des cépages, les procédés de vinification, et ils parviendront à élever de plus en plus la qualité de leurs vins. Ils trouveront sans peine des guides certains en consultant les savantes publications de nos œnologues.

Parmi les produits de l’arboriculture, il faut encore compter les huiles comestibles[14]. Toutes les considérations que nous avons présentées sur les vins, nous pourrions les reproduire à propos des huiles d’olive. Les faits qui se sont manifestés à l’exposition dernière sont du même ordre. Le sol, le climat, les espèces cultivées, tout est favorable au développement comme à la maturation des fruits de l’olivier, qui atteint en Algérie les proportions de nos arbres de haute futaie. La Kabylie notamment est couverte de cette précieuse essence. Depuis 1852, le commerce des huiles a pris une extension considérable[15]. Et cependant le plus grand nombre des échantillons d’huiles venus de différentes localités offraient une couleur terne, une odeur désagréable et un goût notablement rance. Hâtons-nous d’ajouter que parmi ces produits des cultures et de l’industrie algérienne il s’en est trouvé un, provenant du moulin Roche à Dalmatie, dont la couleur légèrement ambrée, la transparence, l’odeur douce et le goût suave ne laissaient rien à désirer. Pourquoi donc n’obtient-on pas, partout où les circonstances locales sont sensiblement les mêmes, des résultats aussi favorables? A cet égard, il ne nous reste aucun doute : c’est surtout parce que les procédés lents et défectueux de macération et de trituration des fruits, de pressurage et de conservation des huiles, laissent graduellement les olives et les pulpes en proie à l’action des fermens spéciaux, spontanément développés, qui déterminent graduellement des réactions défavorables, — une putréfaction sensible des principes immédiats contenus dans le péricarpe charnu, le dédoublement partiel des substances grasses en glycérine et principes huileux acides, enfin cette rancidité inévitable, lorsqu’on laisse exposés à l’air, sur de larges superficies mal nettoyées, les corps gras en présence de l’humidité et sous l’influence d’une température atmosphérique élevée. Lorsqu’on le voudra, il sera très facile de substituer à ce fâcheux état de choses les procédés de nos huileries perfectionnées, et d’obtenir alors des huiles comestibles de qualité irréprochable. Peut-être cependant les meilleures huiles préparées dans l’Afrique française ne pourront-elles jamais offrir cette exquise délicatesse de goût qui distingue les huiles de Provence. C’est que tous les efforts de l’industrie ne peuvent suppléer au développement de certains arômes légers propres aux produits récoltés sous des climats doux, et qu’on ne retrouve guère au-delà des frontières de l’ancienne France continentale. Il en est des qualités supérieures des huiles comestibles comme des arômes qui constituent les bouquets variés nos vins, de nos eaux-de-vie de table, la suavité des odeurs de nos eaux distillées aromatiques, le goût délicat de nos fruits : ces propriétés caractéristiques ne se développent que dans des conditions particulières de température moyenne, de composition du sol et d’exposition. Sous des climats plus chauds, parfois plus humides, excitant une végétation plus vigoureuse, une maturité plus prompte, les sources diverses des arômes semblent perdre en suavité ce qu’elles gagnent en force. En France même, il est certaines localités agricoles où l’on remarque des différences notables relativement à la délicatesse des arômes qui s’y développent. Ainsi on obtient des eaux de rose et de fleurs d’oranger plus suaves en distillant les fleurs récoltées aux environs de Paris qu’en traitant avec les mêmes soins les produits des cultures de nos contrées méridionales. Les différences sont encore plus prononcées entre celles-ci et les régions plus chaudes de la Turquie, où l’abondance des sécrétions aromatiques est telle cependant que l’on peut aisément obtenir l’essence des pétales de roses en proportions que l’on ne saurait atteindre en Provence, et à bien plus forte raison dans le département de la Seine. On le voit, la France, si heureusement douée d’un climat favorable aux productions pouvant satisfaire toutes les exigences du goût le plus délicat, possède des élémens naturels d’échanges internationaux qu’aucune industrie rivale ne saurait lui ravir. C’est à l’agriculture et au commerce qu’il appartient d’en tirer tout le parti possible[16], et on est encore loin, sous ce rapport, d’avoir réalisé tout ce que le pays est en droit d’attendre.

N’y a-t-il point encore lieu d’espérer que l’Algérie pourra doter la France de quelques richesses nouvelles tirées du règne animal? Nous n’avons cependant à noter sur ce nouveau terrain d’expériences qu’un seul essai remarquable, dû à l’initiative de l’habile et actif directeur de la pépinière centrale d’Alger. Par trois expériences nettes et précises, M. Hardy a pu constater la possibilité d’obtenir dans les conditions d’une domestication intelligente et soignée la reproduction du plus grand des oiseaux qui vivent au milieu de la génération actuelle. La domestication de l’autruche avait été signalée par plusieurs auteurs,-notamment par le docteur Gosse de Genève, comme possible et devant être avantageuse; malheureusement tous les essais entrepris jusqu’à ce jour avaient échoué soit au Muséum d’histoire naturelle à Paris, soit dans d’autres établissemens du midi de la France. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui s’intéresse si vivement à l’acclimatation des animaux utiles, avait été lui-même découragé par tant d’insuccès; il s’était borné, en dressant sa liste des espèces dont la domestication lui semblait possible et avantageuse, à désigner comme futurs oiseaux de boucherie l’autruche d’Amérique, qui se reproduisait effectivement à l’état de domesticité en Angleterre, et le casoard australien, dont M. Florent-Prévôt avait obtenu la reproduction en France. Le doute en ce qui touche la domestication de l’autruche n’est plus permis. Dans des circonstances judicieusement réunies, M. Hardy a pu mener à bonne fin deux couvées, et il montre actuellement les treize jeunes autruches de l’Hamma dans un parfait état de développement rapide. Grâce aux encouragemens de l’administration, il y a lieu de croire qu’on passera bientôt de cette heureuse expérience à une utile pratique.

Nous n’avons plus à parler des productions du sol algérien que dans leurs rapports avec l’état de nos propres récoltes, et c’est ce qui nous décide à terminer cette étude par quelques remarques sur l’utilité toute particulière qu’offrirait un développement de la culture des plantes fourragères dans notre colonie africaine. Il y a aujourd’hui, pour l’agriculture française comme pour l’agriculture algérienne, ce qu’on pourrait appeler la question des fourrages. Le manque des plantes utilisées pour la nourriture des animaux se fera vivement sentir, en 1858, sur les deux bords de la Méditerranée. Disons un mot de la question, d’abord en ce qui touche l’Algérie, puis en ce qui intéresse la France.

Si nous commençons par nous placer en Algérie, nous verrons d’immenses prairies négligées s’arrêtant dans leur végétation sous l’influence d’un soleil ardent. Dépourvues de cultures fourragères appropriées au climat, les fermes ne peuvent entretenir les animaux nécessaires à leur exploitation. En voyant les immenses troupeaux dispersés sur nos steppes africains, on aime à croire cependant qu’un jour viendra où, mieux alimentés de fourrages plus nutritifs et sans parcourir d’aussi grandes distances, ils ajouteront aux approvisionnemens de grains, de fruits et de légumes obtenus d’un fertile territoire, le complément des produits animaux qui manquent en France, soit pour assurer une alimentation plus forte et salubre à la population, soit pour fournir des élémens de travail aux importantes industries qui s’exercent chez nous sur les débris et portions non comestibles des animaux, industries qui toutes réclament cet accroissement dans les quantités de leurs matières premières[17].

En France comme en Algérie, la récolte des fourrages est, à juste titre, l’objet des plus vives préoccupations. La sécheresse exceptionnelle qui a régné pendant les six premiers mois de l’année 1858 a suspendu la végétation des plantes herbacées au printemps, et tellement réduit en général les productions des prés naturels et des prairies artificielles, qu’à peine a-t-on obtenu le tiers des récoltes ordinaires[18]. Déjà les agriculteurs s’ingénient à trouver de nouvelles ressources, en utilisant mieux la part de fourrages qui doit leur advenir, ainsi que certains débris des récoltes naguère négligés. Ils réussiront sans doute à combler ou à diminuer le déficit en associant les menues pailles, les fanes et siliques hachées, les feuilles et rameaux, tendres de certains arbres ou arbustes, aux tubercules aqueux et aux résidus des distilleries, en favorisant par la coction l’assimilation des parties les plus résistantes des tiges coupées menu de mais, de colza, de fèves, etc. Ils s’empresseront de mettre à grand profit le retour des journées pluvieuses pour labourer leurs champs aussitôt après la moisson, les emblaver à l’aide de diverses plantes fourragères et obtenir vers la fin de l’automne les produits de ce qu’on nomme les cultures dérobées (navets, turneps, etc.). Enfin ils ne manqueront pas de bien préparer les cultures automnales qui devront produire les fourrages hâtifs du printemps[19]. Il y va pour chacun d’un pressant intérêt individuel, et pour tous d’un grand intérêt général, dont il est toujours honorable et souvent aussi très avantageux de se préoccuper. Heureusement l’intelligente activité de nos agriculteurs donne lieu d’espérer qu’on traversera cette saison de grande pénurie des fourrages sans que le pays subisse un trop grand affaiblissement dans ses ressources en substances alimentaires du règne animal. Celles de nos subsistances qui dépendent des récoltes de céréales ne semblent pas d’ailleurs devoir être compromises : le blé ne fera pas défaut en 1858. En effet, tandis que le développement des feuilles et des tiges de la plante s’arrêtait par l’action naturelle de la sécheresse prolongée, et qu’ainsi la paille demeurait courte, les actes de la floraison et de la fructification ont pu s’accomplir; les grains sont arrivés au terme de la maturité, échappant vers la fin de la végétation à un danger imminent jusque-là, faute de l’humidité indispensable au développement du périsperme amylacé. En réalisant les produits d’une récolte moyenne, on aura constaté une fois de plus que généralement en France une année de sécheresse, si elle n’amène pas toujours l’abondance, entraîne bien rarement à sa suite la disette des grains. La vigne a été plus favorisée encore par la température que les céréales, et l’abondance des grappes, la précocité du fruit, tout annonce qu’en 1858 nous aurons une année exceptionnelle, au double point de vue de la quantité et de la qualité des vins.

Espérons que la situation présente reportera au-delà de 1858 nos préoccupations et nos efforts. Parmi les améliorations à réaliser dans l’avenir pour échapper aux chances désastreuses dont les longues sécheresses menacent la conservation de notre bétail, il faudrait compter au premier rang un système général d’irrigations qui, en France comme en Algérie, assurerait la récolte des fourrages, et pourrait doubler les productions de nos diverses cultures, tout en amoindrissant beaucoup les dangers des inondations locales. Quel que soit d’ailleurs le résultat des récoltes de 1858 en France comme en Algérie, il est un fait qui nous paraît acquis dès à présent : c’est d’une part l’heureuse direction donnée dans notre colonie à la culture des céréales et de quelques végétaux alimentaires, de l’autre la nécessité bien évidente de quelques réformes et d’une plus grande extension dans la culture de la vigne, des oliviers et des plantes fourragères sur le sol africain. Ces conditions étant remplies, il est à croire que l’Algérie saura non-seulement maintenir, mais étendre encore la position si élevée qu’elle a déjà su acquérir dans nos concours industriels et agricoles.


PAYEN, de l’Institut.

  1. La surface de la France est de 530,402 kilomètres carrés, celle de l’Algérie de 390,000 kilomètres. La population indigène, qui a peu varié, comprend 2,200,000 individus. Le nombre des Européens, qui était de 602 en 1830, de 3,228 en 1840, et de 125,963 en 1850, s’élevait en 1850 à 167,635, y compris 100,400 Français, ou moins d’un vingtième de la population totale.
  2. D’après les observations faites au Hamma par un de nos agronomes pendant l’hiver de décembre 1857 à mars 1858 inclusivement, les températures moyennes ont oscillé entre + 14° et + 10°, 3.
  3. On avait reçu notamment, à l’exposition d’horticulture de 1858, des artichauts dits verts de Provence, de volumineux choux-fleurs, des fèves, des tomates dans un remarquable état de fraîcheur.
  4. On confond souvent les batates avec les ignames, qui se présentent également en tubercules allongés; rien n’est cependant plus facile que de les distinguer, lors même que les tubercules sont coupés en tronçons : toute la superficie des bâtâtes est unie et lisse comme celle d’une pomme de terre vitelotte, tandis que la surface des ignames est au contraire toute hérissée d’exubérances en forme de mamelons qui correspondent à des radicelles non développées ou à des bourgeons latens. Si d’ailleurs on coupe transversalement une igname, on voit sur la tranche de nombreux petits cercles blanchâtres représentant la fécule agglomérée tout autour des faisceaux vasculaires qui traversent le rhizome (tige souterraine tuberculeuse). Les tranches de bâtâtes n’offrent à la vue rien de semblable; la masse blanchâtre ou jaunâtre de ces tranches, parfois rosée sur les bords, est d’une nuance uniforme.
  5. Revue du 1er mai 1858.
  6. Ce procédé, remarquable par sa simplicité non moins que par ses résultats, consiste à planter les tubercules reproducteurs dans de petites fosses à parois bien battues qui empêchent les racines volumineuses de s’étendre au loin, rassemblent les produits, augmentent et facilitent la récolte.
  7. Ce musée d’une nouvelle espèce pourra former une annexe de l’exposition universelle qui doit s’ouvrir pour la seconde fois à Londres en 1861, et parmi les innovations qui ont pris naissance depuis la première exposition de 1851, ce ne sera pas sans doute la moins curieuse.
  8. Revue du 15 octobre 1855.
  9. À ces principes déjà indiqués dans une précédente étude, — gluten, cellulose, amidon, substance huileuse, dextrine, sels solubles, phosphate de magnésie, de chaux, essence spéciale, — il faudra bientôt sans doute en ajouter deux autres lorsqu’on aura pu les isoler nettement : c’est la céréaline et une substance phosphorée dont le rôle dans la panification et la nutrition a été signalé à l’attention générale par M. Mège-Mouriès. La céréaline n’est peut-être qu’un état particulier de la diastase, principe actif végétal développé durant la germination des céréales, et tellement énergique qu’il peut liquéfier et saccharifier deux mille fois son poids d’amidon hydraté. La substance phosphorée, contenue dans le germe ou l’embryon situé à la base du grain, jouerait surtout un rôle important, et jusqu’à ce jour inaperçu, dans la nutrition. Ces observations sont dignes de l’attention la plus sérieuse, car elles ont servi de point de départ à un nouveau procédé de panification qui, s’opposant à plusieurs fermentations nuisibles, a permis de convertir en pain blanc la substance du grain située sous la partie corticale, et qui ne donnait que du pain bis. On a tiré ainsi de 100 parties de froment 110 de pain blanc au lieu de 94 obtenues généralement aujourd’hui. Une commission de l’Académie des Sciences a constaté la réalité des résultats annoncés par l’auteur; deux commissions nommées par les ministres de la guerre et de l’agriculture s’occupent de résoudre par des opérations en grand la question économique.
  10. Plusieurs faits remarquables, inattendus, ont été récemment constatés à la suite de l’examen approfondi des blés d’Égypte par une commission spéciale. En 1855, cette commission avait observé dans les fromens importés de l’Égypte une odeur à la fois aromatique et sensiblement putride dont on ne parvenait qu’incomplètement à les débarrasser par des nettoyages énergiques, même à l’aide d’un lavage mécanique et d’une rapide dessiccation à l’étuve. L’odeur se retrouva dans les produits de la mouture et de la panification; la farine présentait en outre un caractère tout particulier : le gluten, qu’on n’en pouvait que difficilement extraire, était dépourvu de souplesse, de ductilité et d’élasticité. Attribuant tout d’abord ces défauts au peu de soins dans la récolte, au contact de matières organiques putrescibles durant l’emmagasinage et la conservation, on voulut s’assurer si de pareilles négligences, habituelles dans ces contrées, étaient les causes des phénomènes en question. Grâce au concours empressé de notre administration pour résoudre cet important problème, des blés de diverses localités égyptiennes furent expédiés en gerbes dans des caisses bien closes, exempts de toute substance étrangère qu’auraient pu y introduire le dépiquage sous les pieds des animaux, le séjour sur les bords du Nil ou les emmagasinages prolongés. A leur arrivée en France, ces blés, extraits soigneusement de leurs épis, soumis à des essais de mouture, d’analyse de panification, offrirent encore à peu près au même degré les caractères défavorables qui s’opposent à l’emploi de plus de 5 à 10 pour 100 de leur farine dans les mélanges à pain blanc. Quelle peut être la cause véritable de ces détériorations qui déprécient actuellement les blés d’Égypte? Faut-il les attribuer à une sorte de dégénérescence de la semence antique? dépendraient-ils d’émanations particulières du Nil ou de son limon fécondant? En tout cas, deux expériences proposées par les membres de la commission et maintenant en cours d’exécution semblent devoir jeter de vives lumières sur ce singulier problème : d’un côté, on expérimente en Égypte la culture de plusieurs de nos meilleures variétés de froment; d’un autre côté, on a essayé en France, dans nos bonnes terres, la semence venue d’Égypte avec les caractères précités. Suivant les résultats de cette double expérimentation, on pourra reconnaître s’il serait utile soit de perfectionner les procédés de la culture, soit de changer la semence dans cette contrée.
  11. Les oranges et les citrons, par exemple. L’importation de ces fruits s’est élevée en 1856 à 558,505 kilos. Les importations de fruits desséchés venus d’Afrique se sont élevées la même année à 75,884 kilos. Outre les oranges douces directement comestibles, on trouve en Algérie les oranges amères propres à la préparation de certaines liqueurs. Les fleurs du bigaradier servent dans le pays même à la fabrication d’eaux distillées à odeur suave.
  12. La déplorable manie d’aromatiser les vins en les dénaturant s’est propagée déjà dans quelques crus renommés de la France et de l’Allemagne, où l’on a pensé peut-être mieux assurer leur conservation au détriment des qualités primitives sur lesquelles leur ancienne réputation se fonde : c’est ainsi que l’on rencontre des vins du Rhin contenant une infusion de sauge clarée.
  13. Nous croyons devoir indiquer ici les résultats du concours institué à l’exposition de 1858. Les appréciations, soigneusement faites par MM. Andry et Bois-Duval, aidés par les membres de la commission spéciale de dégustation de la ville de Paris, M. Casterat et ses collègues, ont appris que sur 32 vins blancs envoyés des différentes parties de l’ancienne régence, 13 étaient devenus fortement acides, 10 autres avaient été dénaturés par des infusions de plantes odorantes; il n’en restait que 9 susceptibles d’être classés, tous de la récolte de 1857 : trois d’entre eux ont été distingués par la commission; un seul de qualité supérieure, offrant des garanties de bonne conservation, avait été envoyé par M. Coulon Denis, de Mascara. Parmi les 34 vins rouges qui figuraient à l’exposition, 27 ont dû être éliminés pour cause d’acidité ou de mélange d’infusions aromatiques, 2 seulement méritaient une distinction : l’un avait été envoyé par M. Finaton, d’Oran; l’autre était un vin rancio des vignes du père Brumauld, à Bouffarick. De tous, les meilleurs étaient deux vins de liqueur, l’un de la récolte de 1856, exposé par M. Cabassot; l’autre, provenant des récoltes de 1856 et 1857, obtenu par M. Allemand, de Milianah, et que sa qualité supérieure, son bouquet particulier classaient entre les vins de Madère et de Malaga.
  14. Nous ne pouvons parler ici des alcools considérés comme produits de la viticulture. Les alcools de cette classe n’ont pas figuré au nombre des produits algériens en 1858. On le conçoit, puisque la fabrication de ces alcools suppose la préparation d’un vin blanc de bonne qualité, résultat d’un choix particulier de cépages. Or c’est une base de production qui n’existe pas encore dans nos possessions africaines. Les alcools algériens sont tirés de diverses tiges sucrées, notamment de celles du sorgho. Nous avons déjà eu l’occasion de présenter comme douteux l’avenir de l’exploitation du sorgho en France. Cette année même, la récolte du sorgho comme fourrage a été fort compromise. En Algérie, les conditions sont meilleures, et cette belle plante y serait applicable à divers usages économiques.
  15. Les exportations cette année se sont élevées à plus de 4 millions de kilos. Le commerce général d’exportation s’est exercé en 1856 sur 5,612,820 kilos, dont la valeur s’élevait à 10,103,076 fr., et pour les huiles de graines, à 8,839,346 kil., valant 12,817,032 fr.
  16. Au nombre des applications peu remarquées des huiles d’olive en Algérie, nous pouvons citer ici, sans sortir de notre sujet, la conservation économique des viandes. La méthode algérienne, recommandable surtout au point de vue de la simplicité, consiste à soumettre la chair comestible des animaux récemment abattus et immédiatement dépecés à la température d’un bain d’huile élevée au-delà de 100 degrés, qui suffit pour coaguler les fermens, expulser l’air et vaporiser une partie de l’eau que les tissus animaux contiennent. La substance alimentaire, maintenue ensuite dans des vases clos, est défendue par l’huile interposée et surnageante du contact de l’air et de l’humidité, qui pourraient déterminer des altérations ultérieures, et lorsqu’on veut en faire usage, l’huile qui l’accompagne entre dans la préparation des mets et se trouve ainsi convenablement utilisée. — Un jour viendra, un jour prochain peut-être, où la production animale, plus développée dans notre colonie, pourra subvenir pour une proportion notable à l’accroissement graduel de notre consommation en France, et alors les différens procédés de conservation y joueront un rôle important.
  17. Nous avons reçu de l’Algérie, pendant l’année 1856, une quantité de peaux brutes et de laine représentant une valeur qui dépasse 6,000,000 de kilos déjà ; des quantités plus grandes, pour une valeur plus considérable encore, nous sont venues des états barbaresques.
  18. Le prix de l’avoine notamment se maintiendra fort élevé jusqu’à la récolte de l’année 1859, et malheureusement tous les essais entrepris en vue d’y substituer d’autres grains moins dispendieux dans la ration alimentaire des chevaux n’ont eu, sous notre climat, que d’assez insignifians résultats. On est seulement parvenu à remplacer la moitié de la ration d’avoine par un poids égal d’orge, et l’on a pu éviter la déperdition d’une grande partie des grains de cette dernière céréale qui échappaient à la dent des animaux, en la laissant tremper dans l’eau pendant vingt-quatre heures, avant de la réunir à la demi-ration d’avoine. Les agriculteurs anglais ont obtenu des résultats plus satisfaisans dans la nourriture et même l’engraissement des animaux en laissant l’orge ainsi humectée en tas jusqu’à ce que le commencement de la germination s’y manifestât à l’un des bouts du grain par un point blanchâtre, annonçant les premiers développemens de la radicule.
  19. Relativement aux détails de ces diverses cultures et à l’énumération complète des plantes qui les composent, on pourra consulter avec fruit la publication toute récente faite par la Société centrale d’agriculture d’une notice de M. Bailly, son correspondant