De Mazas à Jérusalem/1/Histoire de brigands

Chamuel (p. 12-15).
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I. — Malfaiteur


HISTOIRE DE BRIGANDS


Un bruit de clefs. La porte s’ouvre. Le juge d’instruction m’envoie chercher.

Une suite d’escaliers, de couloirs, de longs corridors. Un garde municipal me sert de guide et, pour que je ne le perde pas sans doute dans ce dédale, il a la délicate attention de me passer le cabriolet. Encore des escaliers, des couloirs… nous arrivons dans l’étroite salle d’attente qui précède les cabinets des magistrats instructeurs. En face de nous une plaque avec ces mots : M. Anquetil, juge.

Nous pénétrons chez ce magistrat. Qu’inventera-t-il ?

Le personnage est effondré dans un fauteuil, l’air vanné. Il me fait lire par un greffier un long factum m’imputant ce crime : je suis affilié à une bande de malandrins.

Au moins je sais à quoi m’en tenir. La trouvaille est originale. Et, comme je ne bronche pas, l’Anquetil, mâchonnant ses mots, m’interpelle :

— On a saisi chez vous des journaux révolutionnaires, des papiers… nous avons des preuves.

— Vraiment ?

— Il y a même une liste — une liste d’adresses !

Triomphalement il me la met sous les yeux ; c’est le répertoire des abonnés du journal !..

— Une liste d’adresses, insiste-t-il en agitant son papier, c’est grave. Pourquoi nier ?

— Je me le demande.

— D’ailleurs vos articles promettaient, vous avez tenu. Nous vous guettions. Nous établirons vos rapports avec des gens compromis. Vous expédiez de l’argent à des familles sans aveu. C’est concluant. Qu’avez-vous à répondre ?

— Rien.

Non, rien ! Car ce serait être dupe une fois de plus et cette fois-là ridiculement que de se prêter à ce jeu, que de croire à un reste de loyauté chez ces magistrats au regard fuyant qui vous interrogent… et qu’on juge.

Rien à répondre, rien jamais !

Car ces individus vous assaillent par ordre, car vos répliques mêmes — astucieusement dénaturées — échafauderaient le réquisitoire.

— Maintenant voilà le procès-verbal : signez.

— Non.

— Garde, faites sortir l’accusé.

Et le magistrat tend au garde un billet ainsi conçu :

« Nous, Anquetil, juge d’instruction au tribunal de première instance, mandons et ordonnons à tous agents de la force publique de conduire en la maison d’arrêt de Mazas :

» Zo d’Axa, 27 ans,
» inculpé d’Association de malfaiteurs. »