De Mazas à Jérusalem/1/L’arrestation

Chamuel (p. 6-11).
I. — Malfaiteur


I

MALFAITEUR



L’ARRESTATION


Tout cela s’est passé très vite. Un vendredi d’avril — huit jours avant le 1er mai ! À cinq heures du matin, coup de sonnette à mon domicile, tapage dans les escaliers, envahissement de mon logement : c’est la police qui vient perquisitionner.

Les papiers sens dessus dessous, on cherche des armes dans le bureau ; la vaisselle dérangée, on veut de la dynamite dans le bahut de la salle à manger.

Bref, pour ne pas partir les mains nettes, ces messieurs de la mission — ils sont douze — font une rafle de lettres d’amis, s’emparent de quelques manuscrits au hasard et choisissent parmi les publications qu’ils trouvent celles dont la couverture est rouge.

La perquisition n’était du reste qu’une préface. À présent, l’arrestation. Nous filons en fiacre au Dépôt.

Réception plutôt caractéristique. Les agents me mènent à une façon de kiosque vitré où griffonnent sur des registres trois gardiens en uniforme. Nous attendons dans une vaste salle aux murs en pierre de taille, devant le guichet du kiosque. Tout à coup l’un des gardiens à figure congestionnée lève la tête, le képi sur le coin de l’oreille :

— Découvrez-vous, me crie-t-il brusquement.

— Pour qui ?

— Ah ! c’est comme ça, nous verrons. Cachot. Pain sec. Me saluerez-vous ?

— Je ne crois pas.

— Emmenez-le ! gueule-t-il tout agité sur son rond de cuir.

Ça s’annonce bien. La cellule dans laquelle on m’enferme pleure d’humidité sur les murs, le lit est sans paillasse, la chaise est grasse ; il faut marcher de long en large dans un espace de trois mètres.

Ainsi donc ce n’est pas un rêve. Je suis en prison. J’ignore quelle accusation on tente de faire peser sur moi ; mais enfin il ne peut-être question que de notre Endehors. Correctionnelle et cour d’assises ne suffisent plus : en me séquestrant, on veut l’étrangler aujourd’hui… Une coïncidence fait que, ces jours prochains, ce sera son anniversaire !

En mon esprit je le fêterai.

Nous pouvons regarder en arrière. La lutte ne s’est pas faite contre des moulins à vent. L’escarmouche éclaira la route, et des campagnes portèrent. Tous les journaux durent venir à la rescousse quand nous lançâmes ce cri pour un forçat, pour ce malheureux Reynier que de lâches rancunes et de judiciaires complicités retenaient depuis huit ans dans les chiourmes de l’île Nou, en châtiment d’un crime commis par deux compères dont l’un est conseiller municipal et l’autre prêtre.

Hier encore, c’était pour les petits, pour les enfants des « compagnons » détenus ; il s’agissait de ne pas laisser mourir de faim les mioches dont la Société frappe implacablement les pères parce qu’ils sont des révoltés. Notre appel ne fut pas vain : des gueux donnèrent les sous qu’ils avaient et tout ce qui porte beau un nom dans la littérature et dans les arts s’inscrivit en la volonté de tendre la main aux plus faibles.

Ceci réapparaît à l’esprit, s’impose et n’est pas puéril…

Et je pense encore aux camarades désintéressés qui bataillent avec nous, en avant-garde, à ces fils de bourgeois qui auraient pu couler béatement leur vie et qui ont préféré le combat pour l’Idée et pour la joie ; je pense à ces déserteurs de la bourgeoisie passés avec leur plume et leur vaillance du côté des opprimés. Une sorte d’exaltation me prend ; ce m’est bon de me souvenir et combien peu m’importe, en ce moment, ce stage sous les verrous si mes camarades restent libres et d’aplomb — s’ils me gardent mon poste pour bientôt.