David Copperfield (Traduction Pichot)/Seconde partie/Chapitre 9

Traduction par Amédée Pichot.
Bureaux de la Revue britannique (2p. 192-224).

CHAPITRE IX.

Je fais choix d’une profession.


À mon réveil, le lendemain matin, je pensai encore à la petite Émilie et à son agitation extraordinaire quand Martha avait quitté la maison de Mrs Barkis. Il me sembla que c’était par une confidence sacrée que j’avais été admis au secret de cette scène domestique, et que le révéler, même à Steerforth, serait une trahison. La charmante créature qui avait été ma compagne d’enfance, m’inspirait toujours le sentiment le plus tendre ; oui, je suis persuadé que je l’aimais alors d’amour, mais d’un amour pur qui n’avait rien perdu de l’innocence de nos jeunes années. Je voulais conserver avec toute sa grâce enfantine, cette chaste image dans le silence de mon cœur !

Pendant le déjeuner, je reçus une lettre de ma tante. Elle me parlait de choses sur lesquelles je croyais que Steerforth pouvait me conseiller aussi bien que personne au monde, et je résolus d’attendre que nous fussions en route pour mettre sur le tapis ce texte de discussion. Jusque-là, nous avions bien assez de prendre congé de tous nos amis. M. Barkis ne fut pas celui qui témoigna le moins de regrets sur notre départ ; je crois qu’il eût de nouveau puisé dans son coffre et sacrifié une autre guinée, s’il l’avait fallu, pour nous retenir quarante-huit heures de plus à Yarmouth. Je ne parle pas du chagrin de Peggoty, de M. Daniel son frère, de Cham et de toute la famille ; mais toute la boutique et tout l’atelier de MM. Omer et Joram voulurent nous souhaiter un bon voyage, et quand nous nous rendîmes à la diligence, si nous avions eu avec nous tous les porte-manteaux d’un régiment en campagne, nous n’aurions pas manqué de porteurs pour s’en charger parmi les mariniers qui s’empressèrent autour de Steerforth. En un mot, nous laissâmes tous nos amis et toutes nos connaissances dans l’admiration et dans les regrets.

« — Demeurerez-vous ici long-temps après nous ? » demandai-je à Littimer, qui attendait, debout, que la diligence se mît en mouvement.

« — Non, Monsieur, pas très long-temps, probablement, » répondit-il.

« — Il ne peut encore le dire positivement, » observa Steerforth d’un air insouciant. « Il sait ce qu’il a à faire et il le fera.

» — C’est ce dont je suis bien certain, » répliquai-je.

Littimer posta la main à son chapeau en signe de remerciement pour la bonne opinion que j’avais de lui, et je crus que j’étais redevenu un petit garçon de huit ans. Il fit une seconde fois le même salut lorsqu’il nous souhaita un bon voyage, et nous le laissâmes debout sur le trottoir, mystère aussi respectable qu’aucune des pyramides d’Égypte.

Pendant quelque temps nous n’eûmes pas de conversation, Steerforth était silencieux contre son habitude, et moi je me livrais à mes rêveries, me demandant si je reverrais encore les lieux que nous venions de quitter et si je les retrouverais toujours les mêmes. À la fin, Steerforth passa de sa taciturnité à son humeur causeuse, ce qui était si facile à son charmant caractère, et, me touchant le bras :

« — David, » me dit-il, « avez-vous perdu la voix ? Quelle est donc cette lettre dont vous m’avez parlé en déjeunant ?

» — Ah ! » répondis-je en la tirant de ma poche, « c’est une lettre de ma tante.

» — Et que dit-elle qui mérite d’être pris en considération ?

» — Ma tante, mon cher Steerforth, me rappelle que j’ai entrepris ce voyage pour me reconnaître, m’orienter et réfléchir un peu.

» — Ce que vous avez fait nécessairement.

» — Ma foi ! je ne sais trop… ou plutôt, à parler vrai, j’ai peur de l’avoir oublié.

» — Eh bien ! reconnaissez-vous à présent, orientez-vous et réparez votre négligence, » dit Steerforth. « Regardez à droite, vous verrez un pays plat, avec pas mal de marécages ; regardez à gauche, c’est la même chose ; regardez là, devant vous, aucune différence ; regardez derrière vous, et c’est encore comme à droite, comme à gauche et comme là devant vous.

» — Ma foi ! » répondis-je en riant, « j’ai beau regarder, je ne vois aucune profession… ce qui tient peut-être à la platitude du pays.

» — Et que dit là-dessus notre tante ? suggère-t-elle quelque chose ? » me demanda Steerforth en donnant un coup d’œil à la lettre que j’avais dans la main.

« — Mais oui, elle désire savoir si je n’aimerais pas à être un proctor ? Qu’en pensez-vous ?

» — Je ne sais pas trop, » répliqua Steerforth froidement ; « autant être un proctor qu’autre chose. »

Je ne pus m’empêcher de rire encore en voyant avec quelle impartialité indifférente il tenait la balance entre toutes les professions.

« — Et qu’est-ce qu’un proctor, Steerforth ? » lui dis-je.

« — Un proctor, » me répondit-il, « est une espèce de procureur[1] monacal. Il y a, dans un vieux coin de rue, près du cimetière Saint-Paul, certains tribunaux surannés qu’on appelle Doctors’ Commons… Un proctor est, dans ces tribunaux, ce que les avoués[2] sont dans les cours de droit civil et d’équité. C’est un fonctionnaire dont l’existence, d’après le cours naturel des choses, aurait dû se terminer il y a deux siècles environ. Je vous expliquerai mieux ce qu’est un proctor, en vous expliquant ce qu’est la cour des Doctors’ Commons, cour d’une autre époque, où l’on administre ce qu’on appelle la loi ecclésiastique, et où l’on mystifie les clients avec d’antiques actes du Parlement dont les trois quarts du monde n’ont jamais ouï parler et que l’autre quart suppose avoir été exhumés à l’état fossile sous le règne des Édouards. C’est une cour exerçant un vieux monopole sur tous procès qui résultent des testaments, des contrats de mariage, et de disputes entre navires et bateaux.

» — Quelle absurdité, Steerforth ! » m’écriai-je. « Prétendriez-vous dire qu’il y a la moindre affinité entre les affaires maritimes et les affaires ecclésiastiques ?

» — Je ne prétends nullement dire cela, mon cher, » répondit Steerforth ; « tout ce que je prétends vous apprendre, c’est que ces affaires, de natures si diverses, sont arbitrées et jugées par les mêmes personnes dans ladite cour des Doctors’ Commons. Entrez-y aujourd’hui, vous trouverez ces doctes personnes appliquant à tort et à travers la moitié des termes de l’argot nautique contenu dans le Dictionnaire de Young, à propos du bateau la Nancy qui a coulé à fond le bateau la Sarah-Jane, ou à propos de M. Peggoty et des mariniers de Yarmouth, qui sont allés porter un câble et une ancre de secours au Nelson, navire de la Compagnie des Indes surpris par un grain. Allez-y demain, vous les trouverez interrogeant des témoins à charge et à décharge, relativement à un ecclésiastique qui s’est mal conduit ; seulement, le juge du cas maritime et l’avocat du cas ecclésiastique auront changé de rôles. Ces Messieurs sont comme les acteurs : aujourd’hui un homme est juge, et demain il ne l’est plus ; aujourd’hui une chose, demain une autre, changeant sans cesse, mais toujours bien payé sur ce petit théâtre à part, où l’on joue devant un public spécial et choisi.

» — Mais les advocates (avocats) et les proctors (procureurs) ne sont pas identiquement une seule et même personne dans la cour des Doctors’ Commons ? » dis-je un peu intrigué et comprenant difficilement l’énigme de cette juridiction originale.

« — Non, » répondit Steerforth, « les advocates sont des jurisconsultes qui ont pris un grade de docteur à l’un de nos collèges d’Oxford ou de Cambridge ; voilà pourquoi je sais un peu ce que c’est. Les proctors ou procureurs de la cour des Doctors’ Commons, procurent ou portent des causes aux avocats de la même cour. Les uns et les autres reçoivent de très confortables honoraires, et ils forment une compagnie fort convenablement lotie. Tout bien considéré, David, je vous engagerais à pencher pour le droit canonique et les Doctors’ Commons. Les proctors se targuent d’être des gens comme il faut, je puis vous le garantir, si c’est pour vous un attrait de plus. »

Je fis la part de la plaisanterie en écoutant cette explication de Steerforth, et je me sentis assez bien disposé pour la suggestion de ma tante, qui me laissait d’ailleurs entièrement libre dans mon choix, ne se faisant aucun scrupule d’ajouter que cette idée lui était venue dans une visite qu’elle avait faite à son proctor de la cour des Doctors’ Commons, exprès pour y rédiger son testament en ma faveur.

« — À tout événement, » me dit Steerforth lorsque je lui eus fait part de cette circonstance, « c’est un procédé parfait de notre tante, un procédé qui mérite toute sorte d’encouragements. Pâquerette, mon avis est que vous vous décidiez pour le droit canonique. »

Je me décidai, en effet, à tourner mes vues de ce côté-là. J’appris aussi à Steerforth que, dans sa lettre, ma tante m’annonçait qu’elle était elle-même à Londres ; elle m’y attendait, ayant arrêté un appartement pour une semaine dans un hôtel particulier de Lincoln’s-Inn-Fields, où il y avait un escalier en pierre et une porte d’évasion sur les toits : Miss Betsey Trotwood étant fermement persuadée que toutes les maisons de bois de Londres risquaient chaque nuit d’être la proie de l’incendie.

Nous achevâmes notre voyage agréablement, et la conversation fut parfois ramenée au droit canon et aux cours ecclésiastiques. Steerforth trouva de ravissantes plaisanteries qui nous firent mourir de rire pour anticiper sur l’époque où je serais un respectable procureur !

Arrivés à Londres, nous nous séparâmes. Steerforth se rendait chez sa mère, où il m’engagea à aller le rejoindre trois jours après ; et moi, je me dirigeai vers Lincoln’s-Inn-Fields. Je trouvai ma tante qui attendait le souper.

Aurais-je fait le tour du monde depuis que nous nous étions vus, nous n’aurions guère été plus charmés de nous revoir. Ma tante pleura en m’embrassant, et dit, prétendant qu’elle riait, que si ma pauvre mère avait vécu, cette petite mère étourdie aurait versé des larmes… elle en était bien sûre.

« — Ainsi donc, » lui dis-je, « ma tante, vous avez laissé M. Dick à Douvres. J’en suis fâché… Ah ! Jeannette, vous voilà ; comment allez-vous ? »

Pendant que Jeannette me demandait à son tour des nouvelles de ma santé, j’observai que le visage de ma tante s’allongeait.

« — J’en suis fâchée aussi, » me répondit-elle en se grattant le nez ; « je n’ai pas l’esprit en repos, Trot, depuis que je suis ici. »

Prévenant la question affectueuse que j’allais lui adresser, elle ajouta en posant mélancoliquement sa main droite sur la table :

« — Je suis convaincue que Dick n’est pas d’un caractère à empêcher les ânes de passer sur ma pelouse : il manque de la fermeté nécessaire. J’aurais dû laisser Jeannette à sa place, et je serais peut-être plus tranquille. Ah ! » dit-elle avec émotion, « je suis assurée qu’un âne a empiété sur le gazon aujourd’hui même ; à quatre heures de l’après-midi, un frisson m’a glacée de la tête aux pieds… je sais que c’était un âne ! »

J’essayai vainement de la consoler sur cet article et de réfuter son pressentiment.

« — Non, non, » répéta-t-elle, « c’était un âne ! celui-là même avec la queue mutilée qui servait de monture à cette méchante sœur de M. Murdstone le jour de leur visite. S’il est à Douvres un âne plus audacieux, plus provoquant et plus entêté que les autres, c’est cet âne-là ! » s’écria ma tante en frappant du poing sur la table.

Jeannette hasarda aussi de prétendre que ma tante se créait des inquiétudes sans aucun fondement, puisqu’elle croyait savoir que l’âne en question était en ce moment employé à charrier du gravier et du sable, ce qui rendait difficile qu’il passât sur la pelouse… Ma tante ne voulut rien entendre.

Le souper fut bien servi et servi chaud, quoique ma tante eût son appartement à l’étage le plus élevé de l’hôtel, soit qu’elle voulût avoir le plus d’escalier de pierre possible pour son argent, soit pour se trouver plus près de l’issue pratiquée sur les toits ; je l’ignore ; mais je répète que le souper était excellent : je lui fis honneur. Quant à ma tante, elle mangea peu : elle avait ses préjugés sur les comestibles de Londres ; elle toucha à peine au beefsteak, au poulet rôti et aux légumes, qui me trouvèrent moins difficile.

« — Je suppose, » dit-elle, « que cet infortuné poulet est né et a été élevé dans une cave ; il n’aura jamais pris l’air que sur l’emplacement d’une station de fiacres. Quant au beefsteak, j’espère que c’est de la viande de bœuf ; je l’espère, sans le croire. Rien n’est naturel dans cette ville, excepté la boue.

» — Ne pensez-vous pas, ma tante, » lui répondis-je, « que la volaille peut bien être venue de la campagne ?

» — Certainement non, » reprit-elle ; « un marchand de Londres serait bien fâché de vendre une chose qui serait la chose qu’il annonce. »

Je me gardai bien de contredire cette opinion qui ne m’empêcha pas de satisfaire un vigoureux appétit, et ma tante n’en fut pas moins enchantée de voir comme je soupais.

La nappe ayant été enlevée, Jeannette aida ma tante à arranger ses cheveux, à mettre sa coiffe de nuit et à faire l’espèce de toilette habituelle qui précédait son coucher. Son autre habitude invariable était de prendre un verre de vin blanc chaud trempé d’eau et sucré, dans lequel elle mouillait quelques rôties de pain. Ce fut moi qui lui préparai cette libation domestique, et, pendant qu’elle la dégustait, je m’assis en face d’elle pour lui tenir compagnie.

« — Eh bien ! Trot, » me dit-elle en me contemplant de son regard le plus bienveillant, « que pensez-vous de mon idée sur l’état de proctor ? c’est-à-dire y avez-vous déjà pensé ?

» — J’y ai beaucoup pensé, ma chère tante, et j’en ai beaucoup causé avec Steerforth ; c’est une idée qui me sourit, qui me sourit on ne peut davantage.

» — Allons, » répondit-elle, « cela me fait plaisir.

» — Je ne vois qu’une difficulté, ma tante.

» — Voyons, quelle est-elle ?

» — Je voudrais savoir, ma tante, si, cette profession étant une profession privilégiée, il ne serait pas très dispendieux de vouloir y entrer.

» — Il en coûtera, pour vous faire admettre comme stagiaire chez un proctor, la somme de mille livres sterling (25, 000 fr.)

» — Eh bien ! ma chère tante, c’est là ce qui me préoccupe et m’inquiète, » repris-je en rapprochant ma chaise de la sienne ; « n’est-ce pas une grosse somme ? vous n’avez rien épargné pour mon éducation, et vous avez été en tout, à mon égard, aussi libérale que possible. En vérité, vous avez été la générosité même. Réfléchissez donc, ma seconde mère, si ce n’est pas trop faire que de dépenser mille livres sterling. N’y a-t-il pas d’autres carrières que je pourrais entreprendre à moins de frais et avec plus de certitude pour les résultats ? »

Ma tante finissait sa dernière rôtie de pain trempée dans le vin blanc ; ayant posé son verre sur la cheminée, elle croisa les mains contre sa robe retroussée à demi jusqu’à la ceinture pour mieux se chauffer, et me répondit gravement :

« — Trot, mon enfant, je n’ai plus d’autre but dans la vie que de vous faciliter les moyens d’être un homme de bien, un homme de sens et un homme heureux ; c’est mon but, je le répète, et c’est le but aussi de Dick ; je voudrais que certaines gens de ma connaissance entendissent Dick sur ce chapitre : sa sagacité est merveilleuse ; mais il n’y a que moi qui connaisse les ressources intellectuelles de cet homme. »

Elle fit une pause pour prendre mes mains dans les siennes, et continua en ces termes :

« — Il est inutile, Trot, de rappeler le passé, à moins qu’il n’ait quelque influence sur le présent ; peut-être aurais-je dû me montrer une meilleure amie de votre pauvre père ; peut-être aussi, après que votre sœur Betsey Trotwood eut désappointé mes espérances, aurais-je dû me montrer une meilleure amie de votre pauvre mère, qui n’était elle-même qu’une enfant. Lorsque vous vîntes à moi, petit garçon fugitif, tout sale de poussière et exténué de fatigue, ce fut un reproche que je m’adressai peut-être. Quoi qu’il en soit, depuis ce temps-là jusqu’à ce jour, Trot, vous avez répondu à mes soins, vous avez été ma consolation et mon orgueil ; je n’ai pas d’autre personne qui puisse prétendre à ce que je possède, ou du moins… (Ici je fus surpris de son hésitation et de l’air embarrassé de sa physionomie ; mais elle reprit) : Non, personne n’a de droits sur ce que je possède… et vous êtes mon fils adoptif. Soyez seulement un tendre fils pour ma vieillesse, supportez les caprices et les bizarreries d’une vieille femme qui aurait pu être plus heureuse ou plus conciliante dans sa jeunesse, et vous aurez plus fait peut-être pour elle, que cette vieille femme ne fit jamais pour vous. »

C’était la première fois que j’entendais ma tante faire allusion à l’histoire de sa jeunesse. Il y avait dans ce retour sur le passé, un calme, une impartialité, une magnanimité qui auraient augmenté mon respect et mon affection, si cela eût été possible.

« — Tout est bien convenu entre nous, tout est bien compris à présent, Trot, » poursuivit ma tante ; « nous n’en parlerons plus, embrassez-moi, et nous nous rendrons demain matin ensemble à la cour ecclésiastique après notre déjeuner. »

Avant de nous coucher, nous causâmes longuement encore. Ma chambre était sur le même palier que la sienne. Dans le cours de la nuit, je fus deux ou trois fois réveillé par quelqu’un qui frappait à ma porte : c’était ma tante, réveillée elle-même par le bruit lointain des roues d’un fiacre ou d’une voiture de marché : « Trot, » me demandait-elle, « avez-vous entendu, n’a-t-on pas crié au feu ! n’est-ce pas le bruit des machines à incendie ! » Vers le matin, elle dormit d’un sommeil plus paisible et ne troubla plus le mien.

Aux environs de l’heure de midi, nous partîmes pour l’étude de MM. Spenlow et Jorkins, dans le quartier des Doctors’ Commons. Ma tante ayant encore cette opinion contre Londres en général, que tout homme qui la coudoyait dans la rue était un filou, me confia sa bourse, laquelle contenait des guinées et quelque menue monnaie en argent.

Nous fîmes une halte au fameux magasin de jouets, dans Fleet-Street, pour y attendre le coup de midi et voir les deux géants de l’église de Saint-Dunstan frapper sur la cloche d’horloge. Nous nous dirigeâmes de là sur Ludgate-Hill et le cimetière Saint-Paul. Nous traversions la rue, lorsque je vis soudain ma tante accélérer le pas avec un air tout effaré. Je remarquai en même temps qu’un homme mal vêtu, qui nous avait regardés avec attention le moment d’auparavant, nous avait suivis et s’approchait d’elle de manière à froisser sa robe.

« — Trot, mon cher Trot, » me dit-elle tout bas avec une voix tremblante et en me serrant le bras, « je ne sais que faire !

» — N’ayez pas peur, » lui répondis-je, « il n’y a rien qui doive vous alarmer ; entrez dans un magasin, et je me serai bientôt débarrassé de cet homme !

» — Non, non, mon enfant, » reprit ma tante, « ne lui parlez pas… pour rien au monde : je vous en supplie, je vous le défends.

» — Bonté du ciel ! ma tante ! mais ce n’est qu’un grossier mendiant comme il y en a tant !

» — Vous ne savez pas qui c’est, » dit ma tante, « vous ne le savez pas, et vous parlez sans savoir. »

Nous nous arrêtions en ce moment sous une porte et l’homme s’arrêtait aussi.

« — Ne le regardez pas, » murmura ma tante en me voyant tourner la tête avec indignation ; « mais allez me chercher un fiacre, et attendez-moi dans le cimetière Saint-Paul. »

» — Vous attendre ! » répétai-je.

« — Oui, » répondit ma tante, « il faut que j’aille avec lui, seule avec lui.

» — Avec lui, ma tante ! avec cet homme !

» — J’ai toute ma tête, » reprit-elle, « il le faut… procurez-moi un fiacre et rendez-moi ma bourse. »

Quelqu’étonné que je fusse, je compris que je n’avais pas le droit de désobéir à un ordre si péremptoire… J’allai au plus vite, en descendant la rue, vers une station de voitures ; heureusement, à quelques portes plus loin, passait un fiacre vide auquel je fis signe et que j’amenai à ma tante ; elle se précipita dans l’intérieur, avant que j’eusse déployé complètement le marchepied, et l’homme y monta après elle. Elle me fit un geste de la main pour que je m’éloignasse, et, subjugué par ce geste, je m’éloignais en effet, lorsque j’entendis encore ma tante dire au cocher… « Où vous voudrez… droit devant vous. » À ces mots les chevaux partirent, et le fiacre me dépassa dans la direction de Saint-Paul.

Je me rappelai alors ce que M. Dick m’avait raconté, et ce qui m’avait paru une illusion de ses sens m’apparut comme une réalité. Impossible de douter que cet homme ne fût l’individu dont M. Dick m’avait parlé si mystérieusement ; mais quelle était la nature de son influence sur ma tante ? c’était ce que je ne pouvais deviner. Après m’être promené pendant une heure sur la place, je vis le fiacre revenir ; le cocher s’arrêta à côté de moi, et ma tante était seule.

Elle était encore trop agitée de cette rencontre pour se croire préparée à la visite que nous allions faire, elle me dit de monter auprès d’elle, après avoir ordonné au cocher de prendre un détour et de nous conduire le plus lentement possible aux Doctors’ Commons. Pendant ce trajet, elle coupa court aux questions que j’allais lui faire en me disant : « Mon cher Davy, ne me demandez jamais qui était cet homme, et évitez toute allusion à ce qui vient de se passer. » Quand nous descendîmes du fiacre, elle était complètement remise de son émotion, et elle me donna sa bourse pour payer le cocher. Je m’aperçus tout d’abord que toutes les guinées étaient parties ; il n’y avait plus que les shellings et la menue monnaie.

L’édifice des Doctors’ Commons a pour entrée une petite porte voûtée basse : avant de la franchir, nous nous vîmes désertés par le bruit de la cité qui semblait reculer au loin ; nous traversâmes quelques cours assez tristes et d’étroites ruelles pour arriver à l’étude de MM. Spenlow et Jorkins. Dans le vestibule de ce temple, situé au grand jour et accessible aux pèlerins sans la cérémonie de frapper à la porte, trois ou quatre clercs noircissaient du papier en qualité de copistes. Un de ces scribes, petit homme sec, installé à un pupitre isolé des autres, et dont la perruque brune avait une teinte de pain d’épice, se leva pour recevoir ma tante et nous introduire dans le cabinet de M. Spenlow.

« — M. Spenlow est à la cour ecclésiastique ; » dit le petit homme sec : « c’est un jour de séance ; mais il n’y a pas loin, et je vais l’envoyer chercher immédiatement. »

Tandis qu’on allait quérir M. Spenlow, nous pouvions, en toute liberté, regarder autour de nous, et je profitai de l’occasion. L’ameublement du cabinet était antique et poudreux, la serge verte qui décorait le bureau à écrire avait perdu sa couleur primitive et avait passé à la teinte pâle d’une feuille étiolée ; on voyait sur la tablette maintes liasses de papiers, les unes étiquetées allégations, les autres, à ma grande surprise, libelles. La suscription indiquait tantôt une cause de la Cour consistoriale, tantôt une cause de la Cour des Arches, ou de la Cour des prérogatives, ou de la Cour de l’Amirauté, ou de la Cour des délégations. « Que de cours et quel temps il me faudra, pensai-je, pour être au courant de tous les détours de ce labyrinthe ! » Je remarquai d’immenses registres manuscrits intitulés : livres de témoignages, solidement reliés et attachés ensemble par séries massives, une série pour chaque cause, comme si chaque cause composait une histoire en dix ou vingt volumes in-folio ! Tout cela avait l’air d’une complication dispendieuse et me donnait une singulière idée de la profession d’un proctor. Je parcourais d’un œil curieux les étiquettes de cet arsenal du droit canon d’Angleterre, quand des pas pressés résonnèrent dans le vestibule contigu, et M. Spenlow, en robe noire bordée d’hermine ou d’une fourrure blanche, entra d’un air effaré, se découvrant pour nous saluer.

C’était un petit homme blond, chaussé de bottes bien cirées, portant le plus empesé des cols de chemises, la plus raide des cravates, son frac boutonné jusqu’au-dessus de la poitrine, propre, soigné dans toute sa toilette, et qui devait même friser très artistement ses favoris. Je soupçonne qu’un corset lui serrait la taille, tant elle était droite, tant il avait peine à se pencher, étant forcé, lorsqu’assis sur son fauteuil il voulait examiner un des papiers accumulés sur son bureau, de se mouvoir tout d’une pièce comme Polichinelle. Sa montre, à laquelle il donna un coup d’œil durant notre visite, était attachée à une chaîne d’or si lourde qu’elle aurait pu servir de chaîne d’huissier appariteur.

Ma tante l’avait prévenu de ce qui nous amenait, et à peine m’eut-elle présenté à lui, qu’il me dit d’un air courtois :

« — Ainsi donc, M. Copperfield, vous avez l’intention de suivre notre carrière ? J’avais par hasard informé Miss Trotwood, la dernière fois que j’eus le plaisir d’une entrevue avec elle, que nous avions ici une place vacante. Miss Trotwood fut assez bonne pour mentionner qu’elle avait un neveu, objet de sa sollicitude particulière, et à qui elle désirait procurer une profession distinguée. C’est ledit neveu, je pense, que j’ai le plaisir de… » Sa pantomime acheva seule la phrase, c’est-à-dire qu’il me fit son salut à la Polichinelle.

Je saluai en retour et répondis qu’en effet ma tante m’avait proposé d’être proctor. Je supposais que cette profession me plairait, je ne doutais même pas qu’elle ne me plût beaucoup, mais que toutefois je ne pouvais l’assurer positivement avant d’en avoir une idée : pour la forme du moins, j’espérais donc qu’il me serait loisible de ne signer un engagement irrévocable qu’après un essai préalable.

« — Oh ! certainement, certainement ! » dit M. Spenlow ; « invariablement, dans cette maison, nous proposons un mois, un mois de noviciat initiatoire. Je serais très heureux en mon particulier de proposer deux mois… trois, une période indéfinie… mais j’ai un associé, M. Jorkins…

» — Et la somme à compter, » repris-je, « est de mille livres sterling.

» — Oui, de mille livres sterling, le timbre compris, » dit M. Spenlow. « Comme je l’ai exprimé à Miss Trotwood, je ne suis inspiré par aucune considération mercenaire : il est peu d’hommes qui consultent moins que moi un tel mobile ; mais M. Jorkins a ses opinions sur cette matière, et je suis tenu de respecter les opinions de M. Jorkins. Bref, M. Jorkins estime que mille livres sterling sont trop peu.

» — Je suppose, Monsieur, » dis-je, désirant toujours ménager la bourse de ma tante, « que si un clerc admis à l’étude se rendait particulièrement utile, s’il acquérait les connaissances qu’exige l’exercice de la profession (ici je rougis en paraissant me louer moi-même…), je suppose. Monsieur, » répétai-je, « que pendant la dernière année de son stage… ce n’est pas la coutume de lui allouer aucun… »

Par un grand effort, M. Spenlow, dégageant assez sa tête de sa cravate pour la secouer en signe négatif, répondit sans me laisser prononcer le mot de salaire :

« — Non. Je ne vous dirai pas ce que je ferais sur cet article, moi-même, M. Copperfield, si je n’étais pas lié par mon associé ; mais M. Jorkins est inébranlable. »

Je fus tout-à-fait découragé par l’évocation réitérée de ce terrible M. Jorkins. Je sus par la suite que c’était un homme d’un caractère doux, facile à vivre, aimant le repos, et dont le rôle dans la société qui portait son nom uni à celui de M. Spenlow, était de se tenir à l’arrière-plan et d’être représenté sans cesse comme le plus opiniâtre et le plus intraitable des hommes. Un clerc demandait-il une augmentation d’appointements, M. Jorkins refusait absolument d’écouter une proposition pareille. Un client était-il en retard pour solder son mémoire, M. Jorkins exigeait un paiement immédiat ; quoi qu’il en coûtât aux sentiments de M. Spenlow, et c’était toujours, en effet, pour lui un cas pénible, M. Jorkins n’entendait pas raison. Ce bon ange, appelé M. Spenlow, aurait toujours ouvert à tous son cœur et sa main, sans ce démon farouche appelé M. Jorkins. En acquérant des années et l’expérience de la vie, je crois avoir connu d’autres maisons fondées sur le principe qui servait de base à l’association de Spenlow et Jorkins.

Il fut arrêté que je commencerais mon mois d’épreuve aussitôt que je le voudrais. Inutile à ma tante de demeurer en ville ou d’y revenir pour signer les articles de notre convention, puisqu’ils pouvaient très bien être envoyés à sa signature à Douvres. Une fois d’accord sur ce point, M. Spenlow offrit de me faire parcourir les lieux, afin de me montrer déjà leur aspect extérieur. J’étais si impatient de les connaître, que j’acceptai, et nous laissâmes ma tante qui dit ne vouloir se risquer à aucun prix en une semblable excursion : je crois vraiment qu’elle regardait toutes les cours de justice comme une espèce de poudrière ou de manufacture de poudre qui pouvait sauter au moment où l’on s’y attendait le moins.

M. Spenlow me conduisit à travers une cour pavée, formée par des maisons en briques, et en voyant les noms des Docteurs gravés sur les portes, je conclus que là devait être l’habitation officielle de ces savants légistes et avocats dont Steerforth m’avait entretenu. À main gauche une large salle assez sombre me parut ressembler à une chapelle ; la plus haute extrémité de cette salle était séparée du reste par une barrière, et c’était là que, sur une plate-forme en fer à cheval, siégeaient, sur de commodes fauteuils dans le vieux style, divers Messieurs en robes rouges et perruques blanches, qui se trouvèrent être les Docteurs ci-dessus qualifiés. Penché sur un pupitre dans la courbe du fer à cheval, je distinguai des autres un vieux monsieur clignotant, que j’aurais pris pour un hibou dans une volière et qui était le juge-président. Plus bas, au-dessous des Docteurs, au niveau du parquet, autour d’une longue table verte, je vis plusieurs personnages du rang de M. Spenlow, vêtus comme lui de robes noires à fourrures, en cravates généralement raides et à l’air hautain ; mais, sous ce dernier rapport, je crus bientôt leur avoir fait injure, car deux ou trois d’entr’eux s’étant levés pour répondre à une question du juge-président, il était impossible d’imaginer rien de plus humble que ces messieurs.

Le public était représenté par un petit garçon avec un cachenez, et un homme d’assez piteuse mine qui mangeait des miettes de pain sournoisement extraites des poches de sa redingote râpée. Ce public en deux personnes se chauffait au poële dressé dans le centre de la Cour ; la languissante tranquillité de cette salle n’était troublée que par le bruit du feu et la voix d’un des Docteurs qui faisait un long voyage de découvertes à travers une bibliothèque de pièces justificatives ou de témoignages judiciaires, — s’arrêtant de temps à autre pour éclairer son itinéraire par quelques observations ou interrogations argumentatives. Je crois décrire assez exactement ma première impression à la vue de cet antique tribunal de famille oublié du temps, et dont la physionomie somnifère me fit penser qu’on ne pourrait lui appartenir à aucun titre sans éprouver son influence opiacée… à moins peut-être d’y figurer comme plaideur.

J’eus bientôt assez de cet asile à l’apparence si paisible, et j’exprimai à M. Spenlow le désir d’aller rejoindre ma tante. Je partis presque immédiatement avec elle ; j’éprouvai un excès de ma timidité native en traversant le vestibule de l’étude Spenlow et Jorkins : il me sembla que les clercs raillaient mon extrême jeunesse, se faisant des signes avec leurs plumes pour se montrer le nouveau confrère qu’ils allaient avoir.

Nous arrivâmes à Lincoln’s-Inn-Fields sans aventure, excepté la rencontre d’un ânon attelé à une charrette de marchand de légumes, dont la vue suggéra à ma tante quelques pénibles réminiscences. Rentrés à l’hôtel, nous eûmes encore ensemble un entretien sur mes plans d’avenir, et, comme je savais que Miss Betsey Trotwood avait hâte de retourner à Douvres, ne pouvant goûter une heure entière de bien-être à Londres, entre les incendies, les comestibles empoisonnés et les filous, je la priai de ne plus s’inquiéter de moi, me sentant très capable d’en prendre soin moi-même.

« — Je ne suis pas ici depuis six jours, » me répondit-elle, « sans avoir songé à votre petit établissement. Il y a dans les Adelphi un appartement à louer qui ferait merveilleusement votre affaire. »

Et ce disant, elle tira de sa poche une annonce découpée sur la quatrième page d’un journal, qui avertissait quiconque cherchait un logement garni, qu’il en existait un vacant depuis peu dans la rue Buckingham des Adelphi, lequel avait vue sur la rivière et devait convenir parfaitement à un jeune stagiaire des chambres d’avocat ; logement qu’on offrait de louer à des conditions raisonnables, au mois ou à l’année, selon la volonté du locataire.

« — C’est là, en effet, ce que nous devons chercher, ma tante, » lui dis-je tout enchanté de l’idée de vivre indépendant et libre dans mon propre appartement.

« — Eh bien ! allons le voir, » répliqua ma tante, qui remit aussitôt sur sa tête le chapeau qu’elle venait de déposer.

Nous y allâmes. L’annonce indiquait qu’il fallait s’adresser, sur les lieux mêmes, à Mrs Crupp, et nous supposâmes que la sonnette du rez-de-chaussée communiquait avec la demeure de Mrs Crupp, soit qu’elle fût propriétaire, soit qu’elle ne fût que la principale locataire. Ce ne fut qu’au quatrième coup de sonnette que se montra une dame respectable par son embonpoint, en jupon de flanelle et en casaquin de nankin.

« — Peut-on voir l’appartement que vous louez, Madame, s’il vous plaît ? » demanda ma tante.

» — Pour ce jeune Monsieur ? demanda à son tour Mrs Crupp en tâtant sa poche afin de vérifier si elle avait les clefs.

» — Oui, pour mon neveu, » dit ma tante.

» — Très bien ; ce sera un charmant local pour lui, » dit Mrs Crupp.

Elle nous précéda dans l’escalier.

L’appartement vacant était au dernier étage de la maison, grande recommandation pour ma tante, puisqu’il était plus près de la porte d’évasion sur la toiture en cas d’incendie. Il consistait en une petite antichambre sombre, un office plus sombre encore, un salon et une chambre à coucher ; l’ameublement n’était plus frais, mais assez bon pour moi, et enfin on avait, des croisées, la vue de la Tamise.

Comme je parus enchanté, ma tante et Mrs Crupp passèrent dans l’office pour discuter le prix du loyer, tandis que je restais au salon assis sur le sopha et rêvant déjà au bonheur d’habiter cette noble résidence. Après être tombées d’accord, non sans beaucoup avoir débattu le prix, les deux dames revinrent. À ma grande joie, la physionomie de Mrs Crupp et celle de ma tante me firent deviner que tout était conclu.

« — Est-ce le mobilier du dernier occupant ? » demanda ma tante.

» — Oui, Madame, » répondit Mrs Crupp.

» — Qu’est-il devenu ? »

À cette nouvelle question de ma tante, Mrs Crupp fut prise d’un accès de toux importune, au milieu duquel elle articula péniblement cette réponse :

« — Il a été malade, hum ! hum ! hum ! et ma chère dame… hum ! hum ! hum ! il est mort.

» — Et de quoi est-il mort ?

» — Eh ! Madame, » dit Mrs Crupp confidentiellement, « il est mort d’un excès de boisson… et de fumée.

» — De fumée ? Est-ce de la fumée des cheminées ? » demanda ma tante.

« — Non, Madame, de la fumée des cigares et des pipes.

» — Ah ! » dit ma tante en se tournant de mon côté, « cela n’est pas contagieux, Trot, n’est-ce pas ?

» — Non, en vérité, » répondis-je.

Bref, ma tante, voyant mon enthousiasme pour cet appartement, le loua pour un mois, avec la faculté de le garder l’année entière si cela me convenait au bout du premier terme. Mrs Crupp se chargeait de fournir le linge et de faire la cuisine : « J’aurai pour Monsieur les soins d’une mère, » dit-elle.

« — Je m’installerai demain, » dis-je.

« — Grâce au ciel ! » s’écria Mrs Crupp, « j’ai trouvé enfin quelqu’un à qui je m’intéresserai. »

En rentrant à l’hôtel, ma tante me répéta qu’elle espérait que la vie que j’allais mener me formerait un caractère ferme. C’était ce qui me manquait, selon elle, que d’avoir confiance en moi-même. Elle renouvela plusieurs fois ses recommandations, tout en causant avec moi des moyens à prendre pour faire transporter à Londres ma garde-robe et quelques livres oubliés encore chez M. Wickfield. Ce fut le texte d’une longue lettre que j’écrivis à Agnès, en lui racontant les détails de mon excursion à Yarmouth et à Blunderstone. Ma tante se chargea de cette mission, car elle quitta Londres le lendemain.

Pour abréger d’inutiles détails, j’ajouterai qu’elle régla mon petit budget avec sa libéralité habituelle, et qu’à mon vif regret comme au sien, elle partit avant que Steerforth eût paru. Je l’accompagnai le lendemain à la voiture publique, et, en me disant adieu, elle se félicita de pouvoir enfin aller continuer sa guerre contre les ânes.

En allant prendre possession de mon appartement d’Adelphi, je fis un retour sur le passé : sous les arcades de ce passage, combien de fois j’avais erré solitaire et triste, pauvre ilote du comptoir Grinby et Murdstone ! quelle heureuse révolution dans ma fortune depuis cette époque !

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  1. Attorney.
  2. Sollicitors.