Paul Ollendorff (Tome 3p. 24-25).
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Dès lors, l’âme d’Antoinette les enveloppa tous deux. Quand ils étaient ensemble, elle était avec eux. Il n’était pas nécessaire qu’ils pensassent à elle : tout ce qu’ils pensaient ensemble, ils le pensaient en elle. Son amour était le lieu, où leurs cœurs s’unissaient.

Olivier évoquait son image, souvent. C’étaient des souvenirs décousus, de brèves anecdotes. Ils faisaient reparaître dans une lueur passagère un de ses gestes timides et gracieux, son jeune sourire sérieux, la grâce pensive de son être évanoui. Christophe écoutait, se taisant, et il se pénétrait des reflets de l’invisible amie. Par la loi de sa nature, qui partout et toujours buvait plus avidement que toute autre la vie, il entendait parfois dans les paroles d’Olivier des résonances profondes, qu’Olivier n’entendait pas ; et il s’assimilait, mieux qu’Olivier lui-même, l’être de la jeune morte.

D’instinct, il la remplaçait auprès d’Olivier ; et c’était un spectacle touchant de voir le gauche Allemand retrouver, sans le savoir, certaines des attentions délicates, des prévenances d’Antoinette. Il ne savait plus, par moments, si c’était Olivier qu’il aimait dans Antoinette, ou Antoinette dans Olivier. Par une inspiration de tendresse, il allait, sans le dire, faire visite à la tombe d’Antoinette ; et il y apportait des fleurs. Olivier fut longtemps avant de s’en douter. Il ne l’apprit qu’un jour où il trouva sur la tombe des fleurs toutes fraîches ; mais ce ne fut pas sans peine qu’il parvint à avoir la preuve que Christophe était venu. Quand il essaya timidement de lui en parler, Christophe détourna l’entretien, avec une rudesse bourrue. Il ne voulait pas permettre qu’Olivier le sût ; et il s’y entêta jusqu’au jour où, au cimetière d’Ivry, ils se rencontrèrent.

De son côté, Olivier écrivait à la mère de Christophe, à l’insu de celui-ci. Il donnait à Louisa des nouvelles de son fils ; il lui disait quelle affection il avait pour lui, et combien il l’admirait. Louisa répondait à Olivier des lettres maladroites et humbles, où elle se confondait en remerciements ; elle parlait toujours de son fils, comme d’un petit garçon.