Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Variétés relatives à l’aventure de Cyrano-Bergerac
VARIÉTÉS
Relatives à l’aventure de Cyrano Bergerac[1].
Il y a, dans le conte qui vient de finir, tant de choses prodigieuses, qu’il n’est peut-être pas mal-à-propos d’en dire quelques mots. On a déjà observé que toute cette longue apparition du sorcier Agrippa n’est qu’un rêve, comme toutes les apparitions merveilleuses. Mais à ce rêve se rattachent une foule d’absurdités qui ont long-temps troublé les imaginations faibles, et qui ont besoin d’être expliquées pour les personnes qui conservent encore des idées superstitieuses.
Les idiots qui ont imaginé de dire que les sorciers et les démons faisaient le sabbat, ont prétendu que les sorciers s’y rendaient à cheval sur un manche à balai. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’y a point de sorciers ; que les démons ne se montrent point ; qu’on ne fait pas le sabbat, et qu’on ne va pas à cheval sur un manche à balai.
Les sorciers et les démons qui faisaient le sabbat, se réunissaient, disait-on, dans un carrefour à minuit, où ils mangeaient des viandes sans sel, où l’on dansait avec un chat pendu au derrière, où les sorcières baisaient le postérieur du diable, et où il se passait toutes sortes d’abominations.
Pendant plusieurs siècles, on a cru généralement ces sortes de balivernes sans que personne les eût réellement vues ; fort heureusement aujourd’hui on est assez éclairé pour ne voir que des contes jaunes dans les histoires de sabbat.
Les astrologues ont dit, dans leurs rêveries, que la hyacinthe et la pierre d’aigle étaient les pierres du soleil ; l’émeraude, la pierre de la lune ; l’aimant et l’améthyste, les pierres de Mars ; la berile, la pierre de Jupiter ; la cornaline, la pierre de Vénus ; la chalcédoine et le jaspe, les pierres de Saturne ; la topaze et le porphire, les pierres de Mercure.
Mais ces mêmes astrologues ont dit aussi que, comme il y a sept trous à la tête, il y a dans le ciel sept planètes qui président à ces sept trous : Saturne et Jupiter aux deux oreilles ; Mars et Vénus aux deux marines ; le soleil et la lune aux deux yeux, et Mercure à la bouche…
Lorsqu’on a avisé ces choses, il n’y avait que sept planètes. Maintenant qu’on en connaît douze, tout le système des astrologues est renversé comme la plupart des systèmes des diseuses de bonne aventure, qui tombent dans le discrédit, lorsqu’on a la prudence d’examiner leurs mensonges avant d’avoir la simplicité d’y croire.
Henri-Corneille Agrippa, né à Cologne à la fin du 15e. siècle, fut l’un des plus grands hommes de son temps. Comme il était éclairé dans un siècle d’ignorance, ses ennemis, envieux d’un mérite qu’ils ne pouvaient égaler, l’accusèrent d’être sorcier et de vivre en commerce avec le diable, qui lui aidait à faire ses livres. Agrippa aimait beaucoup les chiens ; on débita que son chien favori était un démon familier qu’il menait par-tout avec lui. Ce grand homme fut persécuté, et mourut dans la misère. Mais il n’eut d’autre magie que celle de sa science, et d’autre démon que son génie. Maintenant on ne lit plus que comme des contes les aventures prodigieuses que de plats écrivains ont attribuées à Agrippa.
Zoroastre est un des premiers législateurs de l’Asie. Il a vécu dans des temps si reculés, qu’on ne sait rien de son histoire ; et c’est parce qu’on n’en sait rien que des historiens, amis du merveilleux, en ont fait un faiseur de miracles.
Ensuite, lorsqu’il a été de mode de voir par-tout des magiciens, on a dit que Zoroastre avait été sorcier ; et l’on ne sait pas même dans quel pays il a vécu.
L’or potable, la poudre de projection, l’huile de talc, l’eau du soleil, l’élixir de vie, le baume universel, la pierre philosophale, tous ces noms ne désignent qu’une drogue qu’on cherche depuis des siècles, et qu’on ne peut attraper.
Les alchimistes se persuadent que s’ils trouvaient ce secret, ils auraient beaucoup d’argent, vivraient beaucoup d’années, et jouiraient de beaucoup de santé. Aussi les pauvres fous suent-ils sans se lasser.
Avec de l’or, du plomb, du fer, de l’antimoine, du vitriol, du sublimé, de l’arsenic, du tartre, du vif-argent, de l’eau, de la terre, du crachat, de l’urine, etc., ils prétendent composer une huile qui guérira tous les maux, préviendra toutes les maladies, et qui convertira le fer en or.
On sait que cette liqueur est une chimère ; on vit dans un siècle de lumières ; et cependant il y a encore un très-grand nombre des cerveaux dérangés qui usent leur fortune, leur temps, leur santé, dans des fourneaux, à la recherche de l’or potable, ou de la pierre philosophale, si vous l’aimez mieux.
Les payens prétendaient que tout était plein de petites divinités ; nos théologiens ont dit que ces divinités étaient des démons ; et les cabalistes soutiennent que ces démons sont des esprits élémentaires.
Ces esprits se divisent en quatre classes, puisqu’il y a quatre élémens. Les salamandres habitent la région du feu ; les sylphes, le vague de l’air ; les gnômes, l’intérieur de la terre ; et les ondins ou nymphes, le fond des eaux.
Mais il faut remarquer que personne n’a vu ces êtres extraordinaires. Comment les anciens savaient-ils que tout était plein de petites divinités ? Comment les théologiens savent-ils que tout est plein de démons ? Comment les cabalistes ont-ils appris que tout est plein de salamandres, de sylphes, de gnômes et d’ondins ?
Avant de croire des absurdités que nous ne voyons et que nous ne comprenons pas, songeons d’abord à nous instruire des choses naturelles et certaines, nous en aurons pour toute la vie, et nous serons encore loin de tout savoir.
On trouve, dans de sots volumes, une sotte oraison du loup que les bergers n’ont qu’à réciter pour préserver leurs troupeaux de la dent des loups. Mais les bergers qui ont eu la bonhomie d’apprendre la patenôtre en question, et qui se sont fiés là-dessus, ont dû reconnaître qu’un bon chien vaut mieux qu’une prière ridicule.
Saint-Louis avait fait venir six chartreux à Gentilly. Il y avait alors auprès de Paris un vieux palais bâti par le roi Robert et abandonné par ses successeurs. On en pouvait faire un monastère commode, et les chartreux n’auraient pas été fâchés de l’avoir. Tout d’un coup, des esprits et des revenans s’emparent de ce palais et y font un sabbat horrible. On remarquait sur-tout un grand diable vert, armé d’une massue, qui courait sur les passans, et qu’on appelait le diable Vauvert. Que pouvait-on faire d’un pareil château ? Les chartreux le demandèrent à Saint-Louis, qui le leur donna avec toutes ses dépendances, et les revenans n’y revinrent plus. On laissa seulement à la rue le nom de rue d’Enfer, en mémoire de tout le vacarme que les diables y avaient fait.
On sent aisément que ces revenans et ces diables n’étaient que des hommes déguisés qui voulaient déprécier le vieux palais, et le faire donner aux chartreux. Ils réussirent à merveille.
On conte que, quand Jésus-Christ fut conduit au Calvaire chargé de sa croix, il voulut se reposer un instant devant la boutique d’un cordonnier juif ; que le cordonnier l’en empêcha ; et que pour le punir de sa barbarie, Jésus-Christ le condamna à marcher jusqu’à la fin des siècles.
Le cordonnier prit aussitôt un bâton à la main, et se mit à courir le monde sans pouvoir s’arrêter nulle part. Depuis lors, c’est-à-dire depuis plus de dix-huit cents ans, il a parcouru toutes les contrées du globe, sous le nom de Juif-Errant. Il a toujours cinq sous dans sa bourse.
Personne ne peut se vanter de l’avoir vu ; mais nos grands pères nous disent que leurs grands pères l’ont connu ; et qu’il a paru, il y a plus de cent ans dans certaines villes. Les aïeux de nos grands pères en disaient autant, et les bonnes gens croient à l’existence personnelle du Juif-Errant.
Mais la fable du Juif-Errant n’est qu’une allégorie ingénieuse, qui représente la nation juive errante et dispersée dans tout les pays du monde, depuis la prise de Jérusalem par Titus.
Quelques historiens racontent que Henri IV, chassant dans la forêt de Fontainebleau, entendit à une demi-lieue des jappemens de chiens, des cris de chasseurs et des cors de chasse ; qu’en un instant, tout ce bruit qui semblait éloigné s’approcha à vingt pas de ses oreilles ; et que le comte de Soissons s’étant avancé, vit un grand homme noir, qui disparut dans les broussailles.
Les paysans des environs dirent que c’était un démon qu’ils appelaient le grand Veneur, et qui chassait souvent dans cette forêt. On soutint long-temps que cet homme noir était un spectre qui venait là pour effrayer Henri IV. Mais enfin, on reconnut que cette apparition et cette chasse merveilleuse étaient l’ouvrage de deux gueux qui contrefaisaient, à s’y tromper, le son des cors et la voix des chiens.
Henri IV avait beaucoup d’ennemis. On avait aposté ces hommes dans la forêt pour l’attirer. S’il se fût avancé lui-même, on lui eût lancé un dard ; et on eût publié qu’il avait été tué par le diable, comme on l’a dit si sottement de tant d’autres.
— Tout le reste des choses magiques ou prodigieuses qui se lisent dans l’aventure de Cyrano-Bergerac, ne sont encore que des contes plus absurdes que ceux qu’on vient de voir.
- ↑ La plus grande partie de cet article est tirée du Dictionnaire infernal de M. Collin de Plancy.