Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Les Troupeaux maléficiés


LES TROUPEAUX MALÉFICIÉS.

ANECDOTE.[1]

Dans un petit canton de la Bourgogne, il survint tout-à-coup une maladie contagieuse qui faisait mourir les moutons, sans qu’il fût possible d’y porter remède. Les bergers, qui voyaient dépérir leurs troupeaux de jour en jour, ne surent d’abord à quoi attribuer ce fléau. Mais bientôt ils s’imaginèrent qu’il y avait sûrement là de la magie. Leurs soupçons se portèrent sur le berger d’un riche gentilhomme du pays. Il leur parut d’autant plus sorcier, qu’il avait toujours su conserver son troupeau en bonne santé, quoique ses moutons fréquentassent toujours les mêmes pâturages que les autres.

On accusa donc hautement le berger d’avoir jeté un sort sur les troupeaux ; on publia que c’était un magicien infâme ; on le poursuivit à coups de pierre ; et on se disposait à l’arrêter pour le conduire en prison et lui faire son procès, lorsqu’il prit le parti de se réfugier dans la maison de son maître. Le gentilhomme, qui ne croyait pas à la magie, et qui était reconnaissant de voir son troupeau bien conservé, arracha d’abord son berger des mains des paysans : il parvint ensuite à leur faire comprendre les moyens simples et naturels dont il s’était servi pour éviter la mortalité, et leur montra qu’au lieu de l’accuser de sorcellerie ils feraient mieux de suivre son exemple.

La contagion qui détruisait les troupeaux était causée par des brouillards épais et fétides, qui s’élevaient tous les soirs et infectaient les pâturages pendant la nuit, de telle sorte, qu’on y trouvait le matin des crapauds énormes que l’infection y avait attirés. Le prétendu sorcier, qui était plus habile et plus expérimenté que ses voisins, ne menait paître son troupeau que deux heures après que le soleil avait paru et dissipé entièrement ces brouillards. Il avait encore le soin de donner à ses moutons du son de froment, avant qu’ils sortissent de l’étable, pour les préserver entièrement des atteintes du mauvais air.

Les paysans entendirent enfin les raisons qu’on leur donnait. Ils prirent les mêmes précautions que le berger qu’ils avaient accusé de sorcellerie, et la mortalité cessa. — S’il y avait des naturalistes dans les campagnes, on pourrait démontrer aux bonnes gens qui l’habitent, que les prétendus maléfices sont toujours produits par des causes naturelles.

  1. Tirée des Lettres de Saint-André, sur la Magie et les Maléfices.