Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Le Possédé comme il y en a souvent


LE POSSÉDÉ,
COMME IL Y EN A SOUVENT.

ANECDOTE.

Un abbé, qui demeurait dans une petite ville du Piémont, revenant un jour de la promenade, fut atteint d’une douleur subite, qui le fit tomber mourant sur le pavé. La populace l’environne ; on le porte dans une maison voisine, où tous les secours ordinaires ne peuvent le rappeler à la vie. Arrive enfin un distillateur, qui lui remplit la bouche d’une liqueur spiritueuse, et n’en tire aucun succès.

Alors, quelques-uns des assistans courent à la paroisse la plus voisine, et reviennent avec un vicaire savoyard, qu’on prie à tout hasard de lui administrer les sacremens. Le vicaire, voulant d’abord s’assurer de l’état du malade, demanda une lumière, et la lui porta à la bouche. En même temps, le prétendu mort poussa un hoquet, dont la vapeur s’enflamma à la chandelle…

Le vicaire et les assistans épouvantés prennent la fuite, en criant que l’abbé a le diable au corps, qu’il vomit des flammes, qu’il est possédé dans toutes les formes, et qu’il faut bien vite l’exorciser. On va supplier le curé de venir faire cette besogne.

Pendant cet intervalle, le hoquet, qui avait causé cet esclandre, ayant été suivi d’une explosion d’humeurs qui étouffaient le pauvre abbé, les exorcistes arrivent avec la croix et le bénitier, et sont bien surpris de trouver le malade debout.

De son côté, le distillateur, qui avait été obligé de quitter le patient pour veiller à sa boutique, revient presqu’en même temps, et apprend à la foule assemblée que le hoquet, la flamme, l’explosion des humeurs et la guérison de l’abbé, sont tout simplement l’effet de son élixir spiritueux…

Comme on voit le diable par-tout, si le distillateur n’avait pas reparu, on allait exorciser le pauvre abbé ; et ce ne fut pas sans peine qu’on se décida à le laisser en paix.