Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Adresse d’une vieille sorcière
ADRESSE
D’UNE VIEILLE SORCIERE.
Dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, il est encore des personnes qui croient aux sorciers aussi bien qu’aux revenans. Souvent même ces personnes, si crédules, ont reçu une éducation qui devrait les élever au-dessus des préjugés vulgaires.
Deux dames, d’un rang distingué, entendirent parler d’une devineresse, pour qui l’avenir n’était point caché ; elles résolurent de la consulter, et se rendirent chez elle, en allant au spectacle, c’est-à-dire dans toute leur parure. Les bijoux qu’elles étalaient frappèrent la sorcière : — « Mesdames, leur dit-elle, si vous voulez lire dans l’avenir, il faut vous armer de courage. Apprenez que nous avons tous, dans ce monde, un esprit qui nous accompagne sans cesse, mais qui ne se communique qu’autant qu’il y est forcé par une puissance supérieure. Il ne tient qu’à moi de vous procurer à chacune un entretien particulier avec le vôtre ; mais il ne cédera point à mes conjurations, si vous ne consentez à certaines conditions absolument nécessaires. »
Les dames demandèrent avec empressement quelles étaient ces conditions ? — « Les voici, poursuivit la vieille ; il s’agit de dépouiller les vêtemens qui vous couvrent, et de déposer un moment ces ouvrages de luxe, qui prouvent combien le genre-humain s’est perverti. Adam était nu, quand il conversait avec les esprits. »
Les deux dames hésitent ; elles sont d’abord tentées de se retirer ; mais elles s’encouragent, en songeant que l’esprit sera seul témoin de l’obéissance exigée ; et la curiosité l’emporte. Les robes, les bijoux sont déposés dans une chambre ; et chacune des dames passe dans un cabinet séparé. Elles y restèrent près de deux heures, dans une impatience difficile à exprimer… Enfin, ne voyant point paraître l’esprit, elles commencent à croire qu’elles ont été trompées ; la frayeur les saisit, elles poussent des cris affreux ; leurs gens accourent suivis des voisins ; et on les tire de leur prison. La prétendue sorcière, après les avoir enfermées, avait déménagé avec leurs hardes et les siennes…