Paris : Chez Buisson, lib., rue Haute-Feuille, n° 20 ; Lyon : Chez Bruyset, rue Saint-Dominique (p. 416-484).

CHAPITRE XII.

Éducation nationale.

Les heureux effets qui résultent de l’éducation particulière, seront toujours infiniment bornés, et le père, qui réellement s’occupe lui-même de cette tâche pénible, sera toujours à quelques égards trompé dans ses espérances, jusqu’à ce que l’éducation devienne un grand intérêt national. Un homme ne peut se retirer dans un désert avec son fils, et quand il le feroit, il ne peut lui-même revenir à l’enfance, et devenir l’ami et le compagnon des jeux de l’enfance ou de la jeunesse. Quand les enfans sont enfermés dans la société des hommes et des Femmes, ils acquièrent bientôt cette espèce de maturité précoce, qui arrête le développement de toutes les facultés de l’ame et des forces du corps. Veut-on faciliter l’essor de ces facultés ? il faut les exciter à penser par eux-mêmes, et c’est ce qui ne peut se faire qu’en réunissant un certain nombre d’enfans ensemble, et en leur faisant suivre de concert les mêmes objets.

Un enfant contracte bientôt une indolence ou engourdissement d’esprit qu’il a rarement dans la suite la force de secouer ; quand il fait une question pour se dispenser de réfléchir, et qu’il se repose en aveugle sur la réponse qu’il reçoit avec ceux de son âge, il n’est pas exposé aux mêmes dangers, et le sujet de ses recherches, quoiqu’il puisse être influencé, ne sauroit être entièrement sous la direction des hommes, qui souvent émoussent, si même ils ne les détruisent pas, les talens des enfans, en voulant en faire des fruits hâtifs. Par cette raison, ces talens seroient conduits trop tôt à leur maturité, si l’enfant étoit confiné dans la société d’un homme, de quelque sagacité que cet homme fût doué.

En outre, c’est pendant la jeunesse qu’il faut déposer dans ces ames tendres le germe précieux de toutes les affections, et le respect que l’on sent pour un père est très-différent des affections sociales qui font le bonheur de la vie, à mesure qu’on y avance. L’égalité en est la base, ainsi qu’un commerce de sentimens qui n’est point gêné par ces déférences, ce respect qui prévient la dispute sans assurer la soumission. Quelque attachement qu’ait un enfant pour son père, il brûlera toujours de babiller et de jouer avec des enfans ; et ce même respect, cette même estime filiale, mêlée de quelque crainte, s’ils ne lui font pas prendre l’habitude de la ruse, l’empêcheront au moins de confier ses petits secrets qui ouvrent le cœur à l’amitié et à la confiance, et le mènent par dégrés à une bienveillance plus expansive.

Déterminée par les réflexions que doit inspirer la vue de nos écoles, telles qu’elles sont à présent, je m’étois d’abord déclarée assez vivement en faveur de l’éducation particulière ; mais depuis, l’expérience m’a fait voir la question sous un jour tout différent. Je persiste cependant à penser que nos écoles actuelles sont la pépinière du vice et de la folie, et que la connoissance de l’homme qu’on est supposé y puiser, se borne à la ruse et à l’amour propre.

Dans les écoles publiques, les garçons deviennent gourmands et sales ; et au lieu de cultiver des affections domestiques, ils se plongent de bonne heure dans un libertinage qui détruit le tempérament, avant qu’il soit formé, et endurcit le cœur en éveillant prématurément l’intelligence.

Je devrois être prévenue contre ces écoles, quand il n’y auroit pas d’autre raison que l’incertitude d’esprit que produit l’attente des vacances. C’est vers ce but que tendent les vœux empressés des enfans ; c’est-là l’époque qu’ils appellent avec toute l’ardeur de l’espérance, environ la moitié du tems, pour ne rien dire de plus ; et quand elles arrivent, ils les passent dans une dissipation totale et dans une liberté dangereuse.

Au contraire, quand ils sont élevés dans la maison paternelle, quoiqu’ils puissent suivre un plan d’études d’une manière plus méthodique, que lorsqu’environ le quart de l’année se passe dans l’oisiveté, et un autre quart en regrets et en désirs ; cependant, l’habitude qu’on leur laisse contracter de tyranniser les domestiques, leur fait prendre une trop haute opinion de leur propre importance, ainsi que l’inquiétude de leurs mères sur la grossiéreté de leurs manières ; car il arrive trop souvent qu’une mère, en voulant donner à son fils l’air et les talens qui caractérisent un rang honnête, étouffe dans leur naissance les vertus de l’homme. Ainsi menées en compagnie, quand ils devroient être sérieusement occupés, et traités comme des hommes, quand ils ne sont encore que des enfans, ils deviennent vains et efféminés.

Le seul moyen d’éviter deux excès également contraires aux mœurs, seroit de combiner l’éducation publique avec l’éducation particulière. Pour faire des hommes et des citoyens, on pourroit prendre deux routes qui méneroient directement au point désiré. On cultiveroit les affections domestiques, qui ouvrent le cœur aux diverses modifications de l’humanité ; et néanmoins on laisseroit les enfans passer, sur le pied de l’égalité, une grande partie de leur tems avec d’autres enfans.

Je me rappelle encore avec plaisir une école de campagne, où un garçon se rendoit dès le matin, par un tems sec ou humide, portant ses livres et son dîner ; lorsqu’elle est à une distance considérable, un domestique ne mène pas le jeune monsieur par la main ; une fois habillé, on le livre à lui-même, et il revient seul le soir raconter les faits du jour, en se serrant contre les genoux paternels. La maison de son père est sa première patrie, et ce n’est jamais qu’avec tendresse que par la suite il s’en rappelle le souvenir. J’en appelle à quelques hommes supérieurs qui ont été élevés de cette manière. Le souvenir du sentier ombragé où ils ont appris leur leçon, du tertre de gazon où ils ont fait leurs cerf-volans, ou racommodé leur crosse à jouer au mail ; toutes ces impressions premières et si vives ne leur ont-elles par rendu leur pays plus cher ?

Mais quel souvenir agréable peut-il rester aux garçons des années qu’ils ont passées dans une prison étroite ? je parle des écoles voisines de Londres, à moins qu’il ne se rappelle par hazard l’épouventail d’un précepteur qu’il a tourmenté, ou le vendeur de gâteaux dont il achetoit des tartelettes, pour les dévorer avec la friandise de l’égoïsme. Dans les écoles de toute espèce, la récréation des plus jeunes est méchanceté, et celle des plus grands est vice. Dans nos universités, peut-il y avoir rien de plus funeste à la moralité du caractère, que le systême de tyrannie et d’abject esclavage, établi parmi les jeunes gens, sans parler de l’asservissement aux formes, qui fait de la religion une véritable force ? Quel bien pouvez-vous attendre d’un jeune homme qui reçoit le sacrement de la cène, pour éviter de payer une demi-guinée qu’il dépense probablement ensuite d’une manière sensuelle. Les jeunes gens mettent une grande partie de leurs méditations à éluder la nécessité d’assister au service divin, et ils n’ont pas tout-à-fait tort ; car une répétition aussi constante des mêmes choses, est une entrave bien fatigante pour leur vivacité naturelle[1]. Puisque ces cérémonies ont le plus mauvais effet sur leurs mœurs, et qu’un rituel suivi seulement des lèvres, et auquel le cœur et l’esprit n’ont aucune part, n’est pas maintenant regardé par notre église comme une banque sur laquelle on tire des lettres de change pour les pauvres ames du purgatoire, pourquoi ne seroient-ils pas abolis ?

Mais, dans ce pays, la crainte des innovations s’étend à tout. — Ce n’est que la crainte mal dissimulée, l’appréhensive timidité de dormeurs indolens, qui gardent en glissant, pour ainsi dire, le lit de repos, qu’ils regardent comme un héritage, et qui boivent, mangent et se réjouissent, au lieu de remplir leurs devoirs, à l’exception de quelques formalités insignifiantes, attachées au tître de fondation. Ce sont ces gens qui insistent avec le plus de courage, sur la nécessité de remplir les vœux des fondateurs, se récriant contre toute réforme, comme si c’étoit une violation de justice. Je parle ici surtout de ces restes de papisme, conservés dans nos collèges dont les membres semblent être de si ardens zélateurs de la religion dominante ; mais ce beau zèle ne leur laisse pas perdre de vue les dépouilles que, dans les âges de la superstition, la rapacité des prêtres a enlevées pièce à pièce, à l’ignorance. Non, ce n’est point du respect qu’ils ont pour les droits de propriété fondés sur la prescription. Ils laissent encore tinter la sonnette pendant les prières, comme aux jours où l’élévation de l’hostie étoit supposée satisfaire pour les péchés du peuple, de peur qu’une réforme ne mène à l’autre, et que l’esprit ne tue la lettre. Ces momeries Romaines ont le plus funeste effet sur les mœurs de notre clergé ; car cette vermine oisive qui, deux ou trois fois par jour, remplit de la manière la plus assoupie un service qu’elle croit inutile, et qu’elle appelle son devoir, a bientôt perdu le sentiment de son devoir[2]. Au collège, forcés d’assister ou d’échapper à l’office, ils contractent un mépris habituel pour ce même office dont l’acquittement les met en état de vivre dans l’oisiveté. On le marmotte, comme une affaire d’habitude, comme un garçon stupide répète sa leçon, et souvent le jargon de collège échappe au prédicateur, au moment qu’il descend de la chaire, et même quand il mange le dîner qu’il a gagné d’une manière si peu honnête.

Rien, en effet, de moins respectueux que l’office d’une cathédrale, comme il se pratique à présent dans ce pays, et il n’y a pas en Angleterre un troupeau d’hommes plus foibles que ceux qui sont les esclaves de cette puérile routine.

On présente encore au peuple, pour ainsi dire, un squelette hideux de l’ancien ordre de choses ; mais on a retranché toute cette solemnité qui intéressoit l’imagination, si elle ne purifioit pas le cœur. La célébration d’une grande messe, sur le continent, doit, il en faut convenir, porter dans une ame où brille quelqu’étincelle d’imagination, une mélancolie respectueuse, une sublime tendresse, bien voisine de la dévotion[3]. Je ne prétends pas que cette dévotion sentimentale soit d’un plus grand usage, que toute autre émotion du goût ; mais je soutiens que cette pompe théâtrale qui satisfait nos sens, doit être préférée à la froide nudité qui insulte à l’intelligence, sans arriver jusqu’au cœur.

De telles observations ne sauroient être déplacées parmi des remarques sur l’éducation nationale, surtout par rapport aux défenseurs de ces établissemens dégénérés en puérilités, qui se donnent pour les défenseurs de la religion. — Religion ! source pure de consolation dans cette vallée de larmes ! comment as-tu souffert que tes ondes limpides fussent souillées par les corrupteurs qui ont eu la présomption de resserrer dans un étroit canal, les eaux vives qui sans cesse prennent leurs cours vers Dieu, — le sublime Océan de l’existence ! Que seroit la vie, privée de cette paix que l’amour de Dieu peut seul donner, quand il est fondé sur l’humanité ? Chaque affection terrestre revient par intervalles, déchirer le cœur qui l’a nourrie, et les plus pures effusions de la bienveillance, souvent et cruellement repoussées par l’homme, peuvent monter comme une offrande libre et volontaire, vers celui qui leur donne naissance, et dont elles réfléchissent foiblement la brillante image.

Dans les écoles publiques, la religion, confondue avec des cérémonies fastidieuses et des entraves hors de saison, prend l’aspect le plus repoussant. Ce n’est point cette austérité, cette gravité qui commande le respect, en inspirant la crainte ; c’est un sujet de plaisanterie qui sert à aiguiser une pointe. En effet, la plûpart des bonnes histoires et des saillies qui raniment les esprits long-tems occupés du Wigh, sont composées des incidens auxquels ces mêmes hommes s’efforcent de donner un tour plaisant.

Il n’y a peut-être pas dans le royaume une classe d’hommes plus dogmatique, ou plus débauchée, que les tyrans pédantesques qui résident dans les collèges et président aux écoles publiques[4]. Les vacances sont également funestes aux mœurs des maîtres et des élèves, et le commerce que ces premiers entretiennent avec la noblesse, introduit dans leur famille la même vanité et la même extravagance, qui bannissent le devoir et le bonheur domestique de ces grandes maisons, dont ils ont l’absurdité de singer en petit l’air de hauteur et de magnificence. Les jeunes gens qui vivent à grand frais avec les maîtres et leurs collègues, n’y peuvent prendre le goût de la société, quoiqu’ils y soient placés dans cette vue. Après un diner silencieux, ils avalent à la hâte un verre de vin, et se retirent pour concerter quelque tour, ou pour ridiculiser la personne et les manières des mêmes gens qu’ils viennent de saluer avec beaucoup de respect, et qu’ils devroient considérer comme les représentans de leurs parens.

Peut-on s’étonner après cela que des jeunes gens, ainsi sévrés de tout commerce avec la société, deviennent vicieux et personnels, ou qu’une mître souvent embellisse le front de ces diligens pasteurs ?

Le désir de vivre comme ceux d’un rang au-dessus, est la maladie de chaque individu et de chaque classe de citoyens, et la bassesse est la compagne fidelle de cette ignoble ambition ; mais les professions les plus avilissantes sont celles dont le patronage est l’échelon ; et c’est cependant en général dans ces professions que les gouverneurs des jeunes gens sont choisis ; mais peut-on se flatter que des hommes dont la conduite doit avoir, pour règle constante, cette prudence inquiète qui est toujours aux aguets pour obtenir la préférence, puissent inspirer des sentimens d’indépendance et de liberté ?

Ils sont si éloignés de songer aux mœurs de leurs élèves, que j’ai entendu plusieurs maîtres prétendre qu’ils n’avoient d’autre mission que de montrer le grec et le latin, et qu’ils ont rempli leur devoir, en envoyant de bons écoliers au collège.

Un petit nombre de ces étudians distingués peut, j’en conviens, être formé par la discipline et par l’éducation ; mais pour les pousser et les avancer, on a sacrifié la santé et les mœurs d’un grand nombre. Les fils de notre noblesse et des plus riches membres des communes, sont élevés pour la plûpart dans ces écoles ; et qui pourroit assurer que la majorité mérite le titre d’un passable étudiant ?

Ce n’est pas pour l’avantage de la société que quelques esprits brillans sont cultivés aux dépens de la multitude. Il est vrai que de grands hommes semblent paroître, à des intervalles marqués, pour ramener l’ordre troublé par de grandes révolutions, et dissiper les nuages épais qui couvrent les traits de la vérité ; mais que la raison et la vertu prennent le dessus dans la société, et ces prodiges ne seront pas nécessaires. L’éducation publique, quelque nom qu’on lui donne, doit avoir pour but de former des citoyens ; mais si vous voulez faire de bons citoyens, il faut d’abord vous livrer aux affections de fils et frère. C’est-là le seul moyen de donner au cœur cette faculté expansive d’où naissent tant de vertus ; car les affections, aussi bien que les vertus publiques, doivent toujours prendre leur source dans le caractère privé, ou ce ne sont que des météores qui brillent dans une nuit profonde, et s’évanouissent au moment qu’on les admire.

Je crois qu’il est peu d’hommes qui ayent eu beaucoup d’affection pour l’humanité en général, sans avoir d’abord aimé leurs parens, leurs frères et sœurs, et même les animaux domestiques, compagnons de leurs premiers jeux. C’est de l’exercice des sympathies de l’enfance que se forme le caractère, et c’est le souvenir de ces premières affections, de ces premiers goûts qui donnent la vie à ceux qui dans la suite sont plus soumis à la raison. C’est dans la jeunesse que les plus tendres amitiés sont formées, que les esprits sympathiques, se développant en-même-tems, se fondent et se mêlent comme des substances homogènes, ou plutôt que le cœur, doué de la trempe nécessaire pour la réception de l’amitié, s’accoutume à chercher son plaisir dans quelque chose de plus noble, que la brutale satisfaction de la partie sensitive.

Pour inspirer aux enfans l’amour de la maison paternelle et des plaisirs domestiques, il faut que les enfans soient élevés au logis ; car des jours de congés passés en débauche, ne le leur font aimer que pour eux. Les vacances, qui ne nourrissent pas les affections domestiques, troublent continuellement le cours des études, et rendent impraticable tout le plan de progrès qui exige de l’ordre et de la règle ; et pourtant si elles étoient abolies, les enfans seroient entièrement séparés de leurs parens ; et je demande s’ils deviendroient meilleurs citoyens, en sacrifiant les affections premières, en détruisant la force des relations qui rendent l’état du mariage aussi nécessaire que respectable. Mais si l’éducation particulière produit l’air d’importance, ou isole un homme dans sa famille, ce n’est qu’un palliatif et non pas un remède.

Cette suite de raisonnemens me ramène à un sujet qu’il me paroît important d’approfondir, je veux dire à la nécessité d’établir des écoles d’externes[5].

Mais il faudroit que ce fût des établissemens nationaux ; car tant qu’un maître est dépendant du caprice des parens, on ne peut guères lui demander plus de développpemens, qu’il n’en faut pour plaire aux ignorans. En effet, la nécessité pour un maître de donner aux parens quelque preuve des progrès d’un enfant, laquelle pendant les vacances est montrée à tous ceux qui viennent en visite chez eux[6], cette nécessité, dis-je, a des conséquences plus funestes qu’on ne le croiroit d’abord ; car il est bien rare que ces preuves soient en entier de la façon de l’enfant, pour ne rien dire de plus[7]. Ainsi le maître, ou appuie une fausseté, ou oblige la pauvre petite machine à quelque effort extraordinaire qui dérange les rouages, et arrête les progrès graduels qu’elle auroit pu faire. La mémoire se charge de mots inintelligibles, pour en faire une vaine parade, sans que l’intelligence acquière aucune idée distincte ; tandis qu’il n’y a d’éducation vraiment digne du beau nom de culture de l’esprit, que celle qui apprend aux jeunes gens les élémens de l’art de penser. On ne devroit pas permettre à l’imagination de débaucher l’intelligence, avant que celle-ci ait acquis toute sa force, et à la vanité de devenir l’avant-coureur du vice ; car de toutes les manières de faire montre des progrès d’un enfant, il n’en est aucune qui ne soit funeste à la moralité de son caractère.

Combien de tems on perd à leur apprendre à réciter ce qu’ils n’entendent pas ? pendant qu’assises sur des bancs, toutes avec leurs plus belles parures, les mamans écoutent avec étonnement ce petit babil de perroquet, cette déclamation ridicule, faite avec toute la pompe de l’ignorance et de la sottise. De telles montres ne servent qu’à faire vibrer les fibres de la vanité dans ces ames foibles ; car elles n’apprennent aux enfans, ni à s’exprimer d’une manière aisée, ni à se tenir avec grace, Tout au contraire, ces frivoles objets pourroient s’appeler l’étude de l’affectation ; car il est bien rare à présent de voir un jeune garçon simple et timide ; et cependant, il faudroit avoir bien peu de discernement, pour être repoussé par cet embarras et cette simplicité, si naturels à cet âge, que les écoles et une entrée prématurée dans la société ont changé en impudence et en grimaces de singe.

Mais comment remédier à ces abus, lorsque les maîtres dépendent absolument des parens pour leur subsistance, et lorsque tant d’écoles rivales tendent leurs pièges, pour capter l’attention et flatter la vanité des pères et des mères dont l’affection se borne à désirer que leurs enfans éclipsent ceux de leurs voisins ?

Sans un grand bonheur, un homme honnête et consciencieux mourra de faim avant de pouvoir lever une école, s’il dédaigne de duper de foibles parens, en mettant en jeu les ruses secrettes du charlatanisme.

Dans les écoles les mieux réglées où des essaims d’enfans ne sont pas entassés les uns sur les autres, on peut contracter beaucoup de mauvaises habitudes ; mais dans les écoles ordinaires, le corps, le cœur et l’esprit sont également rabougris ; car souvent les parens ne vont qu’au meilleur marché, et le maître ne pourroit pas vivre, s’il n’en prenoit un plus grand nombre qu’il n’en peut conduire, et la chétive rétribution qu’il reçoit pour chaque enfant ne lui permet pas de payer assez de sous-maîtres, pour le débarasser de la partie mécanique de ses fonctions. En outre, quelque belle apparence qu’ayent la maison et le jardin, les enfans ne jouissent ni de l’un ni de l’autre. De tristes défenses leur rappellent sans cesse qu’ils ne sont pas chez eux ; et les sallons, les jardins, etc. ne sont entretenus que pour la satisfaction des parens qui, le dimanche, viennent visiter l’école, et sont trompés par cette même apparence qui rend la situation de leurs enfans plus incommode et plus désagréable.

Avec quel sentiment de peine n’ai-je pas entendu souvent des Femmes sensibles, (car les filles sont plus gênées que les garçons), parler de la retraite fatiguante où elles avoient été confinées pendant le tems de leur éducation[8] ; où n’ayant pas la permission de faire un pas, hors d’une large allée, dans un superbe jardin ; elles étoient obligées de décrire, avec une gravité stupide, toujours la mêle ligne, soit en allant, soit en venant, la tête roide, et les pieds bien en dehors, les épaules presque collées l’une contre l’autre, au lieu de suivre l’intention de la nature, et de prendre en liberté les diverses attitudes si nécessaires à la beauté[9]. Les esprits animaux, ce fluide et actif qui hâte les développemens de l’ame et du corps, et présente aux amis de l’enfance l’espérance dans sa fleur, s’altèrent et s’évaporent en vains désirs, ou en aigres momeries qui contractent les facultés et flétrissent le caractère, ou bien ils s’élèvent au cervau, et, aiguisant l’intelligence avant qu’il ait une force suffisante et proportionnée, ils produisent ce misérable penchant à la ruse qui caractérise d’une manière si avilissante l’esprit de notre sexe, — et qui le caractérisera toujours, tant que les Femmes resteront esclaves du pouvoir.

Le peu d’égard que les hommes ont pour la chasteté, est, selon moi, la source de la plupart des maux physiques et moraux qui tourmentent l’humanité, aussi bien que des vices et des sottises qui dégradent les Femmes, et leur font perdre leur dignité. C’est cependant dans les écoles que les garçons perdent infailliblement cette timidité décente, que, dans la maison paternelle, les années auroient changée en modestie.

Et que d’indécences ne doivent-ils pas apprendre l’un de l’autre, quand un grand nombre d’enfans se trouve entassé dans une même chambre, sans parler des vices qui, en affoiblissant le corps, empêchent l’esprit d’acquérir aucune délicatesse. Le peu de soin que l’on prend de cultiver la modestie parmi les hommes, cause une grande dépravation dans toutes les relations de la société ; non-seulement l’amour — l’amour qui doit purifier le cœur, et développer toutes les facultés de la jeunesse pour préparer l’homme à remplir tous les devoirs de la bienveillance, est sacrifié à un libertinage précoce, mais toutes les affections sociales sont tuées par les satisfactions solitaires qui de très-bonne heure souillent l’ame, et dessèchent le cœur. Combien la nature a souvent à rougir de la manière dont est flétrie la fleur de l’innocence, et quelles funestes conséquences tendent à faire dégénérer des vices privés en peste publique ! Il est certain que l’habitude de l’ordre et de la décence, qui a plus d’effet sur la moralité du caractère qu’on ne le suppose communément, ne peut se contracter que dans la maison paternelle, où règne cette réserve respectueuse qui tempère la familiarité, laquelle mine insensiblement la tendresse par des offenses répétées, lorsqu’elle dégénère en grossièreté.

J’ai déjà remarqué les mauvaises habitudes que les Femmes contractent, lorsqu’elles sont enfermées ensemble, et je pense que cette observation peut très-bien s’étendre à l’autre sexe, jusqu’à ce qu’on en tire la conclusion que j’ai eu en vue. C’est que, pour bien élever les deux sexes, non-seulement dans les familles, mais dans les écoles publiques, il faudroit les élever ensemble. Si le mariage est le ciment de la société, l’humanité doit être élevée sur un semblable modèle, sans quoi le commerce des sexes ne méritera jamais le nom d’association, et les Femmes ne pourront remplir les devoirs de leur sexe, que lorsqu’elles deviendront des citoyennes éclairées, que lorsqu’elles deviendront libres en devenant capables de se procurer leur subsistance, sans être dépendantes des hommes ; c’est-à-dire, pour éviter toute fausse interprétation, de la même manière que les hommes sont indépendans les uns des autres. En effet, le mariage ne peut jamais être regardé comme un lien sacré, tant que les Femmes ne seront pas préparées par une éducation commune, à être les compagnes des hommes, plutôt que leurs maîtresses ; car les ressources honteuses de la ruse les rendront toujours méprisables, tant que l’oppression les rendra timides. Je suis si convaincue de cette vérité, que je prédirois presque que la vertu ne prévaudra dans la société, que lorsque les vertus des deux sexes seront fondées sur la raison, et que lorsqu’on laissera les affections qui leur sont communes, acquérir la force dont elles sont suceptibles par la pratique de leurs mutuels devoirs.

Si les garçons et les filles suivoient ensemble le même cours d’études, on pourroit leur inculquer de bonne heure ces graces de la décence d’où naît la modestie, sans ces distinctions sexuelles qui souillent l’esprit. Ces leçons de politesse et ce formulaire de bienséance, qui avoisinent la fausseté, deviendroient inutiles par l’habitude d’une conduite toujours convenable, qu’on ne prendroit pas comme la robe de cour pour recevoir les visites, mais qui seroit le vrai résultat de la pureté de l’ame. Cette élégante sincérité, ce chaste hommage rendu aux affections domestiques, ne seraient-ils pas bien supérieurs à ces complimens que l’usage prostitue, et qui brûlent d’un faux éclat dans le commerce superficiel d’une vie à la mode ? Mais, tant qu’une intelligence cultivée ne prévaudra pas dans la société, il y aura toujours disette de cordialité et de goût, et le fard des courtisannes occupera la place de ce coloris céleste que les affections vertueuses peuvent seules répandre sur les traits de l’innocence. La galanterie et ce qu’on appelle amour peut subsister sans l’ingénuité du caractère ; mais les bases solides de l’amitié sont le respect et la confiance ; — et qu’est-ce que l’estime qui n’a pas de pareils fondemens ?

Le goût des beaux arts demande beaucoup de calme ; le goût des affections vertueuses n’en demande pas moins ; et tous deux supposent ce développement de l’esprit, qui lui ouvre tant de sources de plaisir. Pourquoi court-on après les scènes bruyantes et les cercles nombreux ? parce que l’ame manque d’activité, parce qu’on n’a pas nourri les vertus du cœur. En conséquence, on ne voit, on n’a de sensations qu’au milieu du tumulte, on soupire continuellement après la variété, et l’on trouve insipide tout ce qui est simple.

Cet argument pourroit être poussé plus loin que les philosophes ne le croyent. Car, si la nature a destiné les Femmes en particulier à la pratique des devoirs domestiques, elle les a rendues à un grand dégré susceptibles des affections aimantes. Aujourd’hui les Femmes sont avides de plaisir, et, suivant ma définition, cela doit être parce qu’elles ne peuvent entrer dans les minutieux détails de la vie domestique qui leur en ôtent le goût, faute de jugement, fondement de toute espèce de goût ; car l’intelligence, en dépit des froides plaisanteries des libertins, se réserve le privilège de porter au cœur une joie pure et véritable.

Combien de fois j’ai vu jeter de côté, avec le bâillement de la langueur, un poëme admirable, auquel un homme de goût revient à plusieurs reprises, et toujours avec ravissement, et, pendant que la mélodie suspendoit presque la respiration, une Femme me demander où j’avois acheté ma robe. J’ai vu des yeux qui parcouroient froidement un tableau d’un grand maître, étinceler de plaisir, en s’arrêtant sur une caricature grossièrement ébauchée, et, pendant que quelques traits de la majesté terrible de la nature répandoient dans mon cœur un calme sublime, on me faisoit observer les jeux d’un petit chien avec lequel mon mauvais destin me forçoit de voyager. Est-il surprenant qu’un être aussi dépourvu de goût, aimât mieux caresser ce chien que ses enfans ? ou qu’il préférât les éxagérations de la flatterie, aux simples accens de la sincérité ?

Pour fortifier cette observation, qu’il me soit permis de remarquer que les génies du premier ordre, que les esprits les plus cultivés ont toujours paru trouver des délices dans les simples beautés de la nature, et sans doute ils ont dû vivement sentir ce qu’ils ont bien décrit, je veux dire le charme inexprimable que les affections de la nature et les sensations de l’innocence répandent autour de l’espèce humaine. C’est ce regard perçant qui lit dans les ames, c’est ce cœur qui palpite et vibre à l’unisson de chaque émotion, qui rend le poëte capable de personnifier chaque passion, et le peintre de les rendre avec un pinceau de feu.

Le vrai goût est toujours le résultat de l’intelligence, employée à observer les effets de la nature, et tant que celle des Femmes ne sera pas mieux cultivée, c’est en vain qu’on espérera de les voir acquérir du goût pour le bonheur domestique. La vivacité de leurs sensations contribuera toujours à endurcir leur cœur, et les émotions qu’elles éprouveront continueront à être aussi vives que passagères, si une éducation plus raisonnable n’enrichit leur esprit de connoissances.

C’est le défaut de goût pour la vie domestique, et non l’acquisition des connoissances, qui force les Femmes de quitter l’intérieur de leurs familles, et qui arrache au sein qui devroit le nourrir l’innocente victime qui lui sourit envain. On a laissé les Femmes dans une ignorance et dans une dépendance servile pendant beaucoup trop d’années : aussi n’entendons-nous parler que de leur fureur pour le plaisir et la domination, de leur foible pour les avanturiers et les gens de guerre, de leur attachement puéril à des bijoux, et de la vanité qui leur fait attacher plus de prix aux qualités corporelles, qu’aux vertus.

L’histoire nous fournit un terrible dénombrement des crimes que leurs artifices ont fait commettre, quand ces foibles esclaves ont eu assez d’adresse pour subjuguer leurs maîtres. En France et dans beaucoup d’autres pays, les hommes ont été des despotes capricieux, et les Femmes de rusés ministres : — est-ce là la preuve que l’ignorance et la dépendance les rendent propres aux douceurs de la vie domestique. Leur sottise n’est-elle par le refrein des libertins qui cherchent leur société, et les hommes sensés ne se plaignent-ils pas sans cesse qu’une passion excessive pour les ajustemens et la dissipation, écarte une mère de famille pour jamais de sa maison ? Ce ne sont pas les connoissances qui ont débauché leur cœur ; ce n’est pas le goût de la science qui a égaré leur esprit ; cependant, en remplissent-elles avec plus d’exactitude les devoirs que, comme Femmes, la nature les appelle à remplir ? au contraire, l’état de guerre qui subsiste entre les deux sexes, leur fait emloyer ces ruses qui éludent les desseins les plus marqués de la force.

Lors donc que j’appelle les Femmes des esclaves, je prends leur esclavage dans un sens politique et civil ; car indirectement, elles obtiennent beaucoup trop d’autorité, et elles s’avilissent par les efforts même qu’elles font pour se faire un pouvoir illégitime.

Une nation éclairée[10] devroit donc essayer quel effet la raison auroit pour les ramener à la nature et à leur devoir, et, en leur laissant partager avec les hommes les avantages de l’éducation et du gouvernement, voir si elles deviendront meilleures en devenant libres et plus éclairées. C’est une épreuve qui ne peut leur faire tort ; car il n’est pas au pouvoir des hommes de les rendre plus insignifiantes qu’elles ne le sont à présent.

Pour rendre cet essai praticable, le gouvernement devroit établir, pour chaque âge, des écoles d’externes où les garçons et les filles seroient élevés ensemble. L’école pour les plus jeunes enfans, depuis cinq ans jusqu’à neuf, devroit être absolument libre et ouverte à toutes les classes de citoyens[11] Un nombre suffisant de maîtres, seroit choisi dans chaque paroisse, par un comité choisi auquel seroient rapportées toutes les plaintes de négligence, etc. si elles étoient signées par les parens de six enfans.

Alors des sous-maîtres deviendroient inutiles ; car, selon moi, l’expérience prouvera toujours que cette sorte d’autorité subordonnée est particulièrement funeste aux mœurs de la jeunesse. En effet, est-il rien de plus fort, pour dépraver le caractère, qu’une soumission apparente et un mépris réel ? Peut-on se flatter que les jeunes gens témoigneront du respect à un sous-maître, lorsque le maître lui-même semble ne le considérer que sur le pied d’un domestique, fait pour être l’objet du ridicule qui devient leur principal amusement, pendant les heures de récréation.

Mais aucun inconvénient de cette nature ne peut avoir lieu dans une école élémentaire d’externes, où les garçons et les filles, les riches et les pauvres se trouveroient réunis ; et pour prévenir toutes les distinctions de la vanité, il faudroit qu’ils fussent habillés de même et tous soumis à la même discipline, ou qu’ils quittassent l’école. La classe devroit être environnée d’une large pièce de gazon où les enfans pourroient s’exercer utilement ; car, à cet âge, on ne doit pas les astreindre à être sédentaires plus d’une heure de suite ; mais on pourroit faire de ces récréations une sorte d’éducation élémentaire ; car il y a beaucoup de choses qui perfectionnent et amusent les sens, quand on les donne comme des jeux, aux principes desquels l’enfant feroit la sourde oreille, s’ils étoient séchement présentés. Par exemple, la botanique, la mécanique, l’astronomie, la lecture, l’écriture, l’arithmérique, l’histoire naturelle et quelques simples expériences physiques pourroient remplir le jour. Mais ces études n’empiéteroient jamais sur les jeux de gymnastique en plein air. Les élémens de la religion, de l’histoire, de l’histoire de l’homme et de la politique pourroient aussi s’enseigner dans des conversations, à la manière de Socrate.

À neuf ans, les garçons et les filles, destinés à des occupations domestiques, ou à des professions mécaniques, passeroient à d’autres écoles, pour y recevoir une instruction appropriée jusqu’à un certain point à chaque individu, les deux sexes restant toujours ensemble le matin ; mais l’après diner, les filles se rendroient à une école où l’aiguille, la couture en robes et broderie seroient leur occupation.

Ceux qui annonceroient des dispositions plus marquées, ou qui seroient plus riches, apprendroient, dans une autre école, les langues mortes et vivantes, les élémens des sciences ; et continueroient l’étude de l’histoire et de la politique, sur un plan plus étendu qui n’exclueroit par la belle littérature.

Les filles et les garçons toujours ensemble, vont demander quelques-uns de mes lecteur ? — Oui, toujours. Le seul inconvénient que j’y trouve, c’est qu’il en pourra résulter quelque attachement prématuré, ce qui aura le meilleur effet sur les mœurs des jeunes gens, mais ne quadrera peut-être pas tout-à-fait avec les vues des parens ; car je crains bien qu’il ne se passe encore beaucoup de tems, avant que le monde soit assez éclairé pour que les parens, uniquement occupés du soin de rendre leurs enfans vertueux, leur abandonnent celui de se choisir eux-mêmes la société de toute leur vie.

D’ailleurs, ce seroit un sûr moyen de faire marier les jeunes gens de bonne heure, et ces sortes de mariages doivent naturellement produire les plus heureux effets au physique et au moral. Quelle différence entre un citoyen marié et un galant de profession, un célibataire égoïste qui ne vit que pour lui-même, et qui souvent ne craint de se marier que parce qu’il ne seroit pas capable de vivre honnêtement ? À quelques exceptions près qui doivent être rares dans une société dont l’égalité est la base, l’homme ne peut se préparer à remplir les devoirs de la vie publique, que par la pratique habituelle des devoirs d’un ordre supérieur, mais qui forment l’homme.

Dans ce plan d’éducation, la santé des garçons ne seroit pas ruinée par les débauches précoces qui maintenant rendent les hommes si personnels ; et les filles ne seroient pas rendues foibles et vaines, par l’indolence et les arts frivoles. Mais je suppose, avant tout, qu’il régneroit entre les deux sexes un dégré d’égalité qui, en fermant la porte à la galanterie et à la coquetterie, laisse l’amitié et l’amour donner au cœur la trempe nécessaire pour remplir les devoirs les plus importans.

Ce seroit-là des écoles de morale ; et le bonheur de l’homme découlant enfin librement des sources pures du devoir et de l’affection, quels seroient les progrès de l’esprit humain ! La société ne peut être heureuse et livre, qu’autant qu’elle est vertueuse ; mais que les distinctions qui y règnent encore minent toutes les vertus privées, et flétrissent toutes les vertus publiques.

Je me suis déjà élevée contre l’usage de restreindre les jeunes filles à l’exercice de leur aiguille, et de les exclure de toute occupation politique et civile ; car c’est en rétrécissant ainsi leurs esprits qu’on les rend incapables de remplir les devoirs particuliers que la nature leur a assignés.

Occupées uniquement des petits incidens du jour, elles deviennent nécessairement rusées, artificieuses. J’ai pensé quelquefois me trouver mal, en voyant les tours et les ruses employés par les Femmes, pour obtenir quelques bagatelles qui leur faisoient tourner la tête. Comme on ne laisse pas d’argent à leur disposition, et qu’elles ne possèdent rien en propre, elles apprennent à tourner à leur profit les dépenses journalières de la maison, et si un mari leur donne quelque sujet de mécontentement, soit en s’éloignant d’auprès d’elles, soit en leur causant quelque jalousie, — une nouvelle robe, ou quelque autre bagatelle, fléchit le ressentiment de l’altière et sourcilleuse Junon.

Toutes ces petitesses ne dégraderoient pas leur caractère, si les Femmes apprenoient de bonne heure à se respecter elles-mêmes ; si le champ de la politique et de la morale leur étoit ouvert ; et j’ose assurer que c’est-là le seul moyen de les rendre attentives à leurs devoirs domestiues. — Un esprit actif embrasse tout le cercle de ses devoirs, et trouve assez de tems pour tout. Certes, ce n’est par une entreprise au-dessus de nos forces de rivaliser avec les vertus des hommes. Ce n’est pas le charme des études littéraires, ni l’application soutenue aux sciences, qui éloignent les Femmes de leurs devoirs ; c’est l’indolence et la vanité, — l’amour du plaisir et celui de la domination, qui règnent en maîtres dans un esprit vide. Oui, vide, je le répète à dessein, parce que l’éducation que les Femmes reçoivent à présent en mérite à peine le nom. Le peu de connoissances qu’on les met à portée d’acquérir, pendant les années importantes de leur jeunesse, se borne aux talens agréables, à des talens qui n’ont aucune solidité ; car sans la culture de l’esprit, la grace même est superficielle et monotone. Comme ces charmes d’un visage qui doit beaucoup à l’art, elles ne frappent qu’au milieu d’une assemblée nombreuse ; mais dans l’intérieur de la maison, comme l’esprit est en défaut, elles n’ont pas le piquant de la variété. La conséquence est facile à tirer ; dans les scènes de dissipation, nous ne rencontrons qu’un esprit et un visage apprêté ; car ceux qui fuient la solitude, ne craignent rien tant après elle, que les cercles de famille ; et ne pouvant ni amuser, ni intéresser les autres, ils sentent leur nullité, et ne savent ni s’amuser, ni s’intéresser eux-mêmes.

D’ailleurs, quoi de moins délicat que la première entrée d’une jeune personne dans le monde ! N’est-ce pas, en d’autres termes, mener au marché une demoiselle à marier qu’on promène d’un lieu à un autre richement parée ? En se voyant captifs même au milieu de ce tourbillon, nos jeunes papillons brûlent de voltiger à l’aise ; car la première affection de leur ame est leur propre personne, sur laquelle on a appelé leur attention avec un soin extrême, pendant qu’elles se préparoient à l’époque qui décide du destin du reste de leur vie. Au lieu de suivre cette oisive routine, en soupirant pour une ostentation dépourvue de goût, et pour un état où le cœur n’est compté pour rien, avec quelle dignité les jeunes gens des deux sexes ne formeroient-ils pas des attachemens dans les écoles dont j’ai donné une esquisse rapide, dans lesquelles, suivant les progrès de l’âge, la danse, la musique, le dessin pourroient être admis comme des récréations ; car les enfans plus riches pourroient y rester plus ou moins long-tems, jusqu’à ce que l’âge ne le permit plus. Ceux qui seroient destinés à des professions particulières, pourroient se rendre, trois ou quatre fois par semaine, dans des écoles convenables à leur immédiate destination.

Je donne pour le présent ces observations comme de premières idées, et plutôt comme une ébauche que comme un plan bien digéré ; mais je dois ajouter que j’approuve hautement un réglement, indiqué dans l’ouvrage dont j’ai déjà parlé[12], celui qui a pour objet de rendre les enfans et les jeunes gens indépendans de leurs maîtres par rapport aux punitions. Il faut qu’ils soient jugés par leurs pairs, méthode admirable de graver profondément dans leur cœur les principes de la justice, et dont résulteroient les plus heureux effets sur le caractère aigri de bonne heure, ou irrité par la tyrannie, jusqu’à ce qu’il devienne, ou lâchement artificieux, ou farouche et arrogant.

Mon imagination s’élance avec toute la chaleur de la bienfaisance, pour saluer ces aimables et respectables groupes, en dépit du rire sardonique des cœurs froids à qui je permets de prononcer, avec toute l’importance de l’égoïsme, l’accablante épithète de romanesque, épithète dont je veux émousser toute la force, en répétant ici les paroles d’un éloquent moraliste.

« Je ne sais pas, dit-il, si les illusions d’un cœur vraiment humain qui, dans l’ardeur de son zèle, ne voit rien que d’aisé, ne sont pas préférables à cette raison âpre et repoussante, qui trouve toujours dans son indifférence pour le bien public, le premier obstacle à tout ce qui pourroit y contribuer. »

Je sais que les libertins ne manqueront pas aussi de s’écrier que l’acquisition de la force de l’ame et du corps feroit perdre aux Femmes leur sexe, et que la beauté, cette douce et séduisante beauté cesseroit bientôt de parer les filles des hommes. Je suis d’un sentiment tout contraire, et je pense que c’est alors que nous verrions la beauté décente et la véritable grace, pour la perfection de laquelle il faut le concours de tant de puissantes causes physiques et morales. Ce ne seroit pas, il est vrai, une beauté molle, ni cette grace qui semble résulter de la foiblesse ; mais elle seroit de nature à nous faire regarder le corps humain comme un bâtiment majestueux, propre à recevoir un noble habitant, au milieu des débris de l’antiquité[13].

Je n’ai pas oublié que, selon l’opinion commune, les statues grecques n’ont pas été modélées d’après la nature, c’est-à-dire, d’après les proportions de tel homme en particulier ; mais que ces belles formes, ces belles proportions ont été empruntées de différens corps, pour en former un tout harmonieux. Cela peut être vrai à quelques égards. La belle peinture idéale d’une imagination exaltée, peut être supérieure aux matériaux que le poëte trouve dans la nature, et d’après cela, elle peut avec justice être appelée le modèle de l’humanité, plutôt que d’un homme. Ce n’étoit pas cependant le choix mécanique des membres et des traits, mais plutôt l’éruption d’une imagination échauffée, ou l’organisation exquise de l’artiste, jointe à l’intelligence cultivée, choisit la matière solide qui doit sortir de ce foyer brûlant.

J’ai observé que ce choix n’étoit pas mécanique, parce qu’il en résultoit un tout, un modèle de cette grande simplicité, de cette énergie, de cette correspondance harmonique qui fixe l’attention et commande le respect ; car pour la beauté insipide et sans vie, il suffit d’une servile copie de la belle nature. Mais indépendamment de ces observations, je crois que la forme humaine doit avoir été beaucoup plus belle, qu’elle ne l’est à présent, parce que l’excès de l’indolence, des ligatures barbares, et beaucoup d’autres causes qui agissent puissamment sur elle, dans notre état actuel de corruption, retardent ses développemens, ou en altèrent les proportions. L’exercice et la propreté paroissent être les plus sûrs moyens, non-seulement de conserver la santé, mais d’augmenter la beauté, à n’envisager que les causes physiques. Cependant, elles ne sont pas suffisantes. Il faut le concours des causes morales, sans quoi la beauté ne s’éléveroit pas aux-dessus de celle qui fleurit dans l’extérieur innocent et frais de quelques personnes de la campagne dont l’esprit n’a pas reçu de culture. Pour qu’elle soit parfaite, il faut que le physique et le moral s’embellissent à la fois, et se prêtent et reçoivent tour-à-tour une nouvelle force. Il faut que le jugement réside sur le sourcil, que le sentiment et l’imagination étincellent dans les yeux, et que l’humanité arrondisse les joues, sans quoi le feu du plus bel œil, l’ensemble des plus beaux traits, la plus élégante tournure sont sans effet, tandis que la grace et la modestie doivent briller dans les moindres mouvemens où se déployent des membres agiles et de souples articulations. Mais ce bel assemblage ne peut être le produit du hazard ; c’est la récompense des efforts réunis pour que l’un vienne à l’appui de l’autre ; car le jugement ne peut être acquis que par la réflexion, le sentiment que par la pratique des devoirs, et l’humanité que par l’exercice de la compassion envers toutes les créatures animées.

La pitié pour les animaux devroit entrer pour beaucoup dans l’éducation nationale ; car ce n’est pas à présent une de nos vertus[14]. La sensibilité pour ces humbles et muets domestiques se trouve plus communément dans un état sauvage, que dans un état civilisé. La civilisation s’oppose à ce commerce habituel d’où résulte l’affection, dans une hutte grossière, ou dans une cabane de terre, et comme les esprits sans culture ne participent que par la dépravation aux rafinemens d’une société où le pauvre est foulé aux pieds par le riche ; elle leur inspire le désir de dominer sur les animaux, pour se venger sur eux des insultes qu’ils sont obligés de souffrir de la part de ceux qui sont au-dessus d’eux[15].

Cette habitude de cruauté se prend d’abord dans les écoles où c’est un des grands plaisirs des enfans de tourmenter les malheureux animaux qui leur tombent sous la main. À mesure qu’ils avancent en âge[16], ils passent, par une transition presqu’insensible, de cette barbarie à la tyrannie domestique sur leurs Femmes, leurs enfans et leurs gens. La justice ou même la bienveillance ne peut pas être une source puissante d’action, à moins qu’elle ne s’étende à tous les objets de la création ; et je crois qu’on peut regarder comme un axiome, que ceux qui peuvent voir souffrir de la douleur, sans en être touché, apprendront bientôt à en causer eux-mêmes.

Les ames vulgaires sont menées par les sensations du moment, et les habitudes qu’ils ont contractées par hazard ; mais des sensations partielles ont beau être justes, on n’y peut pas trop compter. Les sympathies dans notre nature sont fortifiées par de puissantes méditations, et anéanties par le défaut de réflexion. Le cœur de Macbeth palpita davantage pour un seul meurtre que pour cent autres que le premier rendoit nécessaires ; mais quand je me suis servi de l’épithète vulgaire, je ne prétends point borner mes remarques aux pauvres ; car cette humanité partielle, fondée sur la sensation du moment ou sur un caprice, est au moins aussi frappante, si elle ne l’est pas davantage, chez les gens riches.

Une Femme qui verse des larmes pour un oiseau pris au piège, qui déteste ces diables à figure humaine qui aiguillonnent un pauvre bœuf jusqu’à le rendre fou, ou fouettent l’âne patient, chancelant sous un fardeau au-dessus de ses forces, cette Femme si sensible n’en laissera pas moins son cocher et ses chevaux l’attendre des heures entières, exposés aux rigueurs d’un froid piquant, ou aux torrens de pluie qui battent des jalousies bien closes où ne peut pénétrer le moindre air, pour l’avertir combien le vent soufle avec violence ; et celle qui partage son lit avec ses chiens, et les soigne avec une sensibilité d’ostentation lorsqu’ils sont malades, laissera ses enfans croître dans une pension avec des difformités. Des faits dont j’ai été témoin viennent à l’appui de mon raisonnement. La Femme que j’ai eu en vue ici, étoit belle, et passoit pour telle près de ceux qui s’inquiètent peu de l’esprit, quand une Femme est fraîche et agréable. Son intelligence n’avoit pas été détournée des devoirs de son sexe par les lettres, et son innocence n’avoit pas été altérée par les connoissances. Elle étoit Femme dans toute la force du mot, et loin d’aimer les animaux qui remplissoient la place que ses enfans auroient dû occuper, elle débitoit en grasseyant un joli jargon, moitié français, moitié anglais, pour plaire aux hommes qui s’empressoient autour d’elle. L’épouse, la mère, la créature humaine disparaissoient devant le caractère factice qu’avoit produit une éducation peu convenable, et la vanité égoïste de la beauté.

Je n’aime point à faire une distinction, sans établir une différence, et j’avoue que j’ai été autant repoussée par la belle dame qui serroit son épagneul contre son sein, au lieu de son enfant, que de la férocité de cet homme qui, battant son cheval, assuroit que l’animal savoit quand il faisoit mal, aussi bien qu’un chrétien.

Ces exemples de sottises montrent quelle est l’erreur de ceux qui, en permettant aux Femmes de sortir de leurs harems, ne cultivent pas leur intelligence, ce qui seroit nécessaire pour déposer le germe des vertus dans leur cœur. À l’aide de ce flambeau, elles acquerroient ce goût pour la vie domestique qui les conduiroit à l’amour de toute leur famille, mais avec la gradation convenable, depuis le mari jusqu’au chien de sa maison, et elles n’insulteroient pas l’humanité dans la personne de leurs domestiques, en s’occupant plus du bien-être d’une bête, que de celui de ses semblables.

Mes observations sur l’éducation nationale, ne sont que des idées jettées aux hazard ; mais je désire surtout établir la nécessité d’élever les deux sexes ensemble, pour les perfectionner tous les deux, et de faire dormir les enfans dans la maison paternelle, afin de leur apprendre à l’aimer. En-même-temps, pour que les affections privées servent de base aux affections publiques, au lieu de les étouffer, il faut les envoyer à une école où ils puissent se mêler avec un certain nombre de leurs égaux ; car ce n’est qu’à l’école de l’égalité que nous pouvons nous former une juste opinion de nous-mêmes.

Pour rendre l’humanité plus vertueuse et par conséquent plus heureuse, les deux sexes doivent agir d’après le même principe. Mais comment peut-on se flatter d’y parvenir, quand on ne permet qu’à une moitié d’en voir la justesse ? Pour rendre juste le compas social, et pour répandre ces principes lumineux, qui seuls peuvent améliorer le sort de l’homme, il faut permettre aux Femmes de fonder leur vertu sur la base des connoissances, ce qui est presqu’impossible, si elles ne font pas les mêmes études que les hommes.[17] Car, pour le présent, elles sont si forts au-dessous d’eux, par l’ignorance et la frivolité de leurs désirs, qu’elles ne méritent pas d’être mises dans la même classe ; ou, si elles gravissent à l’arbre de la science, ce n’est que par les détours tortueux de la ruse, et elles n’en acquièrent que ce qu’il en faut pour égarer les hommes.

L’histoire de toutes les nations prouve clairement que les Femmes ne peuvent être absolument resserrées dans le cercle étroit des occupations domestiques. Il leur est impossible de bien remplir les devoirs de l’intérieur de leurs familles, si leur esprit ne prend un plus grand essor, et, tant qu’elles sont tenues sous le joug de l’ignorance, elles deviennent les esclaves du plaisir, dans la même proportion qu’elles sont les esclaves des hommes. On ne peut leur interdire les grandes entreprises, quoique la petitesse de leur esprit leur fasse souvent croire qu’elles sont incapables d’en concevoir.

Le libertinage et même les vertus des hommes supérieurs doivent toujours donner aux Femmes d’un certain rang, beaucoup de pouvoir sur eux, et ces foibles Femmes, soumises à l’influence de passions enfantines et de l’égoïsme de la vanité, doivent jeter un faux jour sur les mêmes objets que ces mêmes hommes voyent avec des yeux qui devroient éclairer leur jugement. Les hommes à grande imagination, et ces caractères ardens qui tiennent ordinairement le timon des affaires, doivent en général chercher du délassement dans la société des Femmes, et je n’ai sans doute pas besoin de citer au lecteur le plus superficiel, les nombreux exemples de vice et d’oppression produits par les intrigues particulières des favorites, ni de m’appesantir sur les malheurs qui sont la suite naturelle de l’intervention aveugle de la sottise même bien intentionnée. Car, en affaires, il vaut beaucoup mieux avoir à traiter avec un fripon qu’avec un sot, parce qu’un fripon est capable de s’attacher à un plan et de le suivre, et on a plutôt jugé un plan raisonnable qu’un écart brusque de la sottise. Le pouvoir que des Femmes viles et sottes ont exercé sur des hommes d’esprit, mais trop sensibles, est assez connu. Je me contenterai d’en citer un exemple.

Qui jamais traça un caractère de Femme plus exalté que J. J. Rousseau, quoiqu’en général il ait pris constamment à tâche de rabaisser notre sexe ? Et pourquoi ces efforts pénibles ? pour se justifier à lui-même l’affection que la foiblesse et la vertu lui avoient fait nourrir pour cette sotte Thérèse. Ne pouvant l’élever même au niveau commun de son sexe, il s’efforçoit de rabaisser les Femmes jusqu’à elle. Il avoit trouvé en elle une humble compagne qui lui avoit convenu, et l’orgueil lui fit imaginer quelques vertus supérieures dans l’être qu’il avoit choisi pour vivre avec lui. Mais la conduite de cette Femme, pendant sa vie et après sa mort, n’a-t-elle pas prouvé clairement combien il s’étoit trompé, lorsqu’il l’appeloit une céleste innocente ? Et lui-même ne se plaint-il pas dans l’amertume de son cœur, que, lorsque ses infirmités l’eurent forcé de ne plus la traiter comme sa femme, elle cessa d’avoir de l’affection pour lui ? Et rien n’étoit plus naturel, une fois que l’âge avoit rompu le lien sexuel, le seul qui unit deux êtres qui avoient si peu de sentimens communs. Pour entretenir une affection dont la sensibilité est restreinte à un seul sexe, et même à un seul homme, il faut un sens droit qui puisse convertir cette sensibilité en humanité. Il n’est pas beaucoup de Femmes qui ayent assez d’esprit pour avoir de l’affection pour une Femme, ou de l’amitié pour un homme. Cette foiblesse du sexe, qui fait que la Femme dépend de l’homme pour sa subsistance, produit une sorte d’affection enfantine qui fait tourner une Femme autour de son mari, comme elle feroit auprès de tout autre homme qui pourroit la nourrir et la caresser.

Les hommes sont pourtant souvent flattés de cette sorte de tendresse qui se restreint à eux ; mais s’ils devenoient plus vertueux, ils aimeroient à trouver auprès du feu un ami avec qui converser, quand ils auroient cessé de jouer avec une maîtresse.

D’ailleurs, l’intelligence est nécessaire pour donner de la variété et de l’intérêt aux plaisirs des sens. C’est occuper, en effet, le dernier rang dans l’échelle intellectuelle, que de continuer à aimer, lorsque ni la vertu, ni le sens ne donnent une apparence humaine aux appétis de l’animalité. L’esprit et le sens auront toujours l’avantage ; et si les Femmes ne sont pas en général plus rapprochées du niveau des hommes, quelques Femmes supérieures, comme les courtisannes grecques, rassembleront autour d’elles les hommes à talens, et tireront de leurs ménages beaucoup de citoyens qui y seroient restés si leurs Femmes étoient plus sensées, ou si elles avoient les graces qui résultent de l’esprit et de l’imagination, dont le goût est le fils légitime. Une Femme qui a des talens, si elle n’est pas absolument laide, obtiendra toujours un grand pouvoir fondé sur son sexe, et à mesure que les gommes deviendront vertueux et délicats, par le développement de la raison, ils chercheront dans les Femmes de la vertu et de la délicatesse. Mais les Femmes ne peuvent acquérir l’une et l’autre, que par les mêmes moyens auxquels les hommes les doivent.

En France et en Italie, les Femmes se sont-elles bornées à la vie domestique ? Quoiqu’elles n’y ayent pas eu jusqu’ici d’existence politique, n’ont-elles pas eu un pouvoir d’autant plus grand qu’il étoit acquis par des voies illicites ? c’est-à-dire, par leur propre corruption et par celle des hommes dont les passions leurs servoient de jouet ? En un mot, sous quelque rapport que j’envisage ce sujet, la raison et l’expérience me convainquent également que le seul moyen d’amener les Femmes à la pratique des devoirs de la vie privée, c’est de les affranchir de toute contrainte, en les laissant participer aux droits imprescriptibles de l’humanité.

Donnez-leur la liberté, et la liberté les rendra bientôt éclairées et vertueuses, comme elle produit le même effet sur les hommes. Car le perfectionnement des deux sexes doit être mutuel, ou les injustices auxquelles la moitié de l’espèce humaine est obligée de se soumettre, retombant sur ses oppresseurs, les vertus des hommes seront minées par l’insecte même qu’il tient sous ses pieds.

Laissez les hommes faire leur choix, l’homme et la Femme seront faits l’un pour l’autre, sans devenir un seul être ; mais si les hommes n’améliorent pas les Femmes, ils seront corrompus par elles.

Je parle du perfectionnement et de l’émancipation du sexe tout entier. Je sais que la conduite de quelques Femmes qui par hazard, ou par d’heureuses dispositions naturelles, ont acquis une portion de connoissances supérieures à celles de leur sexe, est souvent devenue insuportable ; mais il y a eu aussi des exemples de Femmes qui aux connoissances ont su joindre la modestie, et n’ont pas affiché un mépris pédantesque pour l’ignorance qu’elles avoient écartées de leur propre esprit. Les exclamations qui ont lieu quand on parle du savoir des Femmes, sur-tout dans le bouche de celles qui sont jolies, naissent donc le plus souvent de la jalousie, quand elles viennent à s’appercevoir que même l’éclat de leurs yeux et le vif enjouement d’une coquetterie rafinée, ne fixent pas toujours l’attention pendant toute une soirée. Une Femme d’un esprit plus cultivé s’efforce-t-elle de faire prendre à la conversation un tour raisonnable ; la source ordinaire de leur consolation est de dire que ce n’est pas avec cela qu’on a un mari. Que de ruses n’ai-je pas vu employer à de ridicules Femmes ? Quelles manœuvres savantes ne leur ai-je pas vu faire, pour interrompre une conversation raisonnable dont l’intérêt faisoit oublier aux hommes qu’elles étoient de jolies Femmes ?

Mais supposé que, ce qui n’est que trop ordinaire aux hommes, l’effet immanquable de talens distingués soit d’inspirer cette haute opinion de soi-même, également choquante et dans les hommes et dans les Femmes, — à quel degré d’infériorité les facultés des Femmes ont-elles donc été condamnées, si la petite portion de connoissances, acquises par celles qu’on appelle par dérision des savantes, devient une singularité assez frappante pour enfler celle qui les possède, et exciter la jalousie dans ses contemporaines, et même dans quelques personnes de l’autre sexe ? En effet, combien de Femmes un peu de raison n’a-t-il pas exposées à la plus sévère censure ? Je fais allusion à des faits bien connus ; car j’ai vu souvent donner des ridicules à des Femmes, et relever avec malignité la plus petite foiblesse, uniquement parce qu’elles avoient adopté les avis de quelques médecins, et qu’elles s’étoient écartées du sentier battu dans la manière de traiter leurs enfans. Cette aversion barbare pour toute innovation a été portée si loin, que je viens d’entendre taxer de peu de naturel une Femme intéressante qui avoit montré cette sollicitude sur la santé de ses enfans, et qui, au milieu de ses soins maternels, avoit eu le malheur d’en perdre un, par un de ces accidens auxquels l’enfance est exposée, et dont toute la prudence possible ne sauroit garantir. Ses connoissance ne manquèrent pas d’observer que c’étoit la suite de ses nouvelles idées. — Elles appeloient nouveautés, les soins de procurer aux enfans plus de propreté et plus d’aisance dans leurs mouvemens ; et ceux qui prétendoient au mérite de l’expérience, quoiqu’ils fussent restés long-tems attachés aux préjugés qui, suivant l’opinion des plus habiles médecins, ont abâtardi l’espèce humaine, se réjouissoient presque du malheur qui donnoit une sorte de sanction à la prescription de l’erreur.

En effet, sous ce rapport seul, l’éducation des Femmes est de la plus haute importance ; car quel nombre de sacrifice humains sont faits à ce préjugé[18] barbare ? et de combien de manières les enfans sont détruits par la lubricité de l’homme ? Le manque d’affection naturelle dans beaucoup de Femmes qui sont détournées de leurs devoirs par les hommages des hommes, et l’ignorance de quelques autres, fait de l’enfance un état mille fois plus périlleux, que celle des animaux. Et les hommes refuseront encore de mettre les Femmes à portée d’acquérir des connoissances suffisantes même pour élever ces innocentes créatures.

Je suis si pénétrée de cette vérité, que je voudrois consacrer toutes mes forces à l’établir ; car tout ce qui tend à affoiblir le caractère sacré de la maternité, et à lui ôter la capacité de ses devoirs, fait sortir la Femme de sa sphère.

Mais c’est envain qu’on se flatteroit de voir, dans les foibles Femmes du siècle présent, ce soin raisonnable du physique des enfans, si nécessaire pour jetter les fondemens d’une bonne constitution, en supposant qu’ils ne souffrent pas des péchés de leur père, ou de former leur caractère si judicieusement, qu’ils ne soient pas obligés, en avançant en âge, d’oublier tout ce qu’ils ont appris directement ou indirectement de leur mère, leur premier précepteur. Si l’esprit n’est pas d’une trempe peu commune, les politesses de Femmes s’attacheront au caractère pendant tout le reste de sa vie, et la foiblesse de la mère percera dans les enfans ; tant que les Femmes seront accoutumées à compter sur leur époux, pour diriger leur jugement, c’en sera-là toujours la conséquence ; car il n’est pas possible de perfectionner l’intelligence par portions, et personne ne peut agir sagement en se contentant d’être imitateur, parce que dans chaque circonstance de la vie, il y a une sorte d’individualité qui a besoin du jugement, pour modifier les règles générales. L’être capable de quelque justesse d’esprit dans un point, étendra bientôt son domaine intellectuel, et la Femme qui a assez de jugement pour gouverner ses enfans, ne se à prendre soin de leur santé, mais dans celle d’en faire des surveillans éclairés de celle de leurs enfans, de leurs parens et de leurs maris ; car les régistres mortuaires sont tous les jours grossis par les bévues de quelques vieilles Femmes opiniâtres qui donnent des recettes de leur composition, sans rien connoître à l’économie animale. Il n’est pas moins convenable de familiariser les Femmes avec l’anatomie de l’ame, en laissant les deux sexes s’associer l’un à l’autre dans l’étude des sciences et des arts, sans oublier la connoissance de la morale, ni celle de l’histoire politique de l’humanité.

On a appelé l’homme un petit monde, et chaque famille pourroit être regardée comme un petit état. Les états, il est vrai, ont été gouvernés en général par des moyens qui déshonorent le caractère de l’homme, et le manque d’une constitution fondée sur la justice, et de loix dont l’égalité soit la base, a tellement brouillé les notions des sages du monde, qu’ils en sont à mettre en question s’il est raisonnable de réclamer les droits de l’humanité. C’est ainsi que de la morale souillée dans le réservoir national, partent des ruisseaux empoisonnés qui vont corrompre les parties constituantes du corps politique ; mais si des principes plus nobles, ou pour mieux dire plus justes, servoient de bâses aux loix qui devroient gouverner à la place des hommes, le devoir deviendroit la règle de la conduite privée.

De plus, grace à l’exercice de leur corps et de leur esprit, les Femmes acuéreroient cette activité de l’ame si nécessaire dans les fonctions de la maternité, jointe à ce courage qui sait distinguer la fermeté de la conduite, de l’obstination perverse de la foiblesse ; car il est dangereux de conseiller aux foibles d’être fermes, parce qu’ils deviennent sur-le-champ rigoureux ; et pour s’éviter de la peine, ils punissent avec sévérité des fautes que le courage patient de la raison auroit prévenues.

Mais le courage suppose de la force d’esprit, et la force d’esprit peut-elle s’acquérir par une condescendance indolente, par l’habitude de demander conseil, au lieu d’en prendre de son jugement et d’obéir par crainte, au lieu de mettre en usage cette indulgence dont nous avons tous besoin. — La conclusion que je veux tirer de tout ceci, est fort simple : Faites des Femmes des créatures raisonnables et des libres citoyennes, et bientôt elles deviendront bonnes épouses et bonnes mère, c’est-à-dire, si les hommes ne négligent pas les devoirs d’époux et de pères.

En discutant les avantages qu’on peut raisonnablement se promettre de l’éducation publique et particulière combinées ensemble, comme je le propose, je me suis plus particulièrement appésantie sur ceux qui peuvent en résulter pour mon sexe, parce que je le regarde comme étant dans un état d’oppression. Mais comme la gangrène née des vices, enfans de l’oppression, n’est pas bornée à la partie malade, mais se répand à la longue dans toute la société ; en désirant voir les Femmes devenir des agens libres, mon cœur se dilate, par avance, dans la jouissance de cette sublime satisfaction que l’on ne peut devoir qu’à la morale et à la vertu.

    école célèbre de filles qui auroit mérité peut-être un peu d’indulgence de la part de l’auteur. C’est celle de Queen’s Square. Cette école n’a pas de jardin ; mais au premier rayon de soleil, les jeunes personnes sortent et se promènent dans le jardin que forme cette place, et qui est entouré de grilles. C’est un des spectacles les plus ravissans pour l’œil d’un étranger, que de voir ces jeunes vierges destinées à faire l’ornement de leur patrie, se promenant avec une liberté décente, et gardées par l’honnêteté publique. Il seroit à souhaiter qu’il se formât en France une école sur ce modèle.

  1. Note du traducteur. C’est ainsi que dans l’université de Paris, les jeunes gens étoient accablés d’offices, comme si l’on eût voulu faire un moine de chacun d’eux. C’est ainsi qu’on les éloignoit de bonne heure de toutes les pratiques de religion, par le soin qu’on prenoit de les en excéder. Voilà ce qu’on gagne à confier l’éducation aux mains des prêtres. On voit que sur cet article les protestans, au moins très-épiscopaux, ne valent pas mieux que les prêtres catholiques. La même absurdité régnoit dans les couvens, parce que c’étoient encore des prêtres et des béguines qui en avoient la direction.
  2. Note du traducteur. Il n’est peut-être pas indifférent aux yeux du philosophe d’observer que les mêmes abus, nés du papisme, qui infectent les collèges catholiques, existent dans les collèges Anglais. C’est que les Anglais ont conservé l’institution la plus ridicule de toutes, celle des chanoines. C’est que les prêtres, Imans, Talapoins, Bonzes, Brames, ministres, etc., sont les mêmes par-tout. Tromper pour dominer, c’est en deux mots l’esprit sacerdotal, des rives du Gange aux rives du Tybre.
  3. Note du traducteur. Il faut convenir que la réforme se sent beaucoup de l’esprit farouche des premiers réformateurs. Ils ne voyoient dans le papisme que paganisme et idolâtrie, et leur saint zèle proscrivoit sans miséricorde tout ce qui pouvoit passer à l’imagination et aux sens. Ils ne faisoient pas réflexion qu’il n’y a pas de religion populaire sans images, et que la religion païenne avoit été si savamment calculée par les législateurs, si heureusement embellie par les poëtes, que malgré toutes les révolutions religieuses, elle est restée encore la religion du genre humain. Tout ce que regrette ici la bonne Miss Wollstonecraft, n’est autre chose que des cérémonies sûrement païennes.
  4. Note du traducteur. Il y a vraiment dans tout ceci un peu d’exagération. On sait qu’il y a dans les universités Anglaises, des savans du premier ordre. Le célèbre Robertson, est principal dans celle d’Édimbourg. Blair, est professeur de rhétorique dans la même université, etc. Cependant, l’auteur est d’accord en beaucoup de choses avec Knox, dans son ouvrage de l’Éducation, et il résulte de leurs imputations comparées, que réellement le régime des universités Anglaises est excessivement défectueux. Voyez Knox, Éducation libérale, ouvrage, dont la traduction a paru l’année dernière chez Garnery, rue Serpente, no. 17.
  5. Note du traducteur. Il y a dans l’Anglais, Day-Schools, des écoles d’un jour.
  6. Note de l’auteur. Je veux parler ici des nombreuses écoles qui sont dans Londres, et aux environs, et de la conduite des négocians de cette grande ville.
  7. Note du traducteur. J’ai vu une école célèbre en province où cet usage étoit établi. Un jour un enfant allant en vacances, apporta un billet de satisfaction de son maître de violon. On voulut le faire jouer ; le pauvre enfant n’avoit jamais manié l’archet.
  8. Note du traducteur. Il y a en Angleterre
  9. Je me rappelle un fait que j’ai été à portée d’observer moi-même, et qui a excité mon indignation. J’étois allée voir un petit garçon dans une école où l’on préparoit de jeunes enfans pour une école plus grande. Le maître me reçut dans la pièce où se tenoit l’école etc. Mais en descendant une large allée bien sablée, je ne pus m’empêcher d’observer que de chaque côté le gazon étoit bien fourni. Sur le champ, je fis à l’enfant quelques questions, et je trouvai qu’il n’étoit pas permis aux pauvres enfans de sortir de l’allée, et que le maître laissoit quelquefois les moutons entrer sur le gazon pour le brouter. Le tyran de ce domaine se tenoit assis devant une fenêtre, qui dominoit sur cette espèce de prison, et un coin où les pauvres innocens auroient pu jouer librement, étoit enclos, et planté en pommes de terres. Sa femme avoit le même soin de les contenir, et de les empêcher de salir ou de déchirer leurs habits.
  10. Note du traducteur. C’est de la France que l’auteur veut ici parler. En effet, la révolution permet de s’occuper des Femmes qui n’ont que trop long-tems été traitées avec un respect apparent, et avec un mépris réel. On leur doit une meilleure éducation ; car les mères sont les premiers maîtres que la nature et la société donnent aux enfans. On leur doit le divorce, que la tyrannie seule des prêtres a pu leur ravir. Un grand nombre d’entr’elles ont prouvé qu’elles étoient dignes de la liberté ; il ne leur manque que plus de lumières. Plus éclairées, elles en seront plus vertueuses, et plus heureuses. On leur doit aussi des réparations de tous les crimes gothiques de la féodalité à leur égard, pour ce qui concerne les testamens, etc. ; car si la nature paroît leur refuser les droits politiques, elles ont autant de titres que les hommes aux droits civils ; en un mot, c’est à elles à affermir le nouveau régime. Depuis que la nation Française a secoué le joug, on a beaucoup parlé de contre-révolution. Législateurs ! ne vous le dissimulez pas : Si cette contre-révolution étoit possible, ce seroit par l’empire des Femmes. Mettez-les donc dans les intérêts de la constitution ; ce que vous ferez pour elles, ne sera pas perdu. C’est à elles qu’appartient sur-tout le dépôt que vous avez mis sous la garde des pères de famille, pour le transmettre aux générations futures.
  11. Note de l’auteur. En traitant cette partie, j’ai emprunté quelques idées d’un écrit intéressant du ci-devant évêque d’Autun, sur l’éducation publique.
  12. L’ouvrage de l’évêque d’Autun.
  13. Note du traducteur. Tout ce que dit l’auteur de la nécessité de fortifier le corps et l’ame des Femmes, est de la plus grande vérité. Condamnées par la nature à enfanter avec douleur, et à toutes les maladies auxquelles les expose le noble et touchant dépôt de la maternité, il est certain qu’elles auroient besoin de fortifier de bonne heure leur tempérament ; mais qu’elles ne s’éloignent pas trop de la nature. Une grande partie de leurs charmes et de leur empire, tient à leur foiblesse ; il faut qu’une Femme soit Femme de toutes les manières.
  14. Note du traducteur. Cette imputation paroît moins méritée en Angleterre que par-tout ailleurs. On a vu quelquefois le peuple prendre fait et cause pour un cheval maltraité par son maître, et il n’y a pas longtems que des juges ont condamné un homme à une amende, pour avoir traité son cheval avec une cruauté révoltante. C’est dans la vue d’inspirer de la bienveillance pour les animaux que Mistriss Sara Trimmer, qui s’est fait en Angleterre une réputation distinguée par beaucoup d’ouvrages à la portée de l’enfance et du peuple, a composé son joli roman, connu sous le nom d’Histoires Fabuleuses.
  15. Note du traducteur. Cette idée paroît être prise d’un auteur français, qui dit qu’un gueux à un chien pour avoir à qui commander. Je suis tenté de croire que c’est plutôt pour avoir un compagnon et un ami, et je suis confirmé dans mon opinion par le mot de cet homme qui, tombé de l’opulence dans une extrême misère, n’avoit pour ressource que le pain de la paroisse, et demanda un jour double ration. Le curé vint le voir, et appercevant un chien dans son misérable réduit, il lui fit sentir que le pain des pauvres ne pouvoit être donné aux chiens, et qu’en conséquence il falloir qu’il s’en défit. Eh ! monsieur, répondit l’infortuné, en versant des larmes, Eh ! monsieur, qui est-ce qui m’aimera ? Le bon curé se mit à pleurer lui-même, et n’eût pas la force d’exiger un sacrifice si douloureux.
  16. Note du traducteur. C’est pour cela qu’à Athènes l’Aréopage condamna à mort un enfant qui, par jeu, avoit crevé les yeux à une caille.
  17. L’auteur Anglais n’est pas seule de cet avis. Montaigne, qui, dans l’occasion, n’épargne pas le sexe, trouve qu’à tout prendre, il vaut à-peu-près le nôtre ; et il appuie son témoignage de ceux de Platon et d’Antisthènes. Voici comme il s’exprime :

    « Je dis que les masles et femelles sont jettez en même moule, sauf l’institution et l’usage, la différence n’y est pas grande. Platon appelle indifféremment les uns et les autres à la société de toutes estudes, exercices, charges et vacations guerrières et paisibles, en sa république. Et le philosophe Antisthènes ostoit toute distinction entre leur vertu et la nostre. Il est bien plus aisé d’accuser un sexe que d’excuser l’autre. C’est ce qu’on dit, le fourgon se mocque de la poële ».

  18. Il y a dans le texte le préjugé de Moloch. On sait que ce Moloch étoit une divinité Syrienne, à laquelle les Femmes sacrifioient leurs enfans dans des feux allumés à l’honneur de cette idole.