Débauchées précoces/Tome 1/Chapitre 8

Débauchées précoces, Bandeau de début de chapitre
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VIII


Elle n’avait pas l’habitude de faire la grasse matinée : à huit heures elle s’éveilla et se leva. Aucun bruit ne lui parvenait, sinon ceux de l’avenue Friedland.

Impressionnée de ce calme, elle crut de son devoir de s’occuper de sa chambre ; cet ouvrage terminé, elle passa à sa toilette.

Se rappelant qu’elle avait licence d’entrer chez lui, elle entrouvrit la porte de communication et entendit son souffle régulier, il dormait encore ; elle referma doucement, vint à sa fenêtre aspirer l’air à pleins poumons, et comme neuf heures sonnaient, on frappa à sa porte.

Elle courut ouvrir, Félicité la saluait :

— Bonjour, Mademoiselle, vous êtes la parente de Monsieur, je n’osais entrer. Je supposais que vous dormiez ! Vous avez fait votre lit ? Il ne fallait pas ; il y a le service pour ça ! Que désirez-vous pour votre déjeuner ? Monsieur n’a pas laissé d’ordre. Du thé, du café au lait, du chocolat ?

— Du chocolat.

— Voulez-vous que je vous serve ici, ou à la salle à manger.

— Ici ! J’attendrai que mon cousin soit éveillé !

— Bon, bon, je vais vous porter à manger.

Félicité ne pouvait manquer d’examiner avec curiosité cette jeunesse ! Était-ce une fillette, était-ce une jeune fille, elle ne le définissait pas bien. La robe de Rita n’était pas courte, cela faisait pencher pour l’hypothèse d’une jeune fille. Le visage gracieux et mutin, trahissait une nature sortie de l’enfance ! La brave servante, en allant chercher le déjeuner de Mademoiselle, hochait la tête, ne devinant pas la qualité de cette parente, dont elle ne sût jamais rien, ni de ce qu’elle serait dans la maison.

Elle eut bientôt servi son déjeuner, et malgré son désir de s’instruire, elle se résigna à se retirer, Rita affirmant n’avoir besoin de rien.

Rita se sentait de l’appétit ; elle prit avec grand plaisir ce premier repas ; l’appétit satisfait lui inspira de l’audace, elle pénétra dans la chambre de Célestin et s’avança jusqu’au lit.

Célestin avait le sommeil léger ; le bruissement de la robe l’éveilla, il aperçut la fillette habillée et s’écria :

— Quelle heure est-il donc ?

— Pas loin de la demie de neuf heures !

— Et tu es déjà debout ?

— Je me lève bon matin.

— Il fallait dormir, petite sotte ! Tu t’éreinteras.

— Oh non, je suis très bien.

— Vraiment !

Il s’étirait les bras, se secouait : il la pria d’ouvrir les contrevents, puis ajouta :

— Qu’as-tu fait ma mignonne ?

— J’ai déjeuné.

— Très bien cela ! Tu as demandé ce que tu voulais à Félicité ?

— Elle est venue elle-même.

— Quelle tête a-t-elle eue ?

— Comment quelle tête ?

— Dam, elle ne te connaissait pas, elle devait mourir d’envie de bavarder.

— Je n’y ai pas coupé, je le devinais bien.

— De l’argot, Mademoiselle, du vieil argot ; pas coupé, pas coupé !

Elle eut un joyeux éclat de rire qui ensoleilla son visage : il la saisit par les bras, l’attira près de lui et murmura dans son oreille :

— Le mal ne t’a pas empêchée de dormir ?

— Quel mal ?

— Ton pucelage envolé.

Elle rougit, appuya la tête sur son épaule, pour se cacher le visage.

— Tu n’es plus fâchée ? Tout bas, elle répondit :

— Non.

— Tu es gentille ! Veux-tu voir ce qui t’a écorchée avant que je m’habille, que j’appelle Félicité.

Elle observa le silence, gardant la tête appuyée contre son épaule.

Il rejeta les draps, et, sa chemise soulevée, lui montra sa queue, ses couilles, son ventre et ses poils.

— Regarde, regarde, ce n’est pas bien méchant.

— Je n’ose pas.

— Ah, la petite niaise ! C’est entré dans ton ventre, c’est un ami pour toi.

Elle hasarda un coup d’œil ; il lui guida la main dessus. Elle ne résista pas, et sans aucune indication la caressa, puis l’embrassa à l’extrémité. Il l’arrêta, ne voulant pas s’oublier davantage.

— Là, là, dit-il, c’est bien, tu finiras par l’aimer. Maintenant il s’agit qu’on ne se doute pas de ce qui se passe entre nous. Comprends-moi bien. Je suis ton tuteur, tu es ma pupille, on te respectera à ce titre et tu commanderas au service. Tu ne te confieras à personne sur la nature de nos rapports.

— À personne.

— Sous cette condition, je te promets de te rendre la vie aussi heureuse que possible. Je suis riche, tu ne manqueras de rien, et plus tard, quand tu seras une grande fille, j’assurerai ton avenir. Tu es encore trop jeune pour penser à ces choses. Ce que nous faisons ensemble, je te recommande d’éviter de le faire avec d’autres hommes, on ne sait ce qui en résulterait. Cela s’appellerait une trahison. T’en rends-tu compte ?

— Oui.

— Tu es une fille intelligente, je n’abuserai pas de ta jeunesse, je t’accorderai les repos nécessaires. Retourne à ta chambre, je vais sonner Félicité ; je te rejoindrai dès que je serai vêtu. Si tu t’ennuies, tu n’as qu’à te promener par l’appartement, tu es chez toi.

— Je ne connais encore personne.

— Il n’y a pour le moment que Félicité ! Pour moi seul, elle suffisait : j’étais si peu ici.

Elle revint dans sa chambre et s’installa à une fenêtre : le temps était splendide et doux, une belle journée d’automne.

Elle ne resta pas longtemps seule. Félicité vint la prévenir que monsieur Célestin l’attendait au grand salon. Elle y accourut et le vit avec une jeune brune, coquette et avenante.

— Ma chère enfant, dit Célestin, tu connais Félicité, voici maintenant Annette, fille de chambre, qui sera plus spécialement chargée de s’occuper de ton service. Elle ne demande qu’à être appréciée, j’espère que tu en seras satisfaite.

— Mademoiselle, dit la camériste, peut être sûre de n’avoir jamais un reproche à m’adresser.

— Je ne suis pas difficile, trouva à dire Rita, je tâcherai de me montrer raisonnable dans mes exigences.

Annette sortit, et, comme Félicité, se demanda ce que pouvait bien être cette si jeune parente qu’on installait en maîtresse.

À deux heures de l’après-midi, Célestin et Rita descendirent pour aller au Bon Marché, où Célestin entendait acheter le plus pressé en robes et trousseau à sa jeune amie, en attendant qu’elle complétât sa croissance et qu’elle se choisît une couturière qui l’habillât à son goût.

Dans le vestibule de l’escalier, tout à coup une voix s’écria :

— Je ne me trompe pas, c’est bien Rita !

— Clotilde, répondit Rita, toi, vous !

Une femme, toute jolie et toute jeunette, d’une très grande élégance, à la poitrine bombée, à la tête fine et délicate, au corps souple et onduleux, d’une beauté plus que séduisante, ouvrait les bras à la fillette, tandis que derrière elle, un adolescent, un jeune homme de dix-sept ans, à l’allure gauche et empruntée, demeurait bouche bée.

— Toi, Rita, toi, par quel hasard ?

Célestin grimaçait un sourire et éprouvait une sourde terreur ! Quelle était cette dame ? Une parente, une amie de la famille de Rita ! Diable, diable, et Agathe qui, avait affirmé son amie, était absolument isolée.

Rita sauva la situation ! elle fit les présentations :

— Mon cousin et tuteur. Monsieur Célestin de Kulaudan, qui m’a retirée de pension, pour achever chez lui mon instruction : une ancienne élève de chez les demoiselles Maupinais, des grandes, Mademoiselle Clotilde…

— Aujourd’hui Madame Clotilde Go, intervint gracieusement la jeune femme tendant la main à Célestin ; je suis charmée. Monsieur, de vous rencontrer, je savais que vous habitiez la maison, je ne me doutais pas que j’aurais le plaisir de vous connaître.

— J’ignorais…

— Nous ne sommes ici que depuis trois mois, vous voyagiez quand nous avons loué le quatrième, deux étages au dessous de vous : Je vous présente mon jeune beau-frère. Monsieur Clément Go, qui vient de passer son baccalauréat et qui songe au professorat.

— Vous me voyez, Madame, on ne peut plus heureux !

— Et moi, ce que je suis enchantée ! Vous me la prêterez quelquefois cette chère petite ! Elle était une enfant, lorsque je quittais l’institution Maupinais, mais j’avais déjà remarqué sa gentillesse et je l’aimais beaucoup, n’est-ce pas Rita ?

— Oh oui, Madame !

— Tu ne vas pas me dire, Madame ! Cher Monsieur, vous sortez comme nous, je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Demain est mon jour. Il n’y en aura pas pour vous ! Vous seriez bien aimable de monter un moment, vers les cinq heures, si cela ne vous dérange pas, on commencera à être plus intimes, nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance, est-ce dit ?

— Mon Dieu, Madame…

— Pas de refus, je vous en supplie.

— Soit ! Je dois cependant vous prévenir que nous sommes très peu chez nous ! Je tiens énormément à ce que ma cousine prenne des distractions, fasse de l’exercice.

— Je ne vous en empêcherai pas ; mon amitié n’aspire pas à la tyrannie. Dites oui pour demain.

— C’est dit.

Rita et Clotilde s’embrassèrent et on se sépara, Célestin ayant appelé un fiacre. Dans la voiture, il était très rêveur, il murmura enfin :

— Voilà une rencontre qui me contrarie.

— Pourquoi cela ?

— De tiers, en dehors d’Agathe, je n’en voudrais pas.

— Si tu savais comme Clotilde est bonne, gentille.

— Je ne dis pas le contraire ; mais je me méfie de l’amitié d’une femme pour une fillette de ton âge.

— De quoi as-tu peur ? Que je parle ! Je t’ai promis et je le jure, jamais je ne causerai à personne de ce qui est entre nous.

— Bon bon, j’ai confiance en ta discrétion ; de mon côté, je te promets de faire tout ce qui dépendra de moi pour te distraire, afin que tu ne t’ennuies jamais.

— Tu es tout plein gentil, en parlant ainsi, et j’oublie ta méchanceté de cette nuit.

— Ma méchanceté !

En quittant le Bon Marché, Rita rayonnait ; elle eut dévoré de caresses Célestin. Quatre toilettes différentes, des chemises luxueuses, des bas, des jupes, des pantalons, des peignoirs, tout ce qu’elle avait désigné, il le lui avait acheté, la guidant il est vrai de son goût et de son expérience : elle allait se trouver ébouriffante, selon son expression, elle épaterait les camarades de la pension dans ses toilettes, quand elle les verrait.

Dans son plaisir, elle trépignait de rentrer avenue de Friedland, après le dîner, ne voulant pas d’autres distractions pour cette soirée, que celle de placer dans ses armoires, dans ses tiroirs, toutes les belles choses dont elle devenait la propriétaire, et que Célestin recommanda bien au magasin d’expédier de suite.

Le service n’habitait pas l’appartement : il logeait au sixième. Célestin et sa pupille étaient donc libres d’agir à leur guise.

L’agitation, la fièvre de Rita inspirèrent à Célestin la crainte qu’elle ne se fatiguât trop ! En somme, c’était une enfant, quatorze ans et demi, et il avait bien résolu de la respecter cette nuit, de l’engager au repos dès qu’elle aurait terminé le classement de ses achats.

Il s’amusa à lui voir étaler ses linges, ses toilettes, à les étudier pour les placer à tel ou tel endroit, à essayer les robes et les chapeaux, à se faire des grimaces devant la glace en s’appelant Madame, s’adressant des sourires, des révérences et disant :

— Madame salue Monsieur.

Assis sur un large fauteuil, dans cette chambre de jeune fille où, aux nuances assombries de quelques tentures, se révélait l’assaut subi par la virginité, il rêvassait, et dans sa rêvasserie surgissait l’image de madame Go.

— Si tu me parlais de ton amie, de Clotilde, insinua-t-il enfin !

— Mon amie ! J’étais trop petite pour qu’elle le fût ! Elle était toujours gaie et bonne enfant, prodiguant à toutes ce que ses parents lui portaient. Elle quitta la pension elle avait seize ans, on la renvoya.

— On la renvoya ! Pour une grosse faute ?

— Dam, une histoire assez forte. Ma petite amie Bernerette me l’a contée.

— Ta petite amie Bernerette ! il t’en pleut donc des amies ! Je croyais que vous vous aimiez seulement avec Agathe !

— Nous nous aimions aussi avec Bernerette.

— Et de la même façon qu’avec Agathe ?

— Comment ça, avec Agathe ?

— Agathe, en me causant de ta charmante personne, ne m’a rien caché de votre amitié.

— Que t’a-t-elle dit !

— Que vous vous aimiez bien davantage qu’on ne s’aime entre amies ordinaires.

— Elle a eu tort, si elle a avancé des choses qu’on peut toujours nier.

— Oh, Mademoiselle l’audacieuse, nier !

— Il y a des choses qu’on ne doit jamais dire. Eh toi, que penserais-tu si je racontais ce que tu as fait avec moi.

Il comprit le reproche que lui adressait Rita et reprit :

— Donc, tu étais l’amie de Bernerette ?

— L’amie, oui, et celle d’Agathe aussi.

— Cela me suffit. Narre-moi l’histoire de Clotilde, si toutefois ce n’est pas commettre une trahison !

— Non, il n’y a pas trahison, mais c’est… très difficile. Bah, avec toi, c’est comme avec mes amies à présent ! Il faut te dire que les parents de Clotilde sont ce qu’on nomme des athées. Le père détestait l’église, les curés, les prêtres, et appelait puces tous les abbés.

— Puces !

— Oui, parce qu’ils vivent du sang des imbéciles qui les écoutent, à ce qu’il prétendait.

— Oh, Rita !

— Ce n’est pas moi qui dit cela, je te répète ce que disait le père de Clotilde. Elle n’était pas très dévote non plus, mais elle accomplissait ses devoirs religieux comme les autres. Un soir, à l’étude, elle riait et se grattait quelque part ; sa voisine lui demanda ce qu’elle avait. Elle répondit en écrivant sur un bout de papier, tiens, regarde, c’est plus commode à montrer, elle écrivit ces lettres, avec le chiffre i au milieu : G O Q i A B.

— J’ai au cul un abbé ! Fi de la mauvaise drôle !

— La maîtresse vit le papier entre les mains de la voisine, qui se tordait de rire, elle vint le prendre et il y eut une scène épouvantable. On avisa les parents de Clotilde et elle quitta la pension,

— Et toi, qu’as-tu au cul dans ce moment, dit-il en lui saisissant vivement les fesses ?

Elle sursauta à cet attouchement et répondit :

— Tu serais bien attrapé si je te répondais par la onzième lettre de l’alphabet doublée.

— Onzième lettre ! Voyons la onzième lettre : A, B, C… K. Ka, oh, oh, petite sale !

— Il n’y en a pas va, ne t’effraye pas.

Elle s’était arrêtée pour le favoriser dans son pelotage : il retira la main, ne voulant pas s’échauffer, et elle s’occupa à tout enfermer de ses emplettes du Bon Marché.

Quand elle eut terminé, remarquant combien il était tranquille, elle vint subitement s’asseoir sur ses genoux, lui jeta les bras autour du cou et murmura :

— Oh, je n’ai pas pensé à toi, je m’amusais avec toutes ces belles choses que tu m’as achetées, et toi, tu ne disais rien !

Elle le câlinait, ils échangèrent un baiser et elle lui dit :

— Tu as bien fait de t’amuser, je ne suis pas ton bourreau, ma chérie, et je te le dis de nouveau, je dois ménager tes forces.

Elle eut une moue expressive et répondit :

— Je suis forte, je suis forte… et je n’ai plus peur.

Ce : « Je n’ai plus peur », fut comme un coup de fouet, il se leva vivement et dit :

— Ah vraiment ! Eh bien, viens dans ma chambre, nous verrons si tu n’as pas peur !

Elle le suivit sans aucune hésitation, avec un air tout à fait décidé, et là il reprit :

— Allons, ma mignonne, nous allons recommencer, déshabille-toi, comme hier, et, si tu n’as pas peur, tu iras à ton lit, tu m’y attendras ; je jugerai à la réception que tu me feras si vraiment tu ne mens pas et si tu es une petite femme.

En un instant elle fut entièrement nue, et lui se dévêtissant en même temps, elle dit en se dirigeant vers sa chambre :

— Si je m’effraye, porte ta canne, tu me battras encore, comme tu as fait hier.

Il restait pétrifié devant cette attitude ! À peine était-elle sur son lit qu’il l’avait déjà rejointe et, comme la veille, en vrai fauve, il se précipita sur elle.

Mais elle avait les cuisses ouvertes, elle s’arrangeait, elle se prêtait de son mieux et elle répondait à l’attaque. Il la posséda cette fois réellement, non sans encore quelque écorchure et un petit gémissement qu’elle étouffa aussitôt ; il jouit et la prit avec furie. Il retourna ensuite dans sa chambre, ils dormirent chacun dans leur lit.