Débauchées précoces/Tome 1/Chapitre 7

Débauchées précoces, Bandeau de début de chapitre
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VII


Rita, d’abord réservée, finit par rêver à sa sortie de pension, avec un Monsieur riche, aimant le plaisir, et qui la favoriserait pour se retrouver avec ses amies.

Bernerette appuya Agathe pour dorer ce rêve de mille et une illusions, et Agathe écrivit enfin à Célestin de se présenter chez les demoiselles Maupinais pour retirer son amie.

La lettre partie, Agathe en ressentit de la tristesse ! Était-ce la séparation avec Rita qui la chagrinait, était-ce l’ennui de ne pas revoir Célestin, lorsqu’il viendrait la prendre : il y avait de l’un et de l’autre, avec une nuance de jalousie de ne pas être l’heureuse libérée.

Célestin, emporté par la folie que lui avait infusée Agathe, ne demeurait pas inactif. Il occupait un bel appartement avenue de Friedland, où une domestique de son pays, le servait, se faisant aider par les concierges dans certaines circonstances. Il prenait ses repas au dehors.

Il annonça à Félicité, cette servante, qu’il allait recevoir une petite cousine dont il était le tuteur, qu’elle eût à se pourvoir d’une femme de chambre pour l’assister dans son travail, et d’une cuisinière, car on déjeunerait avenue de Friedland et quelquefois on y dînerait.

À côté de sa chambre se trouvait son cabinet de travail. Il se rendit chez un tapissier, afin de modifier de fond en comble son logis ; il désirait la chambre de Rita à la place de ce cabinet. Cette chambre fut une merveille d’installation, non banale, où le blanc le disputa à des nuances assombries, propres à flatter le teint d’une brune, où le lit ne rappela en rien la couche innocente d’une pensionnaire en vacances, mais celle d’une nymphe retenue en cage, par son peu d’élévation, par les sujets incrustés sur les bois. Rien n’y clochait, tout y était disposé pour la plus grande joie, le plus grand bonheur de la plus séduisante coquette. Les nuances sombres furent noyées sous des satins blancs, pour n’émerger qu’après la prise de possession de la fillette.

La lettre d’Agathe, confiée aux bons soins de la petite Antonia Lapers, survint comme tout était prêt. Il prit de l’argent et se rendit de suite à l’Institution des demoiselles Maupinais.

Mademoiselle Maupinais, l’aînée, faillit tomber de surprise, quand il lui communiqua le motif de sa visite.

— Vous êtes le parent de mademoiselle Rita, s’écria-t-elle.

— Son seul parent, à qui ses père et mère l’ont confiée en mourant ; je n’ai pu venir plus tôt, ni donner signe de vie, mon voyage dans l’Asie Centrale m’ayant tenu loin de tout centre civilisé. Je vous remercie des bons soins prodigués à cette chère enfant, et de l’avoir aimée dans la cruelle situation où on l’a laissée. Je vais vous indemniser des frais qu’elle vous a coûtés ; je ne vous la retirerai peut-être que pour quelques mois, le temps de reconstituer son moral, de lui procurer les distractions nécessaires à ce qu’elle oublie son double deuil. Je sais la bonne éducation qu’on reçoit dans votre maison ; si je vous la rends, comme externe, je suis certain qu’elle rattrapera vite le retard de ses études. Puis-je la voir ?

— On l’a prévenue. Monsieur, elle ne tardera pas à être là.

Mademoiselle Maupinais, toute étourdie, voyant l’argent qu’elle croyait perdu lui rentrer, ne formula aucune objection. Elle dressa ses comptes et dit :

— Il nous revient, Monsieur, huit cent trente-trois francs.

— En voilà mille, Madame, le surplus sera pour vos serviteurs.

— Oh, Monsieur !

Rita apparut en ce moment, et apercevant Célestin, courut se jeter à son cou, en s’écriant :

— Mon cousin Célestin, vous, je n’espérais plus vous revoir !

Mille francs, cette fillette ! Il achetait mille francs cette jolie brune, aux yeux vifs, qui l’embrassait sans embarras, avec cet art de comédienne !

Il n’était pas volé, Agathe ne le fourrait pas dedans.

Une fillette, demi-femme, avec des allures félines, une voix de tendresse, des élans de circonstance, il l’étudiait en rendant le baiser, tout en disant :

— Ne m’en veuillez pas, ma chère Rita, de mon long silence, je vous l’expliquerai. Ces dames vous ont-elles prévenue que je vous emmenais ?

— Oui, je n’ai que mon chapeau à mettre : une de mes amies, Agathe, s’est chargée de ma malle, on l’expédiera.

— Parfaitement !

Une demi-heure en tout et il avait la fillette, près de lui, dans le fiacre avec lequel il était venu.

— Ouf, murmura-t-il, lorsque la voiture s’ébranla, la comédie a réussi !

Rita éprouvait un léger émoi, elle répondit néanmoins :

— J’ai bien joué mon rôle ! Qu’allez-vous faire de moi ?

Il l’examina avec un certain plaisir en souriant et dit :

— Nous étudierons cela plus tard ! Pour le moment vous m’appartenez, je tâcherai de vous amuser.

— Oh oui, de m’amuser !

Elle eut un soupir : une mélancolie glissa sur son esprit : pressentait-elle que son indépendance personnelle était plus en sûreté chez les demoiselles Maupinais ! L’enfant l’emporta, elle lui prit la main, la baisa et ajouta :

— Merci.

Il en fut touché et dit :

— Vous avez le temps de voir notre appartement. Je vais vous promener, nous dînerons ensuite au restaurant et nous passerons la soirée au théâtre. À minuit, heure des crimes, nous foulerons les tapis de nos chambres.

— Je veux bien.

Toute la journée s’écoula dans ces diverses distractions, où ils s’accoutumaient l’un à l’autre, malgré une sorte de gêne subsistant.

Dès l’entrée dans l’appartement, Rita eut des exclamations de joie et d’admiration : la lumière électrique éclairait partout et la solitude était absolue.

Célestin avait pris ses précautions pour se l’assurer. Il réserva la connaissance des deux chambres mitoyennes pour la dernière visite.

Une collation se trouvait servie dans la salle à manger avec du Champagne.

— Rita, dit-il, avant de franchir le seuil de nos intimités (il appuya sur le mot intimités), vous goûterez à ces friandises, boirez un peu de Champagne et vous habituerez à vous considérer comme la petite reine de ces lieux. Il dépend de votre bonne volonté d’y être une reine heureuse.

— Je ferai tout mon possible !

Le bien-être qui se dégageait de ce luxe, la gourmandise qui s’éveillait devant cette table, les distractions de la journée se détachant en relief, tout la disposait de la meilleure façon. Elle avait posé son chapeau dans l’antichambre, elle était à l’aise, elle se laissa aller dans ses bras qu’il ouvrait pour l’embrasser, et lui rendit son baiser, le regardant dans les yeux comme il la regardait dans les siens.

— À table, dit-il.

Elle s’assit gentiment à sa place ; il la servit, excita sa gaieté, quand le bouchon de la bouteille de Champagne, frappant le plafond, il simula la peur.

Les coupes pleines, il se pencha pour trinquer, les verres se heurtèrent, il but, et ayant remis son verre sur la table, il la pria de tenir sa coupe en l’air. Il porta alors la main à sa poitrine, où il lui semblait voir une petite proéminence, il palpa et murmura :

— Je te croyais des seins, ma reine. Elle rougit, faillit laisser tomber la coupe, puis répondit en riant :

— Pas encore, mon roi, ils poussent, ils marquent, et je suis sûre que bientôt… Dans tous les cas, je suis plus avancée qu’Agathe. D’abord, j’ai six mois de plus et je suis presque femme.

— Agathe !

Il évoqua les scènes vécues en chemin de fer et la nuit ; il se rappela sa tentation de la dépuceler ; reportant les yeux sur Rita, brutalement il lui demanda :

— As-tu des poils ?

— Oh !

— As-tu des poils ?

— Oui.

Il lui versa une deuxième coupe et dit :

— À tes poils.

Elle se tordit de rire et répliqua :

— Tu es drôle, mon roi !

— Veux-tu voir les chambres ?

— Je ne demande pas mieux.

Ils commencèrent par la sienne, très belle pièce, où, sur une table, deux boîtes attirèrent son attention.

— Qu’y a-t-il là dedans, s’écria-t-elle, je parie que c’est pour moi.

— Tu as deviné.

— Montre.

— Tout à l’heure. Regarde ta chambre, de la porte seulement, tu n’y entreras qu’avec ce que contiennent ces boîtes.

— Oh, s’exclama-t-elle en admiration devant sa chambre, voilà où je coucherai !

— Oui.

— Pourquoi ne veux-tu pas que j’y entre ?

— Parce que tu n’y entreras que nue ! — Oh !

Elle recula lentement et revint à lui.

— Qu’y a-t-il dans ces boîtes, demanda-t-elle ?

— Déshabille-toi ?

— À présent.

— Puisque je te le dis.

Elle hésitait, il s’agenouilla et murmura :

— Je vais t’aider.

Il la troussa, s’arrêta à la vue du pantalon assez ordinaire, et le secouant, ajouta :

— Tu en auras de plus beaux.

— Tu veux que je l’ôte, pour commencer.

— Non, laisse-moi voir à travers les rideaux baissés.

— Les rideaux baissés, c’est ma chemise que tu appelles les rideaux !

Il souleva la chemise, aperçut les poils les baisa et murmura :

— Eh, eh, il y en a en effet ! Voyons ton cul. Très bien, très bien, on fera quelque chose de ta personne.

Les baisers qu’il lui donnait, l’échauffant, elle défit son corsage, sa robe, ses jupes et se trouva en chemise.

Il était sous elle, l’embrassant, la chatouillant, et à mesure que tombaient la robe, les jupes, il les sortait des jambes, les lançait par derrière lui, ramenait ensuite les parties génitales de la fillette à ses lèvres.

Se sentant de moins en moins maître de ses sens, il la déchaussa, lui enleva la chemise, et toute nue devant lui, il l’examina des pieds à la tête, la palpa, tel un maquignon s’assurant de la marchandise qu’il a achetée.

Les épaules étaient bien celles qu’on a à cet âge : les seins marquaient, ils poussaient comme elle l’avait dit ; le ventre était encore étroit ; les fesses, assez rondelettes ; les cuisses grassouillettes ; les mollets légèrement accentués : en somme, il n’existait pas dans la structure du corps une grande différence avec Agathe, mais ici, il n’éprouvait plus les mêmes scrupules.

Il la manipulait, la contemplait dans toutes ses moindres parties, Rita se prêtait, attendant ses instructions.

— Il ouvrit les boîtes : de l’une, il retira un long voile, tel qu’en portent les mariées, et le lui posa sur la tête ; de l’autre, il sortit une couronne d’oranger et la plaça par dessus le voile en disant :

— C’est le jour de tes noces, Rita, dans un instant, tu seras ma femme, te voilà revêtue des insignes d’une jeune mariée.

La fantaisie, loin de lui déplaire, l’amusa, elle s’enveloppa du voile, arrangea la couronne et répondit :

— Je veux bien, tu es mon mari, que faut-il faire ?

— Tu vas rentrer dans la chambre, tu t’asseoiras sur le bord de ton lit et tu m’attendras.

— Viens vite.

— Le temps de me déshabiller.

— Ah !

— À petite femme nue, grand mari nu.

— Je ne suis pas petite !

Il la poussa vers la porte, elle posa le premier pied dans cette chambre qui devenait la sienne.

Elle était encore plongée dans la plus vive admiration de ce qui l’entourait, lorsqu’il apparut à ses yeux dans sa nudité masculine. Elle voyait l’homme, elle en eut une peur instinctive. Elle s’enroula dans le voile, il s’élançait à ses pieds, lui écartait les jambes et disait :

— Allons, allons, étends-toi sur le lit.

— Avec la couronne ?

— Glisse-la sous ton cul.

— Elle me fera mal.

— Pose-la où tu voudras, mais couche-toi.

La bête fauve était déchaînée : un simulacre de possession ne pouvait plus le satisfaire : Rita, jetée sur le lit, plaça la couronne sur l’oreiller ; le voile qui la recouvrait demeura sous elle ; entre ses jambes, entre ses cuisses, elle sentit la queue qui approchait du conin ; elle entendit avec émoi, le souffle rauque de Célestin ; il lui entoura le cou de ses bras, elle ferma les yeux, elle crut qu’il s’apprêtait à la tuer, tant ses yeux devenaient hagards, elle eut un cri d’angoisse, de douleur ; ce cri s’étouffa sous les lèvres de Célestin, qui se plaquaient sur les siennes, il commanda :

— Tais-toi donc, tu deviens femme.

— Je ne veux pas, je ne veux pas, tu me tues, tu m’assassines.

Elle s’arqueboutait sur les reins, lui griffait le visage, la terreur l’envahissait ; il l’enserra de ses bras, de son buste, la collant sous lui.

Elle voulut hurler, il s’arrêta, effrayé, murmurant :

— Rita, Rita, mais c’est naturel cela, Agathe me provoquait à ce que tu ne veux pas.

— Je ne veux plus rester ici, je veux retourner chez les demoiselles Maupinais. J’irai mendier, mais je ne veux pas ça, pas ça.

— Folle, folle, le plus difficile est fait.

— Non. Une rage froide le saisit : cette fille, qu’il se payait mille francs, sans compter les dépenses antérieures faites pour l’installer dans sa vie, allait-elle manquer aux espérances suscitées par Agathe, il dit brutalement :

— Que tu le veuilles ou nom, tu seras ma femme, car tu m’appartiens, tu es à moi, et je t’ai préparé ce luxe pour que tu sois ma femme.

— Méchant, bandit, infâme !

Il courut à sa chambre et en revint avec sa canne.

— Oui ou non, s’écria-t-il, veux-tu être raisonnable ?

— Je veux m’en aller.

— Tu ne t’en iras que morte.

D’un brusque mouvement, il la vira, et sa canne s’abattit en deux coups forcenés sur ses reins, sur ses fesses, tandis qu’il ajoutait :

— Crie, si ça te plaît, tu m’appartiens et tu te soumettras.

Elle ne criait pas. Une réaction se produisait. Elle comprenait que la lutte s’offrait impossible, son sens féminin s’éveillait : étonné de son mutisme, il ne frappa pas le troisième coup, elle murmura :

— Ne me bats pas, je serai raisonnable.

— Cela vaut mieux.

Il jeta à terre la canne et la replaça en posture : il vit ses yeux secs qui le regardaient fixement, il posa un baiser sur ses lèvres, elle le rendit mollement. Sa queue arriva de nouveau au conin, elle suivit sa recommandation de bien écarter les cuisses pour moins souffrir, il recommença l’œuvre de dépucelage. Elle eut des sursauts, des demi-révoltes, elle essaya encore de résister, elle reçut de grosses claques sur le cul, comme pour lui rappeler que la canne n’était pas loin ; l’acte s’accomplit, elle fut dépucelée. En somme elle était nubile, il y avait moins de danger qu’avec Agathe : il ne recula pas.

Mais que de traces !

Le voile de mariée n’offrait plus qu’une loque, le dessus du lit apparaissait fripé et ensanglanté ; la couronne, lancée en l’air, au milieu du dernier assaut, gisait lamentable sur le tapis.

Après un moment de repos, où elle reprenait ses sens, il lui dit :

— Lève-toi, passons à ta toilette. Passive, soumise, elle quitta le lit, les jambes encore tremblantes, l’accompagna au cabinet de toilette qu’il lui avait fait aménager.

Là, il la nettoya lui-même, la frictionna, la poudra, lui redonna des forces.

— Tu es ma femme, et tu es femme, dit-il. Voulez-vous, Madame de Kulaudan, venir prendre un verre de Champagne, pour fêter cette date inoubliable.

— Je veux bien, répondit-elle simplement.

Ils retournèrent nus dans cette salle, où elle avait laissé les derniers vestiges de son innocence. Peu à peu son anéantissement se dissipa, et trinquant son verre elle lui dit :

— Tu m’as battue ! Tu ne l’aurais pas fait, si j’avais été ta femme et si j’eusse été vraiment en âge de l’être !

— L’âge de l’être, nigaude, on l’a toujours ; Agathe désirait ce qui t’a si fort épouvantée !

— Agathe ! Tu le lui aurais fait, et si tu ne l’as pas fait, c’est que tu avais une raison qui te retenait ! Tandis que moi, une marchandise, une fille achetée, tu t’es cru le maître, tu n’avais pas à te gêner. Cela, ce n’est pas bien. Tu as été le plus fort, je me suis soumise. Je crains de ne pas être ce que tu cherchais.

La femme ergotait.

— Tu le seras, mignonne, répliqua-t-il ! la violence masculine est chose si naturelle, que si les femmes ne la subissaient pas, elles prieraient le bon Dieu de leur envoyer le diable. N’es-tu pas déjà mieux ?

— Je n’en sais rien.

Elle affichait un air résolu qui lui allait très bien ; il l’embrassa avec tendresse, elle rendit les baisers. La voyant plus calme, il la ramena dans sa chambre, arrangea son lit, lui passa sa chemise de nuit qu’elle avait dans sa malle, apportée dans la journée, pendant leur promenade, et lui dit de dormir en paix !

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, ajouta-t-il en la quittant, tu n’as qu’à venir me trouver, tu es maîtresse d’entrer dans ma chambre à toute heure de jour et de nuit.

Il lui expliqua encore le mécanisme pour l’électricité, remplaça, en se retirant, la forte lumière par une plus douce, dissimulée au plafond sous un nuage de gazes de différentes couleurs.

Seule dans sa chambre, dans son lit, séparée de l’homme qui venait de la violer, elle pensa pendant quelques secondes, poussa quelques soupirs, et dominée enfin par le plaisir du luxe dans lequel elle vivrait, de l’indépendance qu’elle entrevoyait ; elle s’endormit paisiblement.