Débauchées précoces/Tome 1/Chapitre 9

Débauchées précoces, Bandeau de début de chapitre
Débauchées précoces, Bandeau de début de chapitre

IX


C’était pour lui une véritable corvée que de monter vers les cinq heures de l’après-midi chez Clotilde : Rita avait endossé la plus belle de ses toilettes, elle exultait à la joie de se montrer, elle l’entraîna.

Cependant il avait des préoccupations.

Le matin même, une lettre de monsieur Pleindinjust, l’oncle d’Agathe, lui était parvenue, lettre contenant des reproches sur la façon incorrecte dont il avait rempli sa mission de confiance.

« Garder toute une nuit une enfant n’était certainement pas condamnable contenait entr’autres aménités la lettre, mais l’enfant révélait déjà la jeune fille, et il existait tant d’esprits méchants qu’on pourrait plus tard reprocher à sa nièce cette imprudence. Je ne vous eusse jamais cru capable d’une telle infraction aux plus simples convenances, etc., etc.

La colère faillit le pousser à répondre du tic au tac, que lorsqu’on débauchait une nièce, on devait bien s’attendre à ce que la nièce débauchée débauchât des hommes, il remit sagement au lendemain toute détermination à ce sujet.

Rita avait coquetté toute cette journée comme une femme experte, et il commençait à s’estimer très heureux de l’avoir sortie de pension.

Clotilde ne s’apercevrait-elle pas de ce qui se passait.

Ainsi qu’elle l’avait annoncée, il ne restait plus que deux à trois personnes chez elle, au moment où ils se présentèrent. Elle les accueillit avec grande affabilité, même avec affection.

— Ah, Monsieur, s’écria-t-elle, que vous êtes aimable de vous être souvenu de ma prière !

— Le plaisir de Rita était le mien, chère Madame.

Merci de cette bonne parole ! Je pense qu’elle ne demande qu’à être prouvée et je vais droit au but. Vous nous resterez à dîner.

— À dîner !

— Sans cérémonie, en tête-à-tête avec mon beau-frère et moi. Mon mari est absent, et il sera enchanté de savoir que j’ai retrouvé dans la maison une ancienne petite amie !

Quel sourire, quel grâce ! Cela dit, la main dans la main, les yeux dans les yeux, par une jeune femme d’une beauté merveilleuse, avec un buste d’un divin modelé, les seins pointant sous un corsage les moulant, ces seins dont manquaient ses petites amies, Agathe et Rita ; une femme d’une élégance recherchée, appliquée à faire un poème d’irrésistible séduction de son corps, de ses allures, de ses moindres gestes, de cette femme renvoyée de la pension Maupinais pour avoir écrit sur un papier : G O Q i A B ! Célestin se sentant mollement bercé par une douce impression de contentement. au contact de cette jolie femme, répondit :

— En effet, en effet, Madame, nous ne pouvons nous dérober.

Quelques secondes d’une conversation banale suivirent, puis les dernières visites cessant, on se trouva en intimité. Rita, tout à fait à l’aise, babillait avec Clotilde et taquinait déjà Clément le sauvage. Célestin plaisantait et riait, subjugué par la nature exubérante de Clotilde ; une apparition provoqua une nouvelle stupeur de Rita, on avait sonné, et dans le salon entra tout à coup Antonia Lapers, la petite externe, amie de Bernerette, qui, lui sautant au coup, s’écria :

— Ah, quelle veine de te rencontrer chez ma cousine !

— Ta cousine ?

— Eh oui, Clotilde.

— Je n’en savais rien.

— Je lui avais conseillé de ne pas trop s’en vanter chez ces demoiselles, dit Clotilde ! Tu es bien en pays d’amies, ma petite Rita.

Déjà Antonia s’emparait de la fillette, après avoir annoncé que ses parents la laissaient à dîner, et l’emmenait pour lui confier un secret sur la pension, ce qui amusait beaucoup tout le monde.

Un moment Clotilde demeura avec Célestin et Clément, puis sortit pour donner divers ordres, et revenant ensuite, dit :

— Ces deux gamines, j’ignore où elles ont passé et ce qu’elles complotent, je ne les ai pas aperçues ; encore une enfant, Rita !

Et voilà que Clément sortant, Célestin et Clotilde se trouvèrent en tête-à-tête, sous la lueur des lampes éclairées, et que l’exclamation de Clotilde, tombée sur le cœur de Célestin, y tinta comme un reproche de sa conduite.

— Une enfant, une enfant, reprit-il après un court silence, une vraie fille, chère Madame, en pleine aspiration d’indépendance, une fille d’Eve cultivant toutes les curiosités.

— Rita, allons donc ! Elle n’a pas quinze ans, autant que je m’en souviens.

— L’âge ne signifie rien.

— Vous relevez donc des éveils d’idée chez Rita ! Oh mais, dans ce cas, vous n’en avez que plus de mérite de vous charger d’une telle tutelle !

Puis, emportée par une pensée follichonne, elle se rapprocha et ajouta :

— Dites, ce serait bien drôlichon si elle allumait une flamme chez mon beau-frère et qu’elle l’apprivoisât !

Célestin fit une grimace qui dépeignit l’ennui qu’il en ressentirait, elle s’en aperçut, eut un accès d’hilarité et dit :

— Ah, par exemple, vous apprêteriez-vous à jouer les Bartholo ! Oh, Monsieur de Kulaudan, vous n’êtes pas encore d’âge et vous êtes trop homme de goût pour ne pas préférer des fruits savoureux à des fruits verts.

Était-ce une attaque, il se rasséréna soudain et répliqua :

— Les fruits savoureux, chère Madame, ne consentent pas toujours à se laisser savourer.

— Des bêtises ! Un homme bien né sait toujours s’assurer le fruit savoureux à l’heure où il convient le mieux de le savourer.

Eh, eh, eh, il y avait de la candeur dans l’audace de la femme : il torturait son imagination pour lancer une pointe de marivaudage, les deux fillettes reparurent, Rita assez rouge, Antonia avec sa mine chiffonnée d’enfant malicieuse et vicieuse.

— Où étiez-vous, interrogea Clotilde ?

— Dans un coin bien caché ; j’avais un gros secret à dire à Rita.

Un gros secret !

Sorties du salon, Antonia qui connaissait les êtres de la maison, avait conduit Rita dans le cabinet de travail de M. Go, où elle savait qu’on n’allait pas, et lui avait remis une lettre d’Agathe.

— J’en ai mis une à la poste pour ton Monsieur, lui dit-elle ! La tienne, elle a tenu à ce que je te la remette et je suis venue pour ça.

— Et si tu ne m’avais pas rencontrée chez ta cousine ?

— Je serais descendue te la porter ! Oh, elle est en colère, Agathe ; elle dit que tu es une oublieuse une ingrate.

— Une ingrate !

— Oui, de ne pas lui écrire ! Elle veut que vous la fassiez sortir dimanche.

— Dimanche ! C’est impossible. Son oncle vient d’écrire une lettre de sottises à Célestin.

— Il lui en a écrit aussi une à elle ; mais elle s’en moque, elle dit qu’il changera d’avis et qu’il donnera l’autorisation d’ici là.

— Tu diras à Agathe qu’il n’y a pas de ma faute si je n’ai pas écrit, qu’elle ne m’en veuille pas ; je ne fais pas mes volontés et j’ai eu bien des ennuis que je lui raconterai ! Oh, je serai bien heureuse lorsque nous pourrons la prendre le dimanche avec nous, mais il faut qu’elle ait un peu de patience. Et Bernerette ?

— Bernerette, elle se console avec moi.

— Avec toi ?

— Oui, moi aussi, tu sais bien !

— Petite mauvais sujet ! Tu n’as pas encore fait ta première communion !

— Ce n’est pas une raison pour se priver de ce qu’on aime ! Dis, puisque je suis votre commissionnaire, tu vas me payer.

— Te payer !

— En étant bien gentille et en te prêtant comme Bernerette.

— Tu n’y penses pas, Antonia !

— Tu consens, eh, et ça me causera tant de plaisir ! Ici, on est plus libre qu’à la pension et je me régalerai vite.

— Non, non, non.

— Alors, tu es une méchante et je dirai du mal de toi à Agathe, à Bernerette ; et puis, à ton Monsieur, tu sais, moi, je n’ai peur de personne.

— Voyons, que me veux-tu ?

— Aller sous tes jupes.

— Ah, que tu es petite saloperie, vas-y vite et retournons au salon ; je lirai ma lettre cette nuit.

L’autorisation obtenue, Antonia se jeta à quatre pattes, fourra la tête sous les jupes de Rita, entrouvrit le pantalon, commença par bécoter le cul, puis glissa entre les cuisses, où elle lança quelques adroites minettes, témoignant de sa vocation un peu prématurée et ne céda qu’avec beaucoup de peine à l’injonction de Rita, lui rappelant l’imprudence qu’il y aurait à rester trop longtemps éloignées du salon.

S’arrachant de dessous les jupes, elle dit :

— Ah ben oui, Rita, c’est autre chose qu’à la pension : tu as du bien beau linge et tu as la peau toute douce, toute douce ; puis, il y a une différence que je ne m’explique pas.

— Rita, devenue rouge cramoisie, s’échappa pour retourner au salon, suivie de l’endiablée morveuse.

Oh, il s’en passe de raides dans bien des maisons, et messieurs les moralistes y perdraient la vue et le raisonnement, s’il leur était accordé d’y examiner de près. Pauvres fous qui s’épuisent à vouloir endiguer le torrent de vie que par l’amour et la volupté la Nature et l’Immensité déversent dans les êtres !

Quelle joie pour un homme du caractère de Célestin, de se trouver à table à côté d’une femme charmante et coquette comme Clotilde, d’une petite amie intelligente et prévenante comme Rita, car il était entr’elles deux.

Clément, placé de l’autre côté de Clotilde, buvait des yeux Rita, dont, par malice, l’avait séparé sa belle-sœur, en mettant entre lui et elle la petite Antonia.

On parla voyages, aventures, et Célestin apprit que monsieur Go voyageait en Russie, chargé d’une mission ; il sut que c’était un homme sérieux et grave, âgé de trente-cinq ans, imbu d’idées autocratiques, quoique affichant des principes républicains, marié par goût et par raison plus que par amour ; il devina que cette jeune femme, remplie d’attraits, éprouvait un besoin impérieux d’agitation, de vie, et il la charma par des récits sur son existence en plein air.

Dans le salon, où l’on servit du thé, vers les dix heures, s’occupait-il encore de Rita !

Il était lancé à fond de train dans le plus délirant des marivaudages, et Clotilde lui fournissait la réplique on ne peut mieux. Antonia était partie avec sa bonne. Clément montrait à Rita de très beaux albums de gravures.

Les choses s’arrangeaient-elles dans de plus convenables proportions !

Clotilde dit à Célestin.

— Une fillette de près de quinze ans, seule avec vous, il y a là un terrible danger en perspective !

— Le danger n’existe que pour ceux qui le craignent.

— Et pour ceux qui le bravent ! Je suis franche, cher Monsieur Célestin, il y a des ombres que je ne m’explique pas, dans cette dernière aventure où vous récoltez une pupille, et l’enfermez chez vous.

— Quelles sont ces ombres ?

— Je le jurerai, Rita n’est plus vierge.

— Ceci est de la psychologie… perspicace !

— L’est-elle ?

— Le sais-je !

— Vos yeux se voilent.

— Vous les regardez donc !

— Ne cherchez-vous pas les miens ?

— Ils reflètent l’azur du firmament, j’y admire une pureté qui n’est peut-être pas dans ceux de Rita.

— Vous les avez donc étudiés !

— N’est-ce pas mon devoir.

— Et… aussi votre droit ! Vous avez dit : de la psychologie… perspicace. Des esprits malveillants traduiraient le mot perspicace pour un aveu… bien dangereux.

Il eut un gros embarras : elle se leva pour resservir du thé, Rita abandonna Clément, Clotilde lui dit :

— Que te montre-t-il ?

— Les vues des pays dont nous a parlé Célestin.

— Il aime beaucoup connaître les diverses régions de notre globe, apprivoise-le.

— Il est tout apprivoisé.

Assis sur le canapé, où il marivaudait avec Clotilde, Célestin s’intéressait à l’échange banal de ces quelques mots, et comparait la joliesse du fruit épanoui que représentait Clotilde, au bouton de fleur entrouvert que représentait Rita.

Il se sondait, il ne se le dissimulait pas, il désirait Clotilde à cette heure, mais il ne renoncerait pas à Rita, et la voyant, après cette recommandation de Clotilde, retourner à Clément et appuyer une main sur son épaule en signe amical, il en ressentit une sourde colère.

— Beau seigneur, lui dit gracieusement Clotilde, une tasse de thé à la main, encore ceci.

— À une condition.

— Vraiment, vous vous sentez à point pour en dicter ?

— À point, pour tout oser ! J’accepte cette nouvelle tasse de thé, mais je vous invite à venir prendre du Champagne chez nous demain soir.

— Chez Rita et chez vous ! Le « chez nous » est caractéristique.

— Ne cherchez pas la petite bête et acceptez.

— Oh, la petite bête ! Est-ce de Rita que vous parlez, ou de celle qui accepterait… votre Champagne.

— Acceptez-vous ?

— Oui, ça m’amusera et cela permettra à Clément de dessiner sa petite cour : il a l’air de marcher.

— Ah ! tant pis pour vous dans ce cas ; je dessine aussi la mienne.

— La vôtre ! Et auprès de qui ?

— Oh, vos yeux, quand ils regardent ainsi, ils trahissent tout ce que cachent vos voiles, ils trahissent cette splendeur…

— Eh bien, eh bien, voilà du joli, buvez, Monsieur de Kulaudan, et laissez les voiles dérober aux regards ce qu’ils ont mission de couvrir.

Rita s’amusait de tout cœur avec Clément, et elle ne dissimulait pas son plaisir comme Clotilde. Elle était encore enfant, et de plus, elle avait dans le sang la débauche qu’elle suça dans ses orgies avec Finette et Agathe, débauche consacrée par son dépucelage.

Démêlant promptement l’impression qu’elle produisait sur le petit jeune homme, lequel n’avait pas encore l’usage des faux détours, elle l’encouragea nettement, mue par le sentiment féminin de coquetterie et par l’espoir instinctif d’assujettir un mâle auquel elle retournerait la domination exercée sur elle par un autre.

Et, dès les premières gravures vues, s’apercevant fort bien de l’attrait que Célestin et Clotilde trouvaient dans leur conversation, elle le tutoya et lui dit :

— Tu es donc bien assommé que tu aimes à voir ce qui est loin !

Ses yeux souriaient, il comprit qu’elle lui faisait une bonne avance de camaraderie et il s’écria :

— Oh, Rita, Rita, tu veux donc que nous soyons amis pour toujours, que tu me tutoies ?

— Oui, mais il ne faut pas qu’on le sache.

— Ne crains rien.

— Tu me feras la cour, tu me diras tout plein de choses gentilles, et je chercherai à t’être agréable.

— Comme la vie va devenir belle !

— Seulement, ne l’oublie pas, devant le monde, nous serons toujours cérémonieux.

— Nous nous dirons vous.

— Nous ferons comme si nous ne pouvions pas nous sentir.

— Ça, ce sera tout de même trop difficile.

— Ne le crois pas, je me charge de t’y forcer. Pas ce soir, nous n’avons pas besoin de nous gêner, parce que mon tuteur raconte des histoires à Clotilde ; mais, après, nous nous verrons en cachette et nous rattraperons le temps perdu.

— Tu me permettras bien de t’embrasser ?

— Oui, et je t’embrasserai.

La soirée ne fut désagréable d’aucun côté : mais, par un effet de contraste, lorsque Célestin et Rita se retrouvèrent chez eux, Rita apparut aux yeux de Célestin pâlote, enfantine, incapable de soutenir la comparaison avec Clotilde ; et au contraire, Célestin apparut aux yeux de Rita, un homme hors ligne, dont on devait s’enorgueillir, qu’il serait délicieux de trahir par cela même, à cause de sa supériorité sur Clément, un être sans consistance, qu’elle élèverait à la dignité d’être son joujou.

Célestin eut une grosse mauvaise humeur en ramassant sur sa table une lettre qu’il devina être d’Agathe : il dit un bref bonsoir à Rita toute surprise et inquiète, se bornant à lui recommander de laisser la porte de communication, entre les deux chambres, ouverte, pour le cas où il l’appellerait dans la nuit.

Le maître ordonnait à l’esclave.

Rita avait aussi gardé sa lettre pour la lire à son aise toute seule.

Les deux amants, chacun dans leur lit, en prirent donc connaissance.

Et voici ces épitres d’une petite fille de quatorze ans.

À Célestin :

« Ah, mon bien chéri ami, j’ai peur d’avoir commis une sottise, en te parlant de Rita ! Quand je pense combien nous étions d’accord dans le chemin de fer, et puis dans la chambre d’hôtel, je regrette bien de ne pas t’avoir conservé pour moi. Tu ne peux t’imaginer combien je pense sans cesse à tout cela et combien je me désole d’avoir consenti à te partager. Te partager, encore si elle, elle le veut bien. Rita est une mauvaise amie, elle ne m’a pas écrit un seul mot depuis qu’elle a quitté la pension, et c’est cependant à moi qu’elle te doit. Ajoute à ce chagrin, que j’ai beaucoup, beaucoup d’ennuis. Mon oncle s’est fâché. J’ai été obligée de lui écrire que tu m’avais gardée la nuit, parce que je pleurais tout le temps en songeant à lui. Il m’écrit pour me dire qu’il est très mécontent de moi, il ne peut s’exprimer autrement, de peur qu’on devine, tu sais quoi, et il me promet de me montrer son mécontentement. Alors, j’ai peur ! S’il allait me faire enfermer comme une enfant perverse et folle. Il m’en a menacée, un jour, si jamais je racontais ce qui se passait entre nous. Tu me défendras, n’est-ce pas. Dis de ma part toutes sortes de vilaines choses à Rita. Je préviens mon oncle que tu l’as retirée de la pension et que je voudrais sortir le dimanche avec vous ; je lui dis que s’il n’envoie pas l’autorisation, j’ai préparé une lettre où je te raconte tout, et que tu la recevras avant la fin de la semaine, nous verrons bien ce qu’il fera. Adieu, petit ami chéri, oh, je serai bien heureuse d’avoir ton machin dans le cucu, comme l’autre soir, et je t’embrasse en y pensant, de toutes les force de mon cœur.

Agathe. »

À Rita :

« Tu es une oublieuse, une traîtresse, de ne pas m’écrire ; je ne te pardonnerai jamais. Toutes mes vacances, je n’ai eu que toi dans l’idée, et toi déjà, tu t’amusais avec Bernerette, te moquant de moi, comme tu t’amuses maintenant avec Célestin, en lui contant sans doute des saletés sur mon compte. Ce n’est pas bien et je ne l’aurais jamais cru, surtout de ta part, que j’avais toujours menée à mes plaisirs avec Finette. Mais, il le paraît, les femmes et les filles ne peuvent plus s’accorder entr’elles, lorsqu’il y a un homme au milieu. Rita, Rita, prouve-moi vite que je me trompe et reste ma bonne amie. J’ai besoin de tout le monde, moi : tu me le prouveras en disant à Célestin de me faire sortir dimanche, et jusque-là, je ne t’embrasse pas,

Agathe. »

Célestin jeta la lettre au feu qui brûlait dans sa cheminée, avec une mauvaise humeur encore plus accentuée. Puis l’un et l’autre cherchèrent le sommeil, Célestin tournant et retournant, Rita le saisissant vite.

Le silence régnait ; on était au milieu de la nuit, Célestin n’avait pas fermé l’œil. Après avoir évoqué l’image de la jolie madame Go, il espérait que ses sens s’assoupiraient, et voilà que Rita, réveillée sur un rêve plus actif, ayant remué dans son lit, il la revit en pensée, tandis que le désir mordait de nouveau.

En somme, il avait là, à portée de sa main, l’éteignoir voulu à toute impétuosité sexuelles. Il s’accouda, écouta, elle ne bougeait plus.

Il repoussa ses draps dans le dessein de la rejoindre ; il lui naquit une nouvelle fantaisie : se dépouillant de sa chemise de nuit, il se mit tout nu, et toujours accoudé, il appela :

— Rita, Rita.

La fillette ne s’était pas encore rendormie, elle se secoua, se leva et se dirigea vers la chambre, en répondant :

— Tu m’appelles, Célestin ?

Elle l’aperçut ainsi tout nu, la queue en érection ; elle s’approcha, il lui dit :

— Tu vois bien que je suis nu, ôte ta chemise.

Lorsqu’elle eut obéi, il continua en lui montrant ses cuisses :

— Tiens, pose ta tête là-dessus et regarde ton maître.

— Mon maître !

— En douterais-tu ?

— Mon maître, ce bout de chair !

— Oh, ce bout de chair ! Il est long, long et gros.

— Je le regarde, il est tout droit !

— Baise-le tout autour, et puis suce-le.

— Que je le suce !

— Ne sais-tu pas ce que c’est ?

— Je le devine bien.

— Alors, marche.

Elle embrassa, puis suça, avec un peu de maladresse d’abord, avec de l’entrain ensuite et il s’écria :

— Petite cochonne, si jamais tu te laisses aller avec monsieur Clément Go, tu tiendras de moi ta science.

— Avec monsieur Clément !

Elle suspendit son suçage, mais sans quitter des yeux la queue.

— Je t’ai suivie souvent dans ton manège, continua-t-il, avoue que tu cherchais à le débaucher.

— Moi, le débaucher ! Eh bien et toi avec Clotilde, ne lui parlais-tu pas tout près, tout près ! Et elle t’écoutait avec plaisir.

— Clotilde, est une coquette qui se moque du monde.

— Clotilde est une bonne fille qui aime à rire ! Je t’ai conté sa blague à la pension.

— Oh, tu l’as inventée, cette blague, j’en suis presque certain, appartient plutôt à ton imagination ! Or ça, pourquoi ne suces-tu plus ?

— Tu me dis des bêtises et il faut bien que je te réponde.

— Monte sur le lit.

— Tu veux me l’enfoncer ?

— Je ne suis pas encore décidé. Dans tous les cas, tu vas d’abord me présenter ton cul, que je lui fasse un gros bécot.

— Oh, tu voudras ensuite comme avec Agathe et tu me feras encore souffrir ! Si tu veux l’enfoncer, enfonce-le par devant, j’y suis habituée.

— Vraiment ! et ton amie Agathe t’a raconté la chose ; je croyais que vous étiez très discrètes pour toutes ces histoires.

Elle comprit qu’elle avait commis une sottise, elle essaya de la rattraper en disant :

— Ça se devine ; puis, tu me l’as dit toi-même.

— Tu deviens raisonneuse.

— Ça te contrarie : fesse-moi si ça te plaît, mais ne me pose plus des questions.

Il la prit dans ses bras par dessous lui, poitrine contre poitrine, lui toucha les seins à peine marqués, et murmura :

— Ah, ton amie Clotilde doit en avoir une jolie paire !

— On le voit bien à son corsage.

— Tu ne les as pas vus ?

— Et quand ? J’étais petite, lorsqu’elle a quitté la pension et je ne l’ai retrouvée qu’ici.

— C’est dommage, tu m’aurais dit comment ils étaient.

— Pourquoi ne lui demandes-tu pas de te les montrer.

— Sotte, cela ne se demande pas à une femme mariée.

— Veux-tu que je lui demande pour toi ?

— Le ferais-tu, cochonnette.

— Si ça te plaît, oui.

— Ah, c’est d’une bonne petite amie ? Tu n’es pas jalouse comme Agathe, toi !

— Agathe t’a écrit ?

— Elle se plaint de toi.

— À moi aussi ! Elle me dit toutes sortes de méchancetés, comme si j’aurais pu lui écrire ! La ferons-nous sortir dimanche ?

— Il faut d’abord l’autorisation de son oncle.

— Il l’enverra ; elle en fait tout ce qu’elle veut ! Ah, Célestin, Célestin, sois gentil, pas au cul, pas encore, une autre fois, devant, si tu veux, je t’en supplie.

— Et si je veux par là ! Tu n’es pas tout à fait femme, s’il te reste un demi-pucelage.

— Je t’assure… que tu t’amuseras moins. De l’autre côté, c’est tout plein chaud, ça a envie et ça te répondra.

— Ça a envie ! Tu as envie, coquinette, oh, la bonne plante, eh bien soit, on t’écoute, mais tu me céderas dans ma fantaisie.

— Oui, oui, tu es gentil, tiens, tiens, suis-je bien placée ainsi ! Oh, j’aime, quand ton bout me touche à l’entrée, oh, si tu n’allais pas si vite, dis, il me semble que tout mon sang tournerait de bonheur.

— Pas si vite, pas si vite… jouirais-tu par hasard ?

— Jouir, qu’est-ce que c’est ?

— C’est mouiller et perdre l’esprit.

— Oh oui, je mouillerais si tu poussais doucement, comme tu fais à présent ! Ah, Célestin, Célestin, tu entres bien, oh tu es mon vrai amant, ah, je mouille aussi, mon Dieu, est-ce possible ! La félicité m’inonde ; tiens, tiens, déchire-moi, si tu veux, le cul, le ventre, tout t’appartient.

— Ah, mon amour de petite Rita, ah, ma petite colombe parfumée, mon petit satin, tu es un trésor de femme !

— Dis, tu m’aimes pour de bon !

— Oui, oui, je t’aime, et toi ?

— Oh, moi aussi, et je te le prouverai ! Demain matin, pendant que tu dormiras, je monterai chez Clotilde, et je lui dirai de te montrer ses seins.

— Ah, grande nigaude, elle devinera ce qui se passe entre nous et elle te fichera dehors.

— Elle ne devinera rien du tout : je ferai croire que son beau-frère me plaît, et je lui parlerai en ta faveur. Et elle rira, oui d’abord, parce qu’elle pensera que je suis une naïve, une innocente et tu verras que je saurai réussir pour ce que tu désires.

Et cette nuit, il la baisa une seconde fois, reconquérant des forces avec cette jeunesse dont les ardeurs s’éveillaient aux élans de sa chair et qui lui transmettait de ses fluides régénérateurs.


fin du premier volume