Curiositez inoüyes/Édition 1629/3

Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅲ.
Qu’à tort on a blasmé les Persans & les curiositez de leur Magie, Sculpture, & Astrologie.


SOMMAIRE.
  1. Mauvaise coustume de blasmer les Anciens.
  2. Raisons qu’on apporte contre les Persans, &
      leur Magie, examinees, & trouvees nulles. Erreurs en suitte du pseudo-Berose, Dinon, Comestor, Genebrard, Pierius & Venetus, touchant Zoroastre.
  3. Sa Magie, quelle?
  4. Statuës merveilleuses de Laban, & de Micha, appellees Theraphim. Paradventure permises de Dieu.
  5. Erreurs d’Elias Levita, Aben-Esra, R. Eliezer, R. D. Chimchi, Caietan, Sanctes, Vatable, Clarius, Mercerus, Marin, & Selden, touchant ces Theraphins. Contes crotesques de Philon sur ce subjet.
  6. Conjecture de ces Statuës, & Responce à l’Objection qu’on en peut en faire.
  7. Choses prodigieuses & admirables qui ont prédit les malheurs qu’on a veu naistre, & qui les prédisent encore.
  8. Conclusion de tout ce que dessus.


Il n’y a rien qui m’estonne davantage, en matière des lettres que de voir en ce siecle les plus beaux esprits s’amuser à blasmer les Anciens, & les charger d’injures ; comme si ceste mauvaise coustume estoit passee en maxime, qu’on ne peut pas estre estimé habile homme, ny se faire paroistre, sans reprendre ceux qui ont esté devant nous, & dont les doctes escrits nous ont appris le plus curieux de ce quenous sçavons. Les Persans, ou si vous voulez les Babyloniens qui habitent sur les rives d’Euphrate, furent les premiers, au rapport des Rabbins, qui descouvrirent le secret des figures: leurs merveilles ont esté recogneuës de tous les Anciens, & advoüées dans toute l’Egypte : de façon que les premiers qui en ont escrit, ont soustenu qu’il n’y avoit rien en l’Univers, de plus beau, & de plus admirable: Ceux qui vindrent apres l’asseurerent de mesme: mais de nos jours & de ceux de nos peres, on a veu ce secret condamné, & les Persans accusez de sorcellerie: tellement que pour mettre hors de soupçon ce que jeprendray d’eux, il faut que je monstre leur innocence, comme j’ay desja fait celle de leurs voisins. Je la tire de la Preface d’une Astrologie Persanne, traduicte en Hebreu par Rabbi Chomer, Autheur moderne, & je joins ses rasons avec celles que nous pouvons tirer des Latins, & des Grecs, pour les rendre plus fortes.

2. On blasme dont les curiositez des Persans, comme figures & Magie, par quatre raisons. La premiere, parce qu’elle tire son origine du plus scelerat qui fut jamais apres Cain, qui est Cham, autrement appellé Zoroastre. La deuxiesme, que les sçavans de cestenation n’ont point recogneu d’autre divinité que le Ciel & les Astres, & par consequent leur doctrine ne peut estre que dangereuse. La troisiesme, qu’ils enseignoient à honorer des Démons cachez dans des statues. La quatriesme, qu’ils fabriquoient certaines figures & images, desquelles ils tiraient mille comoditez par des sortileges & enchantemens.

A la premiere, Hamahalzel Autheur de l’Astrologie cy-dessus nommee, respond en un mot que la Tradition de Perse porte unanimement que Zoroastre estoit si homme de bien, que les plus religieux du païs ont tousjours entre les mains le livre pieux qu’on le dit avoir composé, dont le titre est, Memlecheti Halaal, c’est à dire, Royaume de Dieu. Et quand il ne seroit pas Autheur de ce livre, tousjours il est faux, dit R. Chomet, qu’il ait esté Cham fils de Nohé : ce qui est croyable, car si nous recherchons le commencement de cette fable, nous trouverons que le pseudo-Berose, qu’Annius nous a donné, en est l’Autheur ; & c’est assez pour ne le pas croire : car entre les raisons qui prouvent que ce Berose ne fut jamais le vray ; celle-cy n’est pas des pires, qu’il traite esgalement l’histoire des Libyens, Allemans, & Italiens, & le vray n’y pensa jamais: car il ne descrit que celle des Chaldeens, ou Babyloniens, en trois livres, comme on peut voir chez Flave Josephe, Tertullien, Clement Alexandrin, & Vitruve. En un mot, pour cognoistre facilement que ce Berose n’est point celuy auquel, Ob divinas prædictiones (dit Pline) Athenienses publicè in Gymnasio, statuam inaurata lingua posuere: on n’a qu’à voir la Censure que Gaspar Varrerius en a fait. C’est pourquoy Genebrard & Comestor s’esloignent de la verité, de croire avec Annius, que ce Zoroastre fust Cham: George Venitien, & Pierius s’abusent pareillement de soustenir qu’il n’estoit autre que le fils de Cham, neveu de Nohé, appellé de l’Histoire saincte Misraim. Et de fait, pourquoy Pline qui en a tant parlé ne s’en fust-il pas souvenu ? Il dit bien que le mesme jours qu’il vist au monde il se mit à rire, & que le cerveau luy battoit si prodigieusement, que si on mettoit la main sur sa teste, ce mouvement la rejettoit à mesme temps: ce qui estoit, dit il, une marque de son sçavoir: mais qu’il fust Cham, ny fils de Cham, c’est ce que jamais il n’apprit, & les deux Justins, Sainct Augustin, Sainst Epiphane, & presque tous les Peres qui l’ont si souvent nommé, en eussent pareillement parlé. Mais soit qu’il ne fust point Cham, ny fils de Cham, dira-t’on, il n’a pas laisse d’estre Magicien & enchanteur? Si M. Naudé n’eust doctement respondu à ceste Objection, je l’examinerois maintenant ; on en peut voir les raisons qu’il advance dans sa curieuse & docte Apologie, qui sert maintenant de leçon aux Demonographes. Il est bien vray que ce sage Persans’est addonné à la contemplation des Astres , mais non pas qu’il les ait adorez, ainsi que prouve Dinon d’une façon ridicule chez Diogenes. Dinon, dit-il, in quinto Historiarum libro: Zoroastrem, ex interpretatione nominis sui, Astrorum asserit fuisse cultorem. Quelque diligence que j’aye peu faire dans le Dictionnaire Persan, je n’ay peu trouver que ce mot, ny point d’approchant, signifiant ce que veut Dinon : paraventure il tiroit ceste Etymologie partie du Grec, & partie du Latin, mais qui ne s’en riroit?

3. A la deuxiesme raison Hamahalzel dit, que bien loin que les Astrologues Persans adorassent les Cieux & les Astres, qu’au contraire ils apprenoient à tous à recognoistre un Dieu par le juste mouvement des Cieux & des Estoilles; & que si les anciens Philosophes l’ont recogneu, ç’a esté par ce moyen, comme on peut voir dans Manilius, Diogenes Laërtius, & Pic Comte de la Mirande: Heurnius adjouste que ceste observation des Astres estoit si saincte, que les premiers qui s’y addonnerent furent appellez Mages, c’est à dire Sages, d’où est descenduë la Magie, qui n’est, à tout dire, qu’une parfaite cognoissance des effets de Dieu, qui reluisent principalement à ces corps cœlestes, qui apprindrent aux Mages, dit Scaliger, qu’un Dieu devoit estre fait homme: Hac Magia, dit-il, Dominum Jesum fuisse promissum Regem cognoverunt Magi, qui ad eum adorandum longißimisè regionibus profecti sunt: & pour ne rien oublier, si ceste Magie, par laquelle on apprenoit qu’est-ce que c’estoit des Cieux, estoit si noire & si damnable qu’on la presche, pourquoy quelque Ancien Philosophe ne l’avoit-il reprise? ou bien pourquoy venoit-on de si loin pour l’apprendre? On respondra paravanture, qu’on est aussi bien desireux d’apprendre le mal que le bien; ouy mais tous les sçavants hommes asseurent que ceste Magie estoit le principe de toute bonne doctrine: Animadverto (dit Pline) summam literarum claritatem gloriám que ex hac scientientia antiquitus, & penès semper petitam. Que veut-on de plus expres pour son innocence? comme aussi ce qu’il adjouste, & que les enfans sçavent. Pithagoras, Empedocles, Democritus, Plato, ad hanc discendam navigavere exilijs veriùs, quàm peregrinationibus susceptis. Hanc reversi prædicavêre, hanc in Arcanis habuêre. Je concluds par ceste consideration, que puis que toute l’Antiquité loüe l’affection de ces Mages zelez qui suivirent l’Estoille merveilleuse; pourquoy blasmera-t’on leur doctrine? Pourquoy cet Astre qui paroissoit & plus brillant, & plus merveilleux, ne fust-il adoré de leur zele ? au contraire ils le suivirent, cognoissant bien qu’il n’estoit que messager de celuy qu’ils adorerent par apres dans une estable. Voyez plus au long ceste verité dans Sainct Hierosme, Socrate, Eustatius, Agathias, Pline, Ammian Marcelin, Casaubon, le President Brisson, Duret & Bulenger.

4. La troisiesme raison est refutée (dit Hamahalzel) si on respond simplement, qu’on ne sçauroit pas nommer un Astrologue Persan qui ait adoré des Statuës : Ils avoient bien, dit-il, certaines images ou statues merveilleuses; mais puis qu’elles estoient permises par le Légistateur Egyptien (il entend Moyse) pourquoy n’en eussent-ils pas usé ? Or qu’elles fussent permises, c’est que Michas & sa mere donnerent deux cens pieces d’argent pour en faire une. Quæ tulit, dit l’Histoire, ducentos argenteos, & dedit eos argentariot, ut faceret ex cis sculptile, atque conflatile, & fecit Ephod, & Theraphim. Consecravi & voui hoc argentum ליהוה Laiehoua Domino. Et nous ne trouvons point qu’ils fussent repris de Dieu, non plus que Laban ; au contraire, Nunc scio quod benefaciet mihi Deus, Ibid. dit Michas, apres qu’il eut recouvert un homme de la race de Levi, pour estre Præfect de ces Theraphim ou statuës, nommées souvent du nom de Dieu, à cause qu’elles luy estoient sacrées; ou bien à cause qu’il y monstroit des effets merveilleux d’une residence particuliere, s’en servant comme des ses Oracles. Quia dies multos, dit Osée, sedebunt flij Israel sine Rege, & sine Principe, & sine sacrificio, & sine altari, & sine Ephod, & sine Theraphim. C’est à dire l’Ephod, ny les Theraphim ne rendront plus aucune responce.

5. Et icy on recognoist l’erreur de plusieurs Autheurs touchant ces Theraphins, & premierement d’Elias Levita, qui dit qu’ils se faisoient en ceste façon; Qu’on tuoit un homme premier né, auquel on arrachoit la teste, puis on l’embaumoit ; & l’ayant mise sur une lame d’or, à laquelle on avoit escrit le nom de l’Esprit immunde qu’on invoquoit, la pendoient contre la muraille, & l’ayant environnée de lampes & flambeaux, l’adoroient : subtile invention, mais horrible ! & qui pourroit l’attribuer au peuple de Dieu ? Celle d’Aben-Esra n’est pas moins fausse, bien que moins scandaleuse ; car il dit sur le Genese, que ces Theraphins estoient certains instruments d’airain, comme quadrans solaires, par lesquels on cognoissoit les parties des heures destinées à la divination : Rabbi Eliezer surnommé גדול Gadol, c’est à dire, Grand, au livre qu’il intitule, פרק אליאזר Pirche Eliezer, i. Capitula R.Eliezer, croit que c’estoit en des statuës en forme d’homme faites sous certaines constellations, dont les influences desquelles elles estoient capables, faisoient qu’elles parloient en certaines heures, rendant responce de tout ce qu’on leur demandoit: & la raison, dit-il, pour laquelle Rachel les avoit desrobées à son pere Laban ,estoit, de peur que venant à les regarder, il apprit le chemin que Jacob & toute sa famille avoit tenu. Quelques Autheurs ont asseuré qu’un de nos plus saincts Docteurs, & un des plus sçavants Pontifes en avoient autresfois usé. Resveries ! Rabbi David Chimchi se trompe aussi, d’asseurer que ces Theraphins estoient certaines images dont la figure nous est incogneuë, esquelles on voyoit les choses à venir, estant comme des Oracles qui parloient souvent par la bouche du diable. Ceste fausse opinion a esté suivie par le Cardinal Caietan, Sanctes, Vatable, ClariuS, Selden, & Marin en son Arche. Mercerus suit aussi la foule, & pense que ces statuës estoient comme les Dieux domestiques des Anciens :Ut Penates, dit-il, & Lares sumpserim. Philon Juif s’esloigne plus de la verité que tous : car il en fait des contes si crotesques, que les simples femmes peuvent juger qu’on les doit mettre au rang des fables. Il dit donc, parlant de l’histoire couchée dans le chapitre susdit des Juges, que Michas fit de fin or & argent, trois statuës de jeunes Garçons, & trois de jeunes Veaux, & un Lyon, une Aigle, un Dragon,& une Colombe : de façon que si quelqu’un vouloit sçavoir quelque secret touchant sa femme il l’alloit trouver, & on l’interrogeoit par la figure de la Colombe : si touchant ses enfans, par la statue des Garçons : si pour des richesses , par celle de l’Aigle : si pour la force & puissance, par celle du Lyon : si c’estoit pour fils ou filles, par celle des Veaux; & si pour la longueur des ans & des jours, par celle du Dragon. Plaisante histoire! Mais fuyons l’ignorance, & nous tirant d’erreur, disons avec le sçavant sainct Hierosme, plus croyable en matiere du vieux Testament, qu’Interprete Grec ou Latin qui ait jamais esté ; que ces Theraphins estoient des images sacrées appartenantes au Sacerdoce. Theraphim (dit-il avec Aquila) proprie appellantur μορφώμαζα, id est, figuræ & simulachra, quæ nos possumus in præsenti, dum taxat loco, Cherubim & Seraphim, sive alia quæ in templi ornamenta fieri iussa sunt, dicere. Ce raisonnement est si sain, & si veritable, qu’il ne faut point avoir de raison pour ne le pas preferer à tout autre. Voyez-le encore exprimé dans l’epistre ad Marcellam: In Theraphim, (dit ce docte Pere) vel figuris, varia opera quæ Theraphim vocantur, intelliguntur, &c. Iuxta igitrur hunc sensum & Micha cum veste Sacerdotali, cætera quoque quæ ad Sacerdotalia pertinent ornamenta, per Theraphim fecisse monstratur.

6. Ainsi puis que les statuës des Seraphins ou Cherubins, sont nommées generalement Theraphim, qui peut blasmer les Orientaux de sorcellerie, non plus que Laban, en ayant usé? Certainement l’Escriture saincte, comme nous avons dit, qui tence si librement le vice, ne l’en a jamais repris: & il n’est pas croyable que Jacob eust si long-temps servy un Idolatre, & qu’il eust mesme espousé ses filles. On peut conjecturer aussi que David s’en estoit servy, puis que l’histoire porte que sa femme Michol tulit Theraphim, & posuit eum super lectum, usant de ceste finesse pour faire sauver son mary. Que si Michol seulement s’en servoit, comme d’une chose defenduë, pourquoy est-ce que David le permettoit? ou bien pourquoy Dieu ne l’en reprenoit-il pas? Que si on ojecte, que Jacob commanda à toute sa maison de rejetter les Dieux estrangers: Abijcite, dit-il, Deos alienos, & que luy-mesme les cacha dans une fosse, les couvrant de terre sous un Therebinte. Je responds qu’il n’y a rien plus facile à voir qu’il parle des Dieux domestiques faits d’or & d’argent, que ses enfans venoient de prendre aux Sichimites, comme un riche butin, ayant ravagé & saccagé leur ville, à cause du violement de leur sœur : Omnia vastantes quæ in domibus & in agro erant : & que cela ne soit veritable, c’est qu’auparavant, bien qu’ils eussent desja long-temps demeuré en ce pays, le bienheureux Patriarche n’avoit point fait de mention des faux Dieux, jusques au pillage des Cananéens, addonnez à toute sorte d’idolatrie : à raison dequoy (disent les plus sçavants Rabbins) Abraham fit jurer son serviteur de ne prendre point femme à son fils qui fust sortie de ce peuple : Adiuro te (dit-il) Genes. 24. per Dominum Cœli & Terræ, ut non accipias uxorem filio meo de filiabus Chananæorum ; parce qu’il sçavoit qu’elles estoient idolatres. Le mesme commanda Isaac à Jacob. Hamahalzel conclud par ceste verité, qu’asseurément du temps de ces Patriarches, il y avoit quelques Images ou Statuës merveilleuses, par lesquelles Dieu faisoit entendre ses volontez. Ceux qui auront veu le livre que Moncæus dit avoir escrit sur ceste matiere, jugeront que cét Autheur Persan n’advance pas icy des songes? Que si on demande, Pourquoy Moyse n’en a pas fait une particuliere description ? On respond, que ce sage Legistateur, cognoissant que le peuple qu’il conduisoit estoit merveilleusemeot sujet à idolatrer, n’en fit mention que comme en passant, ne voulant pas neantmoins l’oublier tout à fait, pour ne laisser rien de l’histoire.

7. J’advance d’autant plus librement ceste doctrine apres ce Persan, que je vois que de tout temps Dieu a fait entendre ses merveilles, & tout ce qui devoit arriver d’important dans le monde par quelque chose sensible, & le sera encore à l’advenir, lors qu’il voudra juger les vivans & les morts, donnant signe de sa venuë par la cheute des Estoilles, l’obscurcissement du Soleil & de la Lune, & par un profond estonnement de tous les mortels. Parcourez, si vous voulez, tous les siecles, vous n’en trouverez pas un, suivant ceste verité , où quelque nouveau prodige n’ait monstre ou les biens, ou les malheurs qu’on a veu naistre. Ainsi vit-on un peu auparavant que Zerxes couvrit la terre d’un million d’hommes, des horribles & espouventables meteores, presages du malheur qui arriva aussi bien que du temps d’Attila, surnommé flagellum Dei : & si on veut se donner la peine de prendre l’affaire de plus haut; la pauvre Jerusalem fut-elle pas advertie du malheur qui la rendit la plus desolee des villes, par mille semblables prodiges ? car souuent on vit en l’air des armées en ordre avec contenance de se vouloir choquer: & un jour de la Penthecoste, le grand Prestre entrant dans le Temple pour faire les sacrifices, que Dieu ne regardoit plus, on ouyt un bruit tout soudain, & aussi tost une voix qui cria, נעבור מזה naavour mizeh, retirons-nous d’icy. Il laisse l’ouverture de la porte de cuivre sans qu’aucun la touchast, & tous les autres prodiges couchez dans Josephe. Appian a marqué ceux qui furent veus & ouys devant les guerres civiles, comme voix espouventables, & courses estranges des chevaux qu’on ne voyoit point. Pline a descrit ceux qui furent pareillement ouys aux guerres Cymbriques, & entre autres plusieurs voix du Ciel, & l’alarme que sonnoient certaines trompettes horribles. Auparavant que les Lacedemoniens fussent vaincus en la bataille Leutrique, on ouyt dans le Temple les armes qui rendirent son d’elles-mesmes: & environ ce temps à Thebes les portes du Temple d’Hercules furent ouvertes sans qu’aucun les ouvrit, & les armes qui estoient pendues contre la muraille furent trouvées à terre, comme le deduit Ciceron, non sans estonnement. Du temps que Miltiades asla contre les Perses, plusieurs spectres en firent voir l’evenement: & sans m’escarter si loin, voyez Tite Live, qui pour s’estre pleu à descrire un bon nombre de semblables merveilles, quelques Autheurs luy ont donné le tiltre, non d’Historien, mais de Tragedien. Que si nous voulons passer dans les autres siecles qui ne sont pas si estoignez de nous, nous trouverons que du regne de Theodose, on vit de mesme une Estoille porte-espée: & du temps de Sultan Selim, mille Croix qui brilloient en l’air, & qui annonçoient la perte que les Chrestiens firent apres. Et qui ne sçait que l’Empereur Pertinax fut adverti trois jours avant son trespas par une figure qu’il vit dans un estang, le menaçant l’espee au poing? Que certains esprits annoncerent la mort à Constance fils du grand Constantin : Qu’Alexandre Ⅲ. Roy d’Escosse, fut pareillement adverti de la sienne, par un Spectre qui dança publiquement au bal. Qu’un autre triste, have, maigre, & défiguré, l’annonça à Julian l’apostat, & à l’Empereur Tacite. Que l’Empereur Henri Ⅲ. l’apprit par un phantosme, representant un Cavalier qui faisoit voltiger son cheval, & par deux autres qui se battoient en duel dans la basse cour d’un Palais de Milan. Voyez ce que Virgile dit de semblables prodiges:

Armorum sonitum tot Germania cœlo
Audüt, insolitis tremuerunt motibus Alpes.
Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes
Ingens, & simulachra modis pallentia miris
Visa sub obscurum noctis : pecudesque locutæ.

Et sans mendier des exemples ailleurs, Cardan asseure, que dans la ville de Parme il y a une noble famille, de laquelle quand quelqu’un doit mourir, on void toujours en la sale de la maison une vielle femme inconeuë assise sous la cheminée, mais si asseurement qu’elle ny manque jamais. Et de nos jours on voit encore la cloche merveilleuse d’Avila, laquelle quand il doit arriver quelque malheur à la Chestienté, sonne quelque temps auparavant d’elle-mesme, sans qu’aucun la touche. Les Autheurs qui l’asseurent, comme l’ayant veuë sont trop gens de bien pour ne les pas croire, & dix mille ont veu ce miracle quelque temps devant que les Granatins fussent chassez. Mais que dirons-nous à ce prodige, que les executeurs de la justice humaine, lesquels on ne peut nommer sans horreur, n’ont observé que trop souvent, que lors qu’on leur doit livrer quelque criminel, l’espée ou le cousteau dont ils se servent se remuë, sans que mesme on l’approche, ainsi que deduisent au long Lavatier en son livre de Spectris, & Natalis Taille-pied dans le sien, de l’apparition des esprits. On pourroit joindre à ceste deduction ceste funeste desfaicte des Huguenots au jour de la Sainct Barthelemy, predicte par l’Aube-espine qui fleurit la nuict precedente. Davantage on a remarqué, que si le 29. de Septembre, qui est le jour de la Sainct Michel, on trouve un petit ver dans les noix de galles qui se tiennent contre les chaisnes, qu’asseurément l’année sera douce : si on void une araignée, elle sera sterile, & grande disette de tout; si une mouche, c’est signe d’une saison moderee, si on n’y trouve rien, signe de tres-grandes maladies durant toute l’annee. Souvent aussi Dieu nous fait sçavoir ce qui doit arriver par quelque signe interieur, soit en dormant, ou en veillant. Ainsi Camerarius asseure, qu’il y a des personnes qui sentent la mort de leurs parens soit devant ou apres qu’ils sont trespassez par une inquietude estrange & non accoustumée, fussent-ils à mille lieuës loin d’eux. Feu ma mere Lucrece de Bermond avoit un signe presque semblable : car il ne mourait jamais aucun de nos parens qu’elle ne songeast en dormant, peu de temps auparavant, ou des cheveux, ou des œufs, ou des dents meslées de terre; & cela estoit infaillible; & moy, mesme, lors qu’elle disoit qu’elle avoit songé telles choses, j’en observoit apres l’evenement.

8. Je ne veux pas grossir ce volume de ces exemples, un seul suffit aux doctes pour exprimer ce que je veux conclurre; & si j’en rapporte plusieurs ce n’est que pour establir la puissance de l’Induction dans l’esprit de ceux qui pourroient douter de la verité que je prouve. Je tire donc ceste consequence de tout ce que dessus; Que puisque Dieu a monstre miraculeusement, & monstre encore aujourd’huy ce qui doit arriver par divers signes & en beaucoup de choses, il les a peu monstrer anciennement par une seule, & à une particuliere : telle qu’estoit paravanture ceste sorte de Statuës de Laban, qu’on peut conjecturer avoir esté les Theraphins d’Osée. Et en suite, si les premiers Persans, comme Zoroastre, ont tasché d’observer quelqu’une de ces figures, à l’imitation des premiers Peres, qui ont habité leur pays, veut-on conclurre par là qu’ils sont Magiciens? C’est tout de mesme que si on accusoit de sorcellerie ceux qui par le bransle de la cloche d’Avila ou de quelque autre prodige, concluent quelque malheur à venir.

La derniere raison qui blasme les Mages des Perses, est ainsi divisee par Hamahalzel. Je ne nie point, dit-il, que nos Anciens Astrologues, ne dressaient des images sous certaines constellations, soit en or, en argent, bois, cire, terre, ou pierre, desquelles ils retiroient quelque utilité ; mais que ce fust par enchantement & sortileges, il n’y a personne qui le puisse asseurer. Ce sont ses propres paroles expliquées à nostre langue: de façon qu’il nous reste maintenant d’expliquer en quelle façon la vertu de ces images pouvoit estre naturelle, ce que nous ferons, si premierement nous monstrons l’erreur des Philosophes Modernes sur ce sujet.

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