Curiositez inoüyes/Édition 1629/2

Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅱ.
Qu’on a estimé plusieurs choses ridicules & dangereuses, dans les Livres des Hebreux, qui sont soustenuës sans blasme par des Docteurs Chrestiens.


SOMMAIRE.
  1. Qu’il ne faut pas s’arrester à l’escorce de l’Escriture.
  2. Autheurs qui ont descrit choses ridicules sans estre repris.
  3. Livres des Hebreux moins dangereux que ceux des Payens soufferts par les Peres Chrestiens.
  4. Banquet que Dieu doit faire aux esleuz de la chair d’une baleine, comment entendu?
  5. Dix choses creés au vespre du Sabbath, quelles?
  6. Croyance des Anciens & Modernes sur la fin du Monde. Peres de l’Eglise sur ce sujet qui ont suivi les Hebreux.
  7. Diverses opinions sur le nombre des ans depuis la Creation jusques à Jesus-Christ; & que doit-on conclure de la fin du Monde?
    1. Qu’il est faux que les Anciens Rabbins ayent dit du mal de Jesus-Christ.
    2. Responce à la troisiesme Objection advancee au chapitre precedent, avec un dénombrement de quelques erreurs de nos livres plus importans.

    1.
    Mais soit (dira-t’on) que les Juifs Deuxiéme objection. soients exempts de ces crimes, & leurs livres nets de ces ordures, on ne peut pas neantmoins nier qu’ils n’advancent plusieurs resveries plus ridicules qu’on ne sçauroit penser, voire tres-dangereuses, & que par consequent ils ne soient indignes d’estre leus, & les curiositez qu’ils peuvent traitter mesprisees. C’est la deuxiesme Obiection avançee au chapitre precedent.

    Si je n’avois icy à faire qu’avec les moins passionnez, il me seroit facile de les contenter en deux mots; mais puis que j’auray paradventure à respondre a des opiniastres, il faut que la force des raisons & la suite des exemples les convainque. Je dis donc, posé qu’il y ait des resveries & des absurditez, pourquoy admet-on les livres des Poëtes, dans lesquels on ne voit autre choses? Car que peut-on concevoir de plus ridicule, que des hommes soient metamorphosez en des rochers, des fleuves, des plantes, & des bois ? ny rien de plus esloigné du sens commun, que les pierres devisent, les fleurs raisonnent, & les arbres se plaignent & souspirent leurs afflictions. Pourquoy a-t’on jamais receu les Fables d’Esope, qui donnent de la raison à tout ce qui est en la nature, jusques aux choses les plus insensibles? Que s’il faut tout dire: Pourquoy admet-on aussi la Bible, qui fait parler les forests, la vigne & les buissons ? Les bois s’en allerent, dit elle, Judic.9.8. pour faire eslection d’un Roy, & dirent à l’Olivier commande sur nous. Mais il respondit: Puis-je laisser ma graisse dont les Dieux & les hommes se servent, pour commander aux bois? Et au refus que cest Arbre leur faict, ils s’addresserent au Figuier, puis au cep de vigne, & en fin ils sont contraincts de s’addresser aux ronces. Voyez quelle Metamorphose ? Que si on dit que ce sont figures, similitudes & paraboles dont Joathan se servit pour exprimer au peuple la tyrannie d’Abimelech, & qu’en ce sens les Anciens Poëtes mettoient en avant leurs fables sous lesquels ils cachoient tousjours le secret d’une Philosophie morale, ou divine, pourquoy ne veut-t’on conceder le mesme aux Hebreux ? les veut-on faire moins raisonnables que le reste des hommes, ou plus bestes que les chevaux ? Vit on jamais une telle opiniastreté?

    2. Que si les Hebreux s’estoient amusez à descrire la guerre des grenoüilles, comme Homere: le Paranymphe d’un Tyran comme Polycrate: les loüanges de l’Injustice, comme Favorinus : celles de Neron, comme Cardan : celles d’un Asne, comme Apulée & Agrippa : celles d’une mouche & de la vie parasitique, comme Lucian : celles de la folie comme Erasme, crieroit-on pas aux Fous & aux insensez ? ou bien s’ils avoient dressé des Epitaphes, Le mesme a fait le sieur du Bellay en ses diverses poësies. & fait des oraisons funebres sur la mort d’un chat, d’un singe, d’un chien, d’un plongeon, d’un asne, d’une pie, & d’un poux, comme ont fait des esprits capricieux d’Italie, les chargeroit-on pas de la plus fine idolatrie qui fut jamais ? & toutesfois on ne dit mot de ceux-cy . S’ils s’estoient encore amusez à dresser des regles de divination, comme plusieurs de nos Latins Chrestiens, & des moyens pour expliquer les songes, comme celui-cy qu’on void chez Cochlenius; qu’apres qu’on est esveillé il faut ouvrir un Psaultier, & la premiere lettre qui sera au commencement de la page monstrera ce qui doit arriver, comme si c’est A, marque qu’on sera de bonne volonté; B, qu’on aura puissance en guerre; C, & D, tristesse & mort; E & F, qu’on aura (si on est marié) une noble lignée; G, un cas fortuit & mauvais; H, l’amour des femmes; I, bonne & heureuse vie; K, folie & resjouyssance, & ainsi des autres, dont le seul souvenir me fait rire : que si dis-je les Hebreux s’estoient occupez à ces sottises & impertinences, voudroit-on seulement que les Chrestiens touchassent leurs livres ? Je laisse mille follies dont nos livres sont pleins, & mille resveries esquelles on adjouste foy, comme en celle des noms & des nombres que Raimondo Veronese traicte amplement en son livre qu’il intitule, Opera del Antiqua & honorata scienza di Nomandia, dans lequel on void par les lettres de son nom si on doit vivre long-temps; Qui doit survivre, si le mary ou la femme; Quelles dignitez on doit posseder; De quelle mort on doit mourir, & une infinité d’autres propositions, non seulement ridicules, mais dangereuses : & puis qu’on blasme les Rabbins qui sont nets de ces folies?

    3. Disons d’avantage, presque tous les Peres ont tenu qu’on pouvoit lire les livres des Philosophes Payens, Sainct Augustin & Theodoret en apportent des raisons que les plus Critiques sont contraints d’advoüer. Or chacun sçait que la Plus part ces livres enseignent la pluralité des Dieux, & quelques-uns l’idolatrie : mais pour ceux des Hebreux, qui est celuy qui les a jamais accusez de ces crimes, & qui ait remarqué en pas une autre doctrine que celle du vray Dieu? & pourquoy donc les sçavans ne les pourront-ils pas lire, puis qu’on ose admettre les autres à la naïsveté des enfans capable de toute croyance ? que si on y trouve des resveries, ainsi qu’objectent ceux qui ne les ont pas leuz, elles ne sont point si dangereuses comme l’Apostasie, ny si absurdes, qu’on n’en puisse tirer quelque chose de bon ; ny si desertes, qu’elles ne soient accompagnees de quelque bonne doctrine. Prenons les veritez, & laissons les songes, cueillons les roses & laissons les espines, amassons les perles & rejettons les coquilles, en un mot faisons ce que le bien-heureux Damascene enseigne : Si autem (dit-il) ab bis qui foris sunt decerpere quippiam utile valuerimus, non aspernabile eft. Efficiamur probati Trapezitæ legitimum & purum aurum acervantes, adulternum autem refutantes: sumamus sermones optimos, Deos autem ridiculos & fabulas alienas canibus proijciamus.

    4. Prenons maintenant l’affaire d’un autre sens, & disons que ce qui est souvent estimé ridicule dans les livres des Rabbins par ceux qui ne parlent que par ouy-dire, n’est pas estimé tel par les doctes Chrestiens, & par ceux qui sçavent la façon d’escrire des Anciens, & que par consequent il n’est point à rejetter. Descouvrons quelques mysteres de la doctrine plus estrange de leurs livres, afin que monstrant comme on les doit entendre , on juge le mesme de tous les autres. Si on a jamais rien pensé de ridicule & d’absurde, c’est sans doute en apparence, ce que les premiers Hebreux ont mis en avant du festin que Dieu doit faire aux bien-heureux, car ils escrivent que lors que le monde fut crée, Dieu voyant que la grandeur d’une Baleine qu’il avoit logée dans la Mer estoit si prodigieuse, qu’il n’y avoit rien qui fust suffisant de la nourrir, il la tua, & la sala ainsi qu’on fait d’autre viande, pour traiter un jour les Esleus. Contribulasti, dit le Psalmiste, Capita draconumin in aquis, tu confregisti capita draconis. Je ne sçay si ce texte auroit point donné sujet à la fable de Python tué par Appollon: s’il est ainsi, ce conte seroit plus tolerable que le premier; Car quelle resverie que Dieu sala par apres ce Dragon, ou ceste Baleine appellée לבאטן Leviathan, לבאטן Leviathan signifie aussi Dragon. & qu’elle soit gardée jusques au dernier des jours pour en dresser un banquet à ceux qui n’auront plus besoin de manger ? & quel traictement feroit Dieu aux siens que de leur servir de la chair d’un Dragon salé? resveries, mais des plus crotesques, s’il ne falloit chercher en ceste doctrine autre sens que celuy de la lettre : & qui est celuy qui face les Anciens Hebreux si peu sensez, qui la creussent simplement & sans entendre autre chose? Qu’on quitte franchement la creance qu’on a de ce peuple, & qu’on juge autrement de ceux dont la sagesse a esté si judicieusement loüée de nos Peres Chrestiens. Je ne veux pas dire que les plus simples de leur nation ne creussent par adventure literalement ceste fable mysterieuse, ainsi que les bonnes gens font celles d’Esope: car il se trouve des vieilles femmes si simples, & j’en ay veu qu’oyant parler comme le Lyon parloit au Renard, & cestuy-cy à ses compagnons pour manger les poules, qu’elles croyoient que du temps passé les bestes parloient & discouroient de leurs affaires, fondees sur ce qu’elles avoient ouy prescher que l’Asnesse de Balaam avoit parlé. Mais disons qu’ainsi qu’Esope entendoit un sens mysterieux en ses fables, de mesme en faisoient ces sages Anciens en celles qu’ils avançoient. Scio, (dit Paulus Fagius touchant ce Dragon) veteres Iudæorum Ratbbinos, aliud mysterium hac de reprodere voluisse, qualia & alia multa apud illos inueniuntur, & afin de faire voir ces mysteres à jour & sans voile , il adjouste incontinent : Tu per convivium summam illam ac æternam fœllicitatem, quâ iusti in futuro fæculo perfruentur intellige. Tum nimirum edent, & devorabunt Leviathan illum, hoc est Satanam cùm viderint illum cum omnibius ministris suis in æterna præcipitari Tartara. De façon qu’il ne faut pas estre homme pour ne voir que ceste doctrine n’est pas estoignee de celle de Jesus-Christ, qui dit, qu’en son Royaume les justes boiront & mangeront à sa table, entendant de l’eternelle félicité.

    5. Une autre tradition qu’on trouve dans les livres des Hebreux, & qu’on n’estime pas moins ridicule que la premiere, est celle-cy : Que leurs Autheurs asseurent qu’en la Creation du Monde sur le vespre du Sabbat dix choses miraculeuses furent creées. La 1. fut ceste prodigieuse ouverture de la terre qui devora Kora, & tous les compagnons. La deuxiesme, le puits ou la fontaine sortant du rocher, qui suivoit les enfans d’Israël, & qui leur fut octroyee, disent-ils, par les merites de Marie sœur de Moyse : comme aussi la Manne par leur conducteur, & la nuë merveilleuse par ceux d’Aaron, lesquels estans morts, tous ces miracles cesserent. La troisiesme, l’Asnesse de Balaam. La 4. l’Arc en Ciel. La 5. la Manne. La 6. la Verge de moyse, par laquelle il fit tant de prodiges. La 7. le Vermisseau appelle שמיר Schamir, dont se servit Salomon pour fendre & tailler les pierres du Temple sans aucun bruict, quoy que tres-grandes, & tres-dures, comme on voit en l’histoire de ce superbe bastiment, & encore dans le Commentaire que Ben Maymon à fait expres de cét insecte. La 8. l’Escriture des Tables de la Loy. La 9. le Tombeau de Moyse. Et la 10. le Belier qui sut sacrifié à la place d’Isaac. Quelques-uns y adjoustent les Demons & esprits malings. Or toutes ces choses semblent tres-ridicules en apparence, lesquelles en effect sont tres curieuses, necessaires & profitables, comme je monstreray au long ailleurs, puis que la matiere en est trop longue pour la deduire icy; cependant qu’on croye le jugement que Fagius en fait: Hæc quidem (dit-il) aliquo modo in speciem ridicula & stulta esse videntur, sed quæ certè non carent suis mysterijs.

    6. Je monstre encore un poinct de la doctrine des Rabbins, qu’on estime ridicule, voire temeraire. Ces sçavants hommes ayans consideré l’ordre que Dieu tint en la Creation du Monde, & comment par six jours il avoit parfait toutes choses, & que le septiesme il s’estoit reposé, ils ont asseuré que suivant cest ordre Talmud.mysterieux le Monde ne dureroit pour certains que six mille ans;tract. San. hedr. inc. & au commencement du septiesme toutes choses se reposeroient.Helec. Six mille ans le Monde (disent-ils:) Deux mille d’Inanité, Deux mille de Loy, & Deux mille des jours du Meßie.ששת אלפים De façon que suivant ce compte, depuis la Nativité de Jesus-Christ jusques à maintenant,שנה הערלם s’est passé mille six cents vingt-huict ans,שני אלפים il en resteroit encore jusques à la fin du Monde 373. חוהו שני אלפיםQuod furor est cogitare, dit Malvenda. & Genebrard trouve aussi tellement estrange ceste opinion, qu’il ne la garantit point de folie. Mais voyons combien il importe d’esplucher diligemment toutes choses quand on veut accuser quelqu’un. Je dis donc que s’il faut accuser les Hebreux de folie d’avoir voulu definir la fin du Monde, il en faut pareillement accuser les plus sçavants de nos Chestiens, & ceux mesme qui sont comme les Soleils de l’Eglise. Je ne dis rien de l’Abbé Joachim, de Saincte Brigite, d’Ubertin de Casal, Thelesphore-Hermite, Pierre d’Aliac, Nicolas Cusa, Jean Pic de la Mirande, François Melet, ny de deux dont parle S.Vincent Ferrier, qui tenoient que depuis la mort de Jesus-Christ il y avoit encore autant d’annees jusques à la fin du Monde comme il y a de versets dans le Psautier de David. Je ne parle pas encore des Philosophes Anciens, comme d’Aristarche, qui avoit asseuré que le Monde ne devoit durer que deux mille quatre cens quatre-vingts quatre ans ; d’Aretes Dyrrachinus qui avoit assigné sa fin au bout de cinq mille cinq cens cinquante deux ; d’Hérodote & de Linus, qui la croyoient apres deux mille huict cens; de Dion qui l’avoit mise à treize mille neuf cens quatre vingts & quatre. Orphee à cent vingt mille ; & Cassandre à dix-huict cens mille. Je parle seulement des sçavants Peres, dont la vie est irreprochable, comme de S. Irenee, qui dit suivant l’opinion des Hebreux : Quotquot diebus hic factus est mundus, tot & millenis annis consummatur ; & propter hoc ait Scriptura Geneseos : Et consummate sunt Cœlium & Terrat, & omnis ornatus eorum, &c. Et apres il conclud : In sex autem diebus consummata sunt quæ facta sunt, manifestum est quoniam consummatio istorum sextus millesimus annus est. De sainct Hilaire, lequel exposant ces mots de l’Evangeliste : Et post sex dies transfiguratus est, dit: cùm post sex dies gloriæ Dominicæ habitus ostenditur, à sçavoir en la Transfiguration sur Thabor, Sex millium scilicet annorum evolutis, regni cœlestis honor præfiguratur. De sainct Ambroise, qui ayant eu la mesme pensée que S. Hylaire sur le mesme passage de Sainct Matthieu, la couchée presque en mesme paroles : De Sainct Augustin en son livre de Civitate Dei lib.20.cap.7. De sainct Hierosme sur ces mots de David: Quoniam mille anni ante oculos tuos, sicut dies hesterna quæ præterijt: disant, Ego arbitror ex hoc loco, & ex epistola quæ nomine Petri inscribitur, mille annos pro una die solitos appellari: ut scilicet quia mundus in sex diebus fabricatus est, sex millibus tantùm annorum credatur subsistere, & postea venire septenarium numerum, & octonarium, in quo verus exercetur sabbatimus, & Circumcisionis puritas redditur. Et bref il faudroit faire un volume à part pour rapporter tout ce que les autres Peres ont escrit de la fin du Monde, conformement à ce qu’en ont premierement dit les Rabbins. Les curieux qui voudront voir plus au long ceste matiere, n’ont qu’à lire George Venitien, Galatin, Adr.Finus, Sextus Senensis, Paulus Riccius, Lud.Vives, Hieronymus Magius, Aegidius Columnus, & Fridericus Emstius.

    7. L’objection qu’on peut faire sur ce subject pourroit apporter du blasme, & aux Rabbins, & aux Peres qui les ont suivis, si nous ne monstrions qu’elle est nulle: sçachant, dit-on, que le Monde ne doit durer que six mille ans, on pourrroit sçavoir par consequent le jour du jugement; ce qui est contre l’Escriture Saincte. Je responds que ces sçavants hommes n’ont pas definy les jours, mais les ans: or le nombre des ans depuis la creation jusques à present est incertain, donques aussi les jours. Or, que ce nombre soit incertain, on le peut juger par l’opinion de ceste suite d’Autheurs qui l’ont diligemment supputé jusques à la Nativité de Jesus-Christ: & toutesfois ils sont en difference de plus de cent ans, jugez quelle quelle en doit estre la consequence. Les Hebreux faits Chrestiens, comme Hierosnymus à sancta Fide : Paulus à sancta Maria, Liranus Brugensis, & les autres suivis par Georgius Venetus, Galatinus, Franscicus Georgius, & Steuchus, comptent depuis la Creation jusqu’à la naissance de Jesus-Christ,3760
    Paulus Forosemproniensis,5201
    Arnaldus Pontacus,4088
    Pererius Bellarmin, & Baronius,4022
    Genebrard,4090
    Suares,4000
    Ribera,4095
    Onuphrius Panuinus,6310
    Scaliget le fils,3948
    Sixtus Senensis, Massæus, & un bon nombre d’autres,3962
    Jean Pic de la Mirande,3958
    Pierre Gallisard,3964
    Gerard Mercator,3928
    Joannes Lucidus, & plusieurs autres,3960
    Jansenius,3970
    Charles de Bouille,3989
    Paulus Palatins,4000
    Malvenda,4133

    D’icy on peut conclurre que ny les jours, ny les ans escoules depuis la Creation, ne peuvent estre sçeuz exactement sans une particuliere revelation ; quoy que dise le docte Pererius, asseurant sur ces mots du Sage: dies seculi quis dinumerat ? qu’il ne parle pas des ans, mais des jours: & que le nombre de ceux-cy ne se peut pas sçavoir, mais bien de ceux-là. Ergo, dit-il , apres un long discours, {{lang|la|numerus annorum mundi teneri potest, dierum autem non potest.}} Mais il devoit premierement accorder ces Autheurs, & monster l’erreur de leur compte: Apres tout on peut sçavoir ce nombre de vingt-cinq ou trente ans pres, tant du plus que du moins, & non pas autrement.

    Troisiéme objection. 8. La troisiesme objection que font ceux qui ne veulent point admettre les livres des Hebreux, semble avoir plus de raison que toutes les autres: car s’ils se moquent de la vie de celuy qui la nous a redonnée, s’ils blasment ses actions, s’ils detestent sa doctrine, & condamnent sa memoire comme ignominieuse, en un mot s’ils sont pleins de blasphemes contre Jesus-Christ, qui est celuy qui en pourroit souffrir la lecture ? Icy Senensis triomphe de ses ennemis, il monstre par tout l’impieté des Israëlites, il n’y a malice ny meschanceté qu’il ne leur impute; & pour dire tout, il fait un denombrement tant des poincts de leur fausse creance, que des injures qu’ils vomissent contre le Fils de Dieu : de façon que si on n’avoit leu leurs livres: & cogneu la verité, on les jugeroit plustost escrits par des Demons que par des hommes. Responce. Cet Autheur qui n’a escrit contre ce Peuple, comme presque tous les autres ont fait, que par la haine qu’on porte à ces Deicides, pensait paraventure qu’apres tant de Bibliotheques Hebraïques qu’on avoit bruslees en Italie, & apres douze mille volumes que luy-mesme veit reduire en cendre à Cremone : qu’apres, dis-je, une si rigoureuse Inquisition, il ne resteroit plus de livres, dans lesquels nous peûssions juger si ce qu’il advançoit estoit veritable ; mais il avoit oublié de faire brusler aussi les œuvres de Galatin, ou pour mieux dire de Sebonde: Car je monstreray ailleurs que jamais Galatin ne fut l’Autheur du docte livre de Arcanis Catholicæ fidei: il avoit, dy-je, oublié de mettre en cendre ces doctes esprits, qui monstrent clairement que la plus grand’ part de ce qu’il dit sur ce subject est faux, & prouvent comme les blasphemes, que les Thalmudistes, & premiers Rabbins vomissent contre Jesus-Christ, ne s’addressent point à Christ qui nous a rachetez; mais à un autre Jesus bien different du nostre. Ceste verité

    est si cogneuë, que les plus passionnez des Juifs ne l’osent nier, sans desmentir leur Thalmud. Ainsi ceste consession estant d’autant plus forte, qu’elle part de la bouche de nos Adversaires, elle renverse puissamment tout ce que Senensis, & tous ceux de sa suite ont jamais dit contre. je ne veux pas asseurer que les plus jeunes des Rabbins, ne traittent plus opiniastrement le different qui est entre eux, & nous, qui est: à sçavoir, si Jesus-Christ est le vray Messie: & que parmy les chaleurs d’une dispute si importante, ils ne parlent quelquesfois irreveremment de nos sacrez mysteres : Mais chose admirable, & qui doit convaincre les ennemis des escrits de ce peuple, dans un si grand nombre d’argumens que Rabbi David Chimchi, & Rabbi Joseph Alboni tres sçavants, & zelez en leur Religion, advancent contre nous; on ne peut pas trouver une seule injure contre J.C. comme seditieux, ainsi qu’on l’appelloit durant sa vie, ny magicien, ny imposteur, ny malfaicteur, ny point de pareil blaspheme : quoy que presque tous nos Autheurs Chrestiens qui ont escrit contre eux ne les puissent nommer sans injure. Ils disputeront bien, voir si l’Evangile est une Loy ; mais non pas si son Autheur est un meschant homme ; au contraire, ils asseurent qu’il gardoit religieusement tous les commandemens du Decalogue. Ils diront bien qu’il estoit un simple homme, & non pas Dieu ; aveuglez de la confession que ce mesme Dieu d’amour fait: Ego sum vermis, & non homo; mais non pas qu’il fut un scelerat & un perfide. Ils accuseront bien les Apostres d’ignorance, mais non pas de malice; comme quand S. Paul dit que les Israëlites demanderent un Roy à Samuel, qui leur donna le fils de Cis aagé de 40 ans: & l’Escriture porte, s’il semble, autrement: comme aussi quand sainct Estienne dit, que ceux qui entrerent avec Jacob en Egypte, estoient septante-cinq en nombre; & au Genese est dit qu’il n’y en avoit seulement que septante: & ainsi de quelques autres passages que on a desja assez souvent conciliez, & deffendus d’erreur. Ils nieront bien qu’en l’Eucharistie un grand corps avec toutes ses parties soit en un petit fragment; mais non pas que son institution & usage en l’Eglise Chrestienne soit diabolique, comme asseurent les heretiques; & en fin pour dire tout à la fois, ils nieront bien que J.C. soit le vray Messie: mais non pas que ce qu’il a enseigné soit contre Dieu. Ceux qui voudront voir ce debat, n’ont qu’à lire le Traicté que Genebrard a fait contre ces deux sçavants Juifs cy-dessus nommez. Pour conclurre done, & contre Senensis, & contre tous ceux qui le suivent ; je dis que bien loing que les premiers Rabbin disent des injures contre Jesus-Christ , qu’au contraire ils authorisent sa doctrine, & continuent l’histoire de ce que nous en avons: ainsi que nous prouvons dans nostre Advertissement aux Doctes touchant la neceßité des langes Orientales, que nous mettrons au jour, s’il plait à Dieu, dans fort peu de temps.

    9. Quatriesme objection. Je touche maintenant la derniere Objection, qui est que les livres des Rabbins errent en l’interpretation de la loy, & qu’estans remplis de Traditions vaines & ridicules, voire dommageables, ils ne doivent pas estre leuz des Chrestiens, qui ne doivent chercher que les vrayes Traditions de Jesus-Christ, & de son Eglise.

    Responce. Je ne veux pas respondre absolument, & de tout poinct à ceste objection, puis qu’il est certain que les Rabbins errent quelquesfois, & qu’ils ont des interpretations bien louches : mais que pour cela il les faille brufler, ou ne les point lire, c’est ce que la raison ne peut souffrir: autrement nous nous ferions le procez à nous mesme & condamnerions nos propres livres, qui ne sont presque tous, sans erreur : je parle mesme de ceux qui nous doivent estre plus necessaires & recommandables; de façon que s’il falloit les mettre au feu, nous verrions bien tost nos Bibliotheques desertes, & ceux qui viendroient apres nous dans une profonde ignorance: Car qui ne sçait que les Oeuvres de Tertullien satirisent le Schisme des Montanistes, lorsqu’il presche un nouveau Paraclet, & une nouvelle Prophetie : & lorsqu’il condamne les secondes nopces. Qu’on fueillete diligemment les escrits de tous les autres Peres, pour voir si on les trouvera exempts d’erreur. Ceux de S. Cyprian soustiennent qu’il faut rebaptiser ceux qui abjurants l’heresie, avoient esté baptisez par les heretiques. Ceux du docte Origene en quoy n’ont-ils pas erré ? si on est curieux de voir le desnombrement des principales fautes, il ne faut que lire la docte epistre de S. Hierosme ad Avitum. S. Hilaire semble n’oster pas peu du merite de Jesus-Christ lors qu’il advance, que son sacré Corps n’estoit poinct capable de douleur, & que la faim, la soif, la lassitude, & le reste de nos infirmitez, n’avoient point esté en luy naturelles, mais Absumptæ, comme parle l’Escole. Sainct Epiphane ne tombe pas à des moindres erreurs, lors qu’il escrit sur ces paroles de Jesus-Christ, Pater maior me est, qu’il estoit vray aussi de sa nature Divine ; & qu’au jardin des Olives il n’avoit pas dit ces paroles serieusement: Pater, si fieri potest, transeat à me Calix iste, mais en dissimulant pour tromper le diable. Je laisse plusieurs autres choses qu’il a advancées sur la mort de Jesus-Christ, que la pureté de la Theologie ne peut advoüer ; comme aussi disputant contre Arrius, il asseure que c’est un precepte des Apostres, de ne manger autre chose six jours devant Pasques que du pain avec du sel. Sainct Ambroise parmy ses Allegories esquelles il excede, n’est pas tousjours aussi sans erreur, car il advance des choses tout à fait contraires au sens de l’Escritute Saincte, comme en parlant du peché de Sainct Pierre, il l’excuse tellement, qu’il asseure que cet Apostre ne nia point Jesus-Christ comme Dieu, mais seulement comme homme : Et lors qu’il permet pareillement de se joindre à une autre femme apres le divorce, non pas toutesfois à une repudiee. Sainct Hierosme se range à l’autre extremité : car lors qu’il plaide pour la Virginité contre Iouinian, il blasme tellement le Mariage qu’il semble que soit un crime de se marier, & passe jusques-là qu’il estime presque un maquerelage & fornication les secondes nopces. Les erreurs sont aussi frequentes à Sainct Augustin, comme lors qu’il met en avant, qu’il falloit donner l’Eucharistie aux petits enfans, & que les mesmes mourans sans baptesme estoient damnez. On peut voir dans les œuvres de ce grand personnage, quantité d’autres erreurs, dans lesquelles il estoit tombé : erreurs qu’on peut veritablement appeller heureuses, puis qu’elles ont causé ce docte livre des Retractions, sans lesquelles une bonne partie de la doctrine de ce sçavant Pere nous seroient incogneuë. Je pourrois cotter en suite quelques fautes des autres Peres, tant Grecs que Latins, pour revenir à mon hypothese, qu’il ne faudroit non plus les lire que les Rabbins, & faudroit estre reduits à ceste extremité de n’avoir que l’Escriture saincte; encore ne faudroit-il pas l’admettre si on s’attachoit à la lettre, puis qu’on y voit des choses contraires, s’il semble, à la verité. Ainsi Caietan a remarqué qu’au deuxiesme des Roys, on lit Michol au lieu de Merob; ainsi qu’on peut voir au premier livre de la. mesme histoire : Et les Doctes ont pris garde qu’au nouveau Testament, Sainct Matthieu a esté trompé par sa memoire, ayant escrit Zacharie au lieu de Jeremie & Sainct Marc de mesme, asseurant que le texte qu’il apporte est escrit en Isaye, veu qu’il est en Malachie : & quand il escrit aussi, que Jesus-Christ fut crucifie sur les trois heures, veu qu’environ les six seulement il fut jugé par Pilate, comme le rapporte Sainct Jean. D’avantage lors que Sainct Luc dit que Cainan fut fils d’Arphaxad , & Salec fils de Cainan, veu qu’il y est escrit au Genese que Salec n’est pas neuveu d’Arphaxad, mais son fils, n’y ayant point d’autre generation entre ces deux: Et quand il dit pareillement que la Spelonque qu’Abraham achepta estoit size en Sichem, veu qu’elle estoit en Ebron ; & qu’il l’achepta des enfans d’Emor fils de Sichem, non pas d’Ephron Etheen, come l’escrit Moyse, lors qu’il dit qu’Emor estoit fils de Sichem, & la Genese porte tout le contraire, qu’Emor estoit pere de Sichem , & non pas son fils. Or je n’entreprends pas de justifier tous ces passages, plusieurs grands personnages des siecles passez l’ont fait heureusement; de façon que on ne peut pas dire maintenant, sans injure, qu’il y a de l’erreur. Pour les fautes des Peres, j’aime bien mieux penser pieusement & dire que comme Sainct Hierosme escrit, qu’on se plaignoit de son temps qu’on avoit falsifié les œuvres d’Origene, & Sainct Augustin celles de Sainct Cyprian, que de mesme celles du reste des Peres peuvent avoir esté corrompuës. Mais ceste excuse, que la pieté m’a dictee, n’empesche pas encore qu’il ne fallust rejetter leurs livres tels que nous les avons, s’il ne falloit point lire tous ceux qui ont erré.

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