Gangloff (p. 136-138).

Deux mots sur un récent Procès.

Nous n’aimons pas la Chronique judiciaire, et ne consentirions jamais à faire passer sous les yeux de nos lecteurs ces scandales dont le seul récit est fait pour abaisser, pour dégrader les âmes.

Il ne faudrait pas croire que le spectacle du mal donne l’horreur du mal, ni que le sang versé ait jamais communiqué l’horreur du sang versé. Rien n’est plus faux que la légende de l’ilote ivre.

Ce qu’il y a de trop certain, c’est que les Recueils de procès plus ou moins célèbres sont une œuvre dangereuse, et ou les scélérats vont moins chercher des émotions que des modèles.

Il en est ainsi de tout mauvais livre, et c’est ce qu’on oublie trop tacitement de nos jours.

Oui, il y a nombre de publicistes intelligents et aimables, voire honnêtes, qui s’écrient et répètent tous les matins : « Les mauvais livres ne font pas de mal. »

Quelle erreur, et comme elle est démentie par les faits !

Dans la chambre de ce misérable qu’on vient d’arrêter les mains encore rouges de sang, dans ce taudis abject, sur cette table en désordre, qu’a-t-on trouve. Le dernier roman de M. X.

Cette pauvre jeune fille qui vient d’allumer un fourneau, de boucher hermétiquement toutes ses fenêtres, et de se donner horriblement la mort à vingt ans, quel livre lisait-elle avant de mourir, quoi livre tenait-elle en mourant dans ses pauvres doigts crispés ? Un autre roman celui de M. Y.

Et dans ce triste procès qui s’est déroulé l’autre mois à Constantine, que voyons-nous ? Une jeune femme qui, certain jour, supplie un jeune homme de la tuer, et qui est en effet tuée par lui. Notez que je ne discute pas, et que j’admets simplement la version de la défense. Mais enfin, cet étrange assassin, où avait-il contracté cette maladie noire, ce pessimisme romanesque, ses idées fausses qui le dévoraient ? Où ? Il l’a dit lui-même. Dans une méchante nouvelle d’Alfred de Vigny.

Tout mauvais livre inspire de mauvaises pensées, et toute mauvaise pensée produit de mauvaises actions.

C’est l’évidence, et je me tais.