Gangloff (p. 124-126).

La Belle et la Bête.

Devant la cage où sommeille le lion énorme, la petite fille s’est arrêtée. Surprise, émue, peureuse.

La bête se réveille lentement, se détire majestueusement, et fixe son grand regard morne sur ce petit être frèle qui le contemple avec une admiration mêlée d’horreur.

Il serait curieux de savoir ce que se disent, en eux-mêmes, ces deux interlocuteurs également silencieux. Vous l’ignorez, n’est-il pas vrai ? mais je sais lire, moi, dans ces grimoires où vous ne voyez rien, et je vais vous traduire en bon français ce dialogue muet :

Le Lion. — J’ai faim.

La Petite. — J’ai peur.

Le Lion. — Cette enfant est bien maigre.

La Petite. — Ce lion est bien fort.

Le Lion. — Je m’en contenterais pour mon déjeuner, hors-d’œuvre.

La Petite. — S’il n’y avait pas les barreaux, il me mangerait, bien sûr. Oh ! les grosses pattes qu’il a !

Le Lion. — Malheureusement, il y a les barreaux. Allons, allons, je luis fais grâce… à cause de sa mère.

La Petite. — J’ai peur.

Le Lion. — J’ai faim.

Là-dessus la petite s’en vu plus vite qu’elle n’était venue, et le bon lion se rendort, la conscience tranquille, en passant sa langue rose sur la blancheur de ses dents.

Mais où est, direz-vous, la moralité de cette histoire ?

La moralité ? La voici. C’est qu’on est quelquefois honnête par nécessité ;

Mais qu’il vaut mille et mille fois mieux l’être librement et par vertu.