Gangloff (p. 62-63).

C’est moi qui l’ai vu le premier.

On attend le matelot qui est parti depuis deux ans et a fait son tour du monde. Le voyage est tong, et l’attente semble plus longue encore.

Mais, enfin, ce matin, on a signale le grand steamer à l’horizon. La femme et les cinq enfants de Guillaume ont pris leurs habits des dimanches, et se sont rapidement acheminés vers la jetée. Ah comme il bat, comme il bat, le cœur de Françoise !

La jetée est loin, les jambes des petits ne sont pas encore bien vaillantes, et le chemin n’en finit pas. Cette lenteur exaspère Médor qui flaire son maître et qui, las de cette marche à pas comptés, finit par rompre sa laisse et former l’avant-garde. Il court, il saute, il bondit, insensible à tous les appels de Françoise et de ses enfants. Sa queue frétille, son œil brille il sent Guillaume.

C’est lui qui, le premier, aperçoit le gros navire la-bas, font ta-bas. Il aboie, il se jette il l’eau ; il aboie encore, il se rejette à la mer, et prend enfin le parti d’attendre. Mais c’est dur.

Le steamer va vite, il approche, et l’on distingue enfin les passagers et les marins. Le capitaine est a son poste, qui conduit la manœuvre, d’une âme et d’un geste également tranquilles. Médor, tout à coup, fait un grand bond gigantesque et lance en l’air le plus enthousiaste, le plus sonore de tous ses abois.

C’est lui qui a vu Guillaume le premier !