Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S2/C3

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 61-64).


TROISIÈME CONFLIT DES IDÉES TRANSCENDENTALES


Thèse
Antithèse
La causalité déterminée par les lois de la nature n’est pas la seule d’où puissent être dérivés tous les phénomènes du monde. Il est nécessaire d’admettre aussi, pour les expliquer, une causalité libre. Il n’y a pas de liberté, mais tout dans le monde arrive suivant des lois naturelles.
PREUVE
PREUVE
Si l’on admet qu’il n’y a pas d’autre causalité que celle qui est déterminée par des lois de Supposez qu’il y ait une liberté dans le sens transcendental, c’est-à-dire une espèce
la nature, tout ce qui arrive suppose un état antérieur, auquel il succède inévitablement suivant une règle, Or cet état antérieur doit être lui-même quelque chose qui soit arrivé (qui soit devenu dans le temps ce qu’il n’était pas auparavant), puisque, s’il avait toujours été, sa conséquence n’aurait pas commencé d’être, mais qu’elle aurait aussi toujours été. La causalité de la cause par laquelle quelque chose arrive est donc toujours elle-même quelque chose d’arrivé, qui suppose à son tour, suivant la loi de la nature, un état antérieur et la causalité de cet état, celui-ci un autre plus ancien, et ainsi de suite ; Si donc tout arrive suivant les seules lois de la nature, il y a toujours un commencement subalterne, mais il n’y a jamais un premier commencement ; et, par conséquent, en général la série du côté des causes dérivant les unes des autres n’est jamais complète. Or la loi de la nature consiste précisément en ce que rien n’arrive sans une cause suffisamment déterminée à priori. Donc la proposition qui veut que toute causalité ne soit possible que suivant des lois naturelles se contredit elle-même quand on la prend sans particulière de causalité, suivant laquelle les événements du monde pourraient avoir lieu, c’est-à-dire une faculté de commencer absolument un état et par conséquent aussi une série d’effets résultant de cet état, non-seulement une série commencera absolument en vertu de cette spontanéité, mais encore l’acte par lequel cette spontanéité même est déterminée à produire cette série, c’est-à-dire la causalité, de telle sorte qu’il n’y aura rien antérieurement qui détermine suivant des lois constantes l’acte qui arrive. Mais tout commencement d’action suppose un état de la cause qui n’agit pas encore, et un premier commencement dynamique d’action suppose un état qui n’a aucun rapport de causalité avec l’état précédent de la même cause, c’est-à-dire qui n’en dérive en aucune façon. Donc la liberté transcendentale est contraire à la loi de la causalité, et un enchaînement des états successifs des causes efficientes, d’après lequel aucune unité d’expérience n’est possible, et qui par conséquent ne se rencontre dans aucune expérience, est un vain être de raison.

Il n’y a donc que la nature où nous puissions chercher l’

restriction dans toute son universalité, et il est impossible d’admettre cette sorte de causalité comme la seule.

D’après cela, il faut admettre une causalité par laquelle quelque chose arrive, sans que la cause en soit déterminée aussi par une autre cause antérieure, suivant des lois nécessaires, c’est-à-dire une spontanéité absolue des causes ayant la vertu de commencer par elle-même une série de phénomènes, qui se déroule suivant des lois naturelles, par conséquent une liberté transcendentale, sans laquelle, même dans le cours de la nature, la série des phénomènes ne serait jamais complète du côté des causes.

l'enchaînement et l’ordre des événements du monde. La liberté (l’indépendance) à l’égard des lois de la nature affranchit, il est vrai, de la contrainte, mais elle affranchit aussi du fil conducteur de toutes les règles. En effet, on ne peut pas dire que des lois de la liberté prennent dans la causalité du cours du monde la place des lois de la nature, puisque, si la liberté était déterminée par des lois, elle ne serait plus de la liberté, mais la nature même. Il y a donc entre la nature et la liberté transcendentale la même différence qu’entre la soumission à des lois[1] et l’affranchissement de toutes lois[2]. La première, il est vrai, importune l’entendement de la difficulté de remonter toujours plus haut dans la série des causes pour y chercher l’origine des événements, puisque la causalité y est toujours conditionnelle ; mais elle promet en revanche une unité d’expérience universelle et régulière. L’illusion de la liberté, au contraire, offre bien à l’entendement un repos dans son investigation à travers la chaîne des causes, en la conduisant à une causalité
inconditionnelle, qui commence l’action d’elle-même ; mais comme cette causalité est aveugle, elle rompt le fil des règles sans lequel il n’y a plus de liaison générale possible dans l’expérience.


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Notes de Kant modifier

  1. Gesetzndszigkeit.
  2. Gesetzlorigkeit.


Notes du traducteur modifier