Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S2/C2/Remarque

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 57-61).

Remarques sur la deuxième antinomie


1° Sur la Thèse
2° Sur l’Antithèse
Quand je parle d’un tout qui se compose nécessairement de parties simples, j’entends par là uniquement un tout substantiel, comme le composé propre, c’est-à-dire l’unité accidentelle d’une diversité qui, donnée séparément (du moins en pensée) est unie par une liaison réciproque et forme ainsi quelque chose d’un. L’espace n’est pas, à proprement parler, un composé, mais un tout, puisque ses parties ne sont possibles que dans le tout, et que le tout ne l’est point par les parties. En tout cas, ce ne serait qu’un compositum ideale, et non un compositum reale. Mais cela est une pure subtilité. Comme l’espace n’est pas un composé de substances (pas même d’accidents réels), dès que je supprime en lui toute composition, il ne doit plus rien raster, pas même un point ; car celui-ci n’est possible que comme limite d’un espace (par conséquent d’un composé). L’espace et le temps ne se composent donc pas de parties simples. Ce qui n’appartient qu’à Le principe de la division infinie de la matière, dont la preuve est purement mathématique, a été attaqué de telle sorte par les partisans des monades qu’on a pu les soupçonner de ne pas vouloir admettre que les preuves mathématiques les plus claires nous fassent connaître la nature de l’espace, en tant qu’il est en réalité la condition formelle de la réalité de toute matière, mais de les regarder comme des conséquences dérivées de concepts abstraits, mais arbitraires, qui ne sauraient s’appliquer à des choses réelles. Comme s’il était possible d’imaginer une autre espèce d’intuition que celle qui est donnée dans l’intuition originaire de l’espace, et comme si les déterminations à priori de cet espace ne touchaient pas en même temps tout ce qui n’est possible qu’à la condition de le remplir ! Si l’on écoutait ces philosophes, il faudrait, outre le point mathématique, qui est simple et n’est pas une partie, mais uniquement la limite d’un espace, concevoir
l’état d’une substance (par exemple, le changement), bien qu’ayant une quantité, ne se compose pas non plus du simple, c’est-à-dire qu’un certain degré de changement ne résulte pas de l’addition de plusieurs changements simples. Notre conclusion du composé au simple ne s’applique qu’à des choses existantes par elles-mêmes. Or des accidents d’état n’existent point par eux-mêmes. On court donc le risque de ruiner la preuve de la nécessité du simple, comme formant les parties constitutives de tout composé substantiel, et de perdre ainsi sa cause, en étendant cette preuve outre mesure et en l’appliquant à tout composé sans distinction, comme on l’a déjà fait plus d’une fois.

Je ne parle d’ailleurs ici du simple qu’autant qu’il est nécessairement donné dans le composé, puisque celui-ci y peut être résolu comme dans ses parties constitutives. Le mot monade, dans sa signification propre (suivant le langage de Leibnitz), ne devrait s’entendre que du simple qui est immédiatement donné comme substance simple (par exemple dans la conscience), et non comme élément du composé, élément qu’il vaudrait mieux

encore des points physiques, qui a la vérité sont simples aussi, mais ont l’avantage de remplir l’espace par la seule agrégation, comme parties de cet espace. Sans répéter ici les réfutations aussi claires que vulgaires de cette absurdité, réfutations qui se présentent en foule, comma il est d’ailleurs inutile de vouloir obscurcir par des concepts purement discursifs l’évidence des mathématiques, je me bornerai à faire remarquer que, si la philosophie chicane ici les mathématiques, c’est qu’elle oublie que, dans cette question, il s’agit uniquement des phénomènes et de leur condition. Il ne suffit pas ici de trouver, pour le concept du composé pur que nous donne l’entendement, le concept de simple, mais il s’agit de trouver, pour l’intuition du composé (de la matière), l’intuition du simple, et cela est tout à fait impossible suivant les lois de la sensibilité, et par conséquent aussi en fait d’objets des sens. On peut donc bien dire d’un tout composé de substances, conçu par l’entendement pur, que nous devons avoir le simple antérieurement à toute composition de ce tout, mais cela ne s’applique pas au totum substantiale phænomenon,
appeler atome. Et, comme je ne veux démontrer l’existence des substances simples que par rapport aux composés dont elles sont les éléments, je pourrais designer l’antithèse de la seconde antinomie sous le nom d’atomistique transcendentale. Mais, d’un autre côté, comme cette expression est depuis longtemps employée pour désigner une explication particulière des phénomènes corporels (molecularum), et qu’elle suppose ainsi des concepts empiriques, on peut l’appeler le principe dialectique de la monadologie. lequel, comme intuition empirique ayant lieu dans l’espace, implique cette propriété nécessaire, qu’aucune partie n’en est simple, puisqu’aucune partie de l’espace n’est simple. Cependant, les partisans des monades se sont montrés assez avisés pour vouloir éluder cette difficulté en refusant d’admettre l’espace comme une condition de la possibilité des objets de l’intuition extérieure, et en plaçant au contraire dans celle-ci et dans la relation dynamique des substances en général la condition de la possibilité de l’espace. Mais nous n’avons un concept des corps qu’en tant qu’ils sont des phénomènes, et en cette qualité ils supposent l’espace comme la condition de la possibilité de tout phénomène extérieur. Le subterfuge est donc vain, comme nous l’avions déjà suffisamment montré dans l’esthétique transcendentale. Il faudrait que les phénomènes fussent des choses en soi, pour que la preuve des partisans de la doctrine des monades eût une valeur absolue.

La seconde assertion dialectique a ceci de particulier qu’elle a contre elle une assertion dogmatique, la seule, entre toutes les assertions

sophistiques, qui entreprenne de prouver manifestement par un objet de l’expérience la réalité de ce que nous avons rattaché plus haut aux idées transcendentales, en cherchant à démontrer que l’objet du sens intime, le moi qui pense, est une substance absolument simple. Sans revenir sur ce point (qui a été suffisamment examiné plus haut), je ferai seulement remarquer que, si je conçois simplement quelque chose comme objet, sans y joindre rien qui en détermine synthétiquement l’intuition (comme il arrive dans cette représentation toute nue : moi), je ne puis assurément percevoir rien de divers ni aucune composition dans une représentation de ce genre. D’un autre côté, comme les prédicats au moyen desquels je conçois cet objet, ne sont que des intuitions du sens intérieur, je n’y puis rien trouver qui prouve une diversité de parties placées les unes en dehors des autres, et par conséquent une composition réelle. La conscience de soi a donc cela de particulier que, puisque le sujet qui pense est en même temps son propre objet, il ne peut pas se diviser lui-même (bien qu’il puisse diviser les déterminations qui lui sont
inhérentes) ; car, par rapport à lui-même, tout objet est une unité absolue. Mais il n’en est pas moins vrai que, si ce sujet est envisagé extérieurement, comme objet de l’intuition, il manifestera bien pourtant une composition dans le phénomène. Or c’est toujours ainsi qu’il faut l’envisager dès qu’on veut savoir s’il y a ou non en lui une diversité de parties placées les unes en dehors des autres.


Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier