2e LECTURE

L’INDE


Nous allons commencer par l’étude de l’Inde et de ses monuments.

Lorsqu’on parcourt l’Italie, une profonde émotion est produite par la visite des anciennes villes retrouvées, et principalement de Pompéi.

On marche au milieu des enceintes solitaires, l’écho seul vous répond, et l’on va de surprise en surprise.

On peut penser qu’on est transporté tout à coup à 2 000 ans en arrière. Ces demeures vides sont si bien conservées, et ces places entourées de chefs-d’œuvre presque intacts.

Ces basiliques, ces temples semblent bâtis d’hier.

Aussi on ne peut croire que cette cité soit abandonnée ; on s’attend à chaque instant à entendre le bruit d’une ville qui se réveille et à voir apparaître les anciens habitants, après l’empire de la siesta. On s’attend à voir les patriciens vêtus de lin et de pourpre, les dames en leurs riches litières, les serviteurs empressés, les marchands et les acheteurs qui remplissent l’air de leurs cris.

Mais non, tout est vide, tout est morne, et rien ne vient interrompre le silence.

Mais si grande que soit votre émotion, que serait-elle, si, au lieu d’une ville, vous voyiez une contrée presque aussi grande que l’Europe, avec une population innombrable, portant toujours le vêtement des patriarches, richement orné de perles et de diamants comme aux temps antiques ?

Arrien et Quinte-Curce nous disent que les soldats d’Alexandre, arrivés sur les bords de l’Indus, furent accueillis par des hommes vêtus d’une mousseline éclatante de blancheur, avec des bottes en cuir écru, des turbans imposants et des ornements d’ivoire et d’or. Ce portrait est celui des Indiens modernes, dit M. Lenormant.

Tout subsiste comme de la veille, avec le même aspect, les mêmes institutions, les monuments toujours entretenus, avec tous les caractères de l’antiquité la plus reculée, mais avec les signes de la jeunesse.

On dira, cependant, qu’à part la curiosité, il est difficile de s’intéresser au sujet d’un pays étranger, comme on pourrait le faire sur son propre pays ; mais il s’agit de savoir si cela est utile.

Ce n’est pas sans peine que nous avons été familiarisés avec des annales étrangères comme celles de la Grèce et de Rome, mais ce n’est pas non plus sans profit.

Nous commençons aussi à connaître et à estimer le moyen âge, mais ce n’est pas non plus sans d’immenses avantages.

Les institutions de Charlemagne et de saint Louis sont étudiées, les vieux chroniqueurs et les vieux poètes sont appréciés. On trouve des architectes qui consentent à admirer les vieilles basiliques du XIIIe siècle ; le Dante est exalté.

Et combien la Philosophie et la Théologie ont gagné à étudier ce savant religieux, cet oracle des anciens jours, le grand et incomparable saint Thomas d’Aquin.

Or, des études sérieuses ont été entreprises dans l’Inde, dernièrement, et elles y ont fait découvrir des merveilles et des éléments très précieux à connaître.

Dans cette grande presqu’île, réside une population qui a su déployer d’admirables qualités.

Il y a là une philosophie qui a révélé des esprits éminents et de rares métaphysiciens.

La littérature brille par les ressources d’une imagination merveilleuse ; 10 000 ouvrages montrent sa fécondité, suivant M. Wilson.

Enfin l’art, qui est le cachet des grandes civilisations, y est plein de spontanéité, d’originalité et d’une abondance éblouissante, suivant M. Charles Mallet, sir William Jones, le commodore Elliot, et principalement le général Cunningham.

Là, en effet, se trouve une richesse d’ornementation qui n’existe en aucun autre pays, une prodigalité de travail et une élaboration de détails qui n’ont jamais été égalées, et en même temps, une méthode très claire et très maîtresse d’elle-même, qui a le don de réaliser ce qu’elle conçoit.

Or, si l’esprit moderne a gagné en force et en profondeur par la connaissance de l’antiquité classique, si de plus il s’est éclairé par l’étude des merveilles du XIIe et du XIIIe siècle, les hommes les plus compétents pensent qu’il ne faut pas ignorer un champ de production tel que l’Inde, sous peine d’être incomplet et exclusif ; c’est ce que disent les plus grands explorateurs de ce pays, tels que le général Cunningham et l’illustre Fergusson, gouverneur de la province de Bombay.

Enfin, il y a là un sujet d’intérêt particulier. La Grèce et Rome antique ont passé ; on ne peut recommencer le moyen âge, mais dans l’Inde, tout est vivant, comme il y a quarante siècles.

L’organisation y est toujours la même ; l’art et l’industrie n’ont pas reculé et ont toujours la même excellence.

Ce ne sont plus des ruines défigurées et incomplètes que nous avons à contempler, mais des édifices entiers, intacts, comme bâtis et décorés de la veille, faciles à étudier. Ils sont toujours habités par une population croissant chaque année en nombre, en instruction, en richesse et en puissance, et enfin accessible à la vérité religieuse.

Nous diviserons l’objet de nos observations sur l’Inde en quatre chapitres principaux : —

1o Les cavernes et les souterrains creusés et sculptés ;

2o Les monolithes ou édifices d’un seul bloc ;

3o Les temples et les palais construits pierre à pierre, où l’on voit les matériaux les plus précieux ;

4o Certaines pièces principales, comme les avenues, les portiques, les galeries, les arcs de la Victoire, les colonnes triomphales, enfin les salles aux mille colonnes, et les tombeaux, qui sont des édifices immenses.

Et d’abord, les cavernes décorées et les monolithes.

Les cavernes décorées. Il y en a près de mille d’explorées, et presque chaque année on en trouve de nouvelles au fond des forêts et au haut des montagnes, dans des sites occupés et défendus par des bêtes féroces et par des reptiles redoutés comme les dragons des Hespérides.

On les voit surtout aux environs de Bombay et dans le Bengal, près de Madras, à Mahavellipore, enfin dans l’Afghanistan et dans le Punjab. Ces excavations n’ont cessé d’être occupées qu’au xie siècle, lors de l’introduction des Arabes et de leur culte.

Les principales cavernes sont celles d’Ajunta, de Radami, de Badra, de Karli, de Khenneri, d’Elephanta, de Wacarma. Celles d’Ellora sont nombreuses ; on en compte trente réparties dans un cirque de deux lieues de diamètre. Ces cavernes ont en général 150 pieds de longueur sur 160 de largeur, 5 mètres de hauteur, avec des colonnades dignes d’attention.

La plupart servaient de temples, et de monastères pour les Brames ; d’autres d’habitations pour les populations. Près de Madras, il y a une montagne creusée à plusieurs étages et dans toutes les directions, renfermant encore aujourd’hui une population de 30 000 âmes. C’est du temps du roi Asoka (272 à 236 avant J.-C.) que la plus grande activité fut déployée dans la décoration de ces excavations.

Viennent ensuite les monuments monolithes, taillés à même les montagnes. Il y en a près de cent, d’un seul bloc de pierre, parmi lesquels plusieurs considérables à Durapur et à Mahavellipore. À cet endroit, il y a un monolithe de 60 pieds sur chaque face et de 70 pieds de hauteur avec trois étages ornés de colonnes, un dôme pour couronnement, et 48 pavillons, le tout taillé à même le rocher.

Citons encore celui du Sud de l’Inde, qui avait été découvert par deux voyageurs chinois au XIVe siècle, ayant 1 500 chambres réparties sur cinq étages, le premier étage ayant 300 pieds de largeur, le dernier 50 pieds. Mais le plus étonnant de tous les monolithes connus est celui de Kaylas dans la montagne d’Ellora. D’un seul bloc, il a 150 pieds de longueur, 70 de largeur, et 90 de hauteur. Il renferme plusieurs étages et, au milieu de tout cela, deux vestibules, plusieurs escaliers, 10 sanctuaires séparés les uns des autres comme les chapelles des cathédrales. On y voit des galeries sculptées et découpées à jour, des frises, des chapelles suspendues, des coupoles aériennes.

Le sanctuaire principal est soutenu par quatre rangées d’énormes pilastres carrés ; tout le fond de l’édifice, de 50 pieds de longueur, repose sur d’énormes éléphants de pierre qui semblent supporter tout le poids de l’édifice et qui sont taillés à même le rocher ; les piliers, les frises, les galeries sont d’un goût irréprochable. Tout autour, la montagne est creusée à plusieurs étages de cellules, sur 700 pieds de pourtour et 90 pieds d’élévation.

En face de Bombay, dans l’île de Saliette, on trouve plusieurs couvents taillés dans le roc, et enfin d’immenses sanctuaires, etc.


Viennent maintenant les monuments bâtis pierre à pierre et qui renferment plusieurs variétés : les temples, les palais, les couvents, les hôtelleries, les maisons communes ou hôtels de ville, avec leurs différentes parties : dagobas ou portiques, viharas ou galeries, vérandas, et enfin des tombeaux qui sont grands comme des palais.

À Séringham, côte de Coromandel, une pagode contient 7 enceintes carrées et concentriques dont les murs ont 20 pieds de haut, et qui sont à 150 pieds de distance les uns des autres.

Le mur de façade a 18 000 pieds d’étendue. Dans l’enceinte du jardin, l’on voit des pièces d’eau, des sanctuaires, des salles de réunion. Dans l’une de ces salles on trouve 1000 colonnes. Ce palais est grand comme Versailles.

Les portes en forme de pyramides sont nombreuses. À Séringham, il y en a une douzaine. La principale devait avoir 200 pieds de hauteur et 130 de largeur.

À Chillibaram, l’édifice a 1000 pieds de façade. L’enceinte renferme des jardins, des sanctuaires et on voit un bassin de 250 pieds de longueur sur 200 de largeur. Il y a une salle de 1000 colonnes, et de 150 pieds de largeur sur 300 pieds de longueur. Elle a 24 colonnes de front sur 41 en profondeur. Les portes de l’enceinte ont 120 pieds de hauteur, 50 pieds de largeur. La porte principale a 15 étages avec balcons pour placer les musiciens, les chanteurs et les prêtres.

Le palais de Ramisseram a 4 portiques tout en pierre. À l’intérieur, l’on voit une galerie de 700 pieds de longueur. L’édifice a 1000 pieds de longueur sur 700 pieds de largeur. À Tinnevilly, autre galerie de 1000 pieds de longueur. Citons encore Combaconnum, où se trouve une grande porte avec 15 étages ; Tanjore, portique de 225 pieds de hauteur, 14 zones superposées. L’un des monuments les plus riches est le temple du mont Abou. On y voit plusieurs cours entourées de galeries ; les colonnes qui supportent ces galeries sont des chefs-d’œuvre d’ornements pleins de variété ; la base des colonnes est composée de niches avec des statues d’une grande délicatesse ; le fût de la colonne montre trois étages de niches avec arcades et statues d’une extrême richesse ; les chapiteaux se décomposent en plusieurs parties pleines d’harmonie, en haut des coupoles toutes sculptées, et tous ces motifs si variés sont répétés à chaque arcade.

Avant d’arriver au détail, nous avons pensé qu’il fallait répondre à certaines questions principales que nous avons souvent entendu poser : —

1. D’où viennent ces formes si étranges ?

2. Quels en sont les auteurs ?

3. À quel siècle remontent l’origine et les développements de ces magnificences ?


I

ORIGINE DE L’ART INDIEN


L’art est ordinairement en rapport avec les circonstances de lieux, de site, de climat. En Europe, l’on contemple au nord d’austères et sombres constructions ; au sud on voit les élégantes habitations de la Grèce et de l’Italie ; et plus au sud encore, ces féeriques constructions illustrées de couleurs et d’or destinées à refléter les rayons éclatants du soleil.

Or, voici ce qui caractérise l’Inde. Quant à son site, elle est située entre le 30e degré de latitude jusqu’aux environs de l’équateur. L’extrémité nord est occupée par un amphithéâtre de montagnes de plus de 300 lieues d’étendue, les plus hautes du globe (les Hymalayas), elles atteignent 24 000 pieds ; — la plus haute montagne de l’Europe, le mont Blanc, n’a que 14 000 pieds.

Nulle part on ne voit se prolonger sur un plus vaste espace le contraste des sommets dentelés de glace et couverts de neige avec l’uniforme océan de verdure qui revêt les assises inférieures du sol.

De ces sommets descendent des glaciers et des neiges perpétuelles qui revêtent toutes sortes d’aspects. En haut l’on voit des pics et des aiguilles semblables à des flèches et à des minarets ; plus bas, des mers de glaces répandues suivant la forme des vallées ; enfin, sur le flanc des montagnes, des stalactites et des stalagmites énormes comme des piliers de cathédrale, sur lesquelles les eaux suintant à travers la montagne viennent ajouter chaque jour de nouveaux vernis et de nouveaux cristaux que les Indiens ont reproduits dans leurs édifices. Plus bas, comme au mont Blanc, les courants d’eau s’échappent des grottes et des cavernes de glaces dont les voûtes sont tailladées à dents de scie d’une manière extraordinaire ; et toutes ces formes merveilleuses sont réparties sur des centaines des lieues et sur 24 000 pieds de hauteur.

Nous nous croyons obligé d’énumérer ces détails parce que nous pensons que c’est là que l’on trouve l’origine de l’inspiration indienne.

De ces hauteurs qui abritent contre les vents du nord, la terre descend d’étages en étages, de terrasses en terrasses, jusqu’à la mer, montrant les plaines les plus fertiles pourvues de la flore la plus variée. En haut, les productions du Nord : les chênes, les châtaigniers, les sapins, les bouleaux, les frênes ; à mi-chemin, le teck, le jack, le tuka, le bananier-figuier, les palmiers ; enfin, plus bas, en dessous du tropique du Cancer, qui traverse Bombay à l’ouest et Calcutta à l’est, les plantes tropicales : les lianes, les lierres, les palmiers les plus variés, le cocotier, l’arbre à pain, le cotonnier, l’oranger, les citronniers en pleine terre, grands comme des chênes et produisant chacun des milliers de fruits.

Nous sommes obligé d’exposer ces détails parce que c’est encore dans cette exubérance que nous devons contempler les éléments du style décoratif de tous ces colosses de pierre, style touffu, embrouillé et cependant élégant et harmonique comme les mille complications des forêts vierges et des jungles qui environnent les monuments.

Malgré la latitude qui répond à des pays très chauds en Amérique et en Europe, c’est-à-dire au 20e degré, jusqu’au tropique du Cancer, à la hauteur de Bombay et de Calcutta, la température est très supportable, parce que le sol va toujours en montant pour rejoindre les bases de l’Himalaya qui sont au niveau du mont Blanc en Europe, c’est-à-dire 14 000 pieds.

Les étrangers savent profiter de ces avantages.

Lorsqu’ils sont accablés par la chaleur du sud, ils vont établir leurs habitations jusqu’aux collines en contre-bas des hautes montagnes. Il y a ainsi plusieurs lieux de villégiature que l’on appelle les villes de santé, à Simla, à Dajerling, à 9 000 pieds de hauteur, d’où l’on est posté assez convenablement pour respirer l’air frais, pour se renouveler et contempler les plus grandes magnificences de la nature.

Les Indiens savaient goûter ces beautés ; ils ont fait plus : ils s’en sont inspirés dans les pyramides de leurs temples, dans les décorations dont elles sont revêtues, dans ces cavernes ouvertes dans les rocs, avec ces ornements si délicats qui reproduisaient les merveilles de la flore la plus riche.

Voilà une première source d’inspiration ; mais ils en avaient d’autres. Ils possédaient une philosophie éminente, qui avait probablement résolu les problèmes les plus ardus de l’esthétique, et ils avaient encore une poésie et une mythologie gigantesques, qui mettaient en action des événements aussi étranges que ceux qui ont été trouvés dans les contes arabes des Mille et une nuits.

Nous allons en avoir quelques échantillons.

Ce qui frappe d’abord, c’est un ensemble de travaux qui atteste la puissance de l’homme et qui exalte la fierté de ceux qui les contemplent. Il faut applaudir au génie de l’artiste qui a commandé à de telles masses de pierre de se former en chapelles, en piliers, de s’assouplir en sculptures, de s’étendre en salles immenses et en portiques imposants. La pierre partout a obéi.

S’il y a à admirer la puissance de la volonté, il y a aussi à reconnaître le sentiment, la méthode et l’appropriation de l’œuvre au but qui est cherché.

On a voulu faire des maisons de recueillement et de prière. L’uniformité des lignes dispose au calme religieux, la variété des ornements récrée l’âme et l’émeut.

Ces plafonds abaissés l’empêchent de se distraire, et en pesant sur elle, ils lui font sentir son Dieu de plus près. La verve de l’exécution surprend, charme et transporte.

Quel peut être l’auteur de ces œuvres ? Ceux qui ont la maladie de la ressemblance n’ont pas voulu croire à la spontanéité du génie indien ; ils ont cherché des rapports avec les monuments de l’Égypte et de la Grèce.

Mais quels que soient les rapports, les analogies, les ressemblances, l’artiste demeure original et il reste fidèle aux idées nationales.

On voit bien des piliers avec leurs soubassements, leurs chapiteaux, comme en Égypte et en Grèce, mais l’exécution est toute différente. Il y a des frises, des frontons, des corniches qui témoignent d’un art très avancé, mais le travail, la disposition ont un caractère tout à fait à part. C’est d’abord une appropriation qui exclut toute idée d’imitation. Mais cette idée d’imitation est encore exclue par l’ensemble de l’œuvre, où règnent des dispositions massives et raides, qui n’ont aucun rapport avec les formes étrangères.

On voit bien des sculptures, des bas-reliefs, des enroulements, et des festons qui rappellent les dispositions et les habiletés du ciseau grec ; mais il y a d’abord une telle supériorité dans le ciseau indien, qu’on ne reconnaît pas la pauvreté et la maladresse d’un plagiaire. Là où on la reconnaît moins encore, c’est à l’alliance de ces qualités merveilleuses avec des monstruosités et des étrangetés que la critique même la plus large ne peut approuver. Celui qui aurait eu une certaine connaissance des œuvres grecques ne se serait pas permis de telles irrégularités.

Il faut donc reconnaître que l’artiste est indien, avec toutes les qualités et les défauts du terroir. Il n’avait pas besoin de réminiscences étrangères. Il a pu se contenter de s’inspirer de tout ce qu’il voyait autour de lui, de tout ce qu’il trouvait dans les poètes et les philosophes de son pays, et enfin, des convictions de son cœur.

Pour créer, il n’avait pas besoin de s’expatrier. C’est ce que nous avons dit et qui se trouve confirmé par quelques lignes de M. Gailhabaud.

« Pour s’inspirer, l’Indien avait son Hymalaya avec ses sommets imposants, ses crêtes de glaciers, ses pyramides de granit et de porphyre, ses obélisques de cristal qu’il a cherché à reproduire en ses pagodes.

« Il avait ses grottes mystérieuses avec leurs parures de lierres si gracieuses qu’il a su représenter dans le granit avec une habileté parfaite.

« Il avait les productions des climats tempérés et les merveilles des tropiques. »

Nulle part il n’aurait vu rien de pareil à ces tukas et à ces palmiers majestueux qui s’élèvent comme des colonnes à 60 et à 80 pieds de haut jusqu’aux premières feuilles. Il n’aurait vu rien de merveilleux comme ces bananiers sacrés aux mille branches retombant et se relevant dans une végétation continuelle, figurant si bien des piliers, des arcades sans fin et des portiques de verdure. C’est ce que l’Indien a reproduit dans ses salles à 1000 colonnes.

Il avait sous les yeux cette race incomparable des hommes appartenant à la noble tige de Japhet, issus des contrées enchantées de la Circassie et de la Géorgie et qui étaient venus embellir les rives du Gange de leur présence.

Il n’avait qu’à regarder autour de lui, admirer et copier. Ceci est conforme aux circonstances et aux caractères de la contrée.

« Donnez à un élève de la Grèce ces grottes obscures à creuser et à orner, il étouffera, il se consumera et demandera l’air pur de son pays, ce ciel doux et tempéré auquel il est habitué ; tandis qu’à l’Indien, pour respirer, il faut des caves humides et ténébreuses. »

Donnez au disciple de Phidias ces prodiges des poèmes indous à représenter, il voudra des formes simples et pures et il reculera devant la représentation réaliste des légendes les plus étranges.

Tout cela lui aurait répugné ; c’est trop loin des fictions gracieuses et élégantes et des figures calmes et nobles, idéales du Parthénon. Il suffit de citer quelques exemples.

À l’entrée de leurs temples, les artistes sculptaient des géants à l’aspect dur et repoussant, qui, de leurs bras multiples, menaçaient les arrivants de leurs armes qu’ils brandissaient avec fureur, parce que la sainte doctrine prétend que le peuple doit connaître la crainte avant le respect et l’amour.

À l’entrée d’Ellora, où l’art décoratif est d’un goût irréprochable, on voit l’épouse du grand héros Rama ; elle est de l’aspect le plus noble et le plus majestueux ; seulement, il y a un détail effrayant : cette jeune dame a huit bras. Son fils bien-aimé est devant elle ; il a les proportions élégantes de l’Apollon du Belvédère, mais il est orné d’une tête d’éléphant.

Plus loin, Lakmé, la déesse de la bonté. L’artiste a cherché à représenter en elle le type circassien dans tout son idéal ; elle reçoit l’onde qui la purifie, et ce sont deux énormes éléphants qui lui servent d’assistants.

Plus loin, on voit Rama et Ravana avec dix têtes et l’affreuse figure du singe Hanonman qui est uni à leur destinée.

Sur le flanc septentrional, on voit la grande lutte des Ariens contre les Pandours. Il y a des compagnies de fantassins et de cavaliers, des escadrons d’éléphants, des chars tout attelés à plusieurs chevaux et lancés contre l’ennemi. Mais cet amas de personnages, ce mélange et cette furie de la lutte sont loin des modèles calmes et harmonieux du Parthénon.

Ces représentations servent à faire comprendre les récits des grands poèmes où on trouve tous ces détails ; de plus, elles servent aussi à résoudre certaines difficultés qui n’avaient jamais pu être expliquées avant l’étude de ces monuments.

Nous avons donc vu l’origine de ces inspirations extraordinaires ; nous avons indiqué les auteurs, il nous reste à fixer la date de tous ces monuments.


II

DES ÉPOQUES DE L’ART INDIEN


Les premiers écrivains qui en ont parlé, ce sont les auteurs musulmans qui sont entrés dans l’Inde vers l’an mille. Ils leur accordent seulement 1200 ans, c’est-à-dire qu’ils les font remonter à près de deux siècles avant notre ère ; c’est aussi l’opinion d’un savant qui a passé plusieurs années dans les Indes, M. Erskine. Nous nous en rapportons à ce sentiment. Les Indiens affirment de leur côté qu’il faut assigner 18 000 ans à l’origine de leurs monuments. Ils n’ont pas de documents, ils n’ont pas d’histoire remontant à plus de cinq siècles avant Notre-Seigneur. Ils infirment ainsi la chronologie biblique sans autre preuve que leur assertion ; mais l’étude des monuments les dément : c’est la présence des Pandours, qui sont les héros du Mahabaratha et qui ne sont que de l’an mille avant notre ère. Le Mahabaratha ne pouvait être plus ancien que la venue des Pandours ni, par conséquent, les monuments qui reproduisent la description de leurs exploits. Il en est de même de la présence de Chrichna, qui figure comme dieu. Son culte n’a pu être adopté que quelques années après sa venue, trois siècles avant Notre-Seigneur. Donc, ces sculptures remontent au plus au troisième siècle avant Notre-Seigneur.

Ce n’est pas tout. Dans ces représentations, on voit les dieux de la religion des Boudhas qui ne sont venus que vers notre ère, pas auparavant. Donc, voilà encore une preuve que ces monuments, au lieu de remonter à plusieurs milliers d’années avant Notre-Seigneur, ne comptent au plus que quelques siècles.

Évidemment, les auteurs indiens, sans preuves, sans traditions, sans documents historiques, ont intercalé au moins un zéro de plus qu’il n’était juste de le faire. Ce qui peut le faire penser, c’est qu’ils se servaient des chiffres indiens que l’on connaît maintenant sous le nom de chiffres arabes. C’étaient eux qui en étaient les auteurs, ce sont eux qui ont inventé le système décimal. Ce sont eux qui ont imaginé le zéro, qui décuple la valeur du nombre auquel il est uni. Avec le zéro, le 1 devient 10, le 2 devient 20, le nombre 100 devient 1000, et les 18 000 ans qu’on leur accordait, avec un zéro qui a été intercalé par inadvertance ou autrement, devient sans le zéro intercalé 1800, d’après l’histoire, d’après les traditions, et suivant les faits bien connus qui fixaient les événements reproduits dans les sculptures et qui se datent par des siècles, et non par des milliers d’années…






KAYLAS ELLORA



Ce monument, si grand qu’il soit, est un monolithe, c’est-à-dire composé d’une seule pierre.

C’est l’un des plus remarquables monuments de l’Inde. C’est un temple complet, taillé dans le roc comme s’il avait été élevé dans la plaine.

La pierre a été taillée à l’extérieur et à l’intérieur dans une enceinte coupée dans le roc, de 150 pieds de large et de 270 pieds de longueur, qui forme une cour quadrangulaire.

Au milieu de cette cour s’élève un temple consistant en un corps de bâtiment précédé par un portique supporté par seize colonnes. En avant est un porche détaché, et communiquant avec l’entrée par un pont taillé aussi dans le roc.

À droite et à gauche, l’on voit deux piliers de vingt pieds de hauteur, en forme de candélabres.

Enfin, de chaque côté de ces piliers, l’on voit deux éléphants, plus grands que nature.

L’on entre : l’on voit d’abord un vestibule, ensuite une nef avec des bas-côtés, et au fond, à 150 pieds de profondeur, un sanctuaire avec chapelles latérales.

Cet intérieur est rempli de prodiges de la sculpture la plus habile. Des colonnes cannelées, des chapiteaux en forme de corbeilles, des plafonds remplis d’ornements ; de plus, des bas-reliefs qui font tout le tour du bâtiment et qui représentent une quantité innombrable de personnages.

Et le tout taillé à même une seule masse de pierre.


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TEMPLE MONOLYTHE À ELLORA.


PORTIQUES DU TEMPLE À TRIPUTRY



Parmi les merveilles de l’ornementation, l’on peut citer les portiques du temple de Triputry.

Nous reproduisons l’un des plus beaux, qui se compose d’un faisceau de colonnes séparées par des niches et des culs-de-lampe extrêmement ouvragés.

Ces colonnes sont surmontées par un riche entablement qui se décompose en plusieurs frises superposées, avec des dessins variés à chaque étage.

Le soubassement se compose de dessins correspondant à l’entablement : ce sont des cordons superposés et d’une surabondance extraordinaire.

Ces portiques offrent beaucoup de rapports avec les riches voussures qui décorent les portiques de nos cathédrales. Ces portiques sont aussi un spécimen de l’intention que les Indiens avaient de reproduire les glaçons et les stalactites de leurs montagnes.

Rien de plus merveilleux que les chapiteaux des colonnes, l’élégance des niches et la richesse des statues qui les ornent.

Dans les cordons du soubassement et de l’entablement, on voit des quantités de personnages et d’ornements qui forment des groupes variés et offrent des dispositions riches et élégantes.


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PORTE DE TRIPUTRY.


LES PORTIQUES DE COMBACONUM



Une des particularités de l’architecture indienne, ce sont les portiques qui précèdent les temples et les palais et qui sont surmontés de pyramides. Il en est ainsi à Seringham, à Jaggernaut et à Combaconum.

Les portiques de Seringham sont nombreux. On en compte une dizaine. Ceux de Juggernaut sont remarquables par leur masse ; celui de Combaconum est un riche échantillon de la décoration dont ces monuments étaient accompagnés.

Il est composé d’une vingtaine d’assises chargées de milliers de statues qui représentent les scènes les plus variées. Les statues des premiers étages sont grandes comme nature ; les autres vont toujours en diminuant jusqu’au sommet. Cette disposition a pour but de faire paraître le monument plus élevé. Il a 80 pieds de largeur et 180 pieds de hauteur. Ceux de Seringham et de Maduré sont plus considérables. Ils ont 150 pieds de largeur et 300 pieds de hauteur.

Les statues et les reliefs présentent les scènes les plus variées : des défilés, des processions, des régiments de cavalerie lancés au galop.

Ce portique de Combaconum est de plus précédé d’un petit portique de 40 pieds de haut qui fait ressortir les dimensions du portique principal.


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GOPURA À COMBACONUM.


TEMPLE DU MONT ABOU



Dans les montagnes du Décan, au centre de l’Inde, l’on voit, à 5 000 pieds de hauteur, sur un plateau coupé à pic, un temple qui est une merveille de l’art indien et qui réunit toutes les perfections de l’architecture, de la sculpture et de la richesse des matériaux.

C’est le temple du mont Abou. Ce temple, à grandes dimensions, présente plusieurs cours, plusieurs cloîtres, des vestibules, des rotondes et des sanctuaires du plus bel aspect.

Il y a un dôme, en particulier, découpé à jour et supporté par une vingtaine de statues.

Les galeries sont d’une richesse inouïe ; les chapiteaux et les soubassements sont à plusieurs étages d’arcades et de niches.

L’entablement est tout couvert de détails, et s’harmonise parfaitement avec les poutres, qui sont chargées de sculptures.

Les arcades sont séparées par des dômes. Enfin les galeries aboutissent à un sanctuaire où l’on ne voit que mosaïques, incrustations, pierreries et diamants, comme dans les plus riches sanctuaires de l’Inde.


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TEMPLE DU MONT ABOU.


JAGGERNAUT



Le temple qui présente le plus bel ensemble est le temple de Jaggernaut.

Sur la façade, on voit une pyramide à plusieurs étages s’élevant à 100 pieds de hauteur.

En continuant, l’on voit deux pyramides à la file surmontant deux sanctuaires. Enfin, à l’extrémité, s’élève une pyramide qui a plus de 200 pieds de hauteur avec une multitude d’étages.

Devant cette pyramide, on voit d’immenses balcons où l’on plaçait des musiciens et des chœurs de chant comme à Seringham et à Combaconum.

Près du temple on conserve ces chars à plusieurs étages où l’on place des musiciens et qui sont traînés à force de bras par des milliers de fidèles.

Ces chars sont si grands et si massifs qu’on ne peut les faire avancer que de quelques pas chaque jour. Il faut huit jours pour leur faire faire le tour du monument.

Pendant ces fêtes, on voit arriver des multitudes de pèlerins de tous les pays de l’Inde, même des plus éloignés.

Pendant le jour, le temple retentit de chants et de prières ; pendant la nuit, la fête prend un caractère encore plus intéressant, par des illuminations où brillent les couleurs les plus variées et les plus éclatantes. Nos plus belles illuminations d’Europe sont au moins égalées.


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TEMPLE DE JAGGERNAUT.