Cours d’archéologie - les Indes, l’Égypte, l’Assyrie, la Palestine/Première lecture

1re  LECTURE

DÉFINITION, DIVISION, APPLICATIONS



L’Archéologie est la science qui s’occupe des œuvres de l’Antiquité (archaios logos, discours des choses anciennes). Spécialement, c’est l’étude des œuvres d’art et des monuments.

Par œuvres d’art, on entend la sculpture, la peinture ; et par monuments on comprend les plus grandes œuvres comme les plus délicates, d’une part les Temples, les Palais, les Basiliques ; et de l’autre, les œuvres les plus petites mais qui exigent des dons particuliers, comme les Médailles, les Monnaies, les Camées et les Bijoux.

Quand il s’agit d’étudier ces chefs-d’œuvre des facultés humaines, il en est qui, tout en s’y intéressant, pensent qu’ils ne peuvent y trouver qu’un objet de distraction et de curiosité. Affirmons qu’il y a plus, et qu’il s’y trouve un principe d’utilité très réelle.

Cette science avec ses recherches peut réussir à tracer le tableau de l’état social d’un peuple, par la considération des monuments qu’il a laissés.

Et elle arrive à faire connaître les mœurs, les usages, es caractères distinctifs des différentes sociétés.

Par les études archéologiques, l’histoire a été appuyée sur des preuves sensibles et incontestables.

Les auteurs classiques ont reçu une plus grande clarté et ont livré le secret de difficultés jusque-là insolubles.

Enfin, la critique a pu conquérir les données les plus précieuses sur la véracité des auteurs sacrés.

Les archéologues ont découvert sur les murs des palais de Babylone et de Ninive, sur les temples de l’Égypte, toute une histoire parallèle des événements et des œuvres du peuple d’Israël.

En exposant ces résultats, nous croyons que nous réussirons à montrer que l’Archéologie mérite une place dans les cours d’une Université catholique.

Pour s’acquitter de cet emploi, il faudrait, sans doute, s’y être préparé pendant plusieurs années ; il faudrait avoir réuni en notes et en documents de quoi remplir toute une maison ; il serait bon d’avoir lu nombre de livres modernes qui présentent les nouvelles découvertes ; il ne serait pas inutile d’avoir visité et parcouru quelques-uns des premiers musées de l’Europe. Ce serait beaucoup ; mais il me faut de plus, Messieurs, obtenir votre intérêt et gagner votre bienveillante attention.


Lorsque l’homme contemple sa demeure, il peut reconnaître bien des sujets d’admiration : le spectacle imposant de l’Océan, les merveilles du firmament, les sommets des montagnes que l’œil peut à peine atteindre.

Un grand poète a cherché à exprimer ainsi ces sentiments :

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire,
Mais tout caché qu’il est, pour proclamer sa gloire
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !
Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

O cieux ! que de puissance et que de majesté !

J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté,
Et qui dans vos déserts a semé la lumière
Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.

Sans doute cette lumière des astres nous émeut, mais cette poussière n’est pas à dédaigner. Il y a sur la surface de la terre une poussière de ruines, de débris, de reliques qui mérite notre attention. Cette poussière a son prix ; elle rend gloire à Dieu ; ce sont les vestiges des œuvres de l’homme, qui tient ses facultés de Dieu.

Que voit-on en ces ruines ? Des traces éloquentes du passage des générations sur la terre.

Des temples écroulés mais d’une prodigieuse grandeur (à Persépolis) ; des palais bouleversés mais retenant encore une majesté imposante (à Thèbes) ; des souterrains creusés hardiment jusqu’au sein des montagnes et grands comme des basiliques (dans les Indes) ; des montagnes sculptées et façonnées en forme d’édifices (à Ellora), taillées, ciselées à l’intérieur comme à l’extérieur avec l’habileté que l’on trouve dans la statue la plus parfaite ; des constructions formées de pierres énormes (les palais de Karnac), élevées malgré leur masse à de prodigieuses hauteurs, avec une puissance qui semble défier toutes les ressources de la science moderne.

Mais quels sujets d’admiration découvrirait-on encore si l’on explorait ces montagnes, si l’on s’enfonçait dans ces souterrains, si l’on parcourait les colonnades des nefs bouleversées, si dans les sanctuaires l’on voyait les tombeaux des anciens rois, si l’on ouvrait les tabernacles abandonnés, si l’on explorait leurs secrets, si l’on découvrait tous les efforts de l’homme pour arriver à la vérité et l’honorer. Comme on reconnaîtrait en cette créature si faible et si abusée une volonté et une puissance prodigieuses.

Les poètes ont cherché à nous exposer ces grandeurs. Ils nous représentent de monstrueux degrés

faits pour des pas de six coudées.

Ils nous disent qu’ils ont vu les ruines d’un édifice

Qui, aux rayons de la lune, couvrait au loin
Quatre montagnes de son ombre.

Ces inspirations de la poésie ne donnent qu’imparfaitement l’idée des œuvres produites par l’homme dès les premiers jours. C’est ce que nous allons montrer en exposant d’une manière sommaire les origines, les progrès, les développements de l’Art à travers les siècles.

Tant que les hommes ont été à l’état primitif, nous manquons de documents.

On peut bien dire qu’ils cherchèrent à se faire des habitations en rapport avec leur situation sur le globe et avec leurs occupations. C’est ce que l’on a cru reconnaître.

Ils habitaient dans les montagnes, ou dans les forêts ou dans les plaines.

Les uns étaient chasseurs, les autres bergers, d’autres avaient pour occupation la pêche et l’agriculture.

La vie des pasteurs et des chasseurs exigeait des habitations portatives qui pussent les suivre dans leurs excursions.

Ils prirent la tente, qui existe encore chez les Arabes, chez les Tartares et chez les Chinois, et enfin, nous remarquerons qu’elle est conservée chez les sauvages de l’Amérique comme aux déserts de l’Afrique.

Les laboureurs, au contraire, enchaînés au sol, devaient avoir une demeure stable, assez vaste pour renfermer leurs récoltes, leurs animaux et leurs instruments de travail. Ils trouvaient la pierre trop dure et la terre sans consistance, mais le bois était en abondance et ils inventèrent la cabane.

D’autres enfin, sur les bords des fleuves, vivaient de la pêche. Sur ces rives, ils trouvaient des cavernes, des grottes faciles à tailler et à disposer, et ils utilisèrent les cavernes.

Tels sont, suivant M. Quatremère de Quincy, les types primitifs des habitations, qui furent ensuite embellies.

Les Chinois perfectionnèrent la tente, et, à son image, ils arrivèrent à construire, en matériaux solides, de magnifiques habitations ; d’où la Pagode et les Pavillons.

Les Indiens et les Nubiens ont perfectionné et décoré la caverne, qui a été consacrée surtout aux temples et aux oratoires. C’est de la caverne qu’est venue la dénomination des peuples Troglodytes.

Quant à la cabane, elle a été tellement perfectionnée, qu’on peut difficilement la reconnaître au premier coup d’œil ; mais en l’étudiant dans les temples, dans les basiliques, dans les palais, dit encore M. Quatremère de Quincy, on ne peut s’y méprendre. La colonne grecque, c’est l’arbre ; le chapiteau est la couronne de fleurs et de feuilles dont on la décorait ; l’extrémité du plafond, c’est la frise ; le toit qui recouvre le tout s’appuie sur un soutien, c’est la corniche ; au-dessous du toit, entre les solives, un intervalle est laissé : c’est la métope, où les artistes du Parthénon ont déployé les plus grandes magnificences.

Quoi qu’il en soit de la justesse de ces hypothèses ingénieuses, nous trouvons dès l’origine bien des variétés de constructions.

D’une part, des monuments informes, qui subsistent encore dans les menhirs, les dolmens, et d’autre part, des constructions très perfectionnées et d’un style très avancé.

Les Dolmens, ou monuments d’une seule pièce, qui ne se composent que de rochers non taillés, non polis et employés tels qu’on les a extraits du sein de la terre, se trouvent en nombre de pays : en Italie, en Grèce, en Asie, jusque dans les Indes, et au Mexique.

Mais en même temps, d’autres peuples élevaient des constructions qui annonçaient un art consommé.

En Assyrie, en Phénicie, dans l’Égypte, nous voyons des constructions merveilleuses, contemporaines des essais informes de ce que l’on appelle la construction Celtique.

Quelle que soit l’origine de ces travaux, nous croyons qu’il y a une relation entre les grandes œuvres et les grandes pensées.

Pendant qu’on admire les premiers essais de l’Art antique, on peut aussi admirer la profondeur des conceptions des Sages de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte et de l’extrême Asie. Là, nous trouvons des livres qui renferment une doctrine toute spiritualiste. Les Philosophes de l’Inde proclament l’unité de Dieu, la pureté et la moralité de ses commandements. Il en est de même des Sages de la Perse et de l’Empire Chinois. Bossuet exalte l’élévation et la haute sagesse des Égyptiens. Nous citerons toutes ces affirmations quand nous exposerons les œuvres de chacun de ces peuples en particulier.

Mais les siècles passent et les premières traditions s’effacent. Les efforts de la raison humaine guidés par les enseignements primitifs, ne subsistent pas longtemps contre les entraînements des passions. Les hommes aspirent à des satisfactions sans frein et sans règle.

Arrivent les révolutions, les conquêtes et les destructions implacables.

Au 25e siècle, les Aryens, situés au centre de l’Asie, entrent en Europe d’un côté, et de l’autre dans les Indes, dans la Syrie et dans l’Égypte.

Les rois d’Assyrie et les rois d’Égypte assujettissent leurs voisins et sèment partout la désolation.

Les Assyriens entrent en Judée. Ils renversent les cités, Jérusalem avec son temple, et ils finissent par emmener les populations en captivité.

Au cinquième siècle, Cambyse met tout en ruines en Égypte. Il détruit Thèbes, Memphis et le palais merveilleux de Ramsès II. Il outrage les statues de Memnon et le Sphinx gigantesque.

D’autres destructions commencent avec les successeurs d’Alexandre en Syrie, dans les Indes et en Égypte.

La puissance romaine s’élève et dépouille l’Égypte, la Syrie, l’Ionie, la Grèce et la Sicile, comme le témoignent les fameux discours de Cicéron contre Verrès, discours si précieux pour l’Archéologie.

Or, ce qui se passait en Sicile était pratiqué ailleurs par d’autres généraux romains.

Après quelques siècles, les Barbares entrent en scène et répandent partout la ruine et la désolation. C’étaient nos ancêtres.

Écoutons les plaintes de saint Jérôme, de Salvien, de saint Prosper : —

Mayence, Worms, Amiens, Calais, Arras sont ruinées ; l’Aquitaine et la Narbonnaise dévastées, nous dit saint Jérôme.

Saint Prosper : — Quand l’Océan aurait couvert notre pays, il n’y aurait pas tant de malheurs : tout est ruiné.

L’homme, nous dit M. Lenormant, est armé d’une puissance effroyable de destruction.

Rome est saccagée et ravagée trois fois dans le cinquième siècle. Plus tard viennent les Mongols et les Tartares Gengiskhan et Tamerlan.

Heureusement, au milieu de ces destructions, un grand changement se préparait. Une doctrine sainte, élevée, céleste se répandait dans le monde, et cette doctrine portait ses fruits.

On voyait surgir de toutes parts des asiles de la piété, de la prière. Là s’accomplissaient de grandes œuvres, parmi lesquelles on peut noter l’étude consciencieuse et intelligente de l’Antiquité.

Les anciens auteurs étaient arrachés à la ruine ; ils étaient transcrits, réunis et reproduits ; ils étaient mis en ordre et reconstitués, et non seulement les œuvres littéraires, mais tout ce qui mérite l’admiration parmi les monuments antiques.

Les moines faisaient pratiquer des fouilles jusqu’aux pays les plus lointains.

Et l’on constituait la science des origines, et l’on interprétait ce que les anciens peuples avaient laissé en œuvres littéraires et en œuvres matérielles.

Les moines conservaient les monuments comme ils sauvaient les manuscrits ; ils recueillaient les statues, les pierres précieuses, les médailles et les camées et ils y étaient très experts. Parcourez Grévius, Gronovius, Lipsius, et vous trouverez cinquante volumes in-folio renfermant sur toutes les œuvres matérielles des temps antiques, des quantités de traités complets, pleins de science, de recherches, et ces traités, directement ou indirectement, sont dus aux moines.

C’est là qu’a commencé l’Archéologie.

Dans leurs précieuses recherches, ces grands collectionneurs étaient encouragés par les autorités supérieures, et surtout par les saints Pontifes. Ceux-ci donnaient l’exemple ; ils consacraient dans leurs palais, des quantités de salles à la conservation des livres et des manuscrits, mais aussi des monuments. Il y a près de quatre cents salles au Vatican qui n’ont pas d’autre destination.

Aussi, voyez quels sont les plus grands antiquaires, les plus grands Archéologues, les plus grands collectionneurs.

Ce sont les moines et ce sont les Souverains Pontifes. Donc, au nom de l’Archéologie, gloire aux moines ! gloire aux Souverains Pontifes !

C’est d’ailleurs la tradition de l’Église. Les Souverains Pontifes et les saints Pères avaient compris que l’on peut retirer des monuments, des arguments puissants en faveur de l’autorité de la sainte doctrine, comme on peut en tirer des philosophes et des historiens profanes.

Dans les saints Pères, nous trouvons, suivant M. Faillon, des preuves irrécusables des relations qui existent entre les monuments sacrés de la Judée et les monuments des autres peuples, même les chefs-d’œuvre de la Grèce, des Indes, de la Perse, et enfin de l’Égypte.

Tous ceux qui suivaient la direction religieuse à cette époque, recueillaient avec soin des inscriptions, des médailles et des portraits conservés dans les vieux manuscrits. C’est ce que faisaient le Dante, Pétrarque, Fra Angelo, le Pérugin et Raphaël.

Vers cette époque l’on commence les fouilles, et la grande antiquité apparaît. Elle va remplir les musées de Florence, de Rome et de Naples.

Les Médicis avaient ouvert des écoles d’étude de l’antiquité.

Les Papes avaient encouragé les mêmes efforts dans Rome.

Et c’est à l’imitation de ces anciens collectionneurs, que Louis XIV fonde une académie nouvelle, pour seconder l’œuvre des autres académies des lettres et des sciences. Cette académie est celle des Inscriptions et belles-lettres, qui subsiste encore. Par suite de ces travaux, Montfaucon donne six volumes in-folio sur l’Antiquité expliquée.

Au dix-huitième siècle, ces recherches continuent. Winckelman et l’abbé Barthélémy se distinguent par leurs études. Herculanum et Pompéi sont découvertes au sein de la terre et donnent de précieuses lumières sur la société ancienne.

Au dix-neuvième siècle, l’expédition de l’Égypte par les Français avec une armée de savants, ouvre la voie à de nouvelles découvertes.

Nous devons citer Millin, Petit Radel, Letronne, Champollion qui trouve l’alphabet des hiéroglyphes ; plus près de nous, Botta et Layard, qui découvrent les ruines de Ninive et de Babylone et qui en lisent les inscriptions murales.

Enfin, de nos jours, MM. de Rossi, Marietti et Lipsius.

Nous parlerons en détail de ces grandes découvertes.

Avant de passer à d’autres développements, exposons les différents sujets des études archéologiques : —

Architecture : — Les temples, les palais.

Sculpture : — Statues, bustes, bas-reliefs.

Peinture : — Fresques, tableaux, vases peints et mosaïques.

Gravure : — Inscriptions gravées et tracées.

Médailles : — Monnaies, médailles, suivant les différents pays, — orientales, grecques, etc.