Cours d’agriculture (Rozier)/VÉNERIE
VÉNERIE. C’est, à proprement prier, l’art de chasser les bêtes sauvages dans les forêts, avec des chiens courans. Simple dans son principe, cet art est devenu très-compliqué dès que la puissance et la richesse en ont fait leur apanage exclusif, et il a cessé d’être utile dès que le luxe s’en est emparé. Mais les souverains et le princes l’ont jugé digne d’occuper leurs loisirs, ils l’ont regardé comme un exercice salutaire et l’amusement le plus noble ; ils l’ont entouré d’un grand appareil, ils y on attaché des charges qui flattent l’ambition des courtisans, et ils ont voulu qu’il y régnât une étiquette, une sorte de cérémonial ; en un mot, la vénerie d’un souverain, c’est-à-dire la grande direction de ses chasses, est un objet important, un corps honorable qui fait partie de la cour et de la splendeur du trône.
Des hommes de toutes les classes, des meutes nombreuses, une grande quantité de chevaux, un attirail considérable composent la vénerie des grands. Mais c’est un faste qui leur est réservé et auquel d’autres ne peuvent atteindre. Ce seroit donc un travail superflu et même hors de toute convenance, que de donner, dans cet Ouvrage, les règles et tous les détails d’une vénerie montée de manière à faire partie de la maison d’un prince. Assez d’autres livres offrent ce pompeux étalage ; et celui-ci, qui est consacré uniquement aux objets utiles, ne doit point être surchargé d’accessoires brillans, qui n’intéressent qu’un très-petit nombre de personnes trop au dessus de la classe commune.
Cependant la chasse aux bois est un exercice également utile et agréable, qui convient aux riches propriétaires des campagnes, à ceux même qui n’ont que de l’aisance. L’équipage se règle sur la fortune, et l’on peut espérer de se procurer du gibier et de l’amusement avec un petit nombre de chiens courans, et même avec un seul. Le choix des chiens, la meilleure méthode de les élever, de les nourrir, de les loger, de les dresser et de les conduire à la chasse des diverses espèces d’animaux des forêts, sont autant d’objets qui ont quelque intérêt aux yeux de la plupart des propriétaires, et qui doivent compléter la partie des chasses que j’ai développée dans cet Ouvrage. Abandonnant ainsi tout ce qui tient à la haute vénerie, que l’on appelle aussi chasse à cors et à cris, et chasse royale, la restreignant, d’une part, et l’étendant de l’autre aux chasses qui passent pour en être distinctes ; je traiterai rapidement de ce qui peut assurer le succès et l’agrément de ces chasses, et j’en parlerai de manière à en faciliter l’exercice au plus grand nombre.
Des chiens courans. La réussite de la chasse aux bois, de même que de la chasse en plaine, dépend du choix des chiens. J’ai donné, à l’article Chasse, les qualités que doit avoir un bon chien d’arrêt ; voici celles qu’on recherche dans le chien courant : la tête sèche, les naseaux ouverts et gros, les yeux vifs et ardens, les oreilles larges, médiocrement épaisses et tombantes ; les épaules libres et dégagées ; les reins forts et un peu élevés en dos de carpe ; le fouet (c’est ainsi qu’en vénerie on nomme la queue des chiens courans) gros près des reins, s’amincissant jusqu’au bout, et peu chargé de poils ; les cuisses nerveuses et charnues ; le jarret ni trop droit, ni trop courbe, et sur-tout pas attaché trop bas ; la jambe sèche et forte, la hauteur des jambes en proportion avec la hauteur du corps ; le pied petit, les doigts fins et un peu longs ; le poil rude sous le ventre ; enfin, vingt-trois pouces et plus de hauteur.
L’on sent bien que ces signes extérieurs, que l’expérience a montrés comme les indices de la bonté d’un chien, ne doivent pas se prendre d’une manière absolue ; il peut arriver qu’un chien qui les réunit ait de mauvaises qualités, tandis qu’un autre chien, dont les formes n’ont pas une belle apparence, soit néanmoins très-bon. La couleur du poil n’influe nullement sur les qualités des chiens, comme on le croit communément. Les chiens blancs que l’on vante le plus, ne sont pas, en général, meilleurs que les autres, mais il sont plus beaux ; ils ont d’ailleurs un avantage, c’est qu’ils s’aperçoivent de fort loin, au lieu que l’on ne distingue pas aussi aisément ceux dont le poil a une teinte plus sombre. Cet avantage est néanmoins compensé en partie dans les pays où les loups sont communs ; en effet, le chien blanc qui s’écarte, est bientôt remarqué et suivi par le loup, qui ne tarde pas à en faire sa proie.
Les défauts les plus marqués de l’extérieur des chiens courans sont les jambes trop longues, les pieds courts et de gros doigts ; ce sont des vices de conformation ; et les chiens dans lesquels on les trouve sont sujets à s’écarter de la voie du gibier. Ceux dont les jambes sont courtes, les pieds mous et plats, et les épaules charnues, n’ont ni vigueur ni légèreté, non plus que ceux dont les épaules sont sèches et serrées, les reins et les jarrets bas, et les cuisses longues et plates. Les chiens qui ont le fouet attaché fort haut, et retombant sur le dos en se tournant en trompe, ne sont jamais vigoureux ; ceux qui ont le poitrail trop ouvert sont sujets à se prendre des épaules. Des oreilles épaisses indiquent pour l’ordinaire un chien pesant, et elles se déchirent si elles sont trop minces.
Il y a plusieurs races de chiens courans ; mais comme elles ont été mêlées par de nombreux croisemens, il est rare de les rencontrer dans leur pureté. On a également mélangé les chiens anglais avec ceux de France, et il en est résulté plusieurs variétés plus ou moins estimées. La plus grande et la plus belle race de l’Angleterre, que l’on y nomme race royale, a des taches noires sur un fond blanc : ce sont les meilleurs chiens de l’Europe.
Il faut encore qu’un chien courant soit bien allant, bien gorgé, ni trop chaud, ni trop froid de gueule, bien collé à la voie ; qu’il ne bricole pas, ne crie pas à faux et ne cèle pas la voie ; enfin qu’il soit sage et obéissant. Pour qu’une meute soit belle dans son ensemble, les chiens qui la composent doivent être de même taille et de même pied, c’est-à-dire de la même vitesse.
Indépendamment de la race de chiens courans, proprement dite, la vénerie se sert encore de bassets à jambes droites et à jambes torses, de grands lévriers et même de mâtins. (Voyez la description de ces différentes races, à l’article Chien, du Cours.)
Lorsqu’on dresse les chiens pour la chasse de plaine, on s’étudie à contrarier l’instinct naturel de ces animaux qui les porte à poursuivre le gibier et à se jeter dessus. Il faut que le chien d’arrêt dépose toute volonté, pour ne plus obéir qu’à celle de son maître et au moindre signe de son commandement. L’industrie de l’homme a moins altéré la nature du chien courant ; il peut se livrer à l’impulsion de son instinct qui le porte sur les traces de l’animal sauvage. Le chasseur exige cependant que l’impétuosité de son chien soit modérée, et que ses mouvemens soient soumis à des règles dont il ne permet pas qu’il s’écarte. Cet état de demi-liberté et de demi-contrainte est le fruit de l’exercice et de l’éducation.
Les chiens courans de bonne race chassent quelquefois d’eux-mêmes, comme il y a des chiens de plaine qui arrêtent naturellement. C’est ordinairement à dix mois ou à un an que l’on retire les jeunes chiens des lieux où ils ont été élevés, et que doit commencer leur éducation. Celui qui en est chargé a besoin de patience, de douceur et d’intelligence ; les mauvais traitemens que la brutalité de la plupart des piqueurs fait éprouver aux chiens, rebutent ces animaux et empêchent le développement de leurs bonnes qualités. Les détails indispensables pour bien dresser les chiens courans me mèneroient trop loin ; les particuliers feront mieux d’acheter leurs chiens tout dressés, que de se donner la peine d’entreprendre eux-mêmes cette éducation. Si néanmoins ils vouloient se livrer à une occupation qui exige du temps et de la patience, ils ne pourroient mieux faire que de suivre les instructions que M. Desgraviers, ancien commandant des véneries du prince de Conti, a présentées dans son excellent ouvrage intitulé : Essai de Vénerie, seconde édition. Paris, Délerville, 1804, page 96.
Il est essentiel de loger les chiens courans dans un chenil commode et proportionné à leur nombre. En été, ce chenil doit être exposé au levant et avoir plusieurs fenêtres grillées qui s’ouvrent de plusieurs côtés, afin que l’air puisse circuler. Le chenil d’hiver sera à l’exposition du midi et n’aura qu’une fenêtre. Quand on le pourra, on fera bien d’y établir un poêle entouré d’un grillage, et que l’on allumera quand les chiens reviendront de la chasse fatigués ou mouillés. S’il n’y a qu’un chenil, il sera au levant et au couchant. Mais, quelque part qu’on tienne les chiens, la plus grande propreté doit y régner ; on nettoie et on lave souvent le chenil, on change journellement la paille des bancs sur lesquels couchent les chiens ; et, à ce propos, je ferai observer que la paille de seigle est préférable à celle de blé, qui se brise, pique les chiens et leur fait venir des boutons. Deux fois le jour on fait sortir ces animaux, ce qui s’appelle leur faire prendre l’ébat ; on les étrille, on les brosse et on leur fait le fouet, c’est-à-dire qu’on leur coupe avec des ciseaux les longs poils du dessous de la queue, en allant du bas en haut. Ce pansement les conserve sains et vigoureux, et les rend capables de rendre tous les services que l’on peut en attendre.
La meilleure nourriture pour les chiens, le traitement de leurs maladies et le pansement des blessures qu’ils reçoivent, ont été indiqués dans plusieurs articles de cet Ouvrage, comme du ressort de l’art vétérinaire ; je me contenterai d’y renvoyer le lecteur.
Un assemblage de chiens courans s’appelle meute. Dans les grands équipages, les chiens de meute sont les premiers que l’on découple pour attaquer ; et le premier relais qui donne après eux, s’appelle vieille meute. Les six chiens forment le dernier relais, formé des plus vieux chiens, et qui se donne seulement sur la fin d’une chasse : ce relais, malgré sa dénomination, est quelquefois composé de huit et de dix chiens. Outre un commandant des grands équipages, il y a des piqueurs, des valets de limiers, des valets de chiens, etc. On met ordinairement un piqueur par vingt chiens, c’est-à-dire, un veneur qui suive les chiens d’assez près à la chasse pour les aider et les faire manœuvrer, ce qui s’appelle piquer à la queue des chiens. Les piqueurs portent un cor de chasse, qui se nomme trompe en terme de vénerie, et dont ils sonnent différens tons, selon les circonstances. Il y a pour chaque piqueur deux valets de chiens, dont l’un monté et l’autre à pied. Si à tout cet attirail l’on joint un nombre de palefreniers et de chevaux, l’on aura l’équipage de chasse le plus complet, le plus fastueux, celui dont il doit être le moins question dans cet Ouvrage.
Les chevaux barbes, anglais et normands sont les meilleurs coureurs pour la chasse.
Du limier C’est un chien que l’on dresse pour détourner les animaux sauvages, c’est-à-dire, pour s’assurer qu’ils ne sont pas sortis d’une enceinte. La bonne race des limiers vient communément de Normandie. Il y en a de noirs ; mais ils sont plus communément d’un gris brun ; les noirs sont marqués de feu et ont aussi du blanc sur la ooitrine. Leur taille ordinaire est de vingt à vingt-deux pouces ; ils ont la tête grosse et carrée, le corps épais, les oreilles longues et larges, les cuisses et les reins bien faits et le nez très-bon ; ils sont vigoureux, hardis et même méchans.
Les qualités d’un bon limier sont d’être discret, d’avoir le nez fin et de suivre juste. Dans un équipage, les limiers sont toujours logés dans un chenil séparé. Leur éducation exige des soins et des connoissances ; il me faut pas les mener avant qu’ils aient quinze ou seize mois, encore doit-on s’assurer qu’ils sont formés et en bon état.
Quand on mène le limier au bois, on lui met la botte ; c’est un collier de quatre à cinq pouces de largeur, auquel est attachée la plate-longe, morceau de cuir long d’un Pied et large d’un pouce ; le trait ou corde de crin tient à un touret au bout de la plate longe. La saison la plus convenable pour dresser le jeune limier, est l’automne. Si la première fois qu’on le mène, il ne veut pas se rabattre, ou montrer qu’il trouve les voies, en mettant le nez à terre avec plus d’activité et s’élançant au bout de son trait, il faut lui faire voir quelques animaux, le mettre dans la voie, et s’il s’en rabat, l’encourager par des caresses. Si, après l’avoir conduit plusieurs fois, il ne veut ni suivre ni rabattre, on l’associera avec un limier dressé qui excitera son ardeur. Mais, si cette épreuve ne réussit pas, on avalera la botte du jeune chien, ce qui veut dire qu’on lui laissera la liberté de chasser à sa fantaisie l’animal sur les voies duquel on l’a mis. L’on ne doit pas se décourager si l’on voit qu’un limier se dresse difficilement ; les veneurs ont remarqué que les limiers tardifs, pourvu qu’ils soient de bonne race, se déclarent au moment qu’on s’y attend le moins, et servent plus long-temps que d’autres. D’ailleurs, quelque disposition que montre un jeune limier, il ne mérite confiance qu’après avoir été mené pendant une année entière et régulièrement deux fois la semaine.
Quand le limier que l’on dresse commence à se rabattre, on l’arrête de temps en temps pour l’affermir sur la voie et lui apprendre à suivre juste. Quand il reste ferme dans la voie, l’on doit raccourcir le trait jusqu’à la plate-longe pour le bien caresser, détourner ensuite des animaux et les lancer pour lui donner du plaisir, enfin, le ménager en ne lui permettant pas de trop longues suites, qui pourroient l’excéder et le rebuter.
Si un limier que l’on dresse pour le cerf se rabat d’un animal d’espèce différente, on le retire des voies, on le gronde et même on lui donne un coup de trait. Mais les corrections seront rares, sur-tout si le chien est d’un naturel craintif ; elles ne doivent jamais être trop rudes, et ne point aller jusqu’à la brutalité, ainsi que cela n’arrive que trop souvent.
Il ne faut pas trop presser le jeune limier ; on lui laisse le temps de mettre le nez à terre, de tâter de côté et d’autre. S’il porte le nez haut, soit parce qu’il a vu les animaux, soit parce qu’il va au vent, on l’arrête en lui donnant un coup de trait ; cette allure le feroit passer par-dessus les voies sans en rabattre. Si, dans les commencemens, le jeune limier donne de la voix lorsqu’il suit la piste du gibier, il faut le laisser faire ; mais quand il est tout à fait dans les voies, on l’empêche de crier, en le retenant, lui donnant des saccades et même des coups de trait ; on le caresse s’il s’apaise ; mais on redouble les avertissemens et les corrections s’il continue à donner de la voix, la première qualité du limier étant d’être secret. Le meilleur moyen de le rendre muet, lorsqu’il est en vigueur, est de lui donner de longues suites, tant au droit qu’au contre-pied. Les suites au contre-pied ont le double avantage de calmer son ardeur et de lui rendre le nez plus fin. Cependant on le retirera quand on s’appercevra qu’il se rabat de voies un peu vieilles : l’on doit être satisfait s’il se rabat de voies de trois ou quatre heures au plus.
Pour faire suivre à volonté le jeune limier au contre-pied comme au droit, on le laisse aller lorsqu’il se rabat, jusqu’au bout de son trait, puis on l’arrête ferme dans la voie, et on le fait revenir pour se rabattre également du côté opposé où on l’arrête de même ; s’il s’arrête ferme dans la voie, on l’encourage par des caresses.
Le limier qui marche toujours devant celui qui le mène, ne doit pas tirer trop fort sur son trait ; il suffit que ce trait soit assez tendu pour ne pas traîner à terre. L’on modère la trop grande ardeur du limier, en l’arrêtant de temps en temps par de légères saccades…
Il n’y a de valets de limier que dans les équipages des princes. Celui qui se chargera de conduire au bois un limier pour détourner, après lui avoir passé la botte au col, le mettra en quête, l’encouragera, et lui répètera à demi-voix, les paroles d’usage : Va outre (le nom du limier), Va outre ; allez devant, allez ; trouve l’ami, trouve ; hou l’ami, hou, hou, l’au, l’au, l’au. Si le limier paroît rencontrer et se rabattre, on lui dit, en l’appelant par son nom : Qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce que c’est que ça, l’ami ? hou, gare à toi ; là, valet, là. S’il se rabat d’un autre animal que de celui pour lequel il est destiné, on le retire par une saccade du trait ; on le gronde, en lui disant : fouais, mutin, fouais, vilain. Mais s’il se rabat sur la voie de l’animal que l’on cherche, on lui parle ainsi : Y va là sûrement, l’ami ; volcelets (le nom du chien) ; y après, y après. On continue à l’encourager par les mots : après, après, velai ; après l’ami ; il dit vrai ; après, après. Si le limier, en suivant les voies, a vent de l’animal, s’il lève le nez et pousse une espèce de sifflement, on lui raccourcit le trait, en lui disant : tout couais, (le nom du chien) tout couais, et on le retire de peur de faire lever l’animal. On marque la voie, chemin faisant, par des Brisées. (Voyez ce mot.) L’enceinte faite, le veneur revient à sa première brisée, en suivant le contrepied de l’animal et en s’assurant de sa nature par sa voie et ses fumées. Ce sont là des préparatifs indispensables d’une grande chasse, ils éprouvent des modifications, suivant l’espèce du gibier. Le lendemain on va attaquer avec les chiens courans l’animal détourné ; mais il arrive quelquefois qu’ayant changé de canton, on ne le retrouve plus dans l’enceinte, ce qui s’appelle faire buisson creux.
De la chasse du cerf. Cette chasse est réservée aux plaisirs des princes ; c’est pour elle principalement qu’ont été instituées ces combinaisons d’attaque et de poursuite, ces règles de cérémonial suivies en vénerie. La chasse du cerf est donc celle qui doit occuper le moins de place dans cet Ouvrage, par cela même qu’elle en occupe une très-grande dans le recueil des attributions privilégiées des cours.
J’ai donné à l’article Cerf, les moyens de juger un cerf, par le pied, les fumées, les allures, les abattues, les foulures, les portées, le frayoir, etc., connoissances indispensables pour tout veneur.
Après avoir détourné le cerf de la mamière indiquée plus haut, et après que les hommes, tant à cheval qu’à pied, ainsi que les relais ou divisions de la meute ont été disposés convenablement, suivant les localités, on attaque le cerf, soit à trait de limier, c’est-à-dire en mettant le limier sur la voie, le laissant aller de toute la longueur du trait, et l’encourageant à haute voix, soit avec la meute même que l’on fait entrer dans le fort.
Dès que le cerf est lancé, celui qui laisse courre sonne pour faire découpler les chiens que les piqueurs encouragent de la voix et de la trompe, et qu’ils accompagnent toujours, piquant à côté d’eux, et toujours les animant sans trop les presser. Lorsque les chiens sont en défaut, on prend les devants, on retourne sur les derrières, les chiens travaillent de concert, jusqu’à ce qu’on soit retombé sur les voies, et que les chiens aient relevé le défaut. Ils chassent alors avec plus d’ardeur, les ruses et les détours du cerf deviennent inutiles, les chiens savent les démêler et en triompher. Si l’animal se jette à l’eau pour dérober son sentiment aux chiens, les piqueurs traversent ces eaux, ou bien ils tournent autour, et remettent ensuite les chiens sur la voie du cerf qui ne peut aller loin dès qu’il a battu les eaux ; il est bientôt aux abois ; il tâche encore de défendre sa vie, et blesse souvent de coups d’andouillers les chiens, les chevaux, et les chasseurs eux-mêmes.
Quand un cerf est tout à fait sur ses fins, il ne fait plus que randonner, sa bouche est noire et sèche, et sa langue se retire ; il n’appuie plus que du talon, ne marche qu’en chancelant, fait de grandes glissades dans lesquelles il imprime sa jambe et ses os en terre, et se sentant tout à fait affoibli, il entre dans l’eau s’il en trouve à sa portée, ou reste derrière une touffe de bois. Alors un des piqueurs lui coupe le jarret pour le faire tomber, et l’achève ensuite en lui donnant un coup de couteau de chasse au défaut de l’épaule. Si le cerf se fait prendre à l’eau où il se tient à la nage, et si les chiens ne peuvent venir à bout de le noyer, il est dangereux de chercher à l’approcher à cheval ; il est plus prudent de se servir d’un petit bateau, et, quand on est à portée de l’animal, on le tue d’un coup de carabine ; on l’amène ensuite à terre, attaché au bateau.
Pendant tout le temps que le cerf est aux abois, on sonne des fanfares, que l’on répète pour célébrer sa mort. On le laisse fouler aux chiens, c’est-à-dire qu’on leur permet de se jeter dessus et de le mordre, et on les fait jouir pleinement de leur victoire en leur faisant curée.
On distingue en vénerie deux sortes de curées ; l’une chaude et l’autre froide. La curée chaude se fait sur les lieux, et au moment de la mort de l’animal ; la curée froide ne se fait qu’au retour de la chasse, le soir ou le lendemain. Quand les chiens ont foulé l’animal mort, on les fait retirer en leur disant : derrière, derrière chiens ; tirez, tirez derrière. On dépouille le cerf, suivant les règles que la vénerie prescrit ; on appelle les chiens, en leur disant : tayaux, tayaux ; hallaly, valets, hallaly. Les morceaux du cerf sont déposés sur sa peau, que l’on étend à terre, et que, par cette raison, les veneurs appellent la nappe. Pendant la curée, les fanfares continuent, et, lorsqu’elle est finie, on conduit les chiens à l’eau la plus prochaine pour s’y désaltérer.
Outre cette curée générale, on en donne souvent une autre aux chiens ; on la nomme forhu. Ce sont les intestins de l’animal, vidés et lavés, que l’on porte au bout d’une fourche, à la fin de la curée, pour encourager les chiens, en leur répétant le mot : tayaux, que l’on emploie à la chasse pour les relever d’une mauvaise voie. Au bout de quelques instans d’attente et de désirs, on leur livre le forhu.
Chasse du chevreuil. Il est nécessaire de chercher, à l’article Chevreuil, les connoissances qui doivent diriger à la chasse de cet animal.
On détourne le chevreuil comme le cerf. Le partage des relais, l’attaque et le laisser courre, c’est-à-dire l’action de le lancer avec le limier, ou de le faire partir, sont les mêmes que pour la chasse du cerf. Celle du chevreuil est moins fatigante et tout aussi agréable. On y parle aux chiens en termes un peu moins forts que pour le cerf, et on leur dit souvent ; bellement, sagement ; ça va, chiens, ça va ; il fuit là, là, ha. On cherche, autant qu’il est possible, à avoir l’animal par corps ; ce qui n’est pas difficile, parce que le chevreuil traverse fréquemment les routes, et suit beaucoup plus les bois clairs que les cantons fourrés. Sa curiosité est remarquable ; lorsqu’il a été lancé il revient sur ses pas, pour examiner ce qui a pu troubler son repos ; ses détours et ses ruses sont très-multipliés, et il n’attend pas à les mettre en œuvre que les forces lui manquent, comme le cerf. Il aime à ruser dans l’eau et au milieu des grandes herbes qui croissent sur les terrains marécageux ; quelquefois un chevreuil qui s’est relaissé (couché, après avoir pris de l’avance sur les chiens) soit dans l’eau ou dans les roseaux, soit dans les broussailles, ou entre des roches, s’obstine tellement à ne pas sortir, que pour le chasser, on est obligé de lui donner des coups de fouet.
Quoique l’ardeur des chiens soit plus vive à la chasse du chevreuil qu’à celle du cerf, il ne leur est pas facile de garder le change, parce que l’animal va continuellement par bonds ; aussi, dans un défaut, est-il nécessaire de bien prendre les devants. Quand le chevreuil est sur ses fins, il perd la tête, et se relaisse par-tout où il croit se dérober à la poursuite de ses ennemis ameutés ; il entre quelquefois dans les jardins, les maisons et les étables ; il n’appuie plus que du talon, et donne par-tout des os en terre ; il se méjuge, ses allures sont tout à fait déréglées, ses randonnées se raccourcissent, il ne fait plus que des retours, qui donnent aux chiens la facilité de se trouver sur son passage, ou de le gagner de vitesse, ou de le surprendre relaissé ; ils le portent à terre et l’étranglent. La trompe sonne sa mort, toute la meute se rassemble, et on lui donne la curée. On se contente, pour l’ordinaire, de ne laisser aux chiens que les dedans du chevreuil, avec le sang, du lait et des morceaux de pain. La délicatesse de ce gibier le fait réserver pour la table des chasseurs, et permet rarement de l’abandonner en entier aux chiens.
Si l’on veut se procurer des chevreuils vivans pour en peupler des bois ou des parcs, on les prend avec des panneaux. (Voyez Tramail.) Après avoir détourné les animaux, on fait tendre les panneaux sans bruit et avec le plus de promptitude possible, de peur que les chevreuils effrayés n’abandonnent l’enceinte. Lorsque les panneaux sont tendus, plusieurs hommes se cachent auprès, et se placent à quelques pas l’un de l’autre. L’on va ensuite aux brisées avec le limier pour lancer les chevreuils, ou l’on fait entrer dans l’enceinte, du côté opposé aux panneaux, des traqueurs qui, rangés en haie, s’avancent à petit bruit, font fuir les chevreuils devant eux, et les contraignent à donner dans les pièges. Les chasseurs qui sont cachés à portée, se jettent aussitôt aux jambes des animaux, et les saisissent avec précaution de peur de les blesser. On les transporte ensuite, sans les attacher, dans des espèces de cabanes, que l’on met sur des charrettes. Toute saison est bonne pour cette chasse, à l’exception du printemps, époque à laquelle les chevrettes mettent bas leurs faons.
Chasse du daim. L’espèce du daim est très-voisine de celle du cerf et beaucoup moins commune en France que celle du chevreuil. On ne l’y rencontre gueres que dans quelques cantons ; mais elle est nombreuse en Angleterre, et l’on y fait grand cas de cette venaison. On élève les daims dans les parcs, où ils sont, pour ainsi dire, à demi-domestiques.
Le pelage du daim est plus clair que celui du cerf, sa queue est plus longue, sa tête un peu plus forte ; elle est plus aplatie, et, à proportion, plus garnie d’andouillers que celle du cerf ; elle est aussi plus courbée en dedans, et elle se termine par une large et longue empaumure ; quelquefois, lorsque la tête est forte et bien nourrie, les plus grands andouillers se terminent eux-mêmes par une petite empaumure.
Les daims entrent en rut quinze ou vingt jours après les cerfs. La daine porte, comme la biche, huit mois et quelques jours, et produit de même ordinairement un ou deux faons. Ces animaux aiment les terrains élevés et entrecoupés de petites collines. Ils sont toujours en hardes qui se battent assez souvent les unes contre les autres avec beaucoup d’animosité ; chacune de ces hardes vit séparée et a son chef qui marche à la tête.
Pour juger les daims, on peut se régler sur les connoissances que j’ai décrites à l’article Cerf ; elles sont, en plus petit, les mêmes, ainsi que la manière de détourner ; mais il faut observer que le daim est plus méfiant que le cerf et qu’il change plus sounent d’enceinte.
« Le chassé du daim, dit un grand maître en l’art de la vénerie, M. Desgraviers, dans l’ouvrage que j’ai cité au commencement de cet article, ressemble à celui du chevreuil ; mais ses ruses le rendent plus difficile. Le daim s’accompagne d’abord plus souvent, s’il se sent la force, il retourne derrière vous, longe dix fois un chemin de droite et de gauche sur ses mêmes voies, et rentre au fort, où il se met sur le ventre. S’il vous apperçoit le premier, vous le jugerez difficilement le daim de meute ; (celui qui a été lancé) car il redresse sa tête comme s’il venoit d’être attaqué, et présente sa queue en éventail. Après lui avoir sonné fanfare plusieurs fois, vous serez même sa dupe, lorsqu’au relancé vous le reverrez repartir avec l’air tout frais, la tête haute, n’allant même qu’à trois jambes, comme s’il étoit boiteux, et sa queue sur le rein. Quelquefois, pour se faire méconnoître, il ira par bonds des quatre jambes, ou s’il vous voit longer une route, il suivra la voie de votre cheval pour se déceler aux chiens, et se jettera sur le ventre à droite ou à gauche.
» Lorsque le daim de meute a été chassé quelque temps, son nerf (verge) pend et bat entre ses jambes. Cette connoissance qu’il ne peut cacher, vous le fera infailliblement juger. S’il est mal mené, vous pourrez le connoître à sa queue qui est tendue et qu’il redressera difficilement sur le rein, à moins qu’il n’ait repris haleine.
» Si, dans le courant de la chasse, vous l’apercevez sans être vu, vous remarquerez toujours sa queue tendue et tremblante. Après avoir employé toutes les ruses possibles pour se recéler aux veneurs et se débarrasser des chiens, et avoir été relancé, il emploie son reste de force à une dernière fuite qui bientôt est suivie de sa mort. »
De la chasse du lièvre. La chasse du lièvre aux chiens courans peut se faire sans appareil et sans dépense ; deux ou trois chiens suffisent : il est même possible de l’entreprendre avec un seul, dans les bois de peu d’étendue ; aussi convient-elle à tout le monde, et les propriétaires de biens de campagne y trouvent un amusement utile, tandis que le plaisir fuit souvent le fracas d’un équipage nombreux qui étourdit plutôt qu’il n’adoucit les soucis, les embarras et les amertumes inséparables de la grandeur.
Cependant, comme il est plus facile de se diriger d’après un plan étendu, que de s’élever au point le plus haut sur la simple connoissance du point le plus bas, je parlerai de la chasse du lièvre, qui se fait avec appareil, et dont les règles conviennent à la chasse la plus simple ; de sorte que chacun pourra en distraire ce qui excède ses facultés et se former un train de chasse qui s’adapte à sa position.
Mon article Lièvre renferme quelques notions qui ne doivent pas être étrangères aux chasseurs ; il couvient donc de le consulter.
Un vent doux du levant et du couchant, ni trop sec, ni trop humide, est le plus convenable à la chasse du lièvre ; ceux du nord et du midi ne sont pas si favorables, parce n’ils dessèchent la terre, et dérobent aux chiens le sentiment du gibier. Il n’est pas nécessaire de détourner le lièvre avec le limier. On découple les chiens à l’endroit que l’on aura choisi, ordinairement dans un petit bois, où les lièvres aiment à se retirer. Un piqueur suivra les chiens au pas, sonnant des tons de quête, et disant : lance, lance ; trouve-là valets ; debout, debout. Lorsqu’il les verra mettre le nez à terre, pour prendre les voies de quelque lièvre, il s’arrêtera, les laissera travailler, en leur parlant ainsi : ah, il va là ; il va là ; c’est de l’y, l’ami, etc. ; et, si un des chiens s’en alloit en avant, ce piqueur y mèneroit les autres, en leur disant : aucoute à… (le nom du chien qui perce en avant.) Il dit vrai ; valets, aucoute. Il sonne des tons de quête, et dit : rapproche, valets ; debout, debout. Il continuera de sonner et de parler ainsi, jusqu’à ce que le lièvre soit lancé.
Lorsqu’un des chasseurs voit le lièvre, il doit crier : holoo, je le vois, holoo. Ce dernier mot, que l’on prononce assez généralement vloo, est le signal que donne le chasseur qui voit un animal quelconque, à l’exception du cerf, à la vue duquel on crie tayau. Il ne faut pas trop presser les chiens au commencement de la chasse ; ils doivent chasser sagement, jusqu’à ce que l’emportement du plus ardent se ralentisse ; alors on les anime ar les cris : ah, il va là, il va là ha, là ha, là ha.
Les ruses ordinaires des lièvres lancés et poursuivis, sont de tourner et de retourner sur leurs pas, et leurs nombreux détours mettent quelquefois les chiens à bout de voie ; ce qui signifie qu’ayant perdu la voie de leur animal, ils cessent de chasser. Le piqueur doit alors les faire revenir, et les ramener prendre les derrières et les devants à droite et à gauche du retour, afin de retomber sur les voies. Il évitera toute erreur, et de prendre un lièvre pour un autre. Une pareille méprise, outre qu’elle est contre le bon ordre de la chasse, ne contribue pas peu à gâter les chiens ; cela leur apprend à s’emporter au delà du retour, et l’on a ensuite beaucoup de peine à les réduire.
Dans un défaut, on ne peut trop longer les chemins. C’est principalement dans les carrefours que les lièvres rusent ; ils longent tous les chemins qui y aboutissent, puis ils font plusieurs sauts pour se relaisser, et ils ne partent plus que difficilement. À force de requêter, il est bien rare de ne pas relancer le lièvre de meute, sur-tout si l’on fait attention à la façon de faire des vieux chiens, qui étant plus accoutumés aux ruses du lièvre, en débrouillent mieux les voies. Les jeunes chiens qui rencontrent la voie, suivent souvent le contre-pied. On les rompt et on les corrige. Au relancé, il faut savoir si ce n’est pas un autre lièvre que le lièvre de meute qui part. On obtiendra cette connoissance, en examinant s’il y a un gîte à l’endroit d’où le lièvre est parti ; si l’on n’en trouve pas, l’on aura tout lieu de croire que l’animal est le lièvre de meute.
Quand un lièvre se fait relancer souvent, c’est une marque qu’il est sur ses fins. Il se relaisse fréquemment ; et lorsqu’il repart, les chiens qui s’en aperçoivent le chassent à outrance. Son affoiblissement s’annonce par sa marche chancelante, ses oreilles basses et écartées, son dos arrondi, l’écartement de son pied, et la disposition des deux doigts de son pied de devant, qui se trouvent en dehors l’un sur l’autre en forme de croissant, au lieu de s’enfoncer en terre. La trompe sonne l’hallali ; ce mot, à défaut de trompe, est prononcé par un des chasseurs au moment où l’animal succombe. L’ardeur des chiens est à son comble ; un piqueur les suit à toute bride pour les empêcher de déchirer le lièvre. J’avois un vieux chien envers lequel cette précaution auroit été inutile. Aussitôt qu’il cessoit de donner de la voix, l’on pouvoit être assuré que le lièvre étoit tombé forcé, ou à la suite d’un coup de fusil ; il ne souffroit pas qu’aucun autre chien en approchât ; il se couchoit auprès, et le gardoit jusqu’à ce que son maître vînt le prendre. Ce fidèle dépositaire n’auroit pas permis que tout autre que son maître, à moins que ce ne fût un chasseur qu’il eût habitude de voir, vînt lui ravir le fruit de ses peines, et il se seroit jeté avec fureur sur quiconque auroit tenté de le lui enlever.
Le lièvre pris, on le laisse fouler aux chiens ; puis on les fait retirer pour dépouiller l’animal et le couper par morceaux, que l’on mêle avec du pain. Après cette curée, que des fanfares accompagnent, on conduit les chiens se désaltérer à l’eau la plus voisine.
De la chasse du lapin. Les chiens courans chassent le lapin comme le lièvre ; mais on se sert plus ordinairement, pour cette chasse, de chiens bassets, qui la rendent fort agréable. Du reste, elle ne diffère en rien de celle du lièvre.
De la chasse du sanglier. Il ne peut être question ici que de la chasse à force ouverte ; les autres manières de chasser, ou plutôt de tuer le sanglier, ont été décrites à l’article de cet animal, ainsi que les connoissances nécessaires pour le bien juger, c’est-à-dire pour bien distinguer son âge, son sexe et sa force.
Il ne faut pas chasser le sanglier avec les bons chiens courans destinés pour le cerf et le chevreuil ; cette chasse leur gâteroit le nez, et les accoutumeroit à aller lentement : des mâtins un peu dressés suffisent pour la chasse du sanglier, sur-tout quand on ne veut pas le forcer, et que l’on se contente de le tirer. Les grands équipages pour la chasse du sanglier, sont ordinairement composés de trente à quarante chiens. Les piqueurs et les valets doivent être très-entendus. Cette chasse est extrêmement pénible ; les veneurs sont obligés de parler sans cesse aux chiens qui se rebutent souvent, sur-tout quand ils suivent un vieux sanglier ; on choisit des chevaux ardens et vigoureux, et ceux qui les montent ne doivent pas craindre les branches des lieux les plus fourrés de la forêt, que les sangliers recherchent avec préférence.
On emploie, pour détourner le sanglier, la méthode en usage pour détourner le cerf ; cependant il faut parler à son limier en termes plus pleins et plus gros, sans néanmoins élever trop la voix. Il est important d’avoir des limiers bien dressés pour cette chasse, et cette instruction exige beaucoup de soins et de patience. Ce n’est pas qu’un jeune limier ne veuille d’abord des voies de l’animal, mais il se rebute quelquefois à cause du sentiment du sanglier, et les lieux fourrés et marécageux qu’il est forcé de traverser le découragent.
Il ne faut attaquer que les plus vieux sangliers. On place les relais à portée des forts qui sont dans des fonds où il y a quelque ravin ou quelque ruisseau. Le veneur qui laisse courre, tenant le trait de son limier tout déployé, mettra son chien sur les voies aux brisées : il avancera d’une dizaine de pas sur ces voies, et, s’y arrêtant de pied ferme, il parlera au limier pour l’encourager, le fera appuyer sur le trait jusqu’à ce qu’il ait revu de l’animal ; alors il crie : vloo, vey-leci allais, vey-leci allais ; la trompe sonne pour faire découpler les chiens de meute, qui ne sont pas plutôt libres qu’ils vont à la bauge. Les piqueurs les appuient de près et sans cesse, de la trompe et de la voix, sans les quitter un seul instant ; car un sanglier méchant, qui ne sent personne aux chiens, les charge, et les tue. Les mots que l’on dit aux chiens, sont : hou, hou, valets ; perce là haut mes beaux ; perce là haut ; ça va hau, ca va hau ; les piqueurs doivent les prononcer d’une voix forte.
Les sangliers qui donnent à l’essai, c’est-à-dire qui donnent de leurs défenses contre les baliveaux qu’ils rencontrent, sont dangereux. Voici un moyen bien simple de préserver les chiens d’être décousus (éventrés) ou tués à l’attaque par les solitaires ou par d’autres sangliers. Je laisserai parler M. Desgraviers, à qui l’on doit tant de connoissances utiles sur l’art de la vénerie : « Un vieux solitaire, dit cet habile veneur, ne sort pas de sa bauge facilement ; il écoute pour l’ordinaire les chiens venir à lui, se récriant sur sa voie et la rapprochant. C’est lorsqu’ils commencent à être près de lui, qu’il se décide à se mettre sur son cul, les attend et les regarde arriver : il se fait aboyer ainsi fort long-temps par tous les chiens ; ce que l’on nomme aboyer d’étant. Ce n’est qu’après avoir été harcelé et mordu devant et derrière, par les plus hardis, qu’il prend le parti de se mettre sur ses quatre traces : alors furieux et décidé, il déclare la guerre aux chiens, et fond pour l’ordinaire sur ceux qui ont derrière eux des rachées de bois ou des arbres : il découd les uns, éventre les autres. Glorieux de sa victoire, il se remet debout à sa bauge et reste toujours ferme. Le bruit de la trompe du piqueur qui vient au secours de ses chiens, les coups de fusil en l’air des tireurs éloignés, rien ne l’étonne ; le piqueur même a beau paroître mêler ses cris et les sons de sa trompe aux cris des chiens, le sanglier n’en remue pas davantage ; souvent, furieux de la présence du piqueur, il fond de préférence sur son cheval, qu’il s’efforce de découdre ; le piqueur le tire alors, et la lutte cesse ou par la mort du sanglier, ou par la fuite que le bruit de l’arme à feu a déterminée.
» Un moyen bien simple pour chasser un sanglier de sa bauge, consiste à mettre au col de deux chiens d’entreprise, un grelot attaché après un collier de cuir. Le bruit du grelot, joint à la voix des chiens qu’il entend approcher, l’étonne et le fait partir, et il laisse ordinairement une distance de trente à quarante pas entre lui et les chiens ; de cette manière, vous évitez un combat meurtrier.
» Je vais indiquer encore aux amateurs un autre expédient pour empêcher les chiens trop hardis d’approcher de près un sanglier qui leur fait ferme, et pour les faire rester, toujours en l’aboyant, assez éloignés de lui pour n’en être pas blessés.
» Lorsqu’en chasse, vous aurez tué un sanglier, et qu’à l’hallaly tous les chasseurs seront réunis, le plus fort et le plus robuste d’entre eux, pendant que les chiens sont acharnés à fouler l’animal, saisira, de chaque main, une écoute ou oreille de sanglier qu’il mettra sur le ventre, ses deux traces ployées dessous et son cou placé entre ses jambes : après avoir renvoyé tous les chiens en tête, il présentera la hure à ceux qui lui font face : tous les chasseurs avec lui amèneront les chiens de la voix, afin qu’ils se jettent sur le sanglier ; il agitera la hure et en donnera des coups de boutoir sur le nez de tous les chiens qui approcheront pour la mordre : s’ils reculent et si le sanglier n’est pas trop pesant, il le traînera et avancera sur eux pour les bourrer tous ; il cessera quand il aura forcé toute la meute à s’écarter et à tenir le sanglier à l’abois. Vous répéterez cette manœuvre pendant plusieurs chasses ; vous verrez, par ce moyen, que vos chiens se méfieront toujours d’un sanglier qui leur fera tête, et qu’ils resteront toujours écartés de lui ; par-là, vous conserverez votre équipage. » (Essai de Vénerie, deuxième édition, pag. 50 et suivantes.)
Si le sanglier lancé s’accompagne d’autres bêtes, il est rare que les bons chiens prennent le change, parce que l’animal échauffé laisse un sentiment fort, qui ne permet guères aux chiens de se méprendre. Quand on voit le sanglier par corps, on crie vloo, et si le veneur a une trompe, il sonne la vue. Un jeune sanglier de trois ans est difficile à forcer, parce qu’il court très-loin sans s’arrêter ; au lieu qu’un sanglier plus âgé ne fuit pas loin, se laisse chasser de près, n’a pas grand’peur des chiens, et s’arrête souvent pour leur faire tête. Lorsque le sanglier est couru, il passe dans toutes les mares, les ruisseaux, les queues d’étang dont il a connoissance dans le pays, et il ne manque pas d’y prendre souil, c’est-à-dire de s’y coucher. On connoît qu’il est sur ses fins, lorsqu’il ne perce plus en avant, qu’il se fait battre long-temps dans le même canton, qu’il ne va plus que par sauts, qu’il écume beaucoup, qu’enfin il fait souvent tête aux chiens en s’acculant dans une mare ou contre une cépée, et les charge avec fureur. Quand le sanglier tient aux abois, il est bon d’empêcher les chiens d’en approcher de trop près ; les piqueurs entrent dans le fort avec précaution, l’un d’eux met pied à terre et perce l’animal avec son couteau de chasse, au défaut de l’épaule ; mais il doit s’esquiver à l’instant, en se jetant du côté opposé à la blessure. Si cependant le sanglier est furieux, au point d’exposer la vie des veneurs, des chiens ou des chevaux, il est à propos de le tuer d’un coup de carabine ou de pistolet.
Dès qu’il est tué, les chasseurs ont grand soin de lui couper les suites, dont l’odeur est si forte, que si l’on passe seulement quelques heures sans les ôter, toute la chair en est infectée. Les chiens ne mangent pas la chair du sanglier avec autant d’avidité que celle du cerf ; on se contente de leur donner à la curée les épaules et les dedans. Avant de quitter le lieu de la chasse, on visite les chiens, et l’on panse ceux qui ont été blessés par le sanglier.
Une manière plus courte et plus sûre pour prendre les sangliers, c’est de les coiffer avec des dogues et de forts levriers d’Angleterre, que l’on nomme levriers d’attache. On lâche ces chiens à la suite d’un sanglier qui débuche et prend la plaine pour passer d’un bois à un autre ; ils le joignent bientôt et le prennent par l’oreille ou le jarret, ce qui donne aux piqueurs le temps d’arriver, car ces chiens ne démordent pas, et on tue facilement le sanglier.
On prend aussi les sangliers dans les toiles. L’équipage de cette chasse s’appeloit le vautrait dans la vénerie du roi.
De la chasse du loup. La chasse du loup aux chiens courans est la moins utile de toutes les chasses que l’on peut faire à cet animal destructeur. Il est des moyens plus sûrs de purger l’agriculture d’un ennemi dangereux et redouté, tels que les battues, les pièges, etc. (Voyez l’article Loup, du Cours.) Ce n’est pas que la louveterie, créée par Henri IV, et montée comme elle l’étoit à Versailles, ne rendît aussi des services par la destruction des loups ; mais aucun particulier ne pouvant se procurer un équipage semblable à celui qui existoit dans la vénerie du roi, ce seroit chose superflue, inconvenante même pour un ouvrage consacré aux habitans des campagnes, que de les engager à tâcher d’imiter un établissement très-dispendieux, et qui n’atteindroit pas au but vers lequel leur intérêt doit les diriger, l’extermination des loups. La chasse ne présente plus d’amusement, dès que l’on a la certitude que si on manque l’animal qui en fait l’objet, il deviendra un fléau pour le pays où on l’aura laissé, ou dans lequel on aura amené un si funeste présent.
De la chasse du renard. De toutes les chasses aux chiens courans, celle du renard est la plus agréable ; elle se fait d’ailleurs à peu de frais. Tous les chiens chassent le renard volontiers, et même avec plaisir ; car, quoiqu’il ait l’odeur très-forte, ils le préfèrent souvent au cerf, au chevreuil et au lièvre. Cette odeur procure encore l’avantage de suivre la chasse sans qu’il y ait de défaut.
La façon la plus ordinaire et la plus amusante de chasser le renard, est de commencer par boucher les terriers. Cette opération se fait communément pendant la nuit qui précède la chasse : le matin on va quêter le renard avec les chiens de meute, car on ne le détourne pas. Dès qu’ils sont tombés sur la voie, le renard gagne son gîte ; mais le trouvant bouché, il retourne dans le bois ; et après s’être fait chasser, il revient encore au terrier, puis il prend le parti de se faire battre, et quelquefois il fait une fuite très longue. Il ne laisse pas de fatiguer beaucoup les chiens, parce qu’il passe à dessein dans les endroits les plus fourrés, où les chiens ont grand’peine à le suivre, et que, quand il prend la plaine, il va très-loin sans s’arrêter. Il tient aussi long-temps, et quelquefois plus long-temps que le cerf ; il est à propos d’avoir des relais, ou du moins de ne faire partir qu’un petit nombre de chiens à la fois, en commençant par les plus vigoureux.
Lorsque le renard tire sur ses fins, il se réfugie dans un trou, sous une pierre, ou sous une petite île au milieu de l’eau ; il cherche à s’y défendre, mais les chiens s’élancent sur lui et l’étranglent.
Si l’on ne veut pas forcer le renard, ce qui est toujours long, des tireurs se placent à portée des terriers que l’on a eu soin de boucher ; et lorsque l’animal lancé gagne son gîte, il essuie une première décharge ; puis une seconde quand il y revient encore, s’il a échappé à la première.
On peut chasser le renard non seulement avec des chiens courans, mais aussi avec des bassets et des briquets. Les bassets à jambes torses sont ceux qui se glissent le plus aisément dans les terriers.
Pour détruire les renards, il est encore plus sûr et plus commode de tendre des pièges, des lacs coulans, etc. Voyez l’article Renard, du Cours. (S.)