Cours d’agriculture (Rozier)/PAILLASSON

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 351-352).


PAILLASSON. Ce mot a deux significations. Par la première, on entend une certaine épaisseur de paille contenue par deux toiles clouées sur un châssis en bois que l’on place devant une fenêtre, une porte, pour empêcher le froid de pénétrer dans une orangerie, une serre, &c. Cette espèce de paillasson est dispendieuse, & elle n’est pas d’une plus grand utilité que la seconde espèce.

Celui dont se sert ordinairement le jardinier & le cultivateur, est un assemblage de pailles de pailles de seigle, ou de froment ou d’orge, quand elle a la longueur de celle des provinces du nord, rangées près à près & sur une certaine épaisseur. On fixe ces pailles, soit avec de la ficelle, soit avec des osiers sur des échalas, sur la hauteur & sur la largeur dont on a besoin. Plusieurs jardiniers suppriment les échalas, & se contentent de lier la paille. Il en résulte que ces paillassons sont plus portatifs, qu’on peut les rouler, & qu’ils tiennent moins de place sous la remise quand le besoin de s’en servir est passé. Les roseaux d’étang suppléent aisément la paille, & les paillassons qui en sont fabriqués durent beaucoup plus longtemps.

Chacun connoît ces tresses de paille, minces & larges d’un pouce, avec lesquelles les gens de la campagne & le peuple couvrent leurs chaises ; elles sont excellentes pour faire des paillassons. On coud par les bords & avec une ficelle, les tresses les unes aux autres, en nombre suffisant pour couvrir la hauteur & la largeur que l’on désire. Quand une fois le paillasson est formé, on coud tout autour de ses extrémités une bande de forte toile qui recouvre le dessous & le dessus sur une largeur de six pouces, & sur laquelle on fixe les attaches, les anneaux, &c. qui doivent l’assujettir contre le mur. Après l’hiver, par un temps bien sec, on roule ce paillasson sur lui-même, & on le maintient dans cet état par trois ou quatre morceaux de ficelle que l’on noue. Cette espèce de paillasson est beaucoup plus coûteuse en apparence, que les autres ; mais la durée dédommage de beaucoup des avances qu’on a faites. J’ai vu dans ma maison paternelle, de semblables paillassons durer plus de trente ans, sans exiger d’autres réparations que de recoudre de temps à autre quelques tresses dont la ficelle étoit usée : cependant ces paillassons étoient, pendant près de cinq mois de l’année, placés devant les fenêtres d’une orangerie. La facilité avec laquelle on les manie, on les place, on les roule, pendant les beaux jours, & le peu d’espace qu’ils occupent sous la remise après l’hiver, lorsqu’ils sont roulés & rangés sur des planches & non pas sur la terre, tout en un mot engage à les préférer aux autres. Si on objecte la dépense excessive qu’occasionneroit un changement complet de tous les paillassons d’un vaste espalier, je répondrois : servez-vous de ceux qui existent, tant qu’ils seront en bon état ; mais lorsqu’il faudra les remplacer, faites-en faire avec des tresses de paille ; que la ficelle soit de bonne qualité & bien cirée ; car c’est par elle que commence le dépérissement de ces paillassons. Alors, en divisant la dépense, & ne la faisant que peu à peu, elle deviendra moins onéreuse.

M. de la Villehervé, excellent rédacteur des précieux Mémoires de M. l’abbé de Schabol, décrit ainsi les paillassons dont on se sert a Montreuil. « Au lieu de les faire avec de la ficelle qui tient les pailles à diverses mailles, les montreuilois choisissent trois traverses faites avec le cerceau droit du demi-muid, un dans le milieu, & un à chaque extrémité, dessus le plat ils posent un lit fort épais de paille de seigle, entretenu par trois autres traverses qui répondent à celle de dessous, & ils attachent le tout ensemble avec du fil de fer, de distance en distance. Vous placez dans le mur deux chevilles de bois pointues & saillantes d’environ un pied, destinées à recevoir le paillasson que vous enfoncez à tel éloignement du mur que vous voulez, immédiatement au dessous de sa première traverse : comme il ne touche point aux arbres, l’air circule par derrière ; les boutons, les fleurs & les bourgeons ne peuvent être attendris ni jaunis. »

De quelque espèce que soit le paillasson, il ne doit point être collé contre le mur, c’est-à-dire porter sur l’arbre. Les tablettes dont on a parlé au mot espalier servent à le soutenir & à l’éloigner de l’arbre & du mur.