Cours d’agriculture (Rozier)/ODEUR DES PLANTES
ODEUR DES PLANTES. Quelle est la cause de leurs émanations douces, fortes, puantes, nauséabondes ? Pourquoi la violette, l’œillet, la rose frappent-ils agréablement notre odorat ? Pourquoi l’arum ou serpentaire de virginie exhale-t-elle l’odeur du rat mort, du serpent en putréfaction ? Pourquoi les fleurs de la belle-de-nuit de nos jardins, du geranium-triste, (voyez ces mots) ne répandent-elles leurs parfums délicieux que pendant la nuit ? Ô nature, c’est un secret que tu n’as encore révélé à personne ! me seroit-il permis de hasarder quelques conjectures ?
La séve est une pour toutes les plantes ; la preuve en est donnée au mot culture, chap. VIII, par l’exemple des plantes à odeur & à saveur différentes, dans une même caisse. La séve, comme séve, comme substance savonneuse, ne renferme donc pas le principe de l’odeur.
L’eau & la terre sont dans le même cas, puisque les plantes citées sont supposées dans la même terre, & arrosées par la même eau ; cependant chacune de ces plantes a une odeur qui lui est propre. On dira que la bière faite avec de l’orge qui avoit été semé dans un champ engraissé des excrémens humains, en a retenu l’odeur ; mais la terre n’a pas plus communiqué cette odeur aux racines, que les plantes de souci ou d’aristoloche ne communiquent la leur aux raisins, dont les ceps végètent dans un sol chargé de ces plantes ; l’odeur a été absorbée par les feuilles, &c. Sera-ce l’air atmosphérique, chargé au tiers, ou à moitié, ou au quart d’air fixe ? Mais l’air atmosphérique & fixe n’ont point d’odeur.
Ces trois causes peuvent concourir au développement de son principe, sans en être les auteurs immédiats.
L’air inflammable, qui est le principe huileux, éthéré par excellence, n’en seroit-il pa « l’origine ? L’huile essentielle ou éthérée, (voyez ce mot) existe dans la graine, & surtout dans celle des plantes ombellifères, des plantes crucifères &c., dans quelques bois & sur-tout dans ceux qui sont odorans.
On a vu dans plusieurs articles de cet ouvrage, & au mot noyau, que la semence étoit la partie dont les sucs avoient été les plus élaborés ; qu’avant d’y arriver ils avoient été obligés de passer par une infinité d’articulations, dont la fonction est de rejeter les sucs grossiers ; que les noyaux contenoient beaucoup d’huile, & que dans les huiles grasses, (voyez ce mot) il y a également une huile essentielle ou éthérée qui est combinée avec elles.
Je croirois que ces deux huiles très-distinctes servent à enchaîner jusqu’à un certain point, l’esprit recteur, (voyez le mot huile) qui est à l’huile éthérée, ce que celle-ci est à l’huile grasse ; enfin, que cet esprit recteur, si atténué, si volatil, si subtil, est l’air inflammable uni à une petite portion d’huile essentielle qu’il entraîne avec lui ; peut-être qu’elle est encore unie à une autre petite portion saline.
Suivant la nature des plantes, cet esprit recteur est renfermé dans une ou dans plusieurs de leurs parties, ou même dans toute la plante. La fleur seule est odorante dans l’œillet, la violette &c., l’odeur est dans la semence de l’anis, dans la partie ligneuse du bois de Ste. Lucie, dans toute la plante du romarin, de la lavande, &c. ; l’esprit recteur est donc cette partie la plus perfectionnée de toutes les huiles, de même que les huiles le sont de tous les sucs qui entrent dans la composition ou charpente de la plante. La lumière du soleil ne seroit-elle pas le premier principe de l’esprit recteur ? Plusieurs raisons invitent à le croire. Si cela est ainsi que je le suppose, la séve épurée fournit l’huile grasse ; l’huile grasse produit l’huile éthérée, celle-ci, l’esprit recteur, & ce dernier, l’air inflammable ou matière de la lumière : quoi qu’il en soit de cette théorie, on est convenu d’appeler esprit recteur, le principe odorant : ce qui paroîtroit prouver qu’il est huileux, c’est la facilité avec laquelle il s’unit aux huiles grasses, qui le retiennent mieux que toutes les autres substances fluides. C’est d’après ce principe, que les parfumeurs préparent leurs essences, leurs pommades, &c.
Pendant la grosse chaleur du jour, lorsque le soleil brille dans toute sa clarté, les fleurs, en général, ont une émanation de leur odeur moins sensible, quoique plus forte : on diroit que ce fluide est absorbé par la lumière du soleil, & il l’est si effectivement, que certaines fleurs ou plantes ne donnent alors aucun signe sensible d’émanation ; mais si le ciel est un peu obscurci, si le serein commence à tomber, le principe fugace est retenu, plus rapproché, l’air embaumé, & le mélange de toutes les odeurs, si doux, si parfumé, que l’on respire avant le soleil levé, a mérité le nom éther, ou matière éthérée, ou céleste : il faut cette grande condensation de l’odeur, pour que le géranium triste manifeste son parfum pendant la nuit. Si une nuit brûlante succède à un jour dévorant, cette plante est sans odeur ; si des pluies soutenues & froides tombent pendant quelques jours, la transpiration des plantes est, pour ainsi dire, suspendue ; dès-lors, peu ou presque point d’émanation de l’esprit recteur.
Deux odeurs agréables par elles-mêmes, occasionnent quelquefois, par leur réunion, une odeur dégoûtante, comme du mélange de deux mauvaises il peut en résulter une bonne. M. Martin Lister rapporte, dans les Transactions Philosophiques de Londres, qu’en Angleterre on trouve sur la jusquiame, (voyez ce mot) une punaise cimex ruber, maculis nigris distinctus, suprà folia hyosciami frequens, qui se nourrit de la matière onctueuse des feuilles de cette plante, & que l’odeur de ces feuilles est tellement modifiée dans le corps de cet insecte, qu’elle y devient aromatique & agréable.
Les odeurs produisent des sensations bien différentes : telle femme tombe en syncope, en sentant une rose ou une violette, & telle autre voudroit être couverte de ces fleurs. Sans chercher à rendre raison de ces phénomènes, on peut dire que ces fleurs, renfermées dans un appartement, en vicient l’air, le rendent méfitique, dangereux, & qu’il est très-imprudent de coucher dans une telle chambre. L’odeur des renoncules est des plus pernicieuses.