Cours d’agriculture (Rozier)/METTRE À FRUIT

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 528-529).


METTRE À FRUIT. Il se dit d’un arbre qui naturellement, ou par art, est obligé de porter du fruit. Un arbre jeune, fort, vigoureux, greffé franc sur franc, (le poirier, par exemple,) & planté dans un bon fonds, se met difficilement à fruit, & ne pousse que des bourgeons pleins de vie, ou des gourmands. (Voyez ce mot) Un arbre qui a souffert, & planté dans un sol de médiocre qualité, ou greffé sur cognassier, se met beaucoup plus facilement à fruit. Il est encore des espèces, comme le beurré, le doyenné, &c. qui se mettent plutôt à fruit que la vigoureuse. Cette variété tient à la manière d’être de leur végétation, qui leur permet d’avoir plus de boutons à fruits que de boutons à bois mais quel en est le principe ? C’est le secret de la nature. Il est plus aisé en apparence de mettre à bois un arbre qui se charge de fruits, que de mettre à fruit celui qui ne pousse que des feuilles & du bois. Consultez les mots Bourgeons & Boutons. Sur les premiers, en taillant court, en raccourcissant successivement & petit-à-petit les anciennes branches, en supprimant même plusieurs boutons à fruits & des Bourses, (Voyez ce mot) on parvient à mettre l’arbre facilement à fruit.

Il est aisé de remarquer que les arbres qui se mettent le plus facilement à bois, sont ceux sur lesquels on a conservé plus de canaux directs de la sève, c’est-à-dire plus de tiges perpendiculaires dans lesquelles la sève monte avec toute son impétuosité, & se porte vers le sommet. (Voyez les mots Buisson, Espalier.) Afin d’éviter cet amas de bois, on a supposé une trop grande abondance de sève ; & en conséquence, après avoir ouvert une tranchée au pied de l’arbre, on a supprimé une de ses mères racines, au risque de faire périr l’arbre, ou du moins de faire jeter toutes les branches du même côté ; & on sait, par expérience, que celles du côté le plus fort attirent à elles toute la sève, & ruinent les branches foibles du côté opposé. On sait encore que les branches sont toujours en proportion des racines, & ainsi tour-à-tour ; enfin, qu’il doit y avoir un équilibre parfait entre le volume des branches, comme il se trouve dans les racines, lorsque cet équilibre n’est pas contrarié par la main de l’homme, ou par quelque accident. C’est de lui que dépend la prospérité de l’arbre.

D’autres se sont imaginés, qu’en perçant avec une tarrière le tronc & les branches, ils ralentiroient le cours de la sève, & que l’arbre se mettroit plutôt à fruit. On fait gratuitement des plaies à l’arbre, dont il est longtemps à se remettre, & on n’en est pas plus avancé. Il seroit trop long & trop fastidieux de rapporter ici les pratiques ridicules, employées par les jardiniers qui ne doutent de rien.

Le moyen unique, simple, & indiqué par la nature, consiste dans les buissons, de ménager autant de fourches qu’il est possible, dès-lors il n’y a plus de ligne verticale dans les espaliers ; d’incliner les premières & secondes branches, & de leur donner la forme d’un Y très évasé ; enfin, sur les arbres mal taillés, & qui seroient très-difficiles à être réduits à une taille régulière, d’incliner doucement les branches presque jusqu’à l’horizon, sauf l’année d’après de leur laisser une inclinaison moins forcée.