Cours d’agriculture (Rozier)/LOUPE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 302-306).
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LOUPE. (Bot.) Excroissance végétale qui se forme sur la tige des arbres, & qui naît ordinairement dans les endroits endommagés par quelques blessures ; un accident oblitérant les vaisseaux, ils s’obstruent insensiblement, & il se forme quelquefois des dépôts vers l’écorce ; ces dépôts forcent les couches, soit corticales, soit ligneuses, qui les recouvrent, de se dilater, de se contourner & de prendre une forme arrondie & saillante. Insensiblement la sève & les autres humeurs s’y accumulent, y fermentent, & vicient nécessairement toutes les parties voisines ; aussi lorsque l’on coupe une de ces loupes, on trouve toujours les couches qui les forment d’une couleur brunâtre, qui annonce l’état de maladie où elles sont ; ces loupes acquièrent quelquefois une grosseur monstrueuse, comme on peut le remarquer sur quelques vieux arbres dans les forêts ; mais une observation assez constante que j’ai faite, c’est que ces loupes sont presque toujours vers la partie inférieure du tronc, ce qui indique assez que c’est plus à des accidens extérieurs qu’à des vices intérieurs qu’il faut attribuer la cause des loupes. Consultez les mots Excroissance, pour voir le moyen d’extirper ces loupes, & Bourlet, pour connoître la manière dont les couches ligneuses se dilatent & prennent une forme arrondie. M. M.

Loupe. Médecine rurale. Nom que l’on donne à une tumeur plus ou moins grosse, sans douleur, sans inflammation, & sans aucun changement de couleur à la peau.

Les loupes ont toujours été comprises dans la classe des tumeurs enkystées ; elles se fixent sur toutes les parties du corps ; leur siège ordinaire est presque toujours sous la peau ; quelquefois elles vont plus profondément, & s’établissent dans l’interstice des fibres musculaires.

Les loupes ont reçu différens noms, relativement à la couleur des matières qu’elles contiennent, & aux parties qu’elles occupent. La loupe est appelée stéatome, lorsque la matière qu’elle renferme ressemble au suif ; quelquefois cette matière est liquide & jaune, & a beaucoup de ressemblance avec le miel, elle prend alors le nom de melliceris : elle est enfin connue sous le nom de goetre, (Voyez ce mot) lorsqu’elle est formée de chair, & qu’elle paroît au col.

La loupe, dans son origine, est d’un volume très-petit, & n’excède jamais la grosseur d’un pois, mais elle augmente insensiblement, & devient très-grosse, & pour mieux dire, monstrueuse. La loupe cède vacillement à la compression par laquelle on sent une fluctuation quelquefois sensible, & quelquefois très-obscure, & quoiqu’elle soit sans couleur par sa nature, néanmoins elle s’enflamme quelquefois, & alors elle devient très-douloureuse ; on y apperçoit de la rougeur, de la chaleur, & une démangeaison assez piquante.

La loupe se forme, comme nous l’avons déjà dit, dans les interstices des muscles, mais ce n’est que par la dilatation variqueuse des gros vaisseaux lymphatiques qui y rampent ; elle est le plus souvent unique & solitaire, mais il n’est pas rare d’en voir plusieurs ensemble, & former, tantôt une espèce de grappe, lorsqu’il y a plusieurs vaisseaux lymphatiques voisins qui sont affectés à-la-fois, & tantôt une espèce de chaîne, lorsqu’un même vaisseau lymphatique devient variqueux en plusieurs endroits de sa longueur.

Tout ce qui peut relâcher la peau, épaissir la lymphe & en ralentir le cours, peut contribuer à la formation de la loupe ; le défaut d’exercice, une vie molle & trop sédentaire, l’usage des alimens grossiers & de difficile digestion, l’abus des liqueurs spiritueuses, la suppression des évacuations habituelles, comme le flux hémorroïdal dans les hommes, & le flux menstruel dans les femmes ; la transpiration supprimée, la répercussion de quelqu’humeur dartreuse, des évacuations immodérées peuvent produire des loupes. Il est encore d’autres causes aussi efficaces que celles dont nous venons de faire mention, telles que les coups violents, les chutes, les contusions, les piqûres, les meurtrissures, une compression trop forte, faite & prolongée sur quelque partie du corps ; enfin la morsure de différens animaux. La loupe est une tumeur plus ou moins incommode, & le mal qu’elle peut causer est relatif à son volume & aux parties qu’elle occupe. Pour l’ordinaire elle n’a aucune mauvaise suite ; on en a vu cependant qui sont devenues cancéreuses, très-dangereuses & même mortelles.

Le pronostic des loupes doit dériver de leur volume, de leur nature, de leurs attaches à un certain nerf, à certains tendons & à certains vaisseaux, de leur profondeur & de l’épaisseur du kiste ou de la poche.

La loupe est un mal opiniâtre & difficile à guérir ; lorsqu’elle n’incommode point, le meilleur parti est de ne pas entreprendre de la guérir. Dans le principe, il faut s’opposer à ses progrès ; pour cet effet, on a recours à une compression graduée, qu’on fait avec une plaque de plomb battu, qu’on ouvre des deux côtés pour avoir deux anses, à travers lesquelles on passe un ruban qu’on peut serrer au degré qu’on veut. Ce moyen est trop utile pour être négligé ; sa simplicité le rend recommandable ; je l’ai vu réussir, mais il n’opère pas de grands effets quand on l’emploie sur une loupe qui a acquis un certain volume. Il est alors inutile ; il vaut mieux lui préférer des remèdes fondans, dont l’application est plus propre à donner de la fluidité à la matière renfermée dans la poche de la loupe, & à en procurer plus aisément la résolution. Dans cette vue, on recommande certains emplâtres fondans, comme ceux de vigo cum mercurio, de ciguë, de diabotanum, de diachylum gommé ; l’application des linges imbibés d’urine, dans laquelle on a fait dissoudre du sel ammoniac, est un fondant très-énergique : je l’ai vu réussir. La terre cimolée des couteliers, les quatre farines résolutives, l’oignon de scille, les boues d’eaux thermales, précédés des frictions sèches sur la loupe, sont des remèdes trop énergiques pour qu’on n’obtienne pas de bons effets de leur emploi. Astruc recommande beaucoup la chaux vive paîtrie avec le miel & le savon, & appliquée en forme de cataplasme ; il prévient que ce remède cause des cloches qui incommodent beaucoup. L’emplâtre de tabac peut aussi très-bien convenir il est trop vanté par les auteurs pour ne pas y avoir recours.

Malgré l’application de tous ces fondans, on n’obtient pas la fonte ou la résolution de la loupe ; cette terminaison est assez rare ; il faut alors en venir à la cautériser, ou à l’extirper.

Rien de plus aisé que de cautériser une loupe ; cette opération est si simple, que, dans les provinces méridionales, il y a plusieurs guérisseurs de loupes qui réussissent fort bien, & qui appliquent le remède convenable avec toute la dextérité possible, quoiqu’ils soient paysans d’origine & de profession ; pourquoi ne pas faire part aux gens de la campagne de leur secret ? Plus sujets que les autres classes de citoyens à avoir des loupes, pourquoi ne profiteroient-ils pas des mêmes moyens ? Hâtons-nous de le leur indiquer, puisqu’ils peuvent l’employer d’eux-mêmes, & se le procurer à peu de frais. Pour cela, on applique sur la loupe un emplâtre qui la couvre dans son entier, & ouvert dans le milieu, de manière qu’on puisse placer dans ce vuide une ou plusieurs pierres à cautère de moyenne grosseur, qu’on recouvre d’un nouvel emplâtre, & qu’on fixe avec une ligature, de telle sorte que la pierre à cautère puisse ronger & brûler la peau & le kiste de la loupe. Après avoir laissé agir cet escarrotique pendant quelques heures, si le malade ressent une douleur très-vive, une irritation forte, vous enlevez l’appareil, & vous pansez la plaie avec l’onguent de la mère, matin & soir, jusqu’à ce que l’escarre & la loupe ayent entièrement disparus. Parvenu à ce point, (ce qu’on n’obtient qu’après une & même deux semaines, ou quelquefois plus tard) on pense la plaie avec de la charpie chargée d’un digestif très-simple, fait avec la térébenthine, le jaune d’œuf & l’huile d’hypéricum, jusqu’à ce que les chairs se soient bien détergées, & la suppuration bien diminuée ; les chairs ne tardent pas à pousser de tout côté des bourgeons charnus, qui, en se réunissant, opèrent une cicatrice parfaite.

Quoique cette opération soit bien simple, & aisée dans son exécution, elle entraîne cependant quelquefois après elle la fièvre, des maux de tête, des insomnies, des agitations quelquefois alarmantes. Pour éviter ces inconvéniens, ou du moins pour en diminuer la violence, on doit auparavant préparer les malades par des bouillons adoucissans & des boissons rafraîchissantes ; on doit aussi prévenir la sensibilité du sujet, & calmer l’irritation de ses nerfs par quelques bains tiédes ; la saignée sera mise en usage s’il est sanguin & trop pléthorique ; s’il y a de l’embarras dans les premières voies on le purgera, afin de prévenir une maladie putride, que la fièvre accidentelle pourroit déterminer.

L’extirpation est une opération que les gens de la campagne ne peuvent pas pratiquer ; elle pourroit avoir les plus grands inconvéniens entre leurs mains, sur-tout si la loupe étoit fixée sur quelque nerf, artère, veine ou tendon ; on aura recours aux gens de l’art. M. Ami.

Loupe. Médecine vétérinaire. La loupe est une tumeur charnue, graisseuse, formée non-seulement par le séjour des humeurs dans une partie, mais encore par l’accroissement & la multiplication des fibres & des vaisseaux de cette partie.

On appelle lipome la loupe qui occupe le tissu graisseux, tandis que celle qui dépend de l’engorgement des glandes porte le nom de squirrhe. (Voyez ce mot)

La chirurgie vétérinaire nous offre plusieurs ressources pour la guérison de ces sortes de tumeurs : la résolution l’extirpation, la corrosion & l’amputation.

Ce dernier moyen nous paroît préférable à tous les autres, & l’on procède à l’opération de la manière suivante : on prend la loupe à pleine main pour la détacher, le plus qu’il est possible, du corps qu’elle occupe, & avec un bistouri, on fait à la base de la tumeur une section circulaire ou demi-circulaire ; on continue d’inciser entre la peau & les parties voisines, jusqu’à ce qu’on l’ait entièrement séparée, & on emporte la loupe.

La tumeur emportée, il ne reste qu’une playe large & platte, qu’il suffit de panser avec des étoupes cardées, que l’on contiendra par des cordons passés dans les bords de la peau ; le lendemain de l’opération on pansera la plaie avec le digestif animé, & on la cicatrisera comme un ulcère ordinaire. (Voyez Ulcère)

S’il survient quelqu’accident à la suite de l’amputation, tel que l’hémorragie, on peut l’arrêter par la compression & par tous les autres moyens indiqués à cet article. (Voyez Hémorrhagie)

La loupe, que l’on remarque assez souvent au coude du cheval, vient de ce que cet animal se couche en vache, c’est-à-dire, lors qu’étant couché, le coude repose sur l’éponge du fer en-dedans, la compression continuelle de l’éponge sur le coude y fait venir une loupe, qui grossit toujours peu-à-peu, si l’on n’y remédie dans le principe, par les frictions résolutives avec l’eau marinée, & par la ferrure courte. (Voyez Ferrure)

Quant aux loupes qui arrivent au poitrail, & que les maréchaux de la campagne prennent très-mal à propos pour un avant-cœur, (Voyez ce mot) on ne doit les regarder que comme un véritable kiste, & les traiter à peu-près de même. (Voyez Kiste) M. T.