Cours d’agriculture (Rozier)/LAURIER

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 240-245).


LAURIER ORDINAIRE, ou LAURIER FRANC. Tournefort le place dans la même classe que les lauréoles de l’article ci-dessus, & l’appelle Laurus vulgaris. Von Linné le nomme Laurus nobilis, & le classe dans l’énéandrie monogynie.

Fleur. D’une seule pièce, dont la corolle est découpée en quatre ou cinq parties ovales ; elle n’a pas de calice : neuf étamines & un pistil garnissent le centre de la fleur. On y découvre un nectaire composé de trois tubercules colorés, aigus, qui entourent le germe, & se terminent par deux espèces de poils.

Fruit. À noyau, ovale, pointu, à une seule loge, entouré de la corolle, contenant un noyau ovale, & aigu.

Feuilles. Fermes, dures, supportées par un pétiole, simples, très entières, en forme de fer de lance, veinées, d’un verd luisant.

Racine. Ligneuse, épaisse, inégale.

Port. Arbre qui pousse de terre une ou plusieurs tiges fort hautes & fort droites, & dont les branches se resserrent contre le tronc ; son écorce est mince, verdâtre ; son bois est fort & pliant ; les fleurs naissent des aisselles des feuilles, plusieurs ensemble, portées sur un pédoncule ; les feuilles toujours sont vertes, & alternativement placées sur les tiges.

Lieu. Originaire d’Espagne & d’Italie, presque devenu indigène en Provence, en Languedoc & en Roussillon ; il y fleurit en mars, & ses fruits sont mûrs en automne. Le laurier a plusieurs variétés. La première à feuilles larges ; la seconde à feuilles ondées ; la troisième à feuilles étroites. La chaleur du climat détermine la hauteur de cet arbre.

Propriétés médicinales. Les feuilles ont une saveur âcre, aromatique ; les semences sont odorantes, âcres & un peu amères ; les feuilles & les baies sont stomachiques, nervines, cordiales, détersives, anti-septiques.

Les feuilles & les baies sont utiles en médecine. Des feuilles fraîches on fait une décoction ; des feuilles sèches, une poudre qu’on donne à la dose d’une dragme ; la décoction des feuilles se donne en lavement.

On tire du laurier quarte espèces d’huile. La première est fournie par les baies macérées dans l’eau, & distilées ; elle a toutes les vertus des huiles aromatiques. Prise intérieurement, elle chasse les vents, à la dose de trois jusqu’à quatre gouttes. Pour avoir la seconde espèce d’huile, on fait bouillir les baies dans l’eau ; lorsque cette eau est froide, elle est surnagée par une huile verdâtre, moins spécifique que la précédente. La troisième se tire des baies seulement, & elle est moins active que les deux autres. La quatrième se fait avec les baies & les feuilles, & on s’en sert à l’extérieur, comme liniment, afin de donner de la force & de la sensibilité aux parties relâchées & presque insensibles.

Les maréchaux font un grand usage de l’huile de laurier, par expression, qui est à tous égards préférable à l’onguent de laurier, sur-tout à celui préparé avec les feuilles. Pour faire cet onguent, prenez partie égale de graisse de porc mondée, & d’huile de baies de laurier ; faites fondre au bain-marie, & vous aurez l’onguent de laurier, de couleur verte & d’une odeur aromatique douce.

Le genre du laurier comprend plusieurs espèces précieuses, originaires des grandes Indes, & qui ne peuvent résister aux hivers, même de l’Europe tempérée, à moins qu’on ne les renferme dans des serres chaudes. Tels sont :

Le laurier canelle, Laurus cinnamomum. Lin. que les Hollandois se sont efforcés de détruire, excepté dans leurs possessions. On doit au zèle de M. Poivre, ancien Intendant de l’Isle de France, de l’y avoir multiplié, ainsi que le giroflier. Ce citoyen philosophe a rendu aux îles de France & de Bourbon le même service que M. Declieux à celle de la Martinique, & actuellement à toutes les îles voisines, en y portant le café. (Voyez ce mot) La mémoire d’un tel bienfait ne mériteroit-elle pas d’être conservée dans un monument, qui transmettroit à la postérité le nom de ceux à qui on en est redevable.

Le laurier-casse. Laurus cassia. Lin. dont on tire une écorce qui a presque les mêmes propriétés que la canelle.

Le laurier-camphre. Laurus camphora. Lin. Toutes les parties de cet arbre précieux fournissent par incision la résine si connue en médecine & dans les arts, sous le nom de camphre. (Voyez ce mot)

Le laurier-culiban. Laurus culiban. Lin. dont on se sert dans les Moluques pour la préparation des alimens.

Le laurier-canelier sauvage d’Amérique. Laurus indica. Lin. Il seroit peut-être possible, à force de semis répétés, d’en introduire l’espèce dans nos provinces du midi. Ce seroit un arbre de plus, il est vrai ; mais quelle seroit son utilité réelle ?

Le laurier de Perse, ou poirier d’Avocat. Laurus Persea. Lin. dont le fruit est très-estimé en Amérique.

Le laurier de Bourbon, ou laurier rouge. Laurus Borbonia. Lin. dont le bois scié & poli représente un satin moiré, & qui est fort estimé pour la marqueterie & la construction des meubles.

Le Laurier-sassafras. Laurus sassafras. Lin. Très-utile en médecine, comme bois sudorifique. (Voyez le mot Sassafras) On peut le cultiver en pleine terre dans nos provinces du midi, & dans de bonnes expositions, on l’y multiplieroit comme le mûrier, par des semis réitérés. (Voyez ce qui a été dit au mot Espèce)[1]

Culture. Le laurier ordinaire, & toutes ses variétés, se multiplient par semis & par marcotte. L’époque du semis est aussitôt que la graine est mûre & tombe. Il convient de semer chaque graine dans un pot, deux tout au plus, & si elles germent toutes les deux, on détruira un pied, dès qu’il sera hors de terre. Cette méthode est la plus sûre pour la transplantation. L’année d’après la germination on renverse le vase, & sans déranger les racines & la terre qui les environne, on les met dans une petite fosse destinée à les recevoir. Cette opération doit avoir lieu du moment où l’on ne craint plus le retour des gelées. Dans les provinces du nord, il sera utile de couvrir les jeunes tiges avec de la paille, pendant les premiers hivers, sur-tout si l’arbre n’est pas dans une bonne exposition. Il est encore avantageux d’entourer le pied avec du fumier. Si le froid fait périr les tiges, il en poussera de nouvelles des racines, à moins qu’il n’ait été excessif, & qu’on n’ait pris aucune précaution pour les garantir. Cet arbre demande une terre substantielle, & quelques arrosemens au besoin.

Comme cet arbre pousse beaucoup de rejettons, on peut les détacher des racines dès qu’ils seront garnis de chevelus, & les planter. C’est le moyen le plus prompt pour les multiplier, mais mains sûr que les semis qui acclimatent mieux les arbres.

On peut encore coucher les branches, au défaut de rejettons enracinés, & les marcotter comme des œillets. Dans les provinces du midi elles prennent de racines sans cette précaution. Cet arbre pyramide joliment, & figure bien dans les bosquets d’arbres verds. Dans les provinces du nord on ambitionne la verdure perpétuelle des arbres du midi, & dans celles-ci on regrette de ne pas avoir la verdure moirée des gazons, celle du tilleul, de la charmille, &c. Si les arbres toujours verds font quelque plaisir en hiver, combien leur verd-foncé & monotone est triste en été !

La superstition des anciens a perpétué une erreur jusqu’à nos jours. On a sans cesse répété que la foudre respectoit le laurier. Le fait est faux. Puissent toutes les erreurs n’être pas d’une conséquence plus dangereuse !


Laurier-cerise. Tournefort le place dans la septième section de la vingt-unième classe destinée aux arbres à fleurs en rose, dont le pistil devient un fruit à noyau, & rappelle lauro cerasus. Von Linné le classe dans l’icosandrie monogynie, & le nomme prunus lauro cerasus. Ce n’est donc point un laurier.

Fleur. En rose á cinq pétales, obronds, concaves, attaches au calice par des onglets ; calice d’une seule pièce, à cinq découpures obtuses & concaves.

Fruit. Baie ovale, presque ronde, charnue, dans laquelle est un noyau ovale, pointu & sillonné.

Feuilles. Simples, entières, oblongues, fermes, épaisses, luisantes, portées par des pétioles, avec deux glandes sur le dos.

Racine. Rameuse & ligneuse.

Port. Arbre qui s’élève assez haut, suivant le climat qu’il habite ; son écorce est lisse & d’un verd-brun ; les fleurs sont disposées en grappes pyramidales, plus courtes que les feuilles, & naissent de leurs aisselles ; les feuilles sont toujours vertes & placées alternativement sur les tiges.

Lieu. Apporté de Trébisonde en 1576, aujourd’hui naturalisé dans les jardins, & sur-tout dans ceux des provinces méridionales. Fleurit en mai & juin.

Propriétés. Les fleurs & les feuilles ont le goût & l’odeur de l’amande amère. Communément on met sur une pinte de lait deux ou trois feuilles, pour lui donner un goût amandé. Cette petite sensualité peut devenir très-funeste si on augmente la dose. Ces feuilles alors causent des coliques, des convulsions, & souvent la mort. L’eau distillée des feuilles, est un poison décidé, soit pour les hommes, soit pour les animaux. Il est beaucoup plus prudent de ne jamais employer ni feuilles, ni fleurs, ni fruits de cet arbre.

Culture. Il a deux variétés, l’une à feuilles panachées en jaune, & l’autre panachées en blanc. On multiplie ces arbres par semences, par marcottes, & on greffe les variétés panachées sur le laurier-cerise ordinaire.

On sème les graines aussitôt qu’elles tombent de l’arbre, & elles germent facilement au printemps suivant. Cet arbre n’exige aucune culture particulière, il demande seulement de bons abris dans nos provinces du nord. Le froid y fait souvent périr les tiges, mais il en repousse de nouvelles des racines. Dans les provinces du midi on en fait des berceaux, les branches sont flexibles, & se prêtent à la direction qu’on veut leur faire prendre. Ces cabinets, ces berceaux de laurier-cerise sont agréables, parce que les feuilles sont toujours vertes & en assez grand nombre pour procurer un ombrage agréable. D’ailleurs leur couleur d’un verd gai leur mérite la préférence sur presque tous les autres arbres toujours verds, ordinairement d’une couleur verte triste & brune. Je crois m’être apperçu qu’il n’est pas très-sain de demeurer longtemps, & pendant les grosses chaleurs de l’été dans ces cabinets. Il s’en exhale une odeur forte, qui porte souvent à la tête, & même provoque les nausées. Je ne sçais si dans le nord on éprouve le même effet par la transpiration de la plante.


Laurier-Rose. Von Linné le classe dans la pentandrie monogynie, & le nomme Nerium Oleander. Tournefort le place dans la cinquième section de la vingtième classe destinée aux arbres à fleur d’une seule pièce, & dont le pistil devient une espèce de silique ; il le nomme Nerion floribus rubescentibus.

Fleur ; grande, en forme d’entonnoir, le tube cylindrique, les bords de la fleur divisés en cinq découpures larges. On remarque un nectar à l’ouverture du tube, formant une couronne frangée : le calice très petit, divisé en cinq parties égales.

Fruit. Espèce de silique, composé de deux follicules cylindriques, longues, s’ouvrent du sommet à la base, renferment beaucoup de semences oblongues, couronnées d’une aigrette, & rangées les unes sur les autres en manière de thuile.

Feuilles. Entières, en forme de lance, pointues, marquées en dessous d’une côte saillante.

Racine. Ligneuse, jaunâtre.

Lieu. Originaire des Indes, cultivé dans les jardins.

Propriétés. Saveur très-âcre. Les fleurs sont sternutatoires, détersives & vivement purgatives. Il est très-imprudent de s’en servir pour l’intérieur. Pour peu que la dose soit forte, c’est un poison pour l’homme & pour les animaux.

Les feuilles réduites en poudre sont un sternutatoire fort ; mais que l’on donne avec le plus grand succès dans les maux d’yeux, occasionnés par une abondance d’humeurs. J’en ai vu de très-bons effets. On la prescrit encore contre les maux de tête & les migraines. Des feuilles, on fait encore des cataplasmes, des décoctions : on en compose avec du beurre, un onguent pour la gale & autres affections cutanées.

Culture. Il y a une variété de ce laurier, de nom seulement, à fleur blanche, dont les propriétés sont encore plus actives que celles de l’autre, & une autre variété à fleur double. Dans le nord on tient ces arbres en caisses comme les orangers ; & à l’approche du froid, on les enferme dans la serre. Le laurier rose à fleur double, craint beaucoup plus le froid que les deux autres. Dans les provinces du midi, le long de la Méditerranée, on le cultive en pleine terre. Quoique cet arbre soit regardé comme originaire des Indes, je l’ai cependant trouvé naturalisé en Corse, dans un lieu où sûrement il n’a pas été planté de main d’homme.[2] On peut le multiplier par semence ; mais il est plus court de séparer les drageons qui poussent des racines, ou de coucher ses branches en terre, même sans les marcotter. Je crois que si on multiplioit les semis, on parviendroit à l’acclimater dans nos provinces du nord. On risqueroit, dans les froids âpres, de perdre les tiges ; mais il en repousseroit des racines, si on avoit le soin de couvrir le pied pendant l’hiver, avec quatre ou cinq pouces de fumier.

La multiplicité des fleurs dont cet arbre se charge, leur couleur & leur forme gracieuse, méritent les soins du jardinier. Comme il pousse beaucoup de racines fibreuses, il épuise promptement la terre dans laquelle elles s’étendent. Elle demande donc à être renouvelée, fumée de temps à autre. Il ne faut pas le laisser languir par la sécheresse. Pour avoir plus long temps des fleurs, il faut les couper dès qu’elles sont passées, & ne pas leur laisser le temps de faire la graine.

On tenteroit vainement de faire des berceaux avec cet arbre, quoique ses branches soient très-flexibles, parce qu’il se dégarnit de feuilles par le bas, à mesure qu’il s’élève : il figure très-bien dans les bosquets d’été.


Laurier-alexandrin. (Voyez Houx)


Laurier-Thin. Von-Linné le classe dans la pentandrie trigynie, & le nomme Viburnum Tinus. Tournefort le place dans la sixième section de la vingtième classe des arbres à fleur d’une seule pièce, dont le calice devient une baie : & il l’appelle Tinus Prior.

Fleur. En rosette, à cinq découpures obtuses ; le calice petit & à cinq dentelures ; cinq étamines, trois pistils, quelques fleurs stériles, les autres hermaphrodites.

Fruit. Petites baies, arrondies, d’un noir bleuâtre, luisantes, renfermant une seule semence, osseuse, applatie, obronde, en forme de cœur.

Feuilles. Simples, calicées, ovales, fermes, terminées en pointes dures, toujours vertes, luisantes, d’un vert brun.

Racine. Ligneuse, rameuse, très fibreuse.

Port. Arbrisseau dans les provinces du nord, mais qui s’élève à dix à douze pieds dans celles du midi. Il jette beaucoup de drageons par les racines. Son écorce est lisse, blanchâtre ; celle des jeunes pieds, rougeâtre. Les fleurs disposées au haut des tiges en espèce de grappes, rouges avant leur épanouissement, blanches lorsqu’elles sont épanouies ; les feuilles opposées. Il fleurit en hiver & en été.

Lieu. Originaire d’Espagne, d’Italie, cultivé dans les jardins.

Propriétés. Cet arbrisseau est peu employé en médecine, quoique ses baies soient très purgatives.

Culture. On compte plusieurs variétés, l’une à feuilles alongées & veinées, & à fleurs purpurines ; l’autre à feuilles panachées de blanc, ou panachées de jaune, enfin un laurier-thin, nain, à petites feuilles.

Cet arbuste, comme le précédent, pourroit être acclimaté dans nos provinces du nord, par des semis réitérés, & avec les mêmes précautions. On le multiplie par marcottes, & sur-tout par ses drageons. Dans celle du midi du Royaume, on le cultive en pleine terre ; on en forme de très-jolies palissades, des tonnelles très-agréables. Si sur trente années il y en a une où la rigueur du froid fait périr ses tiges, en moins de deux à trois ans le mal est réparé par les nouvelles qu’il pousse de ses racines. Si on le cultive dans des pots, il souffre la taille comme l’oranger. Il figure très-bien dans les bosquets toujours verts.


Laurier-Tulipier. (Voyez ce mot)


  1. Je viens d’indiquer ces espèces de lauriers, non à cause de l’utilité par rapport à notre agriculture, mais uniquement à cause des reproches que l’on me fait de ne pas parler de toutes les plantes. Le but de cet Ouvrage n’est pas pour l’instruction des seuls Botanistes ou de quelques amateurs ; s’ils désirent de plus grands détails, ils pourront consulter le Dictionnaire encyclopédique, l’Histoire du règne végétal de M. Buchos, le Dictionnaire anglois de Miller, &c. Je ne veux pas multiplier inutilement le nombre des volumes.
  2. On le trouve aussi très-communément en Provence, dans les montagnes dites les Maures, entre Hières & Bermes.