Cours d’agriculture (Rozier)/GIROFLÉE, GIROFLIER

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 292-302).


GIROFLÉE, GIROFLIER, nommé VIOLIER dans quelques provinces ; fleur de parterre. La dénomination de giroflée est prise de l’odeur de girofle qu’ont les fleurs des plantes de cette espèce.

Les botanistes resserrent beaucoup le nombre des espèces jardinières, & les fleuristes, au contraire, l’étendent beaucoup trop, puisqu’une nuance plus ou moins foncée d’une fleur, des panaches, des marbrures, &c. constituent à leurs yeux autant d’espèces. Si ces marbrures étoient constantes, & se perpétuoient d’année en année ainsi que la couleur de la fleur, ils pourroient les regarder véritablement comme des espèces jardinières ; (voyez ce mot) mais les couleurs, varient & changent souvent d’une année à l’autre sur le même pied… Sans entrer dans les détails trop minutieux des fleuristes, je vais diviser ces nombreux individus en trois ordres, les girofliers ou violiers jaunes… les girofliers ou violiers vivaces, à fleurs rouges, violettes, blanches, d’une couleur ou panachées ; les girofliers annuels d’une seule couleur ou panachées.

Des Girofliers jaunes.

Giroflier ou violier jaune simple. M. Tournefort le place dans la quatrième section de la cinquième classe, qui comprend les herbes à fleur de plusieurs pièces, régulières & disposées en croix, dont le pistil devient une silique à deux loges, & il l’appelle Leucolum luteum vulgare. M. von-Linné le nomme cheiranthus cheiri, & le classe dans la tetradynamie siliqueuse.

Fleur, composée de quatre pétales jaunes & disposée en croix, plus grands que le calice, & les onglets aussi longs que lui ; le calice est divisé en quatre folioles égales en grandeur ; les étamines au nombre de quatre, dont deux plus grandes & deux plus courtes.

Fruit. Le pistil se change en une silique aplatie, composée de deux lames appliquées sur les bords d’une cloison mitoyenne, sur laquelle les semences sont rangées alternativement, & y tiennent par un cordon ombilical, qui se dessèche lors de la maturité ; elles sont ovales & comprimées.

Feuilles, d’un vert foncé, longues, en forme de fer de lance, aiguës, lisses, adhérentes aux tiges.

Racine, pivotante, peu fibreuse, blanche.

Port. Tige de deux pieds de hauteur environ, droite, rameuse, les rameaux presqu’égaux ; les fleurs naissent au sommet, rassemblées comme en un bouton aplati, & les fleurs se développent à mesure que les tiges s’allongent & s’élèvent ; les feuilles sont alternativement placées sur les tiges.

Lieu. Les rochers, les vieux murs ; la plante est vivace, s’y sème, & s’y perpétue sans soins.

L’espèce sauvage est beaucoup plus petite dans toutes ses parties que l’espèce cultivée, & sa fleur est d’un jaune plus pâle. Les botanistes ont caractérisé cette différence par ces mots magno vel parvo flore.

Le giroflier jaune & simple, cultivé se ressent des soins qu’on lui donne. Les tiges sont beaucoup mieux nourries, les feuilles plus amples, plus longues, les fleurs plus étoffées & mieux nourries. La couleur jaune est plus foncée, plus veloutée.

À force de culture & de soins on est parvenu à avoir des fleurs panachées en brun, & on les appelle giroflées carassées.

En multipliant le terreau & tous les petits soins que prennent les vrais fleuristes, on est parvenu à rendre ces fleurs semi-doubles, & enfin très-doubles. Les unes ont conservé leur couleur jaune ordinaire, & les autres se sont carassées. Ces dernières en général sont plus larges, plus volumineuses & moins serrées que les premières, dont l’ensemble est nommé dans quelques provinces bâton d’or. Cette couleur contraste singulièrement bien avec le vert foncé des feuilles.

On connoît encore une variété à fleur double & simple, dont la feuille est dentelée tout autour en manière de scie.

La giroflée à fleur simple est une des premières fleurs du printemps.

On parlera de sa culture & de sa multiplication, en traitant en général de celle de toutes les giroflées.

Des Girofliers vivaces de différentes couleurs.

Sous la dénomination de leucolum incanum, donnée par M. Tournefort, ou de cheiranthus incanus de M. von-Linné, on doit comprendre un grand nombre d’espèces jardinières. La plus distinguée sans contredit est celle vulgairement appelée Giroflier de Calabre ou d’Italie.

I. Sa tige est unique, forte, s’élance souvent à la hauteur de trois pieds, est garnie de feuilles blanchâtres dans le bas, & elle perd les inférieures à mesure qu’elle s’élève. Alors la place de la feuille tombée, imprime sur le tronc une marque semblable à celle que l’on voit sur les troncs des choux ; ce tronc est mince dans le bas, & plus gros dans le haut vers l’endroit d’où s’élance la tige. Les fleurs simples sont au moins de moitié plus amples que celles de toute autre giroflée ; quant aux doubles, elles excèdent souvent la longueur d’un écu de trois livres. Ces fleurs sont disposées en épi lâche, portées sur des pédoncules assez longs, plus écartées qu’aucune des fleurs de giroflées, & forment une pyramide souvent de plus d’un pied de longueur. De la base de l’épi sortent de petites tiges secondaires qui se chargent de quelques fleurs presqu’aussi belles que les premières. Il y en a de rouges, de violettes, de panachées, de couleur de chair un peu rose : je n’en ai jamais vu de blanches. Ce giroflier est appelé par quelques-uns tronc de chou, à cause de sa ressemblance avec lui. Ses feuilles sont longues, blanchâtres, douces au toucher, cotonneuses, retombantes pendant l’hiver, rassemblées en touffe jusqu’à cette époque & au renouvellement du printemps.

II. Giroflier ordinaire. Son tronc, les feuilles, ses fleurs sont beaucoup plus petits que ceux du précédent. Ce qui le caractérise essentiellement, est la manière dont sont disposés ses rameaux sur le tronc, à peu près comme les bras d’un lustre, avec cette différence que ceux du bas sont les plus alongés, & ceux du sommet sont plus courts. Tous montent à peu près à une égale hauteur, & forment une tête presque plate en dessus. Les fleurs sont simples ou doubles ; les unes, blanches ou rouges, ou violettes, ou panachées.

Il y a une autre espèce de giroflée en tout semblable à celle-ci, excepté que les fleurs sont toujours violettes, ou violettes panachées de blanc, à grelots plus gros, plus détachés. La plante est simplement bienne. À bien prendre, la précédente l’est également, si on n’a pas le soin de couper les fleurs à mesure qu’elles passent, sans attendre que les dernières de l’épi aient fleuri. La beauté de ces deux espèces consiste à avoir de longs épis & de larges grelots ; de sorte que chaque épi forme bien la pyramide, & soit en particulier un bouquet tout fait. Le nom de violier a été donné à cause de la couleur violette, ou approchant, que les fleurs ont ordinairement.

Du Giroflier annuel.

Le quarantain, ainsi nommé à cause de sa prompte végétation, & parce que, quarante jours après avoir été semé, le bouton de sa fleur commence à paroître assez pour que l’on puisse distinguer s’il sera à fleur double ou à fleur simple. Il ressemble aux autres violiers par les feuilles également cotonneuses, blanchâtres, mais plus alongées sur leurs queues, & presque dentelées. Ses rameaux sont moins nombreux, simplement herbacés, plus séparés & sans ordre ; les épis moins nombreux, les fleurs ou simples ou doubles ; les siliques cylindriques, aiguës au sommet : c’est le cheiranthus annuus de M. von-Linné, & le leucolum incanum minus de M. Tournefort.

Culture. Le mérite des giroflées quelconques est d’avoir de beaux épis de fleurs doubles. Toute fleur double est un monstre aux yeux de la nature, & une perfection aux yeux du fleuriste. Cet embonpoint excessif des fleurs doubles peut être comparé à l’effet produit par le retranchement des parties sexuelles dans le chapon, dans le carpeau. (Voyez ces mots). En effet, la substance la plus pure, la plus élaborée, qui devoit servir d’aliment aux étamines & aux pistils, s’est jetée sur les pétales qui se sont multipliés au préjudice, ou plutôt en raison de l’anéantissement des autres. Dans les fleurs semi-doubles, les parties sexuelles ne sont pas détruites complètement : ce sont des fleurs qui regorgent d’embonpoint ; encore un degré de plus, elles seront doubles & stériles. Cette métamorphose tient à la quantité & la qualité de nourriture que la sève charie dans la plante. J’ai trouvé une fois seulement une giroflée jaune à fleur double sur un rocher de granit : ce phénomène me surprit, & à force de soins, je parvins à gravir jusqu’à la plante. Je découvris alors une scissure ou cavité remplie d’excellent terreau ou débris de substances végétales.

Des moyens pour se procurer des Giroflées à fleurs doubles. À combien de peines & de recherches les fleuristes ne se sont-ils pas soumis pour multiplier les pieds à fleurs doubles ? Les uns ont attribué à telle ou telle phase de la lune une influence décidée sur les semis, & presque tous sont d’accord qu’on doit semer le jour de la pleine lune ou le vendredi saint, & ils appellent cette lune de mars, quoique son plein se trouve en avril. Au mot Lune il sera question de cette fausse dénomination qu’on lui donne. J’ai eu la constance de semer différentes espèces de giroflées chacun des jours de cette lune ; la graine, la terre & l’exposition ont toujours été strictement les mêmes. Le résultat de cette minutieuse pratique a été constamment égal, c’est-à-dire, que je n’ai pas eu de fleurs doubles en plus grande quantité d’un semis que d’un autre. À l’âge de vingt-cinq ans, j’étois fleurimane & j’adoptais assez aveuglément tous les arcanes des fleuristes. On me dit de semer pendant le temps d’une éclipse : le conseil fut suivi & j’eus effectivement un très-grand nombre de giroflées doubles. Je crus alors très fermement à la bonté du secret ; mais deux ou trois ans après la même expérience répétée, toutes circonstances étant égales, mon semis ne donna pas plus de pieds à fleurs doubles qu’à l’ordinaire. L’embonpoint vient autant de l’excellente nourriture que de la manière d’être des saisons. On parviendra toujours à faire doubler les fleurs même de nos champs par une culture assidue & des soins multipliés. C’est ainsi qu’on est parvenu à avoir des roquetes, des erysimum, la paquerette, le pied d’alouette, l’adonis ou goutte de sang &c., à fleurs doubles.

Mais il reste à résoudre un problème dont je ne trouve pas la solution. Pourquoi sur vingt graines, par exemple, renfermées dans une silique de giroflée simple ? lorsqu’on les sèmera, les unes produiront-elles des pieds à fleurs doubles, les autres à fleurs simples ?

Je vais hasarder une opinion que je présente simplement comme telle & rien de plus. On voit, en examinant une giroflée simple, que les premières fleurs du bas de l’épi sont toujours plus larges & mieux nourries que celles du haut de l’épi qui y naissent successivement. On voit également que les siliques des premières sont plus fortes, plus larges, plus longues, &c. Ces fleurs, ces siliques ont donc plus d’embonpoint que les suivantes, elles ont absorbe plus de sève, ou bien la plante est plus épuisée lorsque les dernières fleurissent & germent ; le fait est certain. Il en est ainsi des premiers rameaux, toujours plus forts & à plus belles & plus larges fleurs que les rameaux secondaires, ou du sommet de la tige. D’après cela, seroit-ce s’écarter des loix de la nature, si, après la fleuraison, on retranchoit les trois quarts de la longueur de l’épi, afin de ne lui laisser que quatre à six siliques à nourrir ? Ne pourroit-on pas encore supprimer tous les rameaux supérieurs & ne conserver que ceux du bas, afin de forcer la sève à se porter en plus grande abondance vers les siliques restantes ? Ne seroit-ce pas imiter l’amateur des fruits, qui en supprime un grand nombre dans la vue d’augmenter la grosseur de ceux qu’il laisse ? La comparaison me paroît exacte. Il faut de l’embonpoint, je crois que c’est-là tout le mystère, & je pense en avoir la preuve sous les yeux dans un abricotier planté dans une exposition très-méridionale & qui n’a pas la facilité d’étendre ses branches autant qu’il conviendroit. La plate-bande qui règne le long de cet arbre est destinée au semis des fleurs de parterre & par conséquent bien fumée, bien travaillée, sarclée & arrosée avec soin. Il résulte de toutes ces circonstances, que j’ai sur le même arbre des fleurs simples, des fleurs semi-doubles, des fleurs doubles & des abricots du plus gros volume. Reprenons la suite de l’opération dont la comparaison de l’abricotier nous a écarté.

Si les fleurs & les siliques des rameaux & de la partie inférieure de l’épi sont plus nourries, ne doit-il pas en être ainsi dans l’ordre des graines renfermées dans la silique, au moins quant à leur tendance à produire des fleurs doubles ? Les graines de la base de la silique sont moins larges, moins renflées que les secondes, les troisièmes &c. ; malgré cela sont-elles moins bien & moins richement nourries, quoique la forme de la silique se soit opposée à leur extension & à leur dilatation ? Comme ces graines sont les premières mûres, puisque la silique, par son dessèchement, s’ouvre par en bas ; ne peut-on pas conclure que ce sont les graines les plus parfaites ?

Il faut bien qu’il y ait un motif déterminant quelconque, puisque des graines cueillies sur le même pied donnent des fleurs doubles & des fleurs simples, & que les espèces jardinières (voyez ce mot) dégénèrent & redeviennent simples & semblables à celles des champs, lorsque par dégradation elles cessent d’avoir une bonne nourriture & des soins multipliés. Je crois que les graines inférieures de la silique sont les meilleures & que ce sont elles qui fournissent les fleurs doubles. Si j’avois le temps de m’occuper de ces détails, je tâcherois de vérifier ma conjecture ; mais j’espère que quelques fleuristes zélés s’occuperont à la vérifier, & je les prie d’avoir la complaisance de me communiquer le résultat de leurs recherches & de leurs travaux.

Ce que j’ai dit est certainement contradictoire avec ce qu’on lit dans un Ouvrage, sans nom d’auteur, intitulé : Traité de la culture de différentes fleurs, publié en 1765, à Paris chez Saugrain, in-12. « Il ne faut pas croire, (dit l’auteur) que pour avoir de la bonne graine, il soit indifférent sur quel pied de giroflée simple notre choix tombe. Ceux qui sont drus, qui jettent de grandes branches & un beau feuillage ne sont pas ceux que l’on doit choisir pour obtenir une graine qui produise des giroflées doubles ; leur apparence est trompeuse, & il ne provient de ces pieds qu’une graine dont on n’obtient que des giroflées simples. Ceux, au contraire, qui, contre la nature des giroflées, ont une nature informe & des branches monstrueuses & crépues produisent une graine excellente. Cependant, il est une précaution à prendre pour être encore plus sûr d’obtenir la meilleure, il faut remarquer & choisir les fleurs & les gousses de ces mêmes pieds, lesquelles ont comme eux quelque chose d’informe, & sont courtes, recoquillées ou entièrement irrégulière. Dans une centaine de pieds, il y en a quelquefois à peine dix qui, suivant M. Grojan, soient propres à produire une bonne graine. Lorsqu’on choisit les grains les plus gros & les mieux formés, c’est le moyen de n’en obtenir jamais que des giroflées simples. »

» Plusieurs amateurs nous prouvent qu’une mauvaise sorte de giroflée, dont la graine n’a produit jusqu’ici que des pieds à fleurs simples, peut être améliorée, lorsque pendant plusieurs années on a soin de choisir la graine provenant des fleurs chétives & irrégulières, & formées dans des gousses monstrueuses & recoquillées. Il est aisé de marquer les fleurs, dont on espère une bonne graine, avec un peu de fil, de soie, &c. On peut, par ce moyen, recueillir du même pied de la bonne & de la mauvaise graine, &c. »

Je n’entrerai dans aucune discussion sur les conseils publiés dans cet Ouvrage ; ils me paroissent singuliers ; cependant, je ne veux pas nier leur résultat, puisque je n’en ai jamais fait l’expérience : mais je puis assurer, avec vérité, à l’auteur que j’ai toujours & en très-grand nombre de très-beaux girofliers à fleurs doubles, en semant des graines choisies sur les siliques & sur les pieds les mieux nourris ; que de la graine de girofliers jaunes venus sur les rochers, ne m’ont jamais donné de fleurs doubles à la première fleuraison ; qu’au second semis de ces graines j’ai eu seulement quelques pieds à fleurs doubles & assez petites, & que leur nombre a augmenté ainsi que leur quantité aux semis suivans, toujours en choisissant les plus belles graines. La diversité des lieux seroit-elle la cause des résultats si différens ? j’ai peine à le croire. Au surplus, je prie de nouveau les fleuristes, jaloux d’étendre les connoissances dans un art si agréable, de répéter & de comparer les expériences.

Plusieurs fleuristes pensent qu’on doit, chaque année, ou au moins tous les deux ans, changer les graines & les tirer d’un pays un peu éloigné. Cette opinion mérite certaine confiance, sur-tout si les pieds, dont on envoie la graine, ont déjà été cultivés avec soin. Le changement de climat influe beaucoup sur le perfectionnement des espèces ; consultez ce mot & celui froment ; mais si le terrain est inférieur au premier, la dégradation sera frappante. Règle générale, il vaut mieux faire voyager les graines du nord au midi que du midi au nord.

Vainement prétend-t-on obtenir des fleurs, en employant pour les semences, certaines préparations composées de jus de fumier mêlé à d’autres ingrédiens. (Voyez ce qui a été dit au mot Blé, lors de sa germination, au mot Chaulage & au mot Froment). C’est une charlatanerie pure & rien de plus, quoique bien des gens aient la simplicité d’y ajouter une entière confiance.

II. Du semis des Girofliers. Tous les girofliers ont une mère racine pivotante & quelques autres racines secondaires qui s’enfoncent en terre, enfin peu de racines fibreuses ou chevelues. La forme de ces racines indique la nécessité d’avoir un terrain profondément défoncé, même jusqu’à un pied & demi, afin que les racines ne trouvent aucun obstacle, & plus elles pivoteront & plus la plante prospérera, sur-tout si on sème à demeure, & c’est la meilleure manière. Cette assertion paroît un paradoxe ; mais j’y reviendrai tout à l’heure. Si au contraire on sème pour replanter, il est inutile que la terre soit si profondément défoncée, un pied suffit ; le grand point est que le sol soit formé par de bon terreau, bien consommé & mélangé avec moitié autant de bonne terre végétale ou franche, mais non pas argileuse.

J’ai dit qu’on pouvoit semer à demeure toute espèce de giroflier, & j’ajoute les quarantains, sur-tout après avoir préparé le terrain de la place qu’ils doivent occuper, ainsi qu’il a été dit. J’ai la preuve la plus complète que de cette manière, ils sont infiniment plus beaux. On sème une douzaine de graines sur l’étendue de douze pouces, & lorsque les plantes commencent à marquer, on arrache aussi-tôt tous les pieds simples & ensuite les pieds à fleurs doubles surnuméraires, & on n’en laisse qu’un ou deux doubles tout au plus. Toute transplantation, quelque bien qu’on la fasse, nuit toujours du plus au moins à la prospérité d’une plante ; c’est forcer la loi naturelle. En suivant cette méthode, les pieds fleurissent beaucoup plutôt.

On dit qu’un giroflier, soit quarantain, soit bienne, soit vivace, marque lorsqu’au centre du bouquet de feuilles, on voit un amas de petits boutons ; & pour peu que l’œil soit exercé à les examiner, il découvre aussitôt si les fleurs seront doubles ou simples. On ne voit cependant encore que le calice ou enveloppe des fleurs ; celui des fleurs simples est alongé & pointu, & celui des fleurs doubles est renflé dans le centre, & aplati ou arrondi au sommet. Si on n’est pas familiarisé avec cette manière de distinguer les objets, on peut détacher quelques-uns de ces premiers boutons, & les ouvrir avec la pointe d’une épingle. Les boutons de fleurs simples sont composés de huit parties ; savoir, des quatre divisions du calice, vertes en dehors, & blanches en dedans, & des quatre pétales qui doivent composer la fleur. Les boutons à fleurs doubles offriront, outre les quatre divisions du calice, une infinité de très-petites feuilles ou pétales d’un blanc verdâtre : dès que leur nombre excédera celui de quatre, on peut être assuré que la fleur sera double.

Quant aux girofliers vivaces, on peut également les semer en place, quoiqu’ils ne donnent des fleurs que l’année suivante ; ils en seront plus beaux, plus forts, plus vigoureux, & ils fleuriront beaucoup plutôt, sur-tout si l’hiver est doux, comme dans les provinces méridionales ; car ils y seront en pleine fleur dans les mois de février, de mars & d’avril, suivant les circonstances de la saison ; & au premier printemps, dans les provinces du nord.

Il n’est pas possible de fixer l’époque où l’on doit semer les girofliers ; elle dépend & de la saison, & de la chaleur du pays que l’on habite. On peut & on doit, en général, semer dès que l’on ne craint plus l’effet des gelées d’hiver : comme celles du printemps sont casuelles, rares, & qu’il est facile d’en garantir l’endroit des semis, elles ne peuvent faire exception à cette loi. Si, comme dans les environs de Paris, où les fumiers de litière sont très-abondans, on a la facilité de faire des couches, & de les couvrir avec des cloches, on peut hâter les semailles ; mais il n’en résulte d’autre avantage que de hâter la fleuraison des quarantains, & quelquefois celle des girofliers vivaces. Ceux-ci, pour l’ordinaire, fleurissent seulement à la seconde année, ainsi que les girofliers biennes.

Lorsque la terre destinée à recevoir la graine, a été bien défoncée, ameublie, &c., on unit sa superficie on sème très-clair, & ensuite, avec les dents d’un râteau, on la remue à plusieurs reprises, afin d’enterrer la graine : on peut tout aussi bien semer dans de petits sillons ; la superficie est unie de nouveau, & recouverte de fumier menu ou de débris de paille courte. Si la terre est sèche, on fera très-bien d’arroser tout de suite mais légèrement, afin qu’elle ne tasse pas. Avant d’employer l’eau, on aura soin de la tenir pendant quelques heures au soleil.

III. De la conduite des semis & de la transplantation. Arroser dans le besoin, sarcler souvent, éclaircir les endroits trop garnis, sont les soins que les jeunes plantes exigent. On doit laisser l’espace de quatre pouces entre chaque pied. Communément on n’y regarde pas de si près, sur-tout quand on sème dans des pots, dans des caisses, &c., & on a tort : la première éducation influe beaucoup sur la suite. Si on a semé sur couche & sous des cloches, il faut donner de l’air aux plantes pendant autant de temps qu’on ne craint pas la fraîcheur ou des nuits ou de l’atmosphère, & laisser la plante exposée à l’air libre aussitôt qu’il est possible. Si on se sert de paillassons, on doit les soulever pendant la journée, & laisser un libre cours aux rayons du soleil. Les girofliers craignent beaucoup la privation de la lumière & l’humidité.

Les quarantains demandent à être transplantés aussitôt qu’ils marquent, s’ils doivent être mis dans des pots, & dès qu’ils ont quelques feuilles, si c’est pour la pleine terre. Plus ils sont jeunes, plus la transplantation & la reprise sont faciles. Il est assez important d’arroser assez largement la veille du jour consacré à la transplantation, afin que la terre reste adhérente aux racines : le trop & le trop peu d’irrigation sont des défauts à éviter, & l’on fera très-bien de choisir un jour couvert & disposé à la pluie. Dans les provinces méridionales, où un tel choix est difficile, on transplantera au soleil couchant, on arrosera tout de suite, & le lendemain matin, au soleil levant, on couvrira la jeune plante avec une feuille de chou, de grande mauve, &c., afin de la garantir de la grande impression du soleil ; & le soleil couché, on enlèvera cette feuille, afin que la fraîcheur de la nuit & la rosée raniment le giroflier. On aura soin de continuer de la sorte pendant trois ou quatre jours.

Plus on laisse les girofliers vivaces ou biennes dans la pépinière, moins ils profitent : ils y sont toujours trop serrés, leurs feuilles se touchent, les tiges s’élancent & n’ont plus le corps qui leur est nécessaire. On ne se repent jamais de transplanter trop tôt, & on se répent toujours de transplanter trop tard. On ne peut pas connoître les pieds à fleurs doubles ou simples ; il convient de transplanter ou dans des pots, ou en pleine terre à tout hasard, sauf à déplanter ensuite ceux qui paroîtront donner des fleurs doubles.

La culture des provinces méridionales ne convient point à celles du nord, ni celle du nord à celles du midi. Tous les girofliers, en général, craignent peu la gelée, si la plante n’est pas humide. Pendant l’hiver, dans les provinces du midi, les feuilles tombent & s’inclinent contre terre ; de sorte que le pied est caché par elles ; mais, comme elles ne le touchent pas, l’humidité concentrée sous cette voûte cause la ruine de la plante, pour peu que la saison soit pluvieuse, & qu’il survienne des gelées. Si ces feuilles sont exhaussées, s’il règne un courant d’air, la plante brave la rigueur du froid. La prudence exige cependant que l’art vienne au secours de la nature : à cet effet, on prend des liens de paille de seigle dont on enveloppe le pied, en observant de relever par-dessus toutes les feuilles. S’il survient de la neige, des froids trop vifs ou de très-longues pluies, on fera très-bien de les couvrir avec de la paille menue, afin de détourner les eaux, & sur-tout afin de prévenir le passage subit du froid à la chaleur causée par le soleil.

Dans les provinces du nord, où les pluies sont fréquentes, l’humidité habituelle & les froids trop vifs, il est très-important de transporter des jardins dans des serres les girofliers, & principalement ceux qui commencent à marquer. Cette opération a lieu en octobre ou novembre, suivant la saison. On range chaque pied séparément dans une terre peu humide, & de rang en rang on peuple la serre. Il vaut beaucoup mieux les mettre dans des vases, parce qu’ils seront tous prêts pour le printemps suivant, & il est plus facile de les manier pendant l’hiver, de délivrer les rameaux des feuilles pourries, &c. La serre exige d’être bien éclairée & très-sèche. Les girofliers craignent très-peu la sécheresse dans cette saison ; ils ont beau avoir les feuilles flétries & pendantes, un peu d’eau les ranime au besoin, & dans cet état la gelée n’a presqu’aucune prise sur eux. Cependant, si le froid devient trop rigoureux, si l’on craint que la serre ne soit pas assez chaude, on fera très-bien de les porter dans des caves, où l’humidité de l’atmosphère qui y règne, suffira à leur entretien. Dès que le grand froid sera passé, on ouvrira les portes & les soupiraux de la cave, afin de les accoutumer peu à peu à l’air extérieur ; on reportera ensuite dans la serre, & insensiblement, dans la saison, on les fera passer à l’air libre. Si on les expose tout à coup au grand soleil, & à un soleil chaud, il est fort à craindre qu’ils ne périssent. On fera donc très-prudemment de choisir un jour couvert, ou de placer les vases sous des hangars à l’air libre. Enfin, quelques jours après, on les exposera au soleil, & on les arrosera s’ils en ont besoin. Ces ménagemens deviennent nécessaires, sur-tout lorsque le sommet des rameaux a blanchi par un séjour trop long dans l’obscurité, & ils demandent à n’être frappés du soleil que lorsqu’ils ont repris leur couleur verte.

IV. De la multiplication par bouture. Dès qu’on a obtenu par le semis un giroflier vivace à belle fleur double, d’une seule couleur ou panachée, &c. & qu’on désire en perpétuer & multiplier l’espèce, il faut de toute nécessité recourir à la bouture. On choisit à cet effet un petit rameau de l’année de la longueur de quelques pouces, qu’on dépouille de ses feuilles à un pouce près du sommet. À l’insertion de la feuille au rameau, on apperçoit une petite éminence, une espèce de console, de bourrelet ; c’est de ces points que s’élanceront les nouvelles racines. La circonstance exige que la terre du vase, de la caisse destinée à recevoir les boutures, soit douce, meuble & bien substantielle.

Il y a plusieurs manières de planter les boutures ; la première & la moins avantageuse consiste à enfoncer tout simplement dans la terre la partie du jeune rameau dépouillé de ses feuilles ; la seconde de recourber de cette manière la partie qui doit être enterrée, & l’enterrer dans cette position sans le casser ; la troisième diffère de la seconde en ce point seulement, c’est qu’avant de couder le rameau, on le tord un peu, on le coude ensuite, & on l’enterre sans qu’il se détorde. La torsion & le coude facilitent la sortie des racines. J’en ai eu plus d’une fois la preuve comparative sur les girofliers & les myrtes, &c.

Aussitôt que la caisse ou le vase est rempli de boutures, on arrose amplement afin que la terre se colle contre les sujets, & s’y unisse de toute part. Aussitôt après on les transporte dans un lieu où le soleil ne donne point, mais exposé au grand air, à l’air libre. Ensuite de temps à autre on arrose & on sarcle rigoureusement. Aussitôt que l’on est assuré de la sortie des racines, la caisse est reportée dans un lieu exposé au soleil du matin, mais à l’abri du soleil du midi & du soir, sur-tout dans les provinces méridionales ; enfin, avant ou après l’hiver, chaque bouture est retirée & mise séparément dans des pots. (Consultez le mot Bouture).