Cours d’agriculture (Rozier)/FRACTURE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 39-49).


FRACTURE, Médecine rurale. On entend par fracturé une solution de continuité dans une partie osseuse, tendineuse ou ligamenteuse. Nous ne parlerons point de celles qui intéressent les parties molles, mais seulement de celles qui surviennent aux parties dures, telles que les os.

Les fractures se divisent en simples, en composées & en compliquées.

La fracture simple est celle où il n’y a qu’un os cassé ; la composée est celle où il y a plusieurs portions du même os cassées en même temps, & on entend par fracture compliquée, celle qui est toujours accompagnée des plaies, de carie, d’ulcère, quelquefois même de gangrène ; ces accidens demandent alors un traitement particulier ; on divise encore les fractures en complètes & en incomplètes ; les fractures complètes sont celles où l’os est entièrement cassé, les incomplètes sont celles où il y a encore une portion d’os qui est intacte.

Les fractures peuvent être en travers, obliquement, longitudinalement. C’est aussi pour cette raison qu’on les a encore divisées en transversales, en obliques & en longitudinales.

Les fractures sont plus ou moins dangereuses, selon la nature de l’os fracturé, la situation, la longueur, la figure, la grosseur & le volume des portions fracturées, & selon les parties plus ou moins essentielles qui avoisinent la fracture.

Le premier effet des fractures est la lésion de toutes les fonctions qui dépendoient de l’intégrité de l’os. L’action des parties voisines qui peuvent être blessées ou comprimées par les fragmens de l’os fracturé, éprouvent un dérangement, un trouble notable. Il est aisé de voir que la variété des maux qui surviennent après une fracture, peut-être très-grande, & qu’elle dépend de l’os fracturé, de sa situation, &c.

Les autres effets sont la tumeur, la difformité de la partie fracturée, le tiraillement, l’irritation, la tension, l’inflammation, les douleurs les plus vives, l’impuissance de pouvoir exécuter de soi-même certains mouvemens, de marcher, si la lésion de continuité est à la jambe. La contraction des muscles, le racorniment du membre intéressé, le dérangement des muscles de leur place ordinaire, la mauvaise configuration.

On compte encore parmi les effets des fractures, la maigreur, la suppuration, la gangrène, la mort de la partie affectée, & presque toujours la contusion ; les signes qui font connoître les fractures, rentrent en partie dans les maux qui sont toujours les effets des fractures, tels que la douleur, l’impuissance du membre, sa mauvaise configuration, & le craquement des pièces fracturées.

Tous ces signes considérés en particulier, pourroient bien induire à erreur, parce qu’on les observe dans beaucoup d’autres maladies, que la mauvaise configuration d’un membre est souvent l’effet d’un vice de conformation, & qu’on ne doit pas ignorer qu’il existe des fractures sans aucune difformité sensible.

Le craquement des os n’est pas toujours un signe certain, on l’observe très-souvent dans des tumeurs emphysémateuses ; d’après cela il faut être très-circonspect, & très-clairvoyant pour distinguer quelquefois une fracture.

Les coups, les fortes chutes, les violens efforts sont les causes ordinaires des fractures : ces causes sont appelées externes ; mais il y en a d’autres qui agissent intérieurement, & qui exercent tout leur effet sur les os, telles que la vérole, le scorbut, qui dépravent la lymphe & le sang ; de cette dépravation naissent ces dispositions qui rendent les os très-cassans, comme les exostoses, la carie, en détruisant chez eux cette portion terreuse si nécessaire pour leur solidité : les fractures ne font pas toujours faciles à connoître ; pour y parvenir, il faut examiner l’endroit fracturé, & voir si le membre est plus court que celui qui n’est pas fracturé, & si le malade peut ou ne peut pas s’appuyer dessus.

Ensuite on touche le membre, & avec la main on examine s’il y a quelqu’inégalité, ou si l’os plie, & s’il craque quand on lui fait exécuter quelque mouvement. Il est des fractures où les parties fracturées se replacent souvent d’elles-mêmes, qui sont très-difficiles à connoître ; sur-tout celles qui se font transversalement : ce qui peut nous induire à nous les faire connoître, est la difficulté que le malade éprouve de remuer cette partie, sans y ressentir de vives douleurs. Mais le moyen le plus sûr pour la découvrir, est de faire tenir la partie affectée par quelqu’un qui la remuera doucement, tandis qu’un autre examinera s’il y a quelque vide ou quelque inégalité à l’os, & s’il y entend quelque bruit.

Il ne suffit pas d’avoir reconnu l’existence de la fracture, il faut en faire la réduction. Ce moyen est quelquefois impraticable, à raison des accidens qui surviennent tout à coup ; il faut alors commencer par les calmer, & les combattre par des remèdes appropriés.

L’inflammation survient souvent ; la tension des parties voisines en est toujours la suite ; il faut alors avoir recours aux saignées, aux applications émollientes sur la partie affectée, afin de pouvoir y apporter le relâchement convenable pour remettre dans leur contact immédiat, les os divisés.

On y parviendra très-difficilement, si la fracture tient à un vice ; il faut, avant tout, attaquer le vice, changer la disposition vicieuse des humeurs, pour pouvoir espérer d’en venir à bout. Ce sera toujours en vain qu’on emploiera les autres secours que la chirurgie met en usage en pareil cas.

Mais supposons que la fracture vienne de cause externe, & qu’on ait eu l’attention de diminuer tous les accidens qui sont survenus, il faut alors en venir à la réduction.

Il est peu de Chirurgiens habiles qui soient chargés de la faire, surtout dans les campagnes ; c’est toujours à quelqu’ignorant que le peuple s’adresse ; & il est pour l’ordinaire la dupe de ces guérisseurs qui sont toujours les fléaux de l’humanité souffrante. On ne doit jamais se confier à de pareils opérateurs, sur-tout quand on est à portée de quelque chirurgien habile & expérimenté. Il connoîtra l’espèce de fracture, & d’après cette connoissance, il appliquera l’appareil le plus convenable.

La nature, aidée par les secours de l’art, pourvoit à la réunion des os ; mais il faut lui donner le temps nécessaire à la perfection de son ouvrage, & ce temps varie selon la grosseur des os : les petits peuvent être réunis dans quinze ou trente jours ; mais pour les gros, il faut au moins quarante, cinquante jours, quelquefois deux mois révolus, pour compter sur la solidité du cal.

La guérison plus ou moins prompte des fractures, est toujours en raison de leur simplicité, de la bonne ou mauvaise constitution du malade.

Le régime de vie doit encore varier selon l’étendue de la fracture ; il doit être sévère, si l’os fracturé est considérable ; on ne doit point permettre au malade l’usage des alimens solides, sur-tout les premiers jours, pour empêcher la fièvre qui pourroit survenir, & même l’inflammation. On lui donnera des lavemens afin de lâcher le ventre, & dans la même vue, on lui permettra de manger quelques pruneaux, des pommes cuites, & autres fruits de pareille nature. Il faut encore saigner le malade après une fracture, sur-tout s’il est pléthorique, s’il y a des contusions, des ecchymoses & meurtrissures.

Quand la fracture est située sur la cuisse ou sur la jambe, il faut alors qu’il reste couché jusqu’à ce que les os se soient réunis ; il est vrai que cette situation est très-gênante, qu’elle énerve les forces, & qu’elle endommage quelquefois le malade ; mais il vaut mieux préférer ces accidens, quand on ne peut point les éviter, que de s’exposer à une nouvelle fracture, parce qu’il est à craindre que, par le moindre mouvement qu’il fera lui-même, ou celui qui lui soutiendra la jambe, l’action des muscles ne dérange les portions d’os de leur place. Il faut tenir le malade proprement, & empêcher que l’humidité ne puisse lui nuire.

La posture qui convient le plus au malade, est celle dans laquelle le membre est un peu plié ; c’est la position de tout animal quand il dort, & dans laquelle les muscles sont relâchés. C’est ainsi qu’on place le membre fracturé en couchant le malade un peu sur le côté, & en faisant le lit de manière à favoriser cette situation.

Les fractures les mieux soignées n’ont pas toujours d’heureux succès ; la réunion en est quelquefois impossible, tant par rapport à la nature du mal, au vice des humeurs, qu’à la négligence des malades, ou au défaut de connoissances ou des soins de ceux auxquels ils se confient. Il faut alors en venir à l’amputation. L’idée d’une telle opération effraie quelquefois le malade, le détermine à différer, & souvent il arrive qu’on a perdu un temps précieux, & que l’amputation devient inutile ; enfin, il ne reste plus de ressources au malade. Il résulte de cette triste vérité, que dans toutes les fractures, même les plus simples, on doit recourir aux gens de l’art, & non à ces prétendus rhabilleurs dont les villages sont peuplés. M. AME.


Fracture, Médecine vétérinaire. Nous entendons par ce mot une solution de continuité des os, & même des cartilages, faite par un corps extérieur contendant ; elle diffère de la plaie qui est faite par un instrument tranchant ou piquant, ainsi que de la luxation, qui n’est véritablement qu’une solution de continuité.

Les os peuvent-ils être fracturés en plusieurs sens ? Les os peuvent être fracturés dans tous les sens possibles.

Il est des fractures transversales, il en est d’obliques, il en est de longitudinales ; dans d’autres, l’os est entièrement écrasé.

Nous appelons fracture transversale celle par laquelle l’os a été divisé dans une direction perpendiculaire à sa longueur, & fracture oblique, celle dans laquelle la division s’écarte plus ou moins de cette direction.

Ces fractures sont sans déplacement, lorsque chaque portion divisée demeure dans une juste position ; avec déplacement imparfait, lorsqu’elles ne se répondent pas exactement ; avec déplacement total, quand elles glissent l’une à côté de l’autre : elles peuvent être encore transversales & obliques en même temps ; obliques dans une portion de leur étendue, & transversales dans l’autre.

Dans les fractures longitudinales, les os sont simplement fendus selon leur longueur ; elles ne sont proprement que des fissures, parce que les parties divisées de ces mêmes os, ne sont & ne peuvent être divisées en entier.

Enfin, nous comprenons dans les fractures où l’os a été écrasé, toutes celles ou il a été brisé & réduit en plusieurs éclats, & en un nombre plus ou moins considérable de fragmens.

Des causes de la fracture. Les coups, les chutes, les grands efforts, sont les causes des fractures.

Quelles sont les suites les plus considérables & les plus graves de la fracture ? En général, les suites les plus considérables & les plus graves de la fracture, se bornent à la destruction de la direction du mouvement musculaire, à la cessation de l’action des muscles attachés à l’os fracturé, au raccourcissement du membre, conséquemment à l’action spontanée de ces puissances, à sa défiguration, relative à leur dérangement ; à sa difformité provenante de la surabondance des sucs régénérans ; à la dilacération des tuniques qui revêtent extérieurement & intérieurement les os ; à la rupture des vaisseaux qui rampent dans leurs cavités & dans leurs cellules ; à l’irritation, au déchirement des membranes, des tendons & des nerfs ; à la compression, à l’anéantissement, à l’inflammation des tuyaux voisins de la solution de continuité ; enfin, à la contusion des parties molles qui se rencontrent entre la cause vulnérante & l’os.

Des symptômes univoques des fractures. Les preuves certaines de la fracture sont les vides, les inégalités résultans des pièces d’os déplacés, la crépitation ou le bruit occasionné par le frottement de ces mêmes pièces, lorsque la portion supérieure du membre, étant fixement maintenue, on en remue la portion inférieure ; & l’état du membre qui plie dans l’endroit cassé ; cette même portion inférieure qui est plus ou moins mobile & pendante ; la douleur, la difficulté du mouvement, & l’impossibilité de tout appui sur la partie lésée.

Quant aux preuves certaines de la réalité de la fissure, elles font très-difficiles à acquérir ; elles se bornent néanmoins aux tumeurs qui les accompagnent, & quelquefois à l’inflammation, à la suppuration & à la carie. (Voyez Carie)

Est-il possible de guérir les fractures dans les animaux ? M. de Soleysel proteste avoir vu un mulet & un cheval parfaitement guéris ; le premier, d’une fracture à la cuisse ; le second, d’une fracture compliquée au bras. En 1778, nous assistâmes, à S. Affrique en Rouergue, à la réduction de l’os du canon d’un mulet âgé de deux ans, fracturé par un coup de pierre, & qui fut guéri en quarante-cinq jours. Si néanmoins nous nous abandonnions aux impressions de la multitude, & sur-tout des gens de la campagne, nous déciderions que toute fracture est incurable dans l’animal ; en effet, on a imaginé que les os étoient dépourvus de moelle, & de ce fait, qui est absolument faux, parce qu’on n’a pas daigné le vérifier comme nous, on a conclu que dès qu’un os étoit fracturé, toute réunion étoit impossible. En supposant même que la nature eût négligé, relativement au cheval & à tous les autres animaux, de prendre toutes les précautions pour corriger, par le moyen de la moelle, la rigidité des os, il s’ensuivroit seulement que ces parties seroient plus sèches & plus cassantes, & l’on ne pourroit tirer d’autres conséquences de leur fragilité, que le danger toujours prochain des fractures.

Si les fractures sont curables, on ne doit point le rapporter, ni à la matière huileuse & subtile dont les vésicules osseuses sont remplies, ni à la masse moelleuse contenue dans les grandes cavités des os, mais seulement aux vaisseaux innombrables qui traversent le périoste ; il en est qui pénètrent dans leurs cellules & dans leurs portions caverneuses ; il en est d’autres qui s’insinuent dans leur substance, & qui y portent des fluides & un suc lymphatique qui, coulant & circulant dans les tuyaux de leurs fibres, réparent toute dissipation. Cette lymphe, ou le suc nourricier qui parcourt les fibres, ne peut que s’épancher à leur ouverture, il s’y épaissit ; ainsi, dans la circonstance d’une fracture, il se congèle à l’embouchure de chaque conduit osseux, comme à l’orifice des canaux ouverts dans la circonstance d’une plaie dans les parties molles. Chaque molécule lymphatique fournit donc un passage à celle qui la suit ; elles s’arrangent de telle sorte, qu’en effectuant le prolongement des fibres, à l’endroit fracturé, elles en remplissent tous les vides, & soudent enfin très-solidement toutes les parties rompues, pourvu néanmoins qu’elles aient été réduites & rapprochées, &c régulièrement maintenues en cet état.

La supposition de l’absence totale de la moelle dans les os du cheval & des autres animaux, ne conduira donc plus à l’opinion, & au systême de l’incurabilité des fractures, puisqu’on vient de voir que les os reçoivent une autre nourriture.

Mais il faut avouer cependant, que toutes les fractures ne sont pas toutes également curables, relativement aux parties qu’elles occupent. La quantité des muscles dont, par exemple, l’humérus ou le bras proprement dit, & le fémur ou la cuisse proprement dite, sont couverts, la force des faisceaux musculeux qui tendroient toujours, si la fracture étoit oblique, à déplacer les pièces réduites ; l’impossibilité de les assujettir solidement par un bandage, ou la figure des membres en ces endroits ; tout nous détermine à croire que, dans le cas où il y auroit une fracture, même simple, à l’un ou à l’autre de ces os, les efforts de l’artiste vétérinaire seroient impuissans, & ses tentatives inutiles.

Nous ne voyons dans les os du corps du cheval, du bœuf, &c. que les côtes ; dans les extrémités antérieures, que les os du paturon, du canon & du cubitus, autrement dit l’avant-bras ; & dans les extrémités postérieures, que les deux premiers os dont nous venons de parler, & le tibia ou l’os qui forme la jambe proprement dite, dont la fracture puisse nous faire attendre quelque succès, encore ne pouvons nous véritablement nous en flatter dans ce dernier os, qu’autant qu’il n’aura point été fracturé dans le lieu de sa tubérosité, ou dans sa partie supérieure. Nous dirons plus : les pronostics de ces fractures ne sont pas tous avantageux ; un fragment d’os, par exemple, emporté par une balle, met l’artiste dans la nécessité d’abandonner à jamais l’animal ; il en est de même, lorsque les muscles, les vaisseaux, se trouvant entre les fragmens écartés de l’os, s’opposent au replacement, & lorsqu’un os est cassé en plusieurs endroits, parce qu’alors il demeure semé d’inégalités sans nombre, ce qui rend la cure toujours très-lente, pour ne pas dire incertaine. Elle est infiniment plus difficile quand il s’agit d’une fracture compliquée, d’une fracture avec déplacement total, d’une fracture oblique, d’une fracture ancienne, d’une fracture dans un vieux cheval, que lorsqu’il est question d’une fracture simple, sans déplacement, transversale, récente, & faite à l’os d’un jeune cheval ou d’un poulain, dans lequel le calus (voyez Calus) se trouve solidement formé au bout de vingt ou vingt-cinq jours, dans la fracture des côtes ; le canon reprend après quarante jours écoulés, tandis qu’il en faut cinquante, & quelquefois soixante pour le cubitus, ou l’avant bras proprement dit.

Des véritables moyens pour réduire les fractures. Ces moyens consistent à mettre l’os dans sa position naturelle, & à le maintenir fermement dans cet état.

La réduction s’en fait par l’extension, la contre-extension & la conformation, & cette réduction est fermement maintenue par le secours de l’appareil, & par la situation dans laquelle on place l’animal.

Nous appelons extension l’action par laquelle l’artiste tire à lui la partie malade ; contre-extension, l’effort par lequel cette même partie est tirée du côté du tronc, ou fixée de ce même côté d’une manière stable, & nous nommons conformation, l’opération qui tend à ajuster, avec les mains, les extrémités rompues de l’os, selon la forme & l’arrangement qu’elles doivent avoir.

L’extension & la contre-extension sont indispensables pour ramener la partie dans son étendue, & les extrémités fracturées au point d’être mises dans une juste opposition, & rapprochées l’une de l’autre. Il y a donc a observer, 1°. qu’elles sont inutiles dans les fractures sans déplacement ; 2°. que dans les circonstances ou l’on est obligé d’y recourir, les forces qui tirent doivent être à raison de celles des muscles & de la séparation ou de l’éloignement des pièces ; 3°. que les mêmes forces doivent être appliquées précisément à chacun des bouts de l’os rompu ; 4°. qu’il importe qu’elles soient égales ; 5°. que l’extension ne doit être faite que peu à peu, & insensiblement & par degrés ; &c.

Quant à la conformation, on doit bien comprendre quel doit être le travail de la main de l’artiste, qui doit éviter de presser les chairs contre les pointes des os, & de donner ainsi lieu à des divisions &t à des divisions toujours dangereuses.

Nous remarquerons encore qu’il ne s’agit pas dans toutes les fractures de tenter d’abord la réduction ; une tumeur, une inflammation violente, prescrivent à l’artiste la loi de ne point passer sur le champ à l’extension & à la contre-extension, sans, au préalable, calmer tous ces accidens par des saignées, des lavemens & des fomentations légèrement résolutives. Une hémorragie, par exemple, indique l’obligation de l’artiste à s’occuper dans le moment du soin de l’arrêter ; des esquilles qui s’opposent à tout replacement, & qui ne peuvent que nuire à la cure, exigent qu’il commence premièrement à les enlever Une luxation jointe à la fracture, demande qu’il n’ait dans l’instant égard qu’à la nécessité évidente de la réduire, &c. (Voyez Luxation)

De l’appareil. Manière de rappliquer. Les bandes, les compresses, les attelles, les plumaceaux, &c. composent ce que nous appelons l’appareil.

Les bandes sont des rubans de fil plus ou moins larges, & qui doivent avoir plus ou moins de longueur, selon la figure du membre fracturé. Les circonvolutions de ce ruban autour de la partie, forment ce que nous appelons bandages. Dans la chirurgie vétérinaire, on a l’avantage de ne mettre en usage que celui que l’on nomme continu, c’est-à-dire celui qui est fait des longues bandes roulées, & qui est le plus souvent capable de contenir l’os réduit. Dans les fractures compliquées on peut se dispenser de recourir au bandage à dix-neuf chefs, puisqu’il est possible de dérouler les bandes, & les replacer sur le membre, sans rien changer à sa situation, & sans lui causer le moindre dérangement ; au surplus, l’artiste doit se souvenir qu’un bandage trop serré peut gêner la circulation, & produire un gonflement, une inflammation ; tandis qu’un bandage trop lâche favorise la désunion des fragmens replacés, ce qui doit l’engager à être scrupuleusement en garde contre l’un ou l’autre de ces inconvéniens.

Les compresses sont des morceaux de linge pliés en deux ou en plusieurs doubles, on en couvre les parties fracturées, on les tient plus épaisses dans les endroits vides ou ceux qu’elles doivent remplir.

Les attelles ne font autre chose que des espèces de petites planches faites d’un bois mince & pliant, mais cependant d’une certaine force & d’une certaine consistance, avec lesquelles on éclisse le membre cassé ; elles doivent donc être adaptées & assorties à sa force & à sa grosseur.

À l’égard de la manière dont on doit situer l’animal ensuite de l’application de l’appareil, M. de Garsault, dans son Parfait Maréchal, propose à cet effet de renverser le cheval. Il nous semble que l’animal ne pouvant pas rester toujours couché, & étant nécessairement astreint à faire usage de ses quatre membres, se blesseroit inévitablement en tentant de les effectuer, & ne pourroit que détruire par ces mouvemens tout ce que l’artiste auroit fait. C’est ce qui arriva en 1771 à l’École vétérinaire de Lyon, dans un cheval arabe, dont l’os du canon de la jambe du montoìr de devant avoit été cassé dans une chute qu’il fît à l’entrée du faubourg de la Guillotière, & dans lequel on voulut suivre la méthode de M. de Garsault. Le mulet dont nous avons parlé ci-dessus, & dont nous fûmes témoins de la réduction de la fracture, fut tenu simplement, & à l’ordinaire, dans une écurie ; on lui avoit passé seulement une large sangle sous le ventre, assujettie au plancher par deux anneaux. Nous ne conseillerons ni l’une, ni l’autre de ces méthodes ; nous sommes plutôt d’avis de mettre l’animal dans un travail ordinaire.

Si l’on est à portée d’en avoir ou bien d’en construire un à-peu-près, avec des planches & des sangles qu’on passera sous le ventre de l’animal, & qu’on assujettira à des poutres par des anneaux, l’animal ainsi placé, & légèrement suspendu, l’artiste procédera à la réduction de la fracture, supposé qu’elle soit au canon ou au tibia, &c. de la manière ci-dessus indiquée. La réduction faite, il mettra sur l’endroit fracturé le plumaceau qu’il a préparé après l’avoir imbibé d’eau-de-vie ; il trempera la compresse dans du vin chaud, il en couvrira circulairement le lieu de la fracture, ensuite il prendra le globe de la bande, qui sera imbue de vin ; sa main droite en étant saisie, il en déroulera environ un demi-pied, il commencera le bandage par trois circulaires médiocrement serrés sur le même lieu ; de là il descendra jusqu’à l’endroit par lequel il a débuté, il y pratiquera encore le même nombre de circulaires, & gagnera enfin la partie supérieure de l’os fracturé où la bande se trouvera entièrement employée : ce n’est pas tout encore ; il se munira d’une seconde bande qu’il trempera dans du vin chaud, ainsi qu’il y a trempé la première, il l’arrêtera par deux circulaires à la portion supérieure où le trajet de cette première bande s’est terminé ; après quoi il posera deux ou trois attelles qu’un aide assujettira, tandis que l’artiste les fixera par un premier tour de bande ; il les couvrira en descendant par des doloires, jusqu’au boulet, supposé que la fracture ait lieu au canon, ou bien jusqu’au dessous du jarret, si elle se trouve au tibia ou à l’os de la jambe proprement dite : cette opération finie, on laissera le cheval légèrement suspendu jusqu’à l’entière formation du calus ; (voyez Calus) on le saignera deux heures après, & on le tiendra à une diète humectant & rafraîchissante. Dans les commencemens on arrosera l’endroit fracturé, de temps en temps, avec du vin chaud, & si l’on apperçoit un gonflement inférieur à l’appareil, & que ce gonflement ne soit pas tel qu’il puisse faire présumer que le bandage est trop serré, l’artiste se contentera d’y appliquer des compresses trempées dans du vin, dans lequel on aura fait bouillir des plantes aromatiques, telles que la sauge, l’absente, la lavande, le romarin, &c. ; il ne seroit pas hors de propos de réitérer la saignée le second jour de l’opération, & de lever l’appareil le 8 ou le 9, à l’effet de s’assurer de l’état de la plaie, qu’on sera peut-être obligé de panser d’abord tous les trois jours, & ensuite à des distances plus éloignées. Lorsque l’artiste verra que la plaie est dans la voie de se cicatriser, & les pièces d’os de se réunir, il pourra interrompre tout pansement pendant un espace de temps assez long, la nature seule pouvant achever la cure, étant sur-tout secondée d’un traitement méthodique accompagné d’un régime constant. L’articulation est quelquefois si fort gênée, relativement à la longue inaction & à l’épaississement de la synovie, que l’on est dans le cas de redouter une enchylose ; (voyez Enchylose) mais un exercice modéré, des frictions fréquentes avec le vin aromatique, suffisent pour rendre à cette partie sa liberté, son action & son jeu.

Si nous supposons à présent une fracture à une des côtes d’un bœuf avec déplacement, (& non une de ces fractures que les bouviers savent agglutiner par un emplâtre, sans le secours du maréchal) mais une fracture interne, c’est-à-dire, dont le bout de l’os cassé se porte du côté de la poitrine, ou qu’elle soit en dehors, c’est-à-dire, qu’il incline du côté des muscles extérieurs ; dans le premier cas, on la reconnoît à l’enfoncement, à la toux, à la fièvre, à une inflammation, à une difficulté de respirer plus ou moins grande, selon que les parties aiguës de l’os fracturé piqueront plus ou moins violemment la plèvre, tandis que dans le second on en est assuré par l’élévation de la pièce rompue, par une difficulté de respirer beaucoup moindre, & par la crépitation.

On doit bien comprendre qu’ici la réduction n’est point aussi compliquée ni aussi embarrassante ; qu’il n’est pas nécessaire d’assujettir l’animal long temps dans un travail, & de l’y tenir légèrement suspendu jusqu’à l’entière formation du calus. Pour opérer donc, relativement à la fracture en dedans, un aide serre les naseaux du cheval ou du bœuf, tandis que l’artiste ou le maréchal presse fortement avec les mains l’extrémité supérieure & inférieure de la côte, jusqu’à ce que les pièces enfoncées soient revenues dans leur situation ; si cependant les fragmens qui percent la plèvre donnent lieu aux symptômes funestes dont nous avons déjà parlé, il faut se hâter de faire une incision à la peau, à l’effet de tirer les fragmens de l’os avec les doigts, avec des pinces, ou avec une aiguille, ou d’autres instrumens convenables ; on doit appliquer ensuite des compresses, l’une qui sera imbue d’un vin aromatique sur toute l’étendue de la côte ; les deux autres, qui auront beaucoup plus d’épaisseur, seront mises sur celle-ci à chacune des extrémités sur lesquelles le maréchal aura fait compression, le tout devant être maintenu par un bon & solide surfaix. Quant à la fracture en dehors, le replacement est plus aisé ; il s’agit seulement de pousser les bouts déjetés de l’os, jusqu’au niveau des autres côtes, après quoi on place une première compresse, ainsi que nous l’avons dit, & on garnit l’endroit fracturé d’un morceau de carton que l’on assujettit de même par un surfaix qui fait, comme dans le premier cas, l’office d’un bandage circulaire. Le nombre des saignées doit, au reste, être proportionné aux besoins & aux circonstances ; les lavemens, la diète, an un mot, tout ce qui est capable de calmer les mouvemens du sang, doivent être employés.

La fracture de l’os de la couronne du cheval, annoncée par la difficulté d’appuyer le pied, & par le changement de figure, doit être rangée au nombre des espèces des fractures incurables.

La fracture de l’os du pied n’est pas aisée à reconnoître ; cependant, dit M. la Fosse, lorsque le cheval sent une douleur à la couronne, & qu’il y a un gonflement, on peut croire que l’os du pied est fracturé. Cet os se caste ordinairement en deux parties. »

Cette espèce de fracture est très curable : l’os du pied étant renfermé dans le sabot, & n’ayant qu’un léger mouvement sur la sole charnue, & étant d’ailleurs enchâssé entre la chair cannelée & la sole charnue, il ne faut pas être surpris que les deux parties fracturées de cet os se réunissent & se soudent ensemble. Nous proposons, d’après M. la Fosse, de dessoler le cheval, de le panser de même que nous l’avons indiqué pour la dessolure, (voyez Dessolure) & de le laisser en repos pendant six semaines dans l’écurie, où il sera mis à l’eau blanche, au son & à la paille pour toute nourriture, après avoir été néanmoins saigné à la veine jugulaire.

Eu égard à la fracture de la jambe du mouton, il est inutile de prendre toutes les précautions que nous avons proposées pour le bœuf & le cheval. Il suffit de renverser l’animal pour réduire les parties fracturées, d’appliquer sur les parties latérales, de la fracture, des morceaux de bois de la longueur & de la largeur de l’os, de l’épaisseur d’une ligne, de garnir l’intervalle de ces éclisses avec des étoupes trempées dans de l’eau-de-vie ; de maintenir le tout avec une bande circulaire ; d’arroser, toutes les douze heures, la partie affectée avec du vin tiède ; de ne relâcher la bande circulaire que lorsque inflammation paroît être considérable, & que la partie située au-dessus du bandage, est extrêmement tuméfiée ; de ne donner que peu de nourriture à l’animal les huit premiers jours ; de le saigner à la veine maxillaire, s’il a beaucoup souffert, & si la jambe est menacée de vive inflammation ; de ne défaire le bandage qu’au bout de vingt à vingt-cinq jours, si le mouton est jeune, & environ six semaines, s’il est vieux ; de réduire les esquilles, si la fracture est composée ; d’enlever celles que l’on ne peut réduire lorsqu’elle est compliquée ; d’assujettir fortement toutes les pièces de l’os séparées ; de maintenir les éclisses supérieurement & inférieurement avec deux bandes circulaires, de façon qu’il reste un intervalle assez considérable pour panser la plaie ou l’ulcère sans déranger les éclisses ; enfin, de laisser l’animal tranquille dans une écurie propre & bien aérée. Il en est de même quant à la fracture de la jambe du chien. M. T.