Cours d’agriculture (Rozier)/FLUXION PÉRIODIQUE


FLUXION PÉRIODIQUE, (Maladie des yeux dans les chevaux.)

De toutes les maladies qui affectent les yeux des chevaux, il n’en est pas de plus commune et en même temps de plus redoutable, que celle que nous désignons sous le nom de fluxion périodique. Cette maladie est connue plus particulièrement sous celui de fluxion lunatique ; elle a été ainsi nommée, parce qu’on s’étoit imaginé qu’elle dépendoit des phases de la lune ; on a cru aussi qu’elle s’effectuoit toujours lorsque la lune étoit dans son plein, et qu’elle se dissipoit lors de son déclin : de là, le cheval qui en est atteint a été appelé cheval lunatique.

Nous nommons cette maladie périodique, parce qu’elle se montre, se dissipe et reparoit à différentes époques ou périodes, plus ou moins rapprochées, ou plus ou moins éloigné les unes des autres.


CHAPITRE PREMIER.

Symptômes. Il n’est pas toujours très-facile de distinguer la fluxion périodique, des fluxions aux yeux ou des ophtalmies accidentelles et momentanées, qui peuvent les affecter, sur-tout lorsqu’elle se montre pour la première fois.

§ I. Premier temps. Symptômes communs à l’ophthalmie et à la fluxion périodique. L’œil irrité, la conjonctive enflammée, les paupières épaissies, sont des symptômes communs à l’une et à l’autre de ces fluxions ; en sorte que la certitude du jugement à porter sur l’existence de cette maladie, exige très souvent qu’on attende à la seconde période. Cependant, si l’on fait bien attention à la filiation des symptômes qui accompagnent la fluxion périodique, et qu’on les compare avec ceux des autres fluxions, on verra qu’il y a une différence assez frappante.

La fluxion périodique se montre subitement ou peu à peu. Dans le premier cas, toutes les parties environnantes du globe et le globe lui-même, sont enflammés ; la salière est remplie et forme souvent une exubérance au dessus du bord des parois osseuses de cette cavité ; les vaisseaux de la joue, du larmier, du chanfrein, des paupières, sont très-pleins et très gorgés ; la peau qui recouvre toutes ces parties est très-chaude et même douloureuse ; les tarses sont enflés, et leurs glandes, sébacées, ainsi que les canaux hygrophthalmiques, fournissent une très-grande quantité d’humeur qui s’épaissit entre les paupières, entre le globe et ces mêmes paupières, et qui coule avec plus ou moins d’abondance le long du chanfrein ; la conjonctive est d’un rouge noir, épaissie et distendue au point de former quantité de plis, de rides qui sortent entre les bords des paupières ; la partie de cette membrane qui tapisse l’intérieur de la paupière supérieure est plus susceptible de sortir ainsi ; mais la paupière inférieure se renverse plus souvent ; la caroncule lacrymale, la membrane clignotante et le corps glanduleux qui lui sert de base sont plus ou moins gorgés et tuméfiés. Si on ouvre et qu’on écarte toutes ces parties qui défendent et entourent le globe, on voit que la cornée lucide est blanchâtre ; que l’humeur aqueuse est épaisse et diversement colorée ; que l’iris est très-resserré et qu’il est impossible de distinguer le cristallin. Toutes ces parties sont extrêmement sensibles ; l’animal s’oppose à ce qu’on les touche, et il redoute même jusqu’à l’impression des rayons lumineux.

Le pouls répondant à l’œil malade, est plein et dur ; ces symptômes sont presque toujours accompagnés du dégoût et de la tristesse de l’animal.

Ces phénomènes qui se montrent par gradation, se suivent quelquefois rapidement et tout à coup. Cependant, il y a toujours une succession qui souvent est facile à remarquer. Dans cette succession plus lente des symptômes, la conjonctive est la première qui s’enflamme ; les vaisseaux fins et déliés qui rampent dans son épaisseur, et qui, dans l’état naturel, ne contiennent qu’un fluide transparent, sont pleins de sang ; ils sont plus gros, plus prononcés, très-sensibles et très-appercevables, sur-tout sur la partie de cette membrane qui recouvre la cornée opaque et la membrane clignotante ; la liqueur rouge que ces vaisseaux admettent, donne à l’œil, et sur-tout aux humeurs du globe, une teinte de rose clair, en sorte que toutes ces humeurs, encore transparentes, paroissent réfléchir des rayons de feu ; ce degré d’inflammation augmente d’intensité, toutes les parties extérieures du globe s’engorgent peu à peu, les larmes coulent abondamment, elles sortent en gouttes par la fosse nasale répondant à l’œil malade ; leur nitration devenant encore plus considérable, les points lacrymaux étant insuffisans pour leur fournir une issue, elles franchissent l’espèce de digue que leur offrent la caroncule lacrymale et la gouttière des tarses ; elles sortent de l’œil, et coulent le long du chanfrein ; la membrane clignotante augmentant de volume, s’étend sur la cornée lucide ; les paupières devenant plus épaisses, se rapprochent l’une de l’autre.

§. II. Deuxième temps. Trouble de l’humeur aqueuse. L’humeur aqueuse perd de sa transparence à mesure de l’augmentation de ces symptômes ; les larmes retenues sous les paupières s’épaississent au point d’acquérir la consistance d’une gelée qui, mêlée avec l’humeur que fournissent les glandes des tarses, agglutine les paupières, les colle et les fait adhérer, non seulement l’une à l’autre, mais encore à la partie antérieure du globe, et à la membrane clignotante. À cette époque, l’iris est resserré sur lui-même ; l’humeur aqueuse est extrêmement, trouble, les vaisseaux extérieurs très-gorgés et variqueux ; ceux qui se distribuent dans l’iris, dans le globe, la graisse et les muscles, ne le sont pas moins ; toutes ces parties occupent plus d’espace, que dans l’état naturel, puisque la cornée lucide se porte en avant, et que la salière est plus remplie qu’elle ne doit l’être. Ces symptômes, au surplus, sont toujours accompagnés de plus ou moins de fièvre ; de tristesse et d’inappétence.

Ces métamorphoses s’opèrent dans trois jours, et au plus tard en huit ; tandis que dans le premier cas elles s’effectuent dans six, huit, douze, et au plus tard dans vingt-quatre heures ; et l’on est surpris d’avoir vu, le soir, les yeux dans le meilleur état, et de les trouver le lendemain matin aussi cruellement affectés.

§. III. Troisième temps. Première précipitation de la matière opaque. Cette fluxion, soit qu’elle ait été formée tumultueusement, soit qu’elle ait été établie peu à peu, une fois parvenue à son plus haut degré d’intensité, se dissipe et se résout par gradation. ; les parties environnantes du globe sont les premières qui se détuméfient ; les paupières s’ouvrent à mesure ; la résolution, la détuméfaction s’opèrent ; les larmes reprennent leur cours ordinaire, l’humeur chassieuse est moins abondante ; mais l’œil ouvert, l’humeur aqueuse est encore trouble, et l’iris reste resserré jusqu’à ce que cette humeur ait repris toute sa transparence. La manière dont cette liqueur s’éclaircit est digne d’attention : elle s’effectue par précipitation et ensuite par absorption ; celle qui occupe la partie supérieure de la chambre antérieure, commence à être assez claire pour laisser voir le premier segment de l’iris ; cette transparence gagne de plus en plus d’étendue ; mais à mesure qu’elle fait des progrès de ce genre, la partie de l’humeur qui occupe le bas de la chambre antérieure est plus épaisse et plus trouble. Cet épaississement et cette opacité sont à leur plus haut degré, lorsque la transparence de l’humeur aqueuse permet de découvrir la prunelle, qui est encore néanmoins très-resserrée.

§. IV. Quatrième temps. Nouveau trouble de l’humeur aqueuse. À cette époque, il s’établit un second mouvement, la matière opaque commence par souiller de nouveau la totalité de l’humeur aqueuse.

§. V. Cinquième temps. Seconde précipitation de l’humeur opaque Ce n’est que lorsqu’elle est ainsi généralement répandue, qu’elle se dissipe. La partie opaque se précipite au bas de l’humeur aqueuse, puis elle est absorbée très promptement. Cette résorption paroît précédée d’une commotion fébrile dans l’œil même. À mesure que cette absorption s’opère, on voit renaître le mouvement de l’iris, la prunelle s’ouvre dans l’obscurité, et se resserre au grand jours ces deux mouvemens deviennent sensibles, d’autant plus que la résolution est plus complète.

La maladie parcourt toutes ses périodes en quatre ou cinq jours, et en général plus l’orgasme a été violent, plus l’œil est de temps à se rétablir.

§. VI. Effets des accès. L’humeur aqueuse ayant acquis toute sa transparence, et les mouvemens de l’iris jouissant de toute leur étendue, on voit que le cristallin est intact ; mais si les mouvemens sont altérés, la transparence du corps lenticulaire dont il s’agit le sera aussi, et l’altération de ce corps sera toujours en raison directe du défaut de mouvement de la pupille.

Les effets de cette fluxion sont d’altérer toujours, plus ou moins, l’œil ou les yeux qui ont été affectés. On observe que, lorsqu’elle s’effectue sur les deux yeux à la fois, elle a moins d’intensité et moins de durée que lorsqu’elle n’affecte qu’un œil. Il est, au surplus, très-rare qu’elle affecte les deux yeux en même temps ; il est plus ordinaire de la voir se renouveler sur celui où elle s’est montrée une fois, et de continuer ses ravages sur le même œil, jusqu’à son entière et absolue désorganisation.

§. VII. La fluxion se manifeste quelquefois tous les quinze jours, d’autres fois toutes les trois semaines, plus fréquemment tous les trente à quarante jours, plus rarement tous les deux ou trois mois. Ou lui a même observé des intermissions de six, huit, dix, onze mois, et même d’un an. Plus ces mêmes périodes sont éloignées les unes des autres, moins elles sont fâcheuses. La variété de ces intervalles, dans l’universalité des chevaux, s’observe encore dans les individus particuliers ; en sorte qu’il est bien rare qu’ils tiennent une marche constante et invariable. Au reste, plus les paroxysmes sont subits, plus ils ont d’intensité et de durée ; et les désordres qu’ils opèrent sur l’organe affecté, sont en raison directe de la vivacité de leur invasion, et du rapprochement de leur redoublement

Telle est la marche des fluxions périodiques qui affectent les yeux des chevaux, soit qu’on les abandonne à la nature, soit qu’on entreprenne d’en retarder les progrès.

Passons maintenant à la recherche des causes de cette maladie, qui sont assez difficiles à saisir.


CHAPITRE II.

Causes. Nous les distinguerons en causes prédisposantes et en causes occasionelles.

Causes prédisposantes. Nous mettons au nombre des causes prédisposantes le sevrage brusque, l’amaigrissement et l’engraissement alternatifs ; les pâturages humides, l’exercice prématuré ; les alimens secs donnés avant la possibilité d’une mastication assez forte.

§. I. Le sevrage brusque, L’amaigrissement et l’engraissement alternatifs. Dans la plus grande partie de nos pays d’élèves, le poulain n’est pas plutôt dans le cas d’être sevré qu’il est vendu. Il est séparé de sa mère subitement et de la manière la plus cruelle. Attaché loin d’elle, il fait les efforts les plus violens pour rompre ses liens ; ces efforts continuent jusqu’à ce qu’épuisé de fatigue, il reste sans forces et sans mouvement ; quelques uns périssent subitement, ou en peu de temps, des suites de cette violence faite à la nature.

Le nouveau propriétaire place ce poulain dans un pâturage maigre, où il dépérit sensiblement. Six à huit mois après, il est mis dans un bon fonds ; il s’y engraisse promptement, alors il est vendu de nouveau ; le nouvel acquéreur le laisse encore dépérir pour l’engraisser une seconde fois et le vendre de même. Le troisième propriétaire le fait travailler au delà de ses moyens, le nourrit très-peu, le fait encore maigrir, puis l’engraisse d’autant plus promptement et avec d’autant moins de dépenses, qu’il étoit plus maigre.

§ II. Les pâturages humides. Toutes les plantes des prairies basses, où l’humidité abonde, sont plus nourries et croissent plus promptement que celles qui composent les prairies des lieux élevés ; les parties constituantes de celles-ci, sont élaborées dans des proportions qui en font la perfection, tandis que les autres ne renferment, pour ainsi dire, que de l’eau. Leur embonpoint apparent ne tient point à un état parfait de santé, puisqu’elles ne fleurissent pas plus tôt ne les autres, qu’elles ont infiniment moins d’arôme, qu’elles sont moins savoureuses, et par conséquent moins appétissantes : aussi l’animal ne les mange-t-il que parce qu’il est pressé par la faim, tandis qu’il dévore celles qui croissent sur un terrain sec.

Les fourrages, ou le foin de ces prairies basses, de même que les plantes mangées en vert, gonflent les entrailles, les surchargent d’une quantité excessive d’alimens qui renferment, sous beaucoup de volume, une très-petite quantité de sucs nutritifs ; de là, la grosseur excessive du ventre de ces animaux, ainsi que le volume énorme de leur tête.

L’expérience prouve encore que, lorsque ces prairies basses abondent en trèfle, et surtout en luzerne sauvage, les yeux des chevaux en souffrent infiniment plus que lorsque ces plantes ne s’y trouvent qu’en très-petite quantité ; cette circonstance a été si bien sentie par certains cultivateurs, que plusieurs d’entr’eux ôtent, après le sevrage, les poulains de ces pâturages, soit en les vendant, soit en les conduisant dans des prairies plus élevées.

Le foin provenant de prairies que l’on a soin d’engraisser tous les ans ou tous les deux ans, fait aussi naître la fluxion, soit aux chevaux indigènes, soit aux chevaux exotiques de tout âge.

§. III. Le travail prématuré. Le travail que l’animal fait avant d’être formé, débilite les organes, s’oppose à leur développement, suspend et retarde les digestions, et dispose aux pléthores sanguines, qui établissent dans les vaisseaux les plus fins et les plus déliés des orgasmes et des stagnations, d’où naissent des engorgemens ; et comme les vaisseaux du globe sont ceux qui présentent le moins de résistance, c’est aussi sur eux que ces effets se font sentir le plus souvent et de la manière la plus forte.

§ IV. Les alimens secs donnés avant la possibilité d’une mastication assez forte. Les poulains et pouliches ne restent guères dans les pâturages que jusqu’à l’âge de trois ans ; à cette époque, ils sont mis à la nourriture sèche et au grain, tandis qu’ils devroient ne manger que de l’herbe ; ils sont transplantés dans une région étrangère, tandis que, jusqu’à leur parfait développement, ils devroient habiter le sol qui les a vus naître ; la nourriture sèche et dure qu’on leur donne, exige de la part des mâchoires, des efforts supérieurs à ceux de leur force ; aussi sont-ils insuffisans pour une bonne mastication. Les alimens parvenus dans l’estomac séjournent plus long-temps qu’ils ne le devroient faire dans ce viscère ont la débilité ne permet pas une digestion complète ; les efforts des mâchoires attirent sur la tête une affluence plus considérable de sang : ce fluide en dilate les vaisseaux au delà de leur ton naturel, et les parois fines et déliées des artères et des veines, que l’œil reçoit en grand nombre, sont subjuguées d’autant plus facilement, qu’elles sont entourées de beaucoup de graisse, et qu’elles sont en quelque sorte à l’abri de toute compression. La dilatation contre nature que ces canaux éprouvent les prédispose à recevoir et à admettre une plus grande quantité d’humeurs. La protrusion des dents est toujours accompagnée de l’afflux du sang dans les gencives, la membrane pituitaire, et généralement sur toutes les parties voisines ; les vaisseaux qui portent la nourriture et la vie dans le globe de l’œil admettent, aussi à cette époque, une plus grande abondance de fluide, en sorte que les yeux participent toujours plus ou moins de ces effets, ainsi que la bouche et le nez.

§. I. L’air vicié des écuries. Rien n’est plus funeste pour la santé des chevaux, en général, et pour leurs yeux en particulier, que l’excès de chaleur et l’air vicié des écuries ; ils épuisent les animaux par des excrétions forcées ; ils les maintiennent dans une sorte d’orgasme continuel ; cette cause maladive travaille sans cesse au détriment de l’économie ; ses impressions, sur les yeux des chevaux, sont d’autant plus marquées, qu’elle a plus d’intensité.

Les fumiers accumulés dans les écuries sont un foyer qui exhale continuellement des vapeurs qui irritent, agacent les yeux au point de faire couler une ample quantité de larmes.

Ces exhalaisons n’émanent pas toujours des couches plus ou moins épaisses de fumier qu’on laisse croupir et pourrir sous les chevaux : nous voyons un grand nombre d’écuries de cavalerie qui sont nettoyées régulièrement deux fois le jour ; mais toutes ou presque toutes celles que nous avons vues, étant pavées avec des pierres plus ou moins sphériques, fixées par le moyen du sable, présentent des interstices très-considérables, au travers desquels l’urine des animaux s’insinue et pénètre la terre, en sorte que l’urine, dont il ne se perd pas une goutte, se décompose, s’élève en vapeurs, et affecte d’autant plus fortement les yeux et l’odorat des hommes et des chevaux, que cette liqueur n’est point retenue comme dans le cas précédent, par la litière qu’elle imbibe alors, et qui manque totalement ici. Ces vapeurs, agissant sans cesse sur les yeux des chevaux, les irritent et y font affluer le sang et les humeurs, de manière que les fluxions dont il s’agit, sont d’autant plus fréquentes et d’autant plus multipliées, que les écuries sont plus mal pavées, qu’elles ont moins de paille, qu’elles sont plus basses, plus échauffées et moins aérées.

Ces vapeurs titillent et agacent la cornée lucide, la conjonctive et les paupières ; ce qui dispose l’œil ou les yeux à devenir le foyer de l’affection qui nous occupe.

Les pays où le foin est rare, on les prairies artificielles sont méconnues, ne sont pas exempts de cette maladie, sur-tout si on substitue à cet aliment, ainsi qu’il est d’usage, le fourrage qu’on appelle hivernage ; c’est-à-dire, les pois, les vesces, les féveroles, etc., par la raison que ces fourrages sont de très-difficile digestion, qu’ils exigent une longue et forte mastication ; qu’ils sont venteux, et donnent même très-souvent lieu à des indigestions mortelles.

Ces fourrages ne sont pas les seuls qui déterminent la fluxion périodique ; la paille de seigle, celle d’orge, ainsi que l’avoine mal récoltée, qui auroit fermenté dans les champs et dans les greniers, forment des alimens d’une très-difficile digestion et qui sont la source de cette maladie ; c’est ce qui a été observé dans plusieurs régimens de cavalerie, la fluxion s’étant montrée sur la presque totalité des chevaux, plusieurs mois après qu’ils avoient fait usage de ces alimens.


CHAPITRE III.

Altérations que ces causes produisent dans les animaux. Nous allons les développer sous plusieurs chefs. Nous considérerons principalement : 1°. les embarras des organes digestifs ; 2°. les gourmes imparfaites ; 3°. les coups de sang à la tête.

Embarras des organes digestifs. Les chevaux qui restent trop long-temps dans l’écurie, tels que ceux des troupes sur-tout, qui ne sortent que deux ou trois heures sur quarante-huit, éprouvent nécessairement des gonflemens et des engorgemens dans les entrailles, qu’un exercice doux et journalier dissiperoit. Les excrétions stercorales sont encore diminuées par une transpiration forcée et continuelle que la chaleur excessive des écuries occasionne ; et l’exercice qu’on exige de ces animaux, toutes les quarante-huit heures, étant violent et presque exécuté en masse, sur un terrain poudreux, il en résulte qu’il suspend plutôt qu’il n’excite l’action des organes digestifs ; de là une nouvelle cause de l’embarras du bas-ventre.

Gourmes imparfaites. Cette crise, quand elle est complète, exempte d’une infinité de maladies ; mais elle ne s’effectue bien ordinairement qu’à l’âge de trois ans et demi ou quatre ans. Le changement de nourriture et la transplantation des chevaux en hâte l’éruption, et l’évacuation en est le plus souvent supprimée par les pluies, l’air froid, et les intempéries que les animaux éprouvent pendant une route un peu considérable, par les saignées et plusieurs autres moyens barbares que l’on met en usage pour supprimer le flux, dans la crainte que les animaux ne dépérissent, soit que les conducteurs aient dessein de les vendre, soit qu’ils les emmènent pour remonter des régimens, des équipages, etc. La morve n’a le plus souvent pas d’autres causes, et on la voit presque toujours commencer, dans les régimens, par les chevaux de remonte, lorsque cette crise n’a pas lieu suivant le but de la nature.

Coups de sang à la tête. Les causes qui déterminent une affluence prompte et subite du sang à la tête, capable de subjuguer les vaisseaux du globe, sont en très-grand nombre ; nous ne rapporterons ici que celles qui nous ont paru donner le plus souvent lieu à la maladie qui nous occupe. Ces causes sont des impressions trop fortes des rayons du soleil sur le crâne et sur le front ; des saignées pratiquées dans l’intention de remédier à des indigestions ; l’omission de ces mêmes saignées, lors des pléthores sanguines produites par des chaleurs du printemps, et par les herbes nouvelles dont les animaux se nourrissent à cette époque, ainsi que par ces mêmes plantes qui repoussent à la fin du mois d’août, et qui ne sont pas moins dangereuses que les premières.


CHAPITRE IV.

Causes occasionnelles. Les causes occasionnelles, inhérentes au cheval, dépendent du développement des os de la tête. Cette partie est beaucoup plus long-temps à se former que dans les autres animaux.

Nous allons rapporter ici les observations de feu M. Flandrin.

Dentition laborieuse dans le cheval. «L a dentition dans le cheval est un acte de son organisation, qui dure autant que la vie, et qui produit des changemens très-grands et très-remarquables dans la partie où il s’exécute.

« Le poulain naît avec trois dents molaires à chaque côté de mâchoire. À partir de cette époque jusqu’à celle de cinq a six mois, il lui sort douze dents au devant de la bouche ; et jusqu’à celle de deux ans et demi, trois ans, il sort successivement trois molaires de chaque côté de mâchoire en arrière des premières avec lesquelles l’animal est né.

» À trois ans, trois ans et demi, las crochets commencent à sortir ; c’est aussi dès ce moment, et même dès deux ans et demi, que les dents avec lesquelles l’animal est né, ainsi que celles sorties jusqu’à ce moment (les pinces) commencent à se renouveler.

» Chacun sait que le remplacement de ces dernières s’opère successivement des pinces aux coins ; qu’il a lieu à un an d’intervalle entre chaque paire de dents : que, par conséquent, le cheval a toutes ses nouvelles dents incisives à cinq ans.

» Les trois premières molaires tombent et sont remplacées dans le même ordre ; elles devancent seulement de quelques mois celles auxquelles je les compare, en sorte qu’à quatre ans et demi, cinq ans, elles sont constamment toutes renouvelées. Ainsi les plus antérieures tombent les premières et avec les pinces, les suivantes avec les mitoyennes, et les troisièmes avec les coins.

» Par cet exposé, on voit que de deux ans et demi à cinq ans, il tombe vingt-quatre dents qui sont remplacées par vingt-quatre autres.

» Pendant cette période de deux ans et demi, les quatre crochets sortent et se développent en plus grande partie ; et les douze molaires postérieures achèvent de sortir au point nécessaire pour servir à la mastication.

» Ces opérations ne peuvent pas s’exécuter sans qu’il se fasse des changemens considérables dans les os qui logent et fixent ces parties.

» À la naissance du poulain, on ne voit aucune place de préparée pour recevoir les douze molaires postérieures. Cette place s’établit à mesure que les dents se forment ; ainsi les mâchoires croissent en longueur à mesure, et en proportion de cette formation, et en raison de la force que doivent avoir ces dents.

» Les dents dont il s’agit ne se renouvellent point ; elles sont très-longues, très-larges, très-épaisses ; elles exigent donc des os qui les reçoivent, une expansion très-étendue en tous sens.

» Les dents qui doivent remplacer celles qui tombent, se forment au delà de celles auxquelles elles succèdent. Avant d’agir sur celles-ci pour les chasser, et d’avoir l’avantage nécessaire pour le faire avec succès, il faut qu’elles aient acquis un volume considérable ; et, si elles n’ont pas besoin d’avoir pour cela toutes leurs dimensions en longueur, il faut du moins qu’elles les aient en largeur et en épaisseur ; il faut donc que les os qui les renferment se dilatent pour suffire à tous ces effets, et que les dents de lait et la partie formée de celles qui vont les remplacer, soient logées en même temps.

» Il se fait effectivement une expansion très-grande ; la mâchoire postérieure acquiert une largeur plus grande de l’avant à l’arrière. La mâchoire supérieure offre une protubérance remarquable dans l’épine zygomatique. Cette protubérance est produite par l’extrémité de la racine des dents, et telle est l’action vitale en cet endroit, que la table extérieure de l’os est quelquefois détruite. En mesurant l’espace qui est depuis cette élévation jusqu’à la table de la dent, on juge de la longueur qui résulte des deux dents placées à la suite l’une de l’autre, et cette longueur est de plus de trois pouces dans un cheval au dessous de cinq pieds.

» À cette dilatation étonnante des mâchoires succède leur réduction ; elle a lieu lorsque les dents de lait tombent étant poussées par celles qui les suivent, et à mesure que celles-ci sortent.

» Dans le cheval et les autres solipèdes, les molaires sont proportionnellement plus grosses que dans toutes les autres espèces d’animaux.

» Cela posé, l’usure de ces dents ayant lieu par l’effet du frottement qu’elles éprouvent lors de la mastication, il faut, pour qu’elles conservent toujours la même hauteur hors des mâchoires, qu’elles sortent successivement de ces mâchoires à mesure qu’elles s’usent, et c’est aussi ce qui a lieu ; d’où il résulte que, dans l’extrême vieillesse, toutes les dents, mais surtout les molaires, sont totalement usées. Il ne reste de ces dernières que le bout des racines doubles, triples, quadruples. Souvent aussi ces racines tombent, et la gencive fait alors très-imparfaitement la fonction de molaire.

« À mesure que les molaires sortent, la tubérosité de la mâchoire inférieure perd de son épaisseur. La supérieure perd la protubérance dont nous avons parlé ; mais elle ne diminue pas autant que la précédente, et l’une et l’autre ne perdent pas de leur étendue en proportion du vide qui se fait en elles par la sortie de la dent. Au surplus, les alvéoles disparaissent avec les dents, et il se forme de nouvelles parties qui les remplacent.

» Dans la mâchoire supérieure, les sinus sont ces parties ; ils ont peu d’étendue à l’époque de la naissance, et ils en acquièrent beaucoup pendant le développement du sujet : c’est ce dont on peut même juger pendant la vie, par l’espace qu’il y a d’une épine zygomatique à l’autre, dans la partie supérieure de cette épine. Cette largeur naît dans la partie de la mâchoire qui se développe avec les secondes molaires ; et, à mesure que ces molaires s’étendent, les parois des sinus dans lesquels elles sont logées s’écartent.

» L’espace des maxillaires, vers la partie inférieure des épines zygomatiques qui répond aux dents molaires avec lesquelles l’animal est né, ne se développe pas ainsi. Il n’y a aucune cavité dans les premiers temps de la vie, et pendant que les dents molaires qui doivent succéder à celles de naissance, croissent et se perfectionnent, il est seulement dilaté par ces secondes dents, et tout le volume où il parvient, et que nous avons indiqué, est l’effet de cette dilatation.

«Ces secondes dents, substituées aux molaires de lait, ayant acquis leur parfait accroissement, sortent, ainsi que nous l’avons dit, à mesure que leur table s’use. La protubérance qu’elles formoient supérieurement disparoit ; la table extérieure devient moins saillante en cet endroit. Le premier changement opéré, et la dent diminuant toujours de longueur, l’alvéole l’accompagne, et l’espace qu’occupoient l’une et l’autre, est remplacé par une cavité qui s’agrandit à mesure que cet espace diminue. De cette cavité résulte un sinus qui répond au cornet inférieur, sinus qui, dans les jeunes sujets, n’est que l’extrémité supérieure de ce cornet.

» Ce sinus est séparé du grand sinus par une cloison osseuse. Il est formé dans la portion du maxillaire qu’occupoient les trois molaires inférieures, et leurs alvéoles.

» En même temps que le sinus dont il s’agit se forme par la destruction des alvéoles, il prend encore de la largeur par l’écartement de la lame maxillaire qui en forme la paroi extérieure.

» Le sinus qui répond aux trois molaires supérieures acquiert aussi de l’étendue par le même moyen ; mais on apperçoit que cette étendue doit augmenter par la disparition des alvéoles qui les remplissoient. Ainsi il résulte de ces changemens non interrompus, que, dans la vieillesse, lorsqu’il n’existe plus que les racines des molaires, les sinus ont gagné en grandeur tout ce que ces dents et leurs alvéoles ont perdu ; enfin, ces racines détruites, une surface plane prend la place de la saillie qu’elles faisoient dans les sinus, et on ne soupçonneroit pas qu’il y ait eu des dents.

» L’espace occupé par les dents et les alvéoles de la mâchoire inférieure, est remplacé par un tissu osseux réticulaire, très-fort et très écarté.

» Il est bon d’observer que les sinus n’augmentent pas toujours en largeur, à mesure qu’ils croissent en hauteur : à sept ou huit ans, époque de la parfaite formation, ils ne s’étendent plus en hauteur ; on voit alors au contraire que les parties s’allongent, s’affoiblissent, que les formes se redressent ; ces derniers changemens sont lents, mais ils sont frappans dès qu’on observe des têtes de différens âges.

» Ce qui se passe dans les mâchoires du cheval, par l’effet de la dentition, s’observe aussi dans l’âne et dans le mulet. On voit même plus souvent dans le dernier de ces animaux, des molaires entièrement détruites, et la table de l’os et la gencive les remplacer.

» Dans le bœuf, le mouton, le cochon, le chien, le chat, les dents antérieures sont les seules qui se remplacent. Ces dents sont petites ; elles ne produisent que peu de changement dans les os qui les logent ; les molaires d’ailleurs sont peu volumineuses ; elles sortent de bonne heure, et dans le temps où toutes les parties sont flexibles, douées de ressort, où les fonctions dès-lors se font avec plus d’harmonie et d’ensemble.

» Dans les premiers de ces animaux, les changemens dans les os se font à l’extrémité supérieure et postérieure de la tête. Là, les cornes naissent et croissent sans cesse, et les sinus qui se forment en cet endroit se dilatent, s’allongent jusque dans l’occipital ; ils écartent du crâne ces défenses : aussi le développement osseux de l’extrémité antérieure de la tête est-il très-foible dans ces animaux : les premières dents molaires sont très-petites, et il ne se creuse pas de sinus au dessus.

» Dans le chien, le chat, le cochon, le développement qui coûte le plus, celui des crochets, se fait dans des parties osseuses, peu étendues, et dans lesquelles les changemens nécessaires pour l’opérer et le favoriser influent peu sur tous les os de la tête. »

Cette observation nous prouve que les os de la tête, et sur-tout ceux de la mâchoire supérieure, éprouvent des changemens très-propres à entretenir dans les vaisseaux de la membrane pituitaire en général, et dans ceux du globe en particulier, un genre de fièvre locale, une irritation qui peut être la source de la plus grande partie des maux qui affectent ou le nez ou les yeux du cheval.

En effet, la formation de certains sinus qui ne se trouvent que dans l’animal adulte, l’éruption de trente-six à quarante dents, la chute de ces dents, et leur remplacement, ne peuvent s’exécuter uniformément et sans accidens, qu’autant que les causes prédisposantes dont nous avons parlé, ne pourroient ni accélérer, ni retarder ce travail qui, dans une nature parfaite et non contrainte, s’opère le plus souvent successivement, sans secousses et sans efforts dangereux. L’uniformité de ces mouvemens dépend d’une santé robuste, et celle-ci d’un régime absolument analogue à la nature du cheval. Aussi voyons-nous que les chevaux les plus forts dans leur construction sont non seulement les plus beaux, mais encore les plus vigoureux et les plus dociles. Mais cet état de perfection ne se rencontre que dans les chevaux nés dans un climat favorable à leur développement, et où l’art et la nature concourent ensemble pour la perfection de cet animal précieux. Tels sont les effets de ces dispositions ; elles exemptent, en grande partie, ces animaux des maladies qui les affectent en France. La fluxion périodique, ainsi que la plupart des flux qui affectent la membrane du nez, dépendent de la manière dont nous élevons et soignons les chevaux ; tandis que ces maux sont, pour ainsi dire, inconnus ans l’Arabie et en Espagne.

Considérations générales sur ces causes. Toutes les causes les plus fréquentes de la fluxion périodique n’ont pas besoin d’agir ensemble et à la fois ; il suffit le plus souvent que l’une d’elles subsiste pour la faire naître, leurs effets étant absolument subordonnés à la disposition du sujet : il en résulte que, dans un individu mal disposé, une légère cause peut acquérir une intensité capable non seulement de faire naître la fluxion dont il s’agit, mais encore de détruire l’œil dans un seul paroxysme.

Enfin, quoique la fluxion périodique affecte plus les jeunes chevaux que les vieux, cependant les poulains à la mamelle en sont exempts. Les chevaux chez lesquels les crochets sont entièrement sortis, et dont les dents de la mâchoire postérieure sont rasées, ne l’éprouvent qu’autant qu’ils ont été mis de bonne heure aux fourrages secs et au grain. L’époque la plus ordinaire où elle se manifeste est en général lors de la profusion des dents, et spécialement de celle des crochets, et sur-tout lors de la sortie des dernières dents mâchelières. Les jumens dépourvues de crochets y sont en quelque sorte moins exposées que les chevaux, et les jumens bréhaignes. Le temps le plus ordinaire de l’apparition de cette fluxion, est depuis trois ans jusqu’à l’âge de six et de sept ans. On l’a vue paroître néanmoins à un âge plus avancé ; mais le cas est rare.

Il y a quelques exceptions à cette règle cérébrale : dans quelques parties du Poitou, telles que Saint-Maixent, Niort, Fontenai, les chevaux l’éprouvent plus généralement après l’âge de sept ans. Presque toutes les jumens d’un certain âge sont aveugles ; elles sont destinées à la propagation des mulets. Il en est de même en ce qui concerne les jumens et les chevaux, dans la Franche-Comté. Les poulains de cette province, ainsi que ceux de Béfort, Huningue et leurs environs, y sont aussi très-exposés après le sevrage. Les jumens et les chevaux de ce canton ont tous, ou presque tous, le ventre avalé et très-gros

Les animaux dont la tête est grosse, grasse, y sont plus sujets que les autres ; ceux qui sont nourris dans des terrains bas, marécageux et aquatiques, en éprouvent les effets beaucoup plus fréquemment que ceux qui sont nourris et élevés sur des terrains secs.

Plus les poulains changent de pâturages, à moins que ce ne soit pour les transporter d’un lieu humide dans un terrain sec, plus ils subissent de vicissitudes dans leur éducation, dans leur nourriture, dans leur tenue, plus ils sont sujets à cette maladie. Si la nature est toujours lésée des révolutions qu’on lui fait éprouver, on ne doit point s’étonner que cette maladie soit aussi fréquente qu’elle l’est dans le cheval, tandis qu’elle n’existe presque pas dans les autres animaux domestiques ; et la raison de cette différence se trouve autant dans les variétés qu’on observe dans la constitution physique de cet animal, que dans l’éducation des poulains, éducation dont l’avarice et la cupidité ont suggéré le mode.

La fièvre locale que la nature établit dans les alvéoles, pour opérer la chute des dents de lait et la sortie de celles qui doivent leur succéder, est d’autant plus forte que les os des mâchoires ont plus de consistance, et que les dents qui les écartent, les ouvrent et les percent, sont plus grosses. La sortie des dents des coins, et sur-tout celles des crochets, coûtant infiniment plus d’efforts à la nature que la sortie des dents des pinces, il s’ensuit que l’époque la plus commune de l’apparition de la fluxion périodique est précisément celle de quatre à cinq ans ; si elle a lieu plus tôt ou plus tard, c’est que les causes occasion elles dont nous venons de faire mention, ont plus ou moins d’intensité ; ou que les causes qui la déterminent directement ne se rencontrent pas dans le temps dont il s’agit.

La plupart des causes que nous avons exposées comme prédisposantes à la première attaque de la fluxion périodique deviennent encore occasionnelles, soit du premier accès, soit de ceux qui le suivent, et doivent être rapportées ici comme telles.


CHAPITRE V.

Traitement préservatif. S’il n’est pas permis de détruire la cause occasionnelle que nous avons regardée comme inhérente au cheval, il est très heureusement possible de s’opposer, jusqu’à un certain point, à l’action d’une bonne partie des causes prédisposantes sans lesquelles la maladie n’existeroit pas ; ainsi la plus grande partie de ces causes tenant à l’éducation du poulain, et au régime qu’on lui fait observer dans un âge plus avancé, le point d’utilité est d’indiquer un meilleur régime que pourront faire suivre les personnes qui s’intéressent à la perfection et à la conservation des chevaux.

Nous allons essayer de remplir cette tâche, en appliquant successivement les moyens de correction aux causes que nous avons passées en revue

§. I. Sevrage brusque ; amaigrissement et engraissement alternatifs. Il ne faudroit sevrer les poulains qu’au bout de six ou huit mois d’allaitement, et les sevrer par degrés. Le vœu de la nature seroit même qu’on ne les sevrât qu’au bout d’un an. La jument que l’on fait couvrir peu de jours après qu’elle a pouliné, ainsi que c’est l’habitude, devenant pleine alors, et étant obligée de fournir au développement d’un fœtus et à la nourriture d’un poulain, s’exténue ; de même que son fruit et son nourrisson se font tort l’un à l’autre. On a adopté cette méthode afin de faire naître plus de productions ; mais si l’on pouvoit se décider à avoir moins d’individus, afin de les obtenir meilleurs, il faudroit ne faire saillir la jument qu’un an après l’accouchement, c’est-à-dire, ne lui faire rapporter qu’un poulain en deux ans. Les lieux dans lesquels on met pâturer les poulains sevrés devroient être assez secs pour les empêcher d’engraisser, et assez abondans peur fournir les matériaux de leur accroissement.

Du reste, celui qui achète des poulains quelque temps après le sevrage, prendra toujours la chance la plus avantageuse, en choisissant ceux qui sont maigres plutôt que gras, en ayant soin de les placer dans des pâturages qui les fassent croître et se développer sans les engraisser.

§. II. Pâturages humides. L’homme recherche dans le cheval ses travaux et non de la chair et de la graisse ; c’est pourquoi on devroit ne mettre les jumens, les poulains et les chevaux, dans les pâtures où l’herbe est abondante, qu’après que les bœufs ou les vaches ont rasé la plupart des endroits ou la végétation est copieuse, et ne les y laisser que peu de temps chaque jour.

Il faudroit même ne point tenir les mères dans les pâtures humides, sur-tout au commencement du printemps et de l’automne, époques où la végétation est plus active. On devroit éviter de tenir les jumens, et les poulains surtout, dans des brouillards épais qui régnent principalement en automne, et ne les mettre aux pâturages qu’après que ces brouillards sont dissipés.

Les endroits où l’on a répandu des fumiers ne devroient être livrés qu’un an après, comme pâtures, aux chevaux, aux jumens et aux poulains.

Le trèfle, la luzerne en vert, devroient être donnés avec ménagement aux jeunes chevaux ; et il seroit bon d’y mêler de la paille.

§. III. Exercice prématuré. La nature n’inspire le mouvement aux jeunes sujets que comme un jeu dont l’effet est de favoriser le développement ; on peut les faire exercer à la compagnie de chevaux accoutumés au travail, quand les pinces d’adulte sont poussées. (Voyez Accroissement, Accoutumer, Sommeil.) On peut les faire travailler très-légèrement, lorsque les dents mitoyennes d’adulte ont effectué leur protrusion ; mais ils ne sont capables d’un travail soutenu, que lorsque les coins de lait sont remplacés.

§. IV. Alimens secs, et changemens de climat. Il ne faudroit changer les chevaux de climat, que par une gradation bien ménagée, sur-tout quand ils sont jeunes ; et il seroit important qu’à mesure que l’âge doit les affermir, on les plaçât dans des circonstances de plus en plus favorables ; par exemple, qu’on les ôtât des pâturages copieux et humides, pour leur procurer des herbes savoureuses et délicates. Mais ce n’est qu’après la chute de toutes les dents de lait qu’il convient de les mettre aux fourrages secs, aux grains, et particulièrement à l’hivernage.

Il suit de ces principes que l’on ne devroit amener dans les régimens, pour les remontes, que des chevaux qui eussent aussi mis toutes leurs dents d’adulte.

§. V. Air vicié des écuries. Le sol de ces logemens doit être élevé et avoir une pente douce qui fasse écouler les urines en dehors ; les pavés doivent être aplatis et liés par un-bon ciment, ou bien l’écurie doit être salpêtrée. Dans les campagnes où le sol de l’écurie est le plus souvent de la terre mêlée d’argile, où il est imbibé des matières décomposées qui ont séjourné dans les trous, faits par le piétinement des chevaux, et plus encore par la chute des urines, il faut enlever cette terre très-fétide avant d’en rapporter d’autre pour mettre renfoncement au niveau. (Voyez Cachexie.)

Les fumiers ôtés souvent des ouvertures correspondantes pratiquées au dessus de la tête des chevaux, et tenues ouvertes sur-tout quand les animaux sont sortis, assainiront l’air de ces logemens, et en empêcheront la chaleur excessive.

Quand il n’y a pas de travaux, la promenade tous les jours doit être mise en usage, pour solliciter la fonction des organes digestifs, et éviter les coups de sang à la tête.

En un mot, en évitant toutes les causes prédisposantes, on s’affranchira des maux qu’elles entraînent à leur suite. Le développement des os de la tête, dans le cheval, et la protrusion de ses dents, s’opéreront avec des efforts successifs et modérés ; si la gourme, cette crise salutaire indispensable dans nos climats, vient à paroître, elle sera disposée à être complète, et on la favorisera plutôt que de s’y opposer. (Voyez Gourme.) Ainsi nos chevaux seroient exempts d’une foule d’autres maladies qui ne sont dues qu’au mauvais régime du jeune âge, qu’au défaut de soins, ou aux soins mal entendus dans la suite.

Nous sentons bien que ceux des cultivateurs qui s’occupent de faire naître des poulains pour les vendre ne goûteront guères nos conseils. S’ils sont suivis, ce ne sera probablement que par ceux qui se décideroient à élever des poulains pour leur propre usage, et qui ont pour les bons chevaux un attachement, une sorte de considération et d’estime qui sont rares.


CHAPITRE VI.

Traitement curatif. Les saignées, les vésicatoires, les sétons, les purgatifs, etc., dont on fait souvent usage à contre-temps contre cette maladie, n’en changent pas toujours la marche, lorsqu’elle est une fois commencée, et sur-tout lorsqu’elle a paru plusieurs fois. C’est sans doute l’insuffisance de ces moyens qui a porté à conseiller de détruire un œil pour sauver l’autre.

Si les efforts qu’on a faits jusqu’à présent sont restés sans succès, c’est qu’elle n’a jamais été bien connue ; c’est que la matière qui obscurcit l’humeur aqueuse n’a point été examinée de près, et que sa nature a été ignorée. Elle est plus lourde que l’humeur aqueuse. Cependant, sa pesanteur n’est remarquable qu’après la cessation de l’orgasme ; alors ses parties se rapprochent ; s’unissent et se précipitent au fond, tant de la chambre antérieure que de la chambre postérieure. Son degré d’opacité est toujours en raison de la plus grande union de ses parties ; et plus cette union est forte, plus l’humeur aqueuse est opaque inférieurement et claire supérieurement. Si à cette époque on ouvre la cornée lucide dans sa partie la plus déclive, par le moyen de la lancette, qu’on recueille l’humeur qui jaillit de cette ouverture, son inspection fera facilement connoître que c’est un véritable pus. On trouve ordinairement de cette matière purulente, après cette opération, sur le chanfrein et sur la pointe de la lancette.

D’après ce fait, on doit penser que la nature, dans cette maladie, cherche à opérer une crise ; niais cette crise est toujours imparfaite, à cause de l’impossibilité de l’évacuation par les parties dans lesquelles est son siège. De là les nouveaux efforts pour expulser cette humeur ; de là, l’opiniâtreté de ces crises manquées, qui reparoissent jusqu’à ce que l’œil soit détruit. Ces commotions répétées épaississent l’humeur cristalline, endurcissent et désorganisent les cellules vitrées. (Voyez Cataracte.) L’humeur s’accumule entre le cristallin et sa tunique ; enfin, le retour de cette fluxion sur l’autre œil, peut dépendre des causes de la première fluxion même, de la communication des deux organes, dont le second seroit affecté sympathiquement, ou peut-être aussi du transport d’une portion de cette humeur purulente dans les parties constituantes du second œil. Ainsi cette maladie est sujette à des retours, ou à des périodes. Leur irrégularité se conçoit de même, les causes occasionelles qui peuvent accélérer, ou éloigner le retour du paroxysme variant à l’infini, les effets de ces causes ne sauroient être constans dans leur apparition ; et, s’il arrive quelquefois que le sens de la vue se trouve anéanti dès la première fluxion dont l’animal est affecté, c’est que l’orgasme est assez violent, et la matière purulente, qui en est le produit, est en assez grande quantité pour désorganiser les humeurs cristalline et vitrée, ou qu’elle se fixe sur la rétine ou sur le nerf optique. Ces sortes d’orgasmes sont quelquefois si terribles, que le sang se mêle avec cette matière purulente : en ce cas, la cornée lucide réfléchit une couleur rouge-noire, ou rouge marbrée de blanc et de jaune. Cette teinte subsiste très-long-temps, et après sa dissipation spontanée et lente, on s’aperçoit que les parties contenues par le globe sont entièrement désorganisées.

L’invasion tumultueuse de la fluxion périodique commande promptement le recours à la saignée. Cependant, si l’on étoit obligé de la différer à cause de la plénitude de l’estomac, il faudroit prescrire la diète la plus absolue, donner toutes les demi-heures des breuvages d’infusion de petite sauge, et des lavemens d’eau tiède, dans chacun desquels on auroit fait dissoudre deux gros de savon. On placera dans la bouche un nouet chargé de parties égales de sel marin et de poudre de racine de réglisse.

Au bout de deux heures de ce traitement, on pourra pratiquer la saignée à la jugulaire ; et, si l’orgasme est extrême, que le globe soit très-gonflé, que la tristesse et l’accablement soient à leur comble, on pratiquera à chacune des deux jugulaires à la fois, une saignée de deux pintes de sang ; ce qui feroit une saignée totale de huit livres environ.

L’accès se trouvant modéré, au bout de deux ou trois jours, on permet à l’animal de manger un peu de son frisé, de boire de l’eau blanche.

Cependant il ne s’agit point ici de traiter une inflammation ordinaire, mais une crise qui ne peut s’effectuer complètement sans le secours de l’art.

Soit que le premier temps se passe subitement, soit qu’on y remarque une succession plus lente, il faut attendre que la diminution des symptômes permette de découvrir le segment supérieur de l’iris, ou même que la matière opaque soit réunie et précipitée au fond des chambres de l’œil ; pour cela, il faut observer souvent les changemens qui s’opèrent dans les humeurs. On empêchera que cette matière ne se répande de nouveau dans le globe, et ne se trouve absorbée, en pratiquant une opération qui l’expulse définitivement.

On abattra l’animal sur le côté auquel appartient l’œil sain ; on lui placera la tête sur une botte de paille, et on l’y maintiendra d’une manière ferme ; on écartera les paupières au moyen d’un speculum oculi, qui mettra bien à découvert toute la cornée lucide. Les choses étant ainsi disposées, l’artiste s’armera de la lancette pour faire la ponction ; il en enfoncera la pointe dans la partie la plus déclive de la cornée lucide, et la dirigera obliquement de bas en haut (cela s’entend comme si l’animal étoit debout) entre la cornée lucide et l’iris, qu’il se gardera d’offenser. Aussitôt l’humeur aqueuse sort par jet ; la cornée transparente, cessant d’être distendue, s’affaisse ; mais peu de temps après l’humeur se renouvelle, sa quantité ordinaire rend à la cornée sa tension et sa convexité naturelles. Après l’opération on humectera, toutes les heures, les paupières et la tempe avec le baume de Fioraventi, pendant les deux premiers jours. Peur peu que la pointe de la lancette atteigne l’iris, sur-le-champ un épanchement de sang soulève la cornée lucide et rougit tout le devant du globe : cependant cette circonstance ne doit point effrayer ; le sang, épanché se trouvera absorbé peu à peu, et l’œil reprendra bientôt sa transparence.

Un sujet irritable se livrant à des mouvemens désordonnés, dans l’instant de la ponction, pourroit occasionner d’autres accidens ; la lancette égarée pourroit atteindre des parties profondes et produire des douleurs plus graves. Dans ce cas, très-rare il est vrai, on voit quelquefois, au bout de deux ou trois jours, l’humeur vitrée se montrer entre les deux lèvres de la plaie faîte à la cornée. Cet accident arrivant, il faudroit se hâter de calmer la douleur, et d’en prévenir les suites par une prompte et forte saignée, par des collyres faits de blanc, d’œuf épaissi par l’alun cru pulvérisé, et fixés au moyen du bandage appelé œil simple. Ces collyres seroient renouvelés toutes les quatre heures, le cheval ne seroit nourri que de son et d’eau blanche, et l’on donneroit des lavemens laxatifs réitérés toutes les six heures : ces moyens seroient continués jusqu’à ce que la hernie de l’humeur vitrée fût entièrement disparue.

L’artiste évitera ces contre-temps en faisant usage, pendant l’opération, d’un torche-nez ferme ; en assujettissant la tête avec soin, et en ménageant, sur le bord inférieur de l’orbite, un point d’appui à la main qui ponctue.

On passera, à l’encolure du côté de l’œil affecté, quatre sétons qui s’étendront depuis le bord de la crinière jusqu’à la jugulaire. Leur trajet sera entre la peau et le muscle cutané de l’encolure, et non entre les muscles, ou en les traversant ; on en favorisera la suppuration par des frictions d’onguent populeum ; ou en détergera le pus chaque jour avec soin, on supprimera les sétons au bout de dix à douze jours, temps suffisant pour l’effet qu’on en attend ici ; et cependant on continuera de laver avec l’eau tiède les parties qu’ils ont occupées, jusqu’à ce que toute suppuration soit finie.

Alors, pour fortifier l’organe et le mettre à l’abri d’une nouvelle attaque, on trace sur chacune des paupières de l’œil affecté deux raies de cautérisation. Elles s’exécutent en arc, avec des cautères de fer dont la lame n’a pas plus de sept à huit lignes de longueur dans la partie qui doit s’appliquer sur la peau ; l’une de ces raies suivra la direction du bord de l’orbite, et l’autre, concentrique à la première, doit être dirigée entre cette première raie et le bord des paupières. Cette cautérisation consistera dans des applications du cautère, réitérées jusqu’à ce que la raie ait acquis une couleur d’or, et que, refroidie, elle laisse échapper une sérosité jaunâtre.

On n’appliquera point de substances onctueuses sur la partie cautérisée ; le feu n’étant point modéré par ces moyens, en sera plus efficace.

L’ampleur du ventre, la paresse des entrailles, exigent qu’on excite la sortie des matières stercorales par des substances amères, purgatives, telles que l’aloès en poudre, donné chaque matin, en opiat, à la dose de trois gros, incorporé dans un peu de miel. On fera avaler, par-dessus, une infusion de petite sauge ; et l’on continuera ces moyens jusqu’à ce que l’animal purge.

Du reste, la maladie sera traitée en avant égard à ses complications. Si de fortes raisons font soupçonner l’existence de vers dans l’estomac ou dans les intestins, on ajoutera, aux premiers breuvages prescrits, l’huile empyreumatique animale, distillée avec l’essence de térébenthine, (Voy. Huile empyreumatique) à la dose d’une cuillerée à bouche, le matin et autant le soir.

Si la fluxion périodique venoit à attaquer un certain nombre de chevaux, dans un régiment, par exemple, et qu’on eût à craindre son invasion sur beaucoup d’autres, on tâcheroit de distinguer ceux qui y sont plus disposés, et on leur appliqueroit une partie du traitement précédent, c’est-à-dire les sétons, les laxatifs, etc., mais sans avoir recours à la ponction de l’œil.


CHAPITRE VII.

Soins et régime auxiliaires du traitement curatif. On recherchera particulièrement quelles sont celles des causes dont l’activité a été plus considérable sur les individus que l’on traité, et l’on s’attachera d’abord à en faire cesser l’influence.

Dès l’apparition des premiers symptômes, on retranchera à l’animal au moins la moitié de la ration d’alimens solides, et si le paroxysme est très-violent, ils seront supprimés totalement. L’eau blanche nitrée lui sera présentée à discrétion ; on lui fera prendre des lavemens émolliens, matin et soir ; on le tiendra couvert et à l’abri de tout courant d’air ; il sera promené au pas, étrillé et bouchonné deux fois par jour.

À mesure de la diminution des symptômes, on ramènera, par degrés, l’animal à la ration accoutumée ; et les effets de tout le traitement étant suffisamment avancés, on le remettra peu à peu aux travaux ordinaires. (Ch. et Fr.)