Cours d’agriculture (Rozier)/ESSENCE, HUILE ESSENTIELLE

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 354-357).


ESSENCE, Huile ESSENTIELLE, Chimie, Botanique. Les plantes, comme on peut le voir à ce mot, sont composées non-seulement de parties solides, mais encore de fluides de différente nature, les uns aqueux, les autres mucilagineux, quelques uns enfin, gras & huileux. Parmi ces derniers, on distingue une variété qui les sépare naturellement en deux classes, les fluides huileux fades & sans odeur, auxquels on a conservé le nom d’huile grasse, (voyez le mot Huile) & les fluides huileux très-volatils & d’une odeur forte & aromatique, auxquels on a donné le nom d’essence, ou huile essentielle.

Cette huile existe dans presque toutes les plantes odorantes, mais elle y peut être sous deux états différens, ou non combinée & déposée dans de petites vésicules ou réservoirs sous la forme d’une huile subtile, légère & volatile, souvent sensible à l’œil nu, comme dans les pétales & l’écorce de l’orange, du citron, dans les feuilles de mille-pertuis ; dans ce cas, la seule compression suffit pour l’extraire. Prenez, par exemple, Un morceau d’écorce d’orange ou de citron ; serrez-la entre les doigts, vous en voyez bientôt suinter l’huile essentielle ; si vous faites cette opération devant la flamme d’une bougie, le filet d’huile essentielle, qui s’échappe de la vésicule, s’enflamme aussitôt. D’autres fois elle est combinée avec les autres principes, & c’est par la voie de la distillation que l’on peut l’extraire d’autant plus facilement que cette huile est très-volatile.

L’odeur aromatique dont l’huile essentielle est toujours accompagnée, dépend du principe odorant de la plante, dont elle est pénétrée. Ce principe odorant est plus connu sous le nom d’esprit recteur ; mais ce principe ne lui est pas tellement combiné, qu’on ne puisse l’obtenir indépendant de l’huile. L’esprit recteur passe pur, seul, ou du moins, étendu seulement dans une portion de phlegme libre & dégagé de toute huile. Cette eau ainsi imprégnée de l’esprit recteur, se nomme essence ou eau essentielle de telle ou telle plante. Ainsi, la différence entre l’essence & l’huile essentielle d’une plante vient de la nature de la base à laquelle l’esprit recteur est combiné ; dans l’essence, il l’est à l’eau végétale, & dans l’huile, à l’huile végétale. Quelques auteurs ont pensé que les huiles essentielles devoient leur volatilité à ce principe, parce que, dès qu’elles en sont privées, elles cessent, ou du moins elles sont beaucoup moins volatiles ; elles semblent même alors se rapprocher des huiles grasses, qui ne sont volatiles qu’à un degré de chaleur bien supérieur à celui de l’eau bouillante.

La volatilité des huiles essentielles est telle, qu’elles se dégagent des entraves qui les enchaînoient dans leurs vésicules, par un degré de chaleur égal à celui de l’eau bouillante ; c’est sur ce principe qu’est fondé le moyen de les obtenir par distillation, comme nous le verrons tout à l’heure.

Une chaleur douce leur fait bientôt perdre leur odeur ; si on les pousse un peu au feu, elles se volatilisent sans se décomposer. Quand on les chauffe avec le contact de l’air, elles s’enflamment promptement en répandant une fumée épaisse qui donne une suie très-fine & très-légère ; c’est une portion de la partie charbonneuse qui s’élève avec l’huile essentielle. Quand on les chauffe, au contraire, dans des vaisseaux fermés, elles donnent une très grande quantité d’air inflammable (voyez ce mot) ; elles sont solubles par l’esprit de vin. Lorsqu’on les laisse exposées à l’air, elles s’épaississent en vieillissant, & prennent la consistance de baume & même de résine, dont elles acquièrent presque tous les caractères. Pour les préserver, autant qu’il est possible, de cet accident, il faut les conserver dans des vaisseaux exactement bouchés ou mieux encore sous l’eau, lorsqu’elles font plus pesantes qu’elle, & dans un lieu frais. On peut les rétablir du moins en partie à l’état d’huile fluide, en les distillant avec l’eau ; mais on ne leur rend point l’esprit recteur, qu’elles ont perdu en s’épaississant.

Il est peu de parties dans les plantes, en général, qui ne recèlent des portions d’huile essentielle ; quelques-unes en sont imprégnées dans toutes les parties, comme l’angélique de Bohême ; d’autres n’en contiennent que dans la racine seule, comme dans l’aunée, l’iris, le dictame blanc, & la benoite ; ou dans la tige, comme dans les bois de santal, celui de sassafras, les pins, &c. ou dans l’écorce du bois, comme dans la canelle. Quelquefois elle se trouve, ou dans les feuilles, comme dans la lavande, la mélisse, la menthe, le romarin, le cochléaria, l’absinthe ; ou dans les fleurs, comme la rose, le jasmin, la lavande, le clou de girofle, qui n’est que le calice de la fleur du giroflier, ou dans les fleurs de l’orange, de la camomille ; ou dans les fruits, comme dans le citron, l’orange, la bergamote, la muscade, les baies de genièvre ; ou dans l’écorce de la semence, comme dans l’anis, les baies de laurier. Mais il n’y a point de semence qui en contienne dans son parenchyme ; la noix muscade, fait seule une exception à cette règle. L’huile essentielle se rencontre encore dans quelques baumes naturels, comme la térébenthine & le baume de Copahu.

Malgré rémunération que nous venons de faire, l’huile essentielle n’est pas aussi également répandue dans les plantes, que l’huile grasse ; cette dernière est mêlée entièrement avec le parenchyme de la semence ; ensorte qu’il est impossible de l’apercevoir ; l’huile essentielle, au contraire, comme nous l’avons déjà observé, est renfermée dans de petites vésicules ordinairement jaunes, surtout dans les plantes qui en contiennent beaucoup. Toutes les plantes ne contiennent pas ce principe en égale quantité ; & on remarque, en général, que les plus aromatiques sont celles qui en renferment le plus. Cependant cette règle souffre beaucoup d’exceptions ; les plantes dont l’odeur est très-fugace, n’en fournissent qu’une très-petite quantité ; de ce nombre font la rose, l’œillet & la tubéreuse ; mais les plantes qui ont une odeur assez fixe, & qui se conservent après la dessiccation, ont une huile essentielle moins abondante, moins cependant dans les pays froids que dans les pays chauds.

Il y a deux moyens de retirer l’huile essentielle des plantes, l’expression & la distillation. Le premier moyen peut tout au plus être mis en usage pour les citrons, les oranges & les autres fruits de cette espèce. Nous avons dit plus haut, comment on pouvoit l’obtenir ; ainsi, si on veut en avoir une plus grande quantité, on peut presser ces écorces devant une glace, l’huile coule tout le long de la glace ; elle est reçue sur du coton, dont on la retire ensuite par la presse. On peut encore frotter les citrons & les oranges avec du sucre, qui déchire les vésicules dans lesquelles l’huile est contenue, & qui absorbe cette huile. L’huile ainsi mêlée au sucre, devient miscible à l’eau ; ce qui fournit un bon moyen de faire de la limonade, en mêlant l’huile essentielle du citron à l’eau par le moyen du sucre, & exprimant ensuite le jus acide du fruit dans cette même eau.

Pour distiller l’huile essentielle d’une plante, on met cette plante dans une cucurbite, avec une quantité, d’eau suffisante ; on y ajoute un chapiteau avec son réfrigérant, & un serpentin. On donne tout d’un coup le degré de chaleur convenable pour faire entrer l’eau en ébullition. L’eau passe très-chargée de l’odeur de la plante, & entraîne avec elle toute son huile essentielle. La plus grande partie de l’huile surnage l’eau dans le récipient, ou se précipite au fond, suivant la pesanteur spécifique de l’huile ; l’autre partie est intimement mêlée avec l’eau, ce qui la rend trouble & laiteuse. On sépare ces deux portions, la première est l’huile essentielle, & la seconde porte le nom d’eau distillée de la plante. Lorsqu’on distille des huiles essentielles qui se figent aussi-tôt après la distillation, il ne faut point employer de serpentin, parce que l’huile, en se figeant dans ses circonvolutions, le boucheroit ; l’eau du réfrigérant doit être entretenue dans une douce chaleur : avec ces précautions on obtient une assez grande quantité d’huile.

Toutes les huiles essentielles ne font pas les mêmes, elles diffèrent entr’elles, 1°. par la quantité qui varie beaucoup, suivant l’état & l’âge de la plante ; 2°. la consistance ; il y en a de très-fluides, comme celles de lavande, de rue ; &c. quelques-unes, se congèlent par le froid, ainsi que celles d’anis, de fenouil ; d’autres sont toujours concrètes ; comme celles de rose, de persil, de benoite & d’aunée ; 3°. par la couleur ; les unes n’en ont aucune, d’autres sont jaunes, comme celle de la lavande ; d’un jaune foncé, celle de la canelle ; bleue, celle de la camomille ; aiguë-marine, celle de millepertuis ; vertes, celle de persil ; 4°, par la pesanteur ; les unes surnagent l’eau, comme la plupart de celles de nos pays ; d’autres vont au fond de ce fluide, comme celles de sassafras, de girofle, & la plupart de celles des plantes étrangères : cette propriété n’est cependant pas constante, relativement aux climats, puisque l’huile essentielle de muscade, de macis, de poivre, est plus légère que l’eau ; 5°. par l’odeur & la saveur : cette dernière propriété est souvent très-dissidente dans l’huile essentielle, de ce qu’elle est dans la plante : par exemple, le poivre donne une huile douce, & celle d’absynthe n’est point amère.

L’intérêt altère tout ce qu’il touche, & les huiles essentielles sont tous les jours falsifiées, en les alongeant avec des huiles grasses, ou de l’huile de térébenthine, ou de l’esprit de vin. Il est heureusement assez facile de reconnoître les fraudes, & on découvre si elles contiennent de l’huile grasse, parce qu’alors elles tachent le papier ; de l’huile de térébenthine, par l’odeur forte de cette dernière qui subsiste, après l’évaporation de la première ; de l’esprit de vin, en y versant un peu d’eau dedans : l’eau se combinant avec l’esprit devin, l’huile essentielle se sépare & trouble la liqueur.

Le camphre est une huile essentielle concrète. (Voyez le mot Camphre) M. M.