Cours d’agriculture (Rozier)/DENTITION

Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 657-661).


DENTITION, Médecine vétérinaire. (Voy. la Description & la Planche 20, page 660) Nous donnons ce nom à la sortie naturelle des dents hors de leur fossette ou alvéole. Cet ouvrage de la nature s’exécute de la manière suivante.

À peine le poulain commence-t-il à se former dans l’uterus ou la matrice ; ce qui arrive, dit M. Lafosse, vers le dix-huitième jour, qu’il y a entre les deux tables de la mâchoire postérieure, une gelée d’une consistance séreuse, qui paroît n’être contenue que dans une espèce de parchemin. Ce n’est autre chose alors que les fossettes ou alvéoles confondues ensemble. Vers le troisième mois, on découvre aisément une alvéole, qui est celle de la première des dents mâchelières ou molaires, du côté des dents incisives. Cette alvéole, à cette époque, est remplie d’un mucus d’un gris-sale, & de la grosseur d’une petite noisette. « Si l’on examine attentivement cette substance avec le microscope, dit encore M. Lafosse, on observe à la partie supérieure qui regarde l’alvéole, de petits points en forme de chapelet, qui ne sont autre chose que le commencement des fibres qui doivent former la dent. Le reste est simplement muqueux ». Vers le quatrième mois, la seconde dent molaire se montre avec une petite ligne blanchâtre, & ayant un peu de consistance ; avec cette différence cependant, que la partie inférieure du mucus est plus épaisse, plus sale & plus abondante. Vers le septième mois, on distingue une troisième dent molaire dans l’état de la seconde ; mais ici le mucus de la première est d’une consistance plus épaisse. Vers le huitième mois, on observe deux feuillets composés de plusieurs fibres, arrangés les uns à côté des autres, percés toujours dans une direction perpendiculaire à la fossette ou alvéole, & repliés en différens sens. Le bord supérieur de ces feuillets se réunit au haut, & leurs fibres deviennent si denses, qu’il n’est pas possible de les distinguer ; ce qui fait que la dent ressemble à une vessie. On y observe alors un creux, dans ses deux bouts, & d’autres feuillets dans son milieu, qui se réunissent dans le même ordre que dans la première. Vers le dixième mois, les deux autres dents molaires deviennent successivement plus volumineuses, & la première dent molaire est prête à sortir de sa fossette, & elle en sort en effet vers la fin de ce mois. La sortie de la seconde a lieu au commencement du onzième mois, & celle de la troisième, vers le douzième ; en sorte que le fœtus d’un an a douze dents molaires, six à chaque mâchoire.

Le dixième ou douzième jour de la naissance du poulain, les pinces qui étoient formées dans la matrice, sortent des alvéoles des deux mâchoires. Quinze jours après, les mitoyennes paroissent, & les coins, vers le quatrième mois. À six mois, les coins sont de niveau avec les mitoyennes. Si l’on examine, à cette époque, les dents, on trouvera que les pinces sont moins creuses que les mitoyennes, & celles-ci beaucoup moins que les coins. Les pinces & les mitoyennes s’usent peu à peu, la cavité s’efface ; & à un an, on observe un col à la dent qui, d’autre part, se trouve moins large. À un an & demi, les pinces sont pleines, le col de la dent dont nous venons de parler, est plus sensible. À deux ans, les pinces ont rasé, & sont d’un blanc clair de lait ; les mitoyennes sont dans l’état où les pinces étoient à un an & demi ; & celles-ci restent dans cet état jusqu’à l’âge de deux ans & demi, trois ans, époque où elles tombent pour faire place aux pinces de cheval. À trois ans & demi, quatre ans, les mitoyennes tombent aussi, & à quatre ans & demi, cinq ans, les coins. Alors nous disons que le cheval n’a plus de dents de lait, qu’il a tout mis, & il perd le nom de poulain, pour prendre celui de cheval. À cinq ans & demi, les pinces de la mâchoire postérieure sont remplies ; la muraille des mitoyennes commence à s’user, la muraille interne des coins est presqu’égale à la muraille externe, & l’on observe une petite échancrure en dedans ; le crochet est aussi presqu’en dehors. À six ans, les pinces sont rasées, les mitoyennes sont dans l’état des pinces. À cinq ans, les coins sont égaux par tout, & creux ; leur muraille externe est un peu usée ; les crochets sont entièrement sortis, ils sont pointus, & présentent une figure pyramidale, arrondie en dehors, & sillonnée en dedans. À six ans & demi, les pinces sont entièrement rasées ; les mitoyennes le sont plus qu’elles ne l’étoient, la muraille interne des coins est un peu usée, le crochet est un peu émoussé. À sept ans, les mitoyennes sont entièrement rasées, les coins sont plus remplis, & le crochet plus usé. À sept ans & demi, les coins sont remplis, & le crochet est usé d’un tiers de l’étendue des sillons qu’on y observe. À huit ans, les coins ont rasé entièrement, & le crochet est arrondi. À huit ans & demi, neuf ans, les pinces de la mâchoire antérieure rasent à leur tour. À neuf ans & demi, dix ans, les mitoyennes & les coins n’ont plus de sillons. À dix ans & demi, onze ans, & quelquefois douze, les coins ont entièrement rasé. À treize ans, les pinces sont moins larges, plus épaisses ; les crochets sont totalement émoussés & arrondis. À quatorze ans, les pinces sont triangulaires, & plongent en avant. À quinze ans, jusqu’à vingt, les dents plongent toujours davantage. À vingt ans, les dents molaires sont usées, & on y remarque trois racines. À vingt-un ans, les premières tombent ; à vingt-deux, & quelquefois à vingt-trois, les secondes ; à vingt-quatre, les troisièmes ; à vingt-cinq, les quatrièmes ; à vingt-six, les cinquièmes : les sixièmes restent quelquefois jusqu’à vingt-neuf, trente ans. Il est encore à observer que les dents incisives tombent les dernières, & c’est ordinairement à l’âge de vingt-neuf, trente ans, que les gencives & les alvéoles se rapprochent, deviennent tranchantes, & font office des dents chez les chevaux qui outrepassent ce terme.

Des chevaux bégus. Il est des chevaux & des jumens que l’on croit être bégus, c’est-à-dire, qui marquent toujours. Cette assertion est fausse : il est des chevaux qui, à la vérité, peuvent marquer plus longtemps ; mais il y a toujours des indices certains de l’âge par la longueur des dents, par leurs sillons, leur figure, leur couleur & leur implantation.

Des chevaux contre-marqués. Il y a des chevaux contre-marqués. Nous appelons de ce nom, ceux dans les dents desquels les marchands ou les maquignons pratiquent une cavité artificielle, quand le cheval a rasé, avec un burin d’acier, semblable à celui que l’on employe pour travailler l’ivoire. Cette fraude n’en impose qu’à ceux qui ne considèrent pas attentivement les dents. L’objet du maquignon, en faisant cette opération, est de persuader à l’acheteur, que le cheval qu’il a contre-marqué, n’a pas huit ans ; mais il est très-facile de reconnaître la fraude par les traits du burin, par la facilité d’enlever la marque noire, ou le germe de fève, imité avec l’encre grasse qui a été versée dans le trou factice ; ou bien par l’impression du feu, que l’on remarque, par un cercle jaunâtre, aux environs de cette même cavité, surtout si l’on a le soin de nettoyer les dents, de l’écume excitée par la mie de pain séchée & mêlée avec du sel, que le maquignon met dans la bouche du cheval. Au surplus, tous les indices d’une vieillesse certaine, autres que ceux dont nous avons parlé, & auxquels la plupart des gens de la campagne se rapportent encore, sont absolument faux. Tels sont, celui d’un nouveau nœud, ou d’une nouvelle vertèbre de la queue, que l’on croit survenir à l’âge de quatorze ans, celui des salières creuses, des cils blancs, des plis comptés à la lèvre supérieure, plis qu’on dit être en même nombre que les années du cheval. Tels sont encore les plis conservés à la peau de l’épaule lorsqu’on l’a pincée, &c. &c.

Des maladies occasionnées par la sortie des dents. La sortie ou l’éruption des dents, & sur-tout celle des crochets, est extrêmement douloureuse. Elle cause des flux de ventre, des diarrhées, des coliques, & quelquefois l’obscurcissement de la vue. (Voyez Coliques, Diarrhée, Obscurcissement de la vue) Les dents sont aussi sujettes elles-mêmes à se carier. (Voyez Carie) Nous voyons même assez souvent des chevaux qui ont des surdents, c’est-à-dire, des dents surnuméraires, poussées à l’une & à l’autre mâchoire, soit en dedans, soit en dehors. Ces dents s’avancent quelquefois tellement en dedans ou en dehors, que n’étant pas dans leur situation naturelle, elles incommodent considérablement le cheval. On les appelle, pour cette raison, dents de loup. Il est possible de réparer cette difformité, en coupant, avec un ciseau approprié, tout ce qui excède de la dent.

Nous nous dispensons de joindre ici la dentition du bœuf, du chien & du mouton, d’autant plus qu’on la trouvera dans chacun de ces articles. Ainsi, voyez Bœuf, Chien, Mouton. M. T.



Explication de la Planche 20.


Nous empruntons du grand & excellent Ouvrage de M. Lafosse, intitulé Cours d’Hippiatrique, grand in-folio, les Figures renfermées dans cette Gravure, ainsi que leur explication.


Fig. 1. Représente la dent du coin, du troisième mois après la naissance, vue de trois côtés. A, face interne ; B, face externe ; C, face supérieure.

Fig. 2. Dents mitoyennes du deuxième mois après la naissance, vue de trois faces ; A, face externe ; B, face interne ; C, face supérieure.

Fig. 3. Dent de la pince du premier mois après la naissance, vue de trois faces. A, face externe ; B, face interne ; C, face extérieure.

Fig. 4. Dent du coin d’un cheval de quatre ans, à quatre ans & demi. A, face interne ; B, face externe ; C, face supérieure.

Fig. 5. Dent mitoyenne d’un cheval de trois ans & demi. A, face externe ; B, face interne ; C, face supérieure,

Fig. 6. Dent de la pince du cheval âgé de trois ans. A, face externe ; B, face interne ; C, face supérieure,

Fig. 7. Représente des crochets de six ans. A, face externe ; B, face interne.

Fig. 8. Les dents de la pince d’un cheval de sept ans.

Fig. 9. Représente les dents de la mâchoire inférieure d’un cheval de huit ans, vues en dessus. A, la première ; B, la seconde, & ainsi du reste.

Fig. 10. Les mêmes, vues dans leurs faces externes & renversées.

Fig. 11. Dents incisives du cheval de sept ans. C, dent de la pince ; B, la mitoyenne ; A, la dent du coin.

Fig. 12. Les mêmes, vues dans la face interne. C, la dent de la pince ; B, la mitoyenne ; A, la dent du coin.

Fig. 13. Représente des crochets de sept ans. A, partie supérieure du crochet, vue dans sa face externe ; B, face interne.

Fig. 14. Représente les dents de la mâchoire inférieure d’un cheval de huit ans, vues dans leurs faces internes, A, la première ; ainsi du reste.

Fig. 15. Représente les dents molaires de la mâchoire inférieure d’un cheval de vingt-cinq à vingt-six ans, vues dans leurs faces externes. A, la première ; B, la seconde, & ainsi de suite.

Fig. 16. Les mêmes, vues en dessus. A, la première, & ainsi du reste.

Fig. 17. Les mêmes, vues dans la face interne. A, la première, &c.

Fig. 18. Représente une mâchoire de poulain de six mois. A, première dent de lait ; B, seconde dent de lait ; C, troisième dent de lait ; DC, dent de cheval, qui ne tombe jamais.

Fig. 19. Représente la mâchoire d’un poulain de dix mois.

Fig. 20. Représente une mâchoire d’un poulain de deux ans, dont la première dent molaire de lait est tombée, & la seconde déjà un peu formée. A, dent de cheval, sortant & ayant poussé celle de lait ; B, la troisième dent de cheval, déjà un peu formée, la seconde ne tenant plus que par ses racines ; D, la sixième étant un peu formée, & repliée en forme de corne.

Fig. 21. Représente une mâchoire de poulain âgé de trois ans, dont il y dents de lait de tombées, & les deux de cheval poussées, dont la première est plus avancée que la seconde. A, la seconde dent de lait étant sortie, mais moins avancée que la première ; B, la troisième dent de lait, ne tenant plus que par ses racines ; D, la sixième dent déjà fort avancée.

Fig. 22. Représente une mâchoire de poulain de quatre ans, dont la troisième dent molaire est tombée. A, troisième dent de cheval, débordant tant soit peu les alvéoles. L’on voit par-là que les trois dernières dents sont fort avancées, & même sorties, & cette dernière, avant que les trois premières de cheval soient sorties.