Cours d’agriculture (Rozier)/BOUCHON

Hôtel Serpente (Tome secondp. 396-398).


BOUCHON. On nomme ainsi tout ce qui sert à boucher un vase quelconque, & plus particulièrement les tonneaux & les bouteilles.

Du bouchon des tonneaux. L’ouverture des tonneaux est nécessairement ronde, & très-ronde, parce qu’on la fait avec une tarière qui forme son trou circulairement. Le bouchon doit avoir exactement la même forme, être parfaitement arrondi sur ses bords. S’il a des angles saillans, ces angles auront beau être applatis lorsque le marteau chassera avec force le bouchon dans le trou, il ne touchera jamais par tous ses points ceux de la circonférence du trou ; dès-lors il y aura communication entre l’air de l’atmosphère & celui renfermé dans la barrique. On ne doit donc pas être surpris si on trouve souvent des vaisseaux pleins de vin qui aigrissent ; c’est que le vin, après avoir perdu une partie de son air fixe, ou de combinaison, (Voyez air fixe) absorbe une certaine quantité d’air de l’atmosphère, se l’approprie, le combine avec l’air fixe qui lui reste, enfin il aigrit. Dans ce cas, tout vaisseau plein qui absorbe l’air atmosphérique, est toujours sec à l’extérieur. Pour remédier aux défectuosités du bouchon, autant qu’on le peut, on se sert de filasse, dont on enveloppe le bouchon. Ce moyen est insuffisant, parce que la filasse remplit d’une manière lâche les cavités, & force sur les parties anguleuses.

L’expédient le plus court est de faire travailler les bouchons au tour. Le bois doit être dur & très-sec. Sa hauteur ne doit pas excéder celle des cerceaux les plus rapprochés du trou, & même leur être inférieure. Si elle l’excède, lorsque l’on roulera la barrique, elle portera sur le bouchon, & courra grand risque d’être débouchée, sur-tout s’il se trouve le moindre obstacle, la plus légère pierre à sa rencontre. Combien d’exemples n’ai-je pas vu résulter de ces manques d’attention ? que de vins écoulés ou aigris !

Je demande donc que tous les bouchons de barriques soient faits au tour ; qu’avant de s’en servir, on ait l’attention de les mettre dans la cuve pendant tout le tems de la fermentation tumultueuse, de les en retirer lorsqu’on écoule le vin ; de les placer à l’ombre dans un lieu sec, & où il y ait un courant d’air ; le vin pénètre ces bouchons, dépouille le bois de toute espèce d’astriction, & on peut après cela s’en servir avec la plus grande confiance. Il suffira d’envelopper leur partie inférieure avec un morceau de linge, lorsqu’il s’agira de boucher une barrique.

Les paysans ont coutume d’employer le bois de saule ou de peuplier pour faire des bouchons, parce qu’il est facile de les unir & de les façonner. De tels bouchons ne valent absolument rien ; les fibres de ces bois sont trop droites, trop poreuses, &c. Lorsque le tonneau est plein, & qu’il survient un vent du midi, ou lorsque le vin travaille dans le tonneau, la force de l’air qui se débande & cherche à s’échapper, pousse la liqueur à travers les fibres du bois, & on voit la superficie du bouchon chargée d’une liqueur trouble & souvent couverte de bulles d’air. Lorsque ces bois blancs ont deux ou trois ans de coupe, ils sont un peu moins mauvais.

Des bouchons de bouteilles. Il n’y a point d’économie à se servir de mauvais bouchons ; pour un bouchon on perd une bouteille de vin. Le prix des bouchons est relatif à la qualité, & ce prix est depuis quinze sols le cent jusqu’à quarante & cinquante sols. Achetez toujours les plus chers, parce qu’ils sont les meilleurs. À cinquante sols, c’est deux liards par bouteille ; & quel est le vin le plus maigre en qualité, dont le prix ne soit pas au moins sextuple de celui du bouchon ? Il n’y a donc aucune proportion entre la parcimonie & la perte, puisque le vin mis en bouteille est pour être gardé.

Un bon bouchon ne doit point avoir de noir, c’est-à-dire que toute la partie du liége détachée de l’arbre par le moyen du feu, & que le feu a noircie, doit être enlevée. Un bouchon mou ne vaut rien, & il faut mettre au même niveau celui qui est aussi gros par un bout que par un autre. Le bouchon bien fait a dix-huit lignes de hauteur, sur une largeur quelconque, mais la partie inférieure est plus étroite de deux lignes que la partie supérieure. Lorsqu’on bouche une bouteille, le bas du bouchon doit entrer avec quelque peine dans son ouverture ; c’est à la palette à faire entrer le reste. Les bouchons mous plient sous la palette, & n’entrent pas ; ils sont à rejetter.

Avant de placer le bouchon, il convient de le mouiller avec du vin, il entre mieux. Quelques Auteurs conseillent de l’imbiber d’eau. Cette méthode est défectueuse. L’eau fait naître les fleurs ou chêne, qui surnagent ensuite la liqueur. Ces fleurs ne nuisent pas à la qualité du vin, mais elles sont désagréables à la vue. Toute bouteille, après avoir été rincée & mise à écouler, dans laquelle on aura passé un demi-verre de vin, & qu’on aura vuidée aussitôt, ne donnera point de fleurs dans la suite. Ce vin absorbe l’humidité aqueuse, ou le peu d’eau qui tapissoit ses parois intérieures, & c’est de cette eau que résultent les fleurs. Voyez au mot Goudron différentes recettes pour conserver les bouchons.

On doit choisir le lieu le plus sec de la maison pour tenir les bouchons en dépôt avant de s’en servir ; si on les laisse dans un lieu humide, ou dans la cave, ils prennent un goût de moisi, & le communiquent au vin.