Cours d’agriculture (Rozier)/ASPERGE, ASPERGÈRE

Hôtel Serpente (Tome secondp. 26-46).


ASPERGE, ASPERGÈRE, ou Aspergerie. Ces deux derniers mots sont synonymes, & désignent l’endroit planté en asperge. M. le chevalier Von Linné en compte quatorze espèces, soit d’Europe, soit des autres parties du monde, & nous ne parlerons que des espèces ou variétés cultivées dans les jardins ; les autres sont plus du ressort de la botanique que de l’agriculture. Le naturaliste suédois l’appelle asparagus officinalis, & la classe dans la pentandrie monogynie : le naturaliste françois la nomme asparagus sativa, & la place dans la huitième section de la sixième classe, qui comprend les herbes à fleur de plusieurs pièces régulières, disposées en rose, dont le pistil ou le calice deviennent des fruits mous.


I. Description de la plante.
II. Des espèces d’Asperges.
III. Du terrain propre au semis.
IV. De la manière de semer.
V. En quel tems il faut replanter, & comment replanter.
VI. De la conduite de l’Aspergère pendant l’année.
VII. De ses ennemis.
VIII. De ses propriétés.


I. Description de la plante. Fleur, blanche, formée par six pétales disposés en rose ; ils sont réunis par leurs onglets, & sont oblongs droits, en forme de tube ; la fleur est sans calice ; les étamines sont au nombre de six, & le centre de la fleur est occupé par le pistil.

Fruit ; baie sphérique, portée par un péduncule très-fin, & dont la longueur est presque du double de celle des feuilles. Cette baie est verte dans le premier tems, & prend une couleur rouge à mesure qu’elle mûrit ; elle perd cette couleur lorsqu’elle est desséchée, & devient blanche. Elle renferme plusieurs semences noires, anguleuses, dures & lisses ; leur nombre varie beaucoup.

Feuilles, comme des brins de soie, linéaires, molles, longues, pointues, sans être piquantes, comme dans plusieurs espèces d’asperges.

Racines, nombreuses, blanchâtres, cylindriques, rangées circulairement autour d’une espèce de tronc cylindrique & charnu. Cet ensemble est nommé patte par les jardiniers.

Port. Les tiges s’élèvent à la hauteur de deux ou trois pieds & plus ; elles sont lisses, rameuses ; à la base des feuilles & des rameaux, on trouve des stipules membraneuses. Les rameaux sont placés alternativement, ainsi que les paquets de feuilles ; les uns sont composés de deux à trois feuilles ; d’autres de quatre, & même de cinq. Les fleurs naissent des aisselles des rameaux. Lorsque la tige commence à sortir de terre, sa pointe semble être chargée d’écaillés très-serrées les unes sur les autres ; chaque écaille recouvre un petit bourgeon, qui se convertit ensuite en rameau qui donne des fleurs & du fruit.

Lieu. Les terrains sablonneux de l’Europe, & principalement dans les îles.

II. Des espèces d’asperges. Ceux qui ont écrit sur les espèces d’asperges cultivées dans les jardins, sans avoir des notions suffisantes de botanique, ont fort embrouillé la question, en donnant aux unes les noms des autres ; & comme ils n’ont publié aucune bonne description de l’espèce dont ils parloient, on ne sait comment concilier & comparer ce qu’ils ont dit.

Plusieurs auteurs de différens Traités sur le jardinage, distinguent trois espèces d’asperges, qu’ils croient caractériser par ces mots, la grosse, la commune, la sauvage ; ce qui certainement ne dit rien. L’auteur du Dictionnaire Économique cite toutes les espèces décrites par le chevalier Von Linné, & ne concilie pas pour cela les dénominations admises par les jardiniers ; la confusion est la même. M. Mallet, dans une petite brochure sur la culture de l’asperge, imprimée à Paris en 1779, en distingue trois espèces ; savoir, celle d’Allemagne, ou asperge commune ; celle de Hollande ou de Marchienne ; celle de Gravelines ou maritime. M. Mallet dit que la Marchienne dégénère après cinq ou six ans ; que celle de Gravelines subsiste plus de vingt ans en bon état ; & M. Fillassier, au contraire, dans son ouvrage intitulé : Culture de la grosse Asperge de Hollande, imprimé à Paris en 1779, regarde cette espèce comme la plus précoce, la plus hâtive, la plus féconde & la plus durable que l’on connoisse. Comment concilier ces contradictions, puisque M. Mallet donne une description de son asperge de Gravelines, qui convient à toutes les espèces ou variétés cultivées dans les jardins, & M. Fillassier ne dit pas un seul mot qui caractérise son asperge de Hollande, connue ailleurs sous la dénomination d’asperge de Darmstad, de Pologne, de Strasbourg, de Besançon, de Vendôme ? Il seroit fastidieux pour le lecteur & pour moi, d’entrer dans un plus grand détail sur les dénominations & sur leurs abus. L’auteur de l’École du Jardin potager, a raison de dire que ces espèces jardinières ne diffèrent entr’elles que par la grosseur. On peut, je crois, reconnoître leur filiation. L’asperge qui croît naturellement dans les îles sablonneuses du Rhône, de la Loire, du Rhin, &c. & que Bauhin a appelée asparagus sylvestris, a fourni par succession de tems & par les semis, l’asperge commune, ou asparagus sativa. La semence de celle-ci, & même de la première, chariée par les eaux des fleuves & des rivières à la mer, & qu’elle a ensuite rejetée sur ses rivages, a produit l’asperge maritime, ou asparagus maritima. Comme le terrain sablonneux des bords de la mer est sans cesse recouvert par les débris des plantes, des animaux qu’elle rejette, il s’y est formé un terreau, un sol plus substantiel & encore plus analogue à la bonne végétation de l’asperge ; dès-lors celle-ci est devenue plus grosse dans sa racine, ses feuilles ont été plus épaisses, & la tige mieux nourrie. Asparagus altitis. Voilà la seule différence qui existe entre toutes les trois. Les riverains ont cueilli la graine ; ils l’ont transportée dans leur jardin, où le travail & les engrais ont ajouté au premier degré de perfection que la plante avoit acquis sur les bords de la mer. Je sais que l’asperge maritime est restée toujours la même dans le Jardin des plantes à Paris, & qu’elle n’a pas été sensiblement améliorée. Cet exemple ne détruit point ce que je viens de dire. Au Jardin du Roi, l’asperge une fois semée & sortie dans un terrain quelconque, y reste à demeure, & n’a d’autre culture que la culture générale de toutes les autres plantes de la même plate-bande ; mais quelle différence de ce sol, de cette culture, avec le sol des jardins de Hollande, de Flandre ou des maraîchers de Paris, qui est presque tout terreau, & où les engrais sont si multipliés, que les plantes ne sentent que l’eau & le fumier ! C’est par cette prodigalité d’engrais & de soins, que les plantes des champs, dont les fleurs sont à quatre feuilles, deviennent doubles, & gagnent en nombre de pétales & en beauté de couleurs, ce qu’elles perdent dans leurs parties sexuelles. M. le chevalier Von Linné a eu raison de les nommer plantœ luxuriantes.

Ces asperges, qui étonnent aujourd’hui par leur grosseur comparée à celle des asperges ordinaires des jardins, & sur-tout comparée à celle des îles, sont encore très-peu communes, ce qui prouve que cette espèce jardinière, (voyez le mot Espèce) est due à l’art. Il importe peu qu’elle soit nommée Marchienne, ou de Gravelines, ou de Hollande ; le grand point est de la conserver pendant long-tems sans dégénérer, & cette dégénération plus ou moins prompte, dépend de la nature du sol, de son exposition, & sur-tout de la manière de conduire l’aspergère.

On peut, d’après ce qui vient d’être dit, diviser les asperges en asperges cultivées, & en asperges non cultivées. Ces dernières sont l’asperge des îles & la maritime, venues spontanément ; les autres sont les asperges jardinières qu’on doit diviser en grosses asperges & asperges ordinaires, puisqu’elles n’offrent aucun caractère botanique pour les distinguer. Dans le nombre des grosses asperges, on comprendra la marchienne, la gravelines, & toutes les autres espèces ou variétés qui en rapprochent. Peut-être faut-il mettre de ce nombre la belle espèce d’asperge dont M. de Bougainville a rapporté les graines de l’île d’Otaiti. Il en donna quelques-unes à M. de la Tourrette, qui les a semées à Lyon dans son jardin de plantes étrangères, où elles ont parfaitement réussi. L’asperge est verte depuis sa base jusqu’au sommet, grosse comme la marchienne ou la gravelines. On la dit d’un goût délicat & très-relevé. J’ai semé de la graine que M. de la Tourrette a eu la bonté de me communiquer ; elle a bien levé, & jusqu’à ce moment je ne vois aucune différence caractéristique & botanique entre cette asperge & celles que l’on cultive.

III. Du terrain propre au semis. L’asperge croît naturellement dans les îles sablonneuses, où elle pousse des tiges entiérement vertes & hautes de deux à trois pieds, sur-tout si elle est ombragée par quelque buisson ou arbrisseau. Dès-lors on doit conclure quel terrain lui est propre, & combien il est important de se conformer à sa loi de végétation ; mais pour lui donner plus d’embonpoint, il faut y mêler une nourriture plus succulente & naturellement légère. Le fumier des couches très-consommé, uni avec partie égale de sable & de terre franche, forme un sol excellent. Quelques-uns même n’emploient que ce fumier des couches. Cette méthode est très-bonne pour les environs de Paris, où les fumiers sont abondans ; mais ailleurs ils sont trop précieux, & on ne s’amuse pas à faire des couches. Ramassez donc autant de feuilles qu’il sera possible, de plantes herbacées, de joncs, &c. qui seront disposés par lits, entre chacun desquels vous placerez alternativement un lit de sable & un lit de bonne terre franche ; la proportion du sable & de la terre est d’un quart pour chacun. Si on peut ajouter un peu de fumier sortant de l’écurie, ce sera encore mieux. Laissez ce monceau fermenter pendant tout l’été, & lorsque vous jugerez que les herbes seront bien pourries, passez le tout à la claie, afin de bien mélanger les parties ; relevez le tout en pyramide, & couvrez avec de la paille longue, afin que les pluies ne délavent pas cette terre, & n’entraînent pas les sucs qu’elle contient. Dès le commencement de Février ou de Mars, suivant la température du climat, faites-la porter dans l’endroit où vous voulez former la pépinière. Le terrain du dessous doit auparavant avoir été bêché à fond, c’est-à-dire, la terre remuée & retournée de huit à dix pouces de profondeur. Si vous avez du fumier long & pailleux, il est bon d’en couvrir la surface avant de travailler. Enterré par le labour, il tient la terre mieux divisée, & laisse un plus libre écoulement à l’eau des pluies. Sur cette terre, jetez celle que vous avez préparée, & semez. C’est de la bonté de cette première terre que dépend, par la suite, le bel accroissement de la plante.

M. Fillassier, dans son Traité de la culture de la grosse Asperge, dit : « Si vous voulez qu’un plant soit convenablement conditionné, il doit avoir été élevé dans une terre substantielle, fraîche & légère, qui n’ait point été fumée, ni avant, ni après le semis de la graine. » Je ne vois pas trop sur quoi cette opinion est fondée, puisque cet auteur recommande ensuite l’usage de certains fumiers pour le terrain qui recevra le plant. Ne vaudroit-il pas mieux que tous deux fussent égaux ? la plante ne souffriroit pas du changement de nourriture. Voyez le mot Pépinière, afin d’éviter des détails qui seroient ici superflus.

IV. Du tems, & de la manière de semer. Le climat décide le moment. Dans les provinces méridionales, c’est au mois de Février ; dans celles du nord, à la fin de Mars, ou au commencement d’Avril.

Il y a deux manières de semer, ou à la volée, ou par raie, après s’être assuré de la bonté de la graine.

En semant à la volée, on couvre la planche avec les graines, & autant que faire se peut, également partout. On ne se repent jamais d’avoir semé trop clair, & toujours d’avoir semé trop épais.

La méthode de semer par raie est plus sure : on espace les graines plus réguliérement, & leur disposition sur une ligne droite permet d’arracher plus facilement les mauvaises herbes sans nuire aux jeunes plantes, & de leur donner de tems à autre de petits labours très-avantageux. Les raies doivent être espacées de dix à douze pouces, & chaque graine de six pouces. La profondeur de la raie sera de deux pouces au moins, de trois au plus, & lorsqu’on aura semé, on la remplira avec la terre jetée sur les côtés. Le tout sera recouvert avec du fumier léger & pailleux, afin d’empêcher que l’eau des arrosemens ne tape pas trop la terre. On arrosera suivant le besoin.

Plusieurs personnes préfèrent avec raison, de semer à demeure. Voici leurs procédés.

Les uns font un creux d’un pied & demi de profondeur, sur autant de largeur, sèment deux ou trois grains séparés les uns des autres. Au printems ils arrachent les pieds les plus foibles, & ne laissent subsister que les plus forts. Les autres ouvrent une fosse de trois pieds & demi à quatre pieds de largeur, défoncent le terrain, le chargent de fumier pourri ou terreau, en laissant toujours à cette fosse la profondeur d’un pied ; enfin sèment leurs graines à la distance d’un pied ; de sorte que cette fosse contient trois rangs de plantes. Chaque année, suivant l’une & l’autre méthode, on jette quelques pouces de la terre qui forme les ados de la fosse, ou de nouveau terreau si cette première terre a été enlevée. Enfin on continue à en jeter tous les ans jusqu’à ce que le terrain de la fosse soit à niveau de l’autre. On évite ainsi l’embarras de replanter, & la patte d’asperge n’est point endommagée. On a beau la ménager en la tirant de terre, en la maniant, en la replantant ; il est presque impossible de ne pas rompre un grand nombre des racines qui partent du tronc, & aucune plante ne prouve mieux combien il est essentiel de ménager les racines. (Voyez ce mot)

V. En quel tems il faut replanter, & comment on doit replanter. En Novembre il faut couper les tiges des semis à un pouce près de terre, & on peut couvrir le sol avec de la paille pour les garantir des grandes rigueurs du froid. Cette précaution n’est pas absolument essentielle. Au mois de Mars suivant ou d’Avril, toujours relativement au climat, on commence par ouvrir une tranchée sur le bord de la planche du semis, afin de reconnoître la place qu’occupe chaque plante. Il est à supposer que pendant l’été les plantes surnuméraires & parasites ont été arrachées, & par conséquent que les racines ne sont pas entremêlées. Il est encore à supposer, qu’avant de commencer l’opération, on aura préparé le terrain pour recevoir les plantes de la pépinière, ainsi que nous le dirons tout-à-l’heure. Lorsque tout est prêt, avec une main de fer, ou avec tel autre instrument à peu près semblable, on cerne tout autour des racines, & on enlève la plante, s’il se peut, sans détacher la terre de ses racines. Cette précaution est trop négligée, sur-tout des jardiniers qui font des pépinières pour vendre les pattes.

Si les pieds du semis sont assez séparés entr’eux, on peut les laisser dans la pépinière pendant la seconde année, & non pas plus long-tems ; on aura alors de gros sujets à replanter. Je préfère la première méthode, en ce qu’elle ménage mieux les racines, & parce que la reprise est plus assurée.

La manière de préparer le carré & de le disposer pour recevoir les pattes d’asperge, n’est pas à négliger. M. Mallet va l’indiquer.

« Je suppose, c’est lui qui parle, le terrain très-friable ; il ne sauroit l’être trop : la terre franche & meuble est celle qui convient le mieux ; la terre sablonneuse ensuite, & la terre argileuse lui est entiérement contraire, à moins qu’elle ne soit défoncée à quatre pieds de profondeur, & mêlée par moitié avec une bonne terre sablonneuse & en rapport. »

» On commencera dès le mois de Septembre à dresser son terrain en planches égales, de quatre pieds de large : quant à la longueur, elle est arbitraire. »

» Les planches tracées, sans qu’il soit nécessaire de les bêcher, afin que la terre des côtés ne s’éboule pas en travaillant, il faut enlever deux pieds de profondeur de la première plante, & faire transporter la terre en dehors par un bout, & avoir soin de la finir sans la traverser, sans quoi l’opération seroit imparfaite, parce qu’on écraseroit le bord des planches. »

» Quant à la seconde planche, on n’y touche pas avant que les plantes d’asperge soient parvenues ; cependant afin de ne pas laisser le terrain vide, on peut y planter des laitues, des romaines, des endives, &c. La troisième planche se prépare de même que la première ; la quatrième reste dans le même état que la seconde, & ainsi de suite pour toutes les autres. »

» Après avoir enlevé les deux pieds de terre dont on vient de parler, il faut y mettre six pouces de fumier à demi-pourri, composé d’un tiers de fumier de mouton, d’un tiers de celui de vache, & d’un tiers de celui de cheval, que l’on aura rangé par couches au printems précédent, & sur lesquels on aura fait venir des melons ou d’autres légumes ».

» Ce fumier étant épars, la terre des fosses sera bêchée, le fumier enterré à la profondeur d’un demi-fer de bêche seulement, & il restera ainsi enfoui pendant une partie de l’hiver. »

» Au mois de Mars on labourera de nouveau toutes ces planches d’un demi-fer de bêche, pour faire revenir sur la superficie le même fumier qui doit être pourri. Pour lors on ajoutera trois pouces de terre sur ces fossés, mêlée de voiries pourries, ou avec du fumier de mouton également pourri. »

» Presque tous les jardiniers ont en général l’habitude de planter ou de semer sur des terreaux purs ; c’est une faute très-grande qu’ils commettent. La reprise & la levée des plantes sont à la vérité plus promptes ; mais ils ne veulent pas entendre que ce léger avantage est contre-balancé par les suites les plus fâcheuses, la pourriture ou la langueur. »

» Cela fait, après avoir passé le râteau sans marcher sur les planches labourées, il faut y planter en échiquier trois rangs d’asperge, & les pieds à quinze pouces de distance les uns des autres en tout sens. La vraie manière de planter les asperges, c’est de les poser sur la superficie de la terre, de bien étaler les racines avec précision, sans les casser, & d’y jeter ensuite trois pouces de terreau pour les couvrir. »

» La plantation étant faite, outre les trois pouces de terreau, il est prudent d’y joindre un pouce de hauteur de fumier de litière à demi pourri, ou de la paille hachée, & encore mieux, de la balle du blé : par ce moyen ce jeune plant est à l’abri des petites gelées printanières, & des vents secs & arides du nord, qui règnent ordinairement tous les printems. »

Après avoir fait connoître la méthode de M. Masset pour l’asperge de Gravelines, il est nécessaire de mettre sous les yeux du lecteur celle de M. Fillassier, pour celle qu’il appelle de Hollande, puisque tous deux se sont spécialement appliqués à cette culture, & le lecteur les comparera.

« L’asperge de Hollande, dit M. Fillassier, étant fortement organisée, & pouvant se prêter à la plus ample végétation, veut une terre de la meilleure qualité, ou rendue telle par le secours de l’art, c’est-à-dire, cette terre doit tout à la fois être grasse & meuble ; grasse, afin qu’elle lui fournisse une nourriture abondante ; meuble, afin qu’elle ne mette aucun obstacle à l’extension de ses racines, ni à l’éruption de ses tiges. Le défaut de ces deux qualités fait dégénérer l’asperge en peu d’années. »

» On sait que le meilleur & même le seul moyen d’ameublir une terre trop compacte, est, après l’avoir défoncée & pulvérisée à plusieurs reprises, par un tems sec, d’y mêler une quantité de sable pur, proportionnée à la densité de cette terre. Le sable est, dans ce cas, bien préférable au terreau, conseillé par quelques auteurs ; le terreau n’a presque point de durée dans ces sortes de terres ; & bientôt s’amalgamant avec elles, il les laisse rentrer dans leur premier état. »

» On n’ignore pas non plus que la méthode la plus sûre de rendre substantielle une terre trop maigre, est d’y mêler de la terre grasse avec du fumier de vache bien pourri sous l’animal, & bien consommé en tas. Ce fumier même, s’il est bien onctueux, pourroit suffire au défaut de terre grasse ; mais son effet, sans elle, est infiniment moins durable. »

» Si, pour cultiver l’asperge de Hollande, il est essentiel que le terrain soit gras & meuble, il n’est pas moins nécessaire aussi qu’il ne soit ni trop sec, ni trop humide. La trop grande sécheresse la rend dure, ligneuse, moins féconde, la conduit au marasme, & bientôt à la mort. Trop d’humidité chancit les racines, pourrit la plante, lui cause une espèce de pléthore, & la rend très-susceptible aux effets de l’intempérie des saisons. Le point capital est donc de bien apprécier la nature du terrain destiné à cette espèce d’asperge. »

» Si le terrain est maigre, sec & brûlant, on creuse à la fin de Septembre, les fosses destinées à former l’aspergerie, à quatre pieds de profondeur, sur autant de largeur, & la longueur est arbitraire. Afin que l’ouvrage soit plus propre & plus régulier, il faut, avant d’ouvrir la fosse, en tracer les dimensions avec exactitude, en s’alignant au cordeau de part & d’autre. Si le terrain est sur la pente d’un côteau, il faut ouvrir les fosses dans la direction opposée à cette pente ; autrement la terre étant supposée très-légère & très-maigre, bien loin de retenir l’humidité nécessaire à la végétation, n’en deviendroit que plus sèche, plus brûlante, & les pluies entraîneroient bientôt hors des fosses les engrais qu’on y mettroit. »

» La terre de la fouille se jette sur les espaces non fouillés, qu’on nomme ados, & qui ne doivent pas avoir plus ni moins de trois pieds entre chaque fosse, ayant soin que cette terre ne s’éboule pas dans la fosse, soit durant, soit après le travail ; & pour cela, on peut de tems en tems, à mesure que l’on la dépose sur l’ados, la marcher également, & la taluter des deux côtés, en la frappant, soit avec le dos de la bêche, soit avec celui d’une pelle. »

» Les fosses resteront ouvertes jusqu’au commencement de Novembre, & à cette époque on en labourera le fond, soit avec la bêche, soit avec la pioche ou crochet, ou même avec une forte fourche. Il n’est pas nécessaire que ce labour ait plus de cinq à six pouces de profondeur ; on laissera la fosse jouir encore des influences & des bienfaits de l’air durant quinze jours. »

» Au commencement de Décembre, on jettera sur ce labour six bons pouces de fumier de vache bien gras, bien consommé, sur lequel on sèmera de la chaux vive en poudre, de manière qu’on n’apperçoive plus la couleur du fumier. L’objet de cette chaux est de faire avorter & périr les œufs que les insectes déposent sur tous les engrais, & particuliérement sur le fumier de vache. » M. Fillassier auroit pu ajouter, & pour former avec les substances animales ou graisseuses, la combinaison savonneuse, base de toute végétation. (Voyez le mot Engrais)

» Huit jours après on les couvre, ces six pouces de fumier, de huit pouces de terre que l’on prend sur les ados, & l’on marche cette terre d’un bout de la fosse à l’autre, pour l’incorporer avec l’engrais, qui, par cette opération, baissera d’environ deux pouces ; en sorte que la fosse n’aura plus que trois pieds de profondeur. »

» Au commencement de Janvier, après avoir gratté & ameubli avec la fourche la surface des huit pouces de terre, on couvre cette terre d’une nouvelle couche de fumier de vache, de six pouces également d’épaisseur, & on la sème comme on a fait la première, avec de la chaux vive en poudre. »

» Huit jours après, on jette sur cet engrais six bons pouces de terre prise sur les ados, & on marche cette terre d’un bout à l’autre de la fosse, qui, après ce procédé, ne doit plus avoir qu’environ vingt-six pouces de profondeur ; car les six pouces de fumier se réduiront aussi à quatre ; la neige, quand elle n’est point trop épaisse, ni la glace quand elle n’est pas trop forte, ne doivent retarder aucune des opérations qu’on vient de prescrire. »

» En Février, par un tems sec, & lorsque la terre n’est couverte ni de glace, ni de neige, après avoir gratté & ameubli avec une fourche la surface des six pouces de terre qui couvre la seconde couche de fumier, on y jette trois bons pouces de terre grasse, ramassée durant l’été, & conservée en un lieu sec, ou du moins qui a été couverte durant les pluies, pour empêcher de se pelotter. On a grand soin de briser cette terre grasse, de la réduire en poudre autant qu’il est possible, en la mettant dans la fosse ; & après l’avoir bien râtelée pour la répartir également dans toute l’étendue de la fosse, on la couvre sur le champ de six bons pouces de terre, qu’on prend encore sur les deux ados, on unit cette terre avec le râteau, & dès ce moment on cesse de marcher dans les fosses, qui n’ont plus alors environ que dix-sept pouces de profondeur. »

» Dans la première quinzaine de Mars, on jette sur les six pouces de terre qui couvrent la terre grasse, quatre bons pouces de terreau gras, qu’on unit bien avec le râteau, & sur lesquels on jette ensuite quatre bons pouces de terre qu’on prend sur les deux ados. On applanit le plus également qu’il est possible cette dernière jetée de terre avec le râteau ; & après avoir jaugé les fosses qui ne doivent pas avoir dans toute leur longueur plus de neuf pouces de profondeur, on marque avec la bêche les places où l’on doit planter les asperges. »

» On doit voir, pour peu qu’on soit au fait de l’agriculture, que cette précaution n’est pas fort dispendieuse, & qu’il en coûteroit peut-être davantage pour mettre dans un terrain de cette nature toute autre plante moins productive & moins durable. »

M. Fillassier me permettra de lui faire quelques observations, & il les pardonnera sans peine en faveur du motif. Quoiqu’il dise que cette opération ne soit pas fort dispendieuse, je ne suis point de son avis, & je ne la regarde praticable que pour ces riches financiers de Paris, qui savent, au prix de l’or, applanir les montagnes & combler les vallées. Si j’avois un pareil terrain, je ne songerois jamais à préparer une aspergère. Une excavation de quatre pieds me fait trembler, & huit maniemens ou transports de fumier, ou de terre, ne sont pas un petit objet. Les racines d’asperge, même les plus étendues, n’ont jamais été à quatre pieds de profondeur.

Je demande quelle a pu être l’idée de l’auteur en proposant une couche de trois pouces de terre grasse ? il entend sans doute l’argile ou la glaise, deux mots synonymes : que doit produire cette couche ? d’empêcher la filtration de l’eau dans la partie inférieure de la fosse, & alors elle se fera par les côtés, & l’humidité se dissipera dans le terrain voisin : souvent une couche d’argile moins épaisse de beaucoup, suffit pour retenir l’eau de la source la plus abondante, & la forcer à jaillir en dehors. Si donc cette couche empêche l’infiltration, à quoi servira tout cet appareil inférieur à la couche ? à rien du tout, puisque les racines de l’asperge ne sauroient pénétrer à travers cette terre grasse ou glaise. Il est constant que les seules pluies de Février, de Mars & d’Avril, habituellement abondantes dans le climat de Paris, sont plus que suffisantes pour pénétrer le terrain supérieur, parvenir à cette glaise sèche & pulvérisée, & enfin la réduire peu à peu en couche dure, compacte, & dont la compacité s’accroîtra de plus en plus. J’aurois plutôt revêtu les bords de la fosse avec de l’argile, & j’aurois laissé l’intérieur de la fosse simplement garni de terre végétale, que j’aurois substituée à la glaise. Je puis me tromper dans ma manière de voir, différente de celle de M. Fillassier : le public en jugera. Voyons comment M. Fillassier prépare un terrain trop froid & trop humide.

» Afin de rendre ce terrain propre à l’asperge de Hollande, l’essentiel est d’en diminuer la densité, & de procurer à l’eau qui y séjourne un écoulement facile. Voici ce qu’il faut faire. »

» Avant tout, il faut examiner si le terrain a de la pente, ou s’il n’en a point. S’il a de la pente, il faut creuser les fosses dans la direction de cette pente, leur donner quatre pieds de profondeur, & autant de largeur, sur une longueur à volonté, comme on l’a dit plus haut, car en toute espèce de terre, les dimensions des fosses doivent être les mêmes. »

» Si le terrain est par-tout de niveau, il faut lui procurer une pente artificielle, & alors on creuse les fosses de manière que sur six toises elles aient à la fin un bon pied & demi de profondeur de plus qu’au commencement ; c’est-à-dire qu’on ne creusera les fosses que de trois pieds & demi au commencement, & de cinq à la fin : par ce moyen le fond d’une fosse de six toises de longueur aura, du commencement à la fin, un pied & demi de pente, qu’on aura grand soin de rendre graduelle & progressive autant qu’il sera possible. »

» Dans les terrains humides qui n’ont aucune pente, il est bon, il est même nécessaire de ne donner aux fosses que six toises de longueur. »

» À l’extrémité où les fosses auront cinq pieds de profondeur, on creusera un fossé un peu plus profond pour y recueillir les eaux qui égoutteront des fosses. Ce fossé coupera toutes les fosses transversalement ; c’est-à-dire que si les fosses sont ouvertes du midi au nord, direction qu’il faut leur donner autant qu’il est possible, le fossé les coupera d’orient en occident. On aura soin d’écurer ce fossé tous les ans, afin de le tenir toujours plus profond que les fosses. Les deux côtés du fossé s’élèveront en talus pour qu’ils soient plus solides : ainsi il aura trois pieds de large à l’ouverture, & un seulement au fond. »

» L’ouverture des fosses en terrain froid & humide, doit être faite dès la fin de Juin, pour que les terres profitent de la chaleur des mois qui suivent. »

» On donnera, ainsi qu’il a été dit, trois pieds de largeur aux ados, sur lesquels on aura soin de bien affermir & taluter les terres. » M. Fillassier a déjà proposé l’emplacement des ados à trois pieds de largeur ; mais comment, sur une base de trois pieds, faire contenir la terre d’une fosse de quatre pieds de profondeur & de largeur ? Cette butte aura donc six pieds de hauteur perpendiculaire, & plus de sept si on lui donne le pouce par pied de talus. On aura beau battre & piétiner cette terre, sur-tout si elle est sèche & maigre comme dans le premier cas ; elle s’éboulera de toute nécessité peu à peu dans la fosse, & l’opération sera manquée. Je crois qu’un espace de cinq pieds seroit à peine suffisant. Revenons à la méthode de l’auteur.

» À la fin de Juillet on jettera dans le fond des fosses, qui, ayant une pente naturelle, sont par conséquent profondes de quatre pieds dans toute leur longueur, environ un pied de pierrailles, de décombres de bâtiment, &c. qu’on répandra bien également, & qu’on couvrira aussitôt d’une couche de sable pur, ou à son défaut, de terre sablonneuse & maigre, afin de remplir les intervalles qui se trouveront entre les petites pierres & autres matières employées. »

» Si les fosses n’ont qu’une pente artificielle & proportionnée, comme on l’a prescrit, on ne mettra qu’un demi-pied de pierrailles dans les parties où la fosse n’aura que trois pieds & demi de profondeur ; on en mettra un pied où elle en aura quatre, & deux pieds où elle en aura cinq ; car après cette opération, la fosse, de quelque nature que soit sa pente, ne doit plus avoir que trois pieds de profondeur dans toute sa longueur. »

» À la mi-Août, on posera sur la couche de sable pur ou de terre sablonneuse dont on a parlé, un lit de menu bois, de sarmens de vigne, &c. Quand ce lit est bien formé, on le sème aussi avec du sable pur ou de terre sablonneuse ; il faut que ces divers remplissages ne laissent plus alors aux fosses, qu’environ trente pouces de profondeur. »

» À la fin d’Août, on jettera sur le lit, du menu bois, & environ un pied de fumier de cheval, un peu long & très-sec. On le marchera d’un bout de la fosse à l’autre, à plusieurs reprises, pour le faire baisser à peu près de six pouces, puis on jettera sur cet engrais un pied de la terre prise sur la superficie des ados, laquelle terre aura été bien brisée & bien ameublie tous les quinze jours avec la fourche, ainsi qu’il a été dit plus haut. Après ce procédé, les fosses ne doivent plus avoir qu’un pied de profondeur. »

» Au commencement de Septembre, après avoir ameubli & râtelé le pied de terre qui couvre le fumier, on y jette environ quatre pouces de terreau sec, qu’on unit au râteau, & qu’on couvre ensuite de quatre autres pouces de terre des ados, la plus meuble & la plus sèche. »

» Vers la fin de Septembre on remue & on mêle avec la fourche la terre & le terreau, puis on égalise : enfin l’on marque ses places où l’on doit planter les asperges. »

D’après ce que vient de dire M. Fillassier, jamais il ne me prendra fantaisie d’entreprendre une telle aspergerie.

» Du terrain de bonne qualité ; c’est-à-dire, qui est assez substantiel & assez meuble. Dans un terrain de cette nature, on peut faire l’ouverture des fosses, soit avant, soit après l’hiver, mais cependant pas plus tard que la fin de Février, parce qu’il est nécessaire qu’elles restent un mois ouvertes avant de les combler, pour y planter. »

» On ne creuse les fosses que d’environ trois pieds, sur quatre pieds de largeur, la longueur à volonté, & les ados de trois pieds de largeur. »

» En déposant sur les ados la terre de la fouille, il faut mettre à part sur une partie d’un des deux ados, celle de la superficie du terrain, parce qu’elle doit être préférée pour combler le fond de la fosse & former le premier lit. »

» Après que les fosses auront profité durant un bon mois des bienfaits de l’air, on y jettera un pied de la première terre tirée de la fouille & mise à part. On brise & on ameublit cette terre avec la fourche, on la râtelle sans la marcher ; & environ huit jours après, on la couvre d’un pied de fumier bien consommé & bien pourri. On marche sur cet engrais d’un bout de la fosse à l’autre, pour l’affermir & le faire baisser d’un tiers ; puis on jette sur le fumier six pouces au moins de la terre des ados, de manière que les fosses n’aient plus que neuf à dix pouces de profondeur ; enfin, après avoir bien brisé & ameubli cette terre avec la fourche, sans marcher dans la fosse, après l’avoir bien unie avec le râteau, on marque les places où l’on doit planter les asperges. »

» En terre sèche & maigre, continue M. Fillassier, on ne doit planter l’asperge de Hollande qu’à la fin de Mars ou au commencement d’Avril, par un tems doux. (Il parle pour les environs de Paris) Il faut du plant d’un an. »

» En terre froide & humide, cette plantation doit se faire à la fin de Septembre, ou dans la première huitaine d’Octobre, par un tems doux & un peu couvert, avec du plant de dix-huit mois. »

» En bonne terre on peut planter à la fin de Septembre, ou dans la première huitaine d’Octobre, avec du plant de dix-huit mois ; ou à la fin de Mars, ou au commencement d’Avril, avec du plant d’un an. »

» En plantant avant l’hiver, il faut couvrir les fosses, soit avec de bonne litière sèche, soit avec de forts paillassons, lorsque les gelées arrivent, afin de préserver les jeunes plantes des rigueurs du froid. »

» La plantation sera faite en échiquier, & une plante ne nuira point à l’autre. Les pattes seront à dix-huit pouces l’une de l’autre dans la longueur, & à quinze seulement dans la largeur ; de cette manière une fosse de quatre pieds de large tiendra quatre rangées d’asperge. La première, à deux pouces de l’ados ; la seconde, à quinze pouces de la première ; la troisième, à la même distance de la seconde, & la quatrième à deux pouces de l’autre ados. »

» On peut, si on n’est point trop borné par le terrain, ne mettre dans la fosse de quatre pieds de largeur, que trois rangs de patte, à deux pieds de distance en tout sens, & les plantes profiteront davantage. »

» Le terrain étant bien disposé & toutes les dimensions prises, on prépare le plant. »

» On fait bouillir & fondre dans trois pintes d’eau de pluie ou de rivière, une livre de crottin de pigeon ou de mouton, une livre de salpêtre, ou à son défaut, de sel commun ; on a soin de bien remuer ce mélange pendant l’ébullition. Quand la liqueur n’est plus que tiède, on la verse peu à peu avec son sédiment, sur un boisseau & demi de bonne terre passé au panier ou à la claie, & on la pétrit jusqu’à ce qu’elle ait assez de consistance pour en pouvoir faire des boulettes grosses comme une noix, plus ou moins, selon la quantité de pattes qu’on a à planter. On introduit une de ces boulettes entre les différentes ramifications de chaque patte, & on la place au point d’où partent ces ramifications, c’est-à-dire, précisément au-dessous de l’œil. Il faut bien prendre garde, dans cette opération, d’offenser les racines, qui sont très-cassantes, & on doit les séparer l’une de l’autre autant qu’il est possible : l’effet de ces boulettes est non-seulement d’alimenter immédiatement la jeune plante, & d’économiser une fumure complète qu’il faudroit donner à l’aspergerie au bout de trois ans, mais encore d’empêcher les racines de se mêler, de s’embarrasser l’une avec l’autre, de les obliger à pivoter & à se diriger vers l’engrais déposé au fond de la fosse… »

Ces boulettes me paroissent bien minutieuses, & il n’est guère possible de concevoir comment elles peuvent dispenser d’une fumure complète après la troisième année. À cette époque, & même long-tems auparavant, la plante doit avoir absorbé tous les sucs qu’elles contiennent.

» Si le plant est levé depuis quelques jours, & si le délai qui s’est passé depuis le moment où on l’a tiré de la pépinière, jusqu’à celui où on le plante, a fait un peu flétrir les grosses racines, on en coupe la dernière extrémité, mais avec la plus grande sobriété, & seulement pour les rafraîchir. Cette amputation n’est pas nécessaire, & elle est même préjudiciable quand le plant est fraîchement levé. » M. Fillassier auroit dû ajouter, toujours préjudiciable, (voyez le mot Racine) à moins que ce ne soit pour séparer quelques racines rompues ou brisées.

» On plante chaque patte avec sa boulette, à la profondeur de deux ou trois pouces, ayant soin de bien étaler les racines dans le creux qu’on aura formé à cet effet à la place qu’elle doit occuper ; & afin de diriger plus surement ces racines vers le fond de la fosse, on insinuera l’extrémité des grosses ramifications dans de petits trous perpendiculaires qu’on fera avec le doigt. »

» La patte étant fixée en place, on la couvre de terre, de façon qu’il y en ait trois pouces au-dessus de l’œil. »

Telle est la méthode de deux auteurs qui ont récemment écrit sur la culture de l’asperge de Gravelines & de Hollande, que je crois être la même sous deux noms différens, ou au plus, une variété l’une de l’autre. Quant à la durée des pattes dans leur vigueur, ne proviendroit-elle pas de la manière dont elles ont été cultivées, du terrain & de son exposition, &c. ou peut-être enfin de l’enthousiasme de chaque auteur pour sa plante favorite ?

Ceux qui ne voudront pas se livrer à une culture aussi dispendieuse que les deux dont on vient de parler, pourront sans risque s’attacher à celle que je vais décrire, & dont je me trouve bien : mon terrain n’est ni bon, ni mauvais, ni trop sec, ni trop humide, ni trop léger, ni trop compacte.

J’ai fait creuser les fosses à deux pieds de profondeur, sur quatre pieds de largeur, à la fin d’Octobre, & jeter la terre sur un ados de quatre pieds de base. Depuis plusieurs mois on ramassoit avec soin les balayures des basses-cours, des cuisines, des bûchers ; les débris de bois, de végétaux, avec un peu de fumier de cheval : tout cela fut successivement jeté dans ces fosses jusqu’au commencement de Février. À chaque reprise, on couvroit d’un demi-pouce avec la terre des ados. À la fin de Février, le tout fut consommé, à l’exception de quelques brins de bois, & on combla de cinq à six pouces le fond des fosses. Lorsqu’on les ouvrit, leur couche de terre supérieure fut portée dans l’allée du jardin la plus voisine, & mêlée avec un tiers de sable un peu gras, & un tiers de fumier de cheval, qui fermentoit en monceau depuis deux mois. Il étoit assez pourri, & pas encore réduit en véritable terreau. Cette terre ainsi préparée, resta en monceau & recouverte de longue paille, jusqu’à la fin de Février.

À cette époque le fond des fosses fut travaillé à plein fer de bêche, c’est-à-dire, sur onze à douze pouces de profondeur, & le terreau bien mêlé avec la terre. Dans le même tems on passoit à la claie la terre préparée du monceau de l’allée, & avec ce mélange la fosse fut exhaussée de huit pouces. Le terrain bien nivelé, bien râtelé, les pattes d’asperge furent placées sur toute l’étendue des fosses, à quinze pouces de distance en tout sens, & la personne chargée de les enterrer les couvroit successivement avec la même terre, à trois pouces au-dessus de l’œil de la patte. Dans la première fosse, les racines des pattes furent placées horizontalement ; dans la seconde, on eut soin de les enfoncer sur une direction plus oblique que perpendiculaire, & ainsi de suite pour les autres fosses, & je n’ai pas encore vu qu’il résultât une différence sensible dans les plantes d’une fosse ou d’une autre.

Chaque année, depuis la fin d’Octobre, c’est-à-dire, aussitôt que les tiges sont parfaitement desséchées, jusqu’au commencement de Février, on porta sur ces fosses les balayures des appartemens & des cuisines seulement ; & au commencement de Mars, on ajouta quelques pouces de terre des ados : un très-léger labour avec la pioche ou avec la bêche, mélangea le tout. Enfin la fosse parfaitement comblée, il y eut du terrain de trop, & il fut transporté sur les carreaux voisins. Les asperges qu’on coupe chaque année sont très-belles & très-bonnes.

Plusieurs auteurs recommandent de remplir le fond des fosses avec des cornes, des ongles, des os de bœuf & de mouton, avec les retailles des cordonniers, des tailleurs, &c. Ces substances animales ne produiront pas un grand effet dans les premières années : lorsqu’elles se putréfieront, à la longue, elles commenceront à devenir utiles ; mais comment se procurer sans beaucoup de frais, de pareils engrais, sinon à la porte des grandes villes ? On y vend les cornes pour le service des arts, & les bouchers ont grand soin de vendre les os avec la viande. À Paris, pour faire le poids, on ajoute un os, & on l’appelle réjouissance.

Après avoir parlé des différentes manières de planter pour tous les terrains, examinons à quels lignes on connoît une bonne patte d’asperge, car les jardiniers ne se font aucun scrupule de vendre même jusqu’au rebut de la pépinière.

Du plant d’asperge. M. Fillassier exige qu’il n’ait qu’un an, ou dix-huit mois tout au plus ; s’il passe cet âge, s’il a vu deux hivers en pépinière, il reprend avec moins de facilité, & est plus sujet à dégénérer ; ce qui n’est pas encore bien prouvé par l’expérience. M. Mallet, au contraire, exige un plant de deux ans, & il a raison.

On reconnoîtra qu’il a été trop serré dans la pépinière, si les racines sont effilées. Les racines doivent être presque égales en grosseur, en longueur, bien nourries & sans taches ; leur couleur d’un gris blanc, & non pas jaune ; l’œil gros, vigoureux.

Plus il sera tiré récemment de terre, plus la reprise sera facile. La manière de le lever n’est point arbitraire. Ayez de grandes balles ou de grands paniers, dont le fond soit garni avec de la mousse ; placez ensuite les plants d’asperge les uns à côté des autres, sans mélanger les racines, & continuez ainsi jusqu’à six pouces de hauteur. Alors, ajoutez un nouveau lit de mousse de quatre à six pouces ; continuez lit par lit jusqu’à ce que le panier soit plein, & recouvrez avec de la paille, sur laquelle on entrelace de la ficelle. Cette dernière opération ne s’exécutera que lorsque le tout se sera un peu tassé par son propre poids. Les plants peuvent voyager de cette manière sans craindre aucun dommage.

Lorsque vous demanderez des plants aux pépiniéristes, prévenez-les que vous rejetterez toutes les pattes dont les racines seront effilées, celles qui seront brisées, dont l’œil sera endommagé ou aura une couleur livide. Sans ces précautions, vous risquez d’avoir du mauvais plant & mal conditionné pour la route.

VI. De la conduite de l’aspergerie. La tenir parfaitement sarclée, ne jamais marcher sur les planches, sous quelque prétexte que ce soit, sont deux conditions essentielles pour tout le tems que subsistera l’aspergerie. On sarclera avec la main autour des plantes, de peur que le piochon ou la binette n’endommage la tige ou la racine.

L’aspergerie demande des soins particuliers pendant les trois premières années ; ceux des deux premières sont à peu près les mêmes.

Donner souvent de petits labours à la superficie du terrain, & même tous les mois, c’est fournir à la plante un moyen efficace pour sa végétation.

Lorsque le plant est parvenu à un pied de hauteur, on coupe à ras de terre sur chaque plante, la tige la plus forte, afin de déterminer le reflux de subsistance vers les racines. À la fin de Septembre, couper toutes les tiges, & ne leur laisser que deux pouces. On recouvre ensuite ces chicots à fleur de terre, avec du fumier à demi-pourri. On le répète : la méthode de M. Mallet est bonne dans les pays où les fumiers sont abondans, & dans le climat de Paris. Elle n’est point admissible dans les provinces méridionales ; la chaleur dévorante pénétreroit jusqu’aux racines à travers cet amas de terreau & de fumier, successivement convertis en terreau ; il faut une terre plus forte. La terre des ados préparée ainsi que je l’ai dit, est préférable.

On conduit l’aspergerie de la même manière dans l’année suivante, excepté qu’on coupe, à la fin de Mai, les trois ou quatre plus fortes tiges, afin d’occasionner un nouveau reflux aux racines.

M. Mallet conseille à ceux qui peuvent facilement se procurer des engrais, d’employer ceux des voieries. C’est, suivant lui, le meilleur engrais & le plus convenable aux asperges. Il faut faire des couches de voieries, d’un pied de hauteur, recouvertes d’un pouce de chaux vive, & inonder le tout ensuite, afin d’empêcher que l’action trop vive de la chaux ne brûle l’engrais, & ne détruise les portions mucilagineuses, huileuses & salines dont est doué cet excellent fumier. La chaux ne les détruira point ; mais sans humidité un peu abondante, il n’y aura presqu’aucune combinaison, aucun mélange des différens principes, & leur conversion en substance savonneuse, ne sauroit s’exécuter. (Voyez le mot Engrais)

Ces tas de voieries, après avoir été exposés pendant un an à toutes les influences de l’air, de la lumière, de l’hiver, &c. passés ensuite à la claie, sont, de tous les amendemens, les meilleurs, sur-tout pour les asperges ; il suffit d’en mettre chaque année, à la fin de l’automne, l’épaisseur de trois pouces sur le plant d’asperge.

Une infinité de personnes s’imaginent que les voieries communiquent un mauvais goût aux légumes. Cela est vrai, si on les emploie trop récentes. Celles qui ont fermenté pendant un an, & sur-tout pendant deux, sont exemptes de ce reproche.

Des soins de la troisième année. À cette époque on peut commencer à jouir, mais très-sobrement, autrement on épuiseroit la plante. À la fin de Février, ou dans les premiers jours de Mai, on donne un petit labour à l’aspergère, & on jette sur cette labourée, de trois à quatre pouces de la terre des ados. Sarcler & biner tous les mois, sont des soins à ne pas négliger. Il faut prendre garde de ne jamais marcher sur la planche, & de ne point endommager la plante en travaillant la terre. Au commencement de Novembre on coupe les tiges, on bine, & on ajoute de nouvelle terre. M. Fillassier conseille la litière courte & les feuilles d’arbre ; M. Mallet veut qu’on ajoute six pouces de terreau composé d’une moitié de terre potagère, & d’une autre de fumier exactement pourri ; & encore mieux, dit-il, du mélange de chaux vive, & des voieries dont il a parlé.

Pour les années suivantes, sa culture consiste à tenir l’aspergerie bien sarclée & bien labourée. Il ne faut jamais perdre de vue que l’asperge croît dans les terrains sablonneux ; ainsi tous les soins du cultivateur doivent se borner à lui donner une terre légère, une terre végétale en abondance ; les débris des végétaux, des animaux bien consommés, sont donc ce qui lui convient le mieux.

De la manière de cueillir les asperges. D’une même racine il sort plusieurs tiges. On ne coupera que celles qui ont atteint leur grosseur & la hauteur convenable ; ces tiges seront coupées le plus près du tronc qu’il sera possible, & sans l’endommager.

L’auteur de l’École du Jardin potager, parle d’un outil pour couper les asperges, que je ne connois point. Il est fait en crochet par le bout, avec des dents taillantes, disposées comme celles d’une scie, accompagnées d’une longueur de fer de six pouces environ, de la grosseur d’une clef ordinaire, avec un manche de bois arrondi. On plonge cette espèce de couteau perpendiculairement le long de l’asperge ; & quand il est entré à six pouces environ, on donne un tour de main pour l’embrasser avec le bout du crochet, & on la coupe en tirant à soi. Le couteau ordinaire vaut tout autant.

Si on ne consomme pas les asperges sur le champ, on les lie en bottes, que l’on place dans un vase dont le fond est garni de deux pouces d’eau, ou bien on les enterre à la profondeur de trois à quatre pouces dans du sable frais : la végétation de l’asperge se continue encore & dans l’eau & dans le sable.

Pour avoir des asperges hors de leur saison ordinaire. Par-tout où l’argent est abondant, l’industrie augmente les moyens de le faire dépenser. L’homme riche croit multiplier ses jouissances lorsque sa table est couverte de mets chèrement payés. Son amour-propre est satisfait, & son goût ne sauroit l’être, parce qu’il a fallu contrarier la nature. Voici les méthodes factices, mises en usage pour se procurer le plus détestable de tous les légumes.

On le peut de deux manières, ou par le secours des couches chaudes, ou par celui des réchauts.

» La première méthode (c’est M. Decombes qui parle, & MM. de la Quintinie & Bradley avant lui) L’opération doit se prévoir de loin, c’est-à-dire, il faut se former un fond de plantes en pépinière de deux ans. Après cette époque, elles sont en état d’être transplantées sur couches. Ces couches doivent être fortes, larges de quatre pieds, & chargées de six pouces de terre & de terreau mêlés ensemble. Lorsqu’elles sont bien dressées, & que la plus grande chaleur est passée, on range les asperges sur la couche à six ou sept pouces de distance, & on les recouvre de deux pouces de terre mêlée ; on jette un peu de fumier chaud par-dessus, & on laisse quelques jours ces couches à l’air. »

» Quatre ou cinq jours après, on en retire exactement le fumier, & on les charge de nouveau de trois pouces de la même terre mêlée ; après quoi on les couvre, soit avec des cloches, soit avec des châssis, sur lesquels on jette de la litière sèche & des paillassons, pendant les nuits & le mauvais tems, à proportion de la rigueur de la saison. »

» Si on a commodément de grands fumiers chauds sortant de l’écurie, en place de litière, les plantes s’en trouveront encore mieux ; mais les paillassons en souffrent, car la vapeur chaude de ce fumier qui est dessous, brûle les ficelles. »

» C’est, pour l’ordinaire, au commencement de Novembre qu’on fait les premières couches destinées à cet usage, & on continue d’en faire tous les mois lorsqu’on veut en avoir une succession non interrompue, parce que chaque couche ne produit que pendant un mois au plus : ce mois passé, il faut la retourner, détruire le plant qui n’est plus propre à rien ; il est brûlé. »

» Dix ou douze jours après que les pattes ont été plantées, elles commencent à pousser leurs tiges. Dès qu’elles paroissent, il faut donner un peu d’air aux cloches ou aux châssis ; & si le tems le permet, les laisser nues au soleil, dont l’action donne au fruit le goût & la verdeur. Quel goût & quelle verdeur ! Cependant, comme le soleil ne paroît pas souvent dans cette saison, voici la manière d’y suppléer en partie. »

» Lorsqu’on a fait une cueillette d’asperges, on les lie en bottes, on les enterre à moitié dans les réchauts, & on couvre d’une cloche chaque botte ; s’il fait un peu de soleil, de blanches ou rougeâtres qu’elles sont, elles deviennent vertes au bout de deux ou trois jours. »

» On doit les réchauffer (voyez les mots Couche, Réchaut) dix ou douze jours après qu’elles ont été plantées, & renouveler le réchaut une seconde fois, douze ou quinze jours après, dès qu’on s’apperçoit que la chaleur de la couche s’éteint. »

» À l’égard de celles qu’on veut réchauffer en pleine terre, on doit, comme pour les autres, y avoir pourvu à l’avance ; c’est-à-dire qu’en les plantant, on doit les avoir disposées dans cette vue, & n’avoir donné que trois pieds ou trois pieds & demi aux planches, pour être plus faciles à réchauffer, & deux pieds aux sentiers. »

» Ces planches ainsi disposées, sont bonnes à réchauffer dès que le plant a quatre ans ; il est encore meilleur à cinq & à six. »

» Pour les réchauffer, on ôte toute la terre des sentiers, à deux pieds de profondeur. On la jette sur des planches, en battant les bords, & on remplit le vide avec des fumiers chauds, bien trépignés. On laboure ensuite la planche pour dresser les terres, & on met tout de suite quatre à cinq pouces de fumier par-dessus. On les laisse dans cet état jusqu’à ce que la terre se soit échauffée & que les tiges commencent à paroître. »

» C’est ordinairement quinze jours ou trois semaines après, & aussitôt il faut manier les réchauts & les mêler avec plus ou moins de fumier neuf, suivant le besoin. Si le froid est considérable, il faut augmenter la charge de fumier sec par-dessus les planches. La tige, pressée par la chaleur du fond, pousse toujours au travers, & on a soin de lever le fumier tous les jours, autant que le tems le permet, pour donner de l’air à la plante. On doit aussi le changer autant de fois qu’il est mouillé ou couvert de neige. Il faut par conséquent en avoir une bonne provision. De deux en deux jours on coupe les bonnes tiges, & on les fait reverdir, comme il a été dit plus haut. »

» Quinze jours après on change encore les réchauts, & on continue de quinzaine en quinzaine, tant qu’on cueille du fruit. Il faut prendre garde qu’il ne brûle pas par trop de chaleur ; à quoi il est particuliérement sujet dans les mois de Novembre & de Décembre, lorsqu’il survient des pluies chaudes, ou même après quelques petites gelées qui concentrent la chaleur. Au moindre danger, il faut donner de l’air aux plantes, en levant le fumier de distance en distance. »

» Il y a des particuliers qui couvrent les planches entières avec des cloches ; l’embarras égale la dépense. Les planches ainsi préparées & gouvernées, donnent du fruit pendant six semaines ou deux mois. »

» On observera, pour la première fois qu’on réchauffera ces planches, de ne couper le fruit que pendant trois semaines environ. On les épuiseroit d’en tirer davantage. »

Je regretterois le tems employé à transcrire ces deux méthodes, si je ne respectois la loi imposée, de faire connoître tout ce qui a été dit sur un sujet ; & ceux qui aiment les légumes & les fruits forcés, ne me pardonneroient pas de les avoir passés sous silence.

VII. Des ennemis des asperges. Les uns s’attaquent aux racines, les autres aux tiges.

Il est aisé de présumer que dans une terre légère & plus fumée que le reste du jardin, les insectes y accourront de toute part. Le hanneton y trouve une retraite commode pour s’enterrer & s’y métamorphoser en larve, qu’on nomme ver blanc, turc, &c. (voyez le mot Hanneton) si terrible & si destructeur des racines des plantes. La courtillière, ou taupe-grillon, ou courterolle, (voyez le mot Courtillière) s’empresse de venir déposer ses œufs dans ce fumier, & tout jardinier connoît, par une fatale expérience, combien cet insecte est redoutable. L’huile, il est vrai, mise dans les trous fabriqués par ces insectes, & chassée par l’eau dans ses routes souterraines, le font périr ; mais souvent cette eau abondante fait pourrir les pattes.

Toute espèce de limace & de limaçon se jette avec avidité sur la jeune tige de l’asperge, sur-tout dans les terrains humides & dans les années pluvieuses. Le soir, à la lumière, & de grand matin, on les verra chercher leur nourriture ; c’est le tems de les prendre & de les suivre jusque dans leurs retraites ; la route est marquée par leur bave.

Dans les années sèches, ce sont les pucerons, une chenille verdâtre, dont on se débarrasse en secouant les tiges sur du linge ; plusieurs petits scarabées, &c.

Le seul moyen de détruire le puceron, est de sacrifier les tiges qui en sont infectées ; on préserve les autres. Les scarabées, moins nombreux, & beaucoup plus gros, se distinguent aisément. On les voit sur le sommet de la tige, qu’ils ont bientôt cernée & dévorée. On les ramasse l’un après l’autre, & on les écrase.

M. Mallet a publié une recette, qu’il dit infaillible, pour faire périr les insectes qui s’attachent sur les asperges, comme sur les autres légumes ; elle coûte peu à essayer.

Prenez des feuilles d’aulne, remplissez-en un tonneau jusqu’au tiers ; remplissez-le d’eau, & remuez tous les jours. Quinze jours après, cette infusion aura la propriété de faire périr tous les insectes en arrosant les plantes. On renouvelle les feuilles à mesure qu’elles pourrissent : on peut conserver ce mélange pendant deux mois ; il n’est pas nuisible aux plantes. Ce procédé est fondé, dit M. Mallet, sur ce que jamais insecte ne s’attache aux feuilles d’aulne. Cette proposition est trop générale, & j’ai la preuve contraire. La feuille de noyer, généralement parlant, auroit la même propriété.

VIII. Des propriétés de l’asperge. La racine est inodore, d’une saveur douce & fade. L’asperge donne à l’urine une odeur nauséabonde. Quelques gouttes d’huile de térebenthine jetées dans les vases de nuit, décomposent cette odeur & la changent complétement.

On place les racines au rang des cinq grandes racines apéritives. On prescrit les racines à la dose de demi-once, ou d’une once pour chaque pinte d’infusion. Les tiges sont prescrites depuis une à deux, dans une décoction de huit onces d’eau. On a beaucoup & trop vanté leurs propriétés pour expulser les graviers, contre les hydropisies, les maladies du foie.

L’usage le plus fréquent de l’asperge, est pour la cuisine. En Provence, en Languedoc, dans nos provinces méridionales, on trouve une asperge dont la tige devient ligneuse, son écorce blanche, & dont les feuilles sont courtes, dures, aiguës, légèrement piquantes. C’est l’asparagus antifolius du chevalier Von Linné. Le peuple en mange les jeunes tiges, tant qu’elles sont herbacées ; leur goût est sauvage & un peu amer. Elle croît le long des chemins, dans les haies, &c.